En cours au Siège de l'ONU

9749e séance – après-midi
CS/15853

Au Conseil de sécurité, des voix se font entendre pour que la Colombie poursuive ses efforts de consolidation de la paix, jugés encore fragiles

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

« La Colombie est scrutée, elle a valeur d’exemple », a résumé la France au Conseil de sécurité, après que le Représentant spécial et Chef de la Mission de vérification des Nations Unies dans ce pays, M. Carlos Ruiz Massieu, a présenté cet après-midi son rapport trimestriel aux membres du Conseil. Également présent à cette réunion, le Ministre des affaires étrangères de la Colombie, M. Luis Gilberto Murillo, a réaffirmé l’engagement de son gouvernement à mettre en œuvre l’accord de paix de 2016, tout en reconnaissant un certain nombre d’obstacles, notamment la faiblesse des structures institutionnelles et la persistance de la violence dans les régions historiquement touchées par le conflit.

M. Massieu a confirmé la vulnérabilité de ces régions visées par des groupes armés qui cherchent à s’emparer de territoires et de routes stratégiques liés aux économies illicites, en s’en prenant aux leaders communautaires, aux signataires de l’accord de paix et aux anciens combattants.  Il a également évoqué, de la part de ces mêmes groupes armés, des pressions exercées à l’égard des femmes et des jeunes filles pour réglementer leur apparence et leur comportement. 

Une situation « alarmante » pour l’activiste féministe Beatriz Quintero, qui est intervenue au nom de la Red Nacional de Mujeres.  Selon elle, les défenseurs des droits humains ont ainsi subi 124 attaques durant le premier semestre de l’année 2024 dans le département du Cauca, soit une hausse de 34% par rapport à l’année précédente. Dans le Chocó, département majoritairement afro-colombien, la guerre pour le contrôle territorial entre groupes armés s’est intensifiée dans presque toutes les municipalités, a-t-elle observé – des actes qui « terrorisent les populations et sapent la stabilité du pays », selon les États-Unis.

Évoquant le difficile processus de paix, le Représentant spécial a regretté l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations entre le Gouvernement colombien et l’Armée de libération nationale (ELN).  La fin du cessez-le-feu bilatéral en août a entraîné une hausse notable des morts et des blessés des deux côtés, a-t-il noté, avant d’exprimer l’espoir qu’une reprise des pourparlers permette de rétablir la confiance entre les parties et de relancer un processus plein de promesses.  La prorogation de six mois du cessez-le-feu avec l’État-major central des Forces armées révolutionnaires de Colombie–Armée populaire (EMC FARC-EP) a en revanche été accueilli comme une bonne nouvelle.  La Russie s’est quant à elle réjouie des avancées avec le groupe Segunda Marquetalia.

Pour Mme Quintero, la politique actuelle de « paix totale », qui vise à la fois à appliquer l’accord de paix de 2016 et à dialoguer avec les groupes armés illégaux, demeure, de fait, insuffisante.  Le Ministre des affaires étrangères de la Colombie, s’il a reconnu certaines faiblesses, a mis en avant les réalisations de son gouvernement.  Notamment le « Plan de choc », centré sur la réforme agraire et effectué sous la direction du Ministre de l’intérieur colombien Juan Fernando Cristo, d’ailleurs présent à la réunion.  Salué entre autres par le groupe des A3+, représenté par le Guyana, ce plan a permis la « formalisation » de plus de 3 millions d’hectares de terres rurales, bénéficiant à des milliers de « familles paysannes et ethniques ».  Dans un pays à 94% rural, la justice agraire est « indispensable », a estimé la France, tandis que l’Équateur s’est réjoui d’une plus grande présence de l’État dans les zones vulnérables où les populations expriment un besoin urgent de projets de développement et de services publics.  Le Représentant spécial a toutefois tempéré les résultats de cette réforme, encore trop « modestes par rapport aux attentes », s’inquiétant par ailleurs des menaces reçues par les organisations paysannes qui s’y sont engagées.  La militante féministe Mme Quintero a, pour sa part, insisté pour que les terres soient distribuées équitablement entre hommes et femmes. 

Évoquant le Plan national d’action « Femmes, paix et sécurité », elle a en outre rappelé qu’en 2023, plus de 1 500 femmes ont participé à des forums visant à son élaboration, mais qu’il n’a toujours pas été adopté.  Or, selon elle, ce document est essentiel pour garantir la participation des femmes à la construction de la paix et instaurer une perspective de « sécurité humaine et féministe ». 

Face à cette situation, Mme Quintero a formulé plusieurs recommandations au Gouvernement colombien, insistant sur la nécessité d’inclure systématiquement une perspective de genre dans toutes les négociations de paix.  Elle a exhorté les autorités à exclure l’utilisation du corps des femmes et des filles dans le cadre des conflits, à garantir la participation pleine et égale des femmes et des personnes LGBTIQ+ aux processus de paix, et à tracer des « lignes rouges » non négociables dans les pourparlers, telles que l’interdiction du recrutement de mineurs et la violence contre les femmes.  Le Royaume-Uni et la Suisse ont exprimé leur soutien au lancement d’un tel plan.

Autre point à améliorer, selon plusieurs intervenants: la mise en œuvre du chapitre ethnique de l’accord de paix de 2016, qui vise à corriger les impacts disproportionnés du conflit sur les communautés afro-colombiennes et autochtones. Même s’il s’est félicité de la promulgation récente d’un décret destiné à renforcer le rôle de la Vice-Présidente de Colombie, Mme Francia Márquez, dans la supervision de ces initiatives, le Représentant spécial a estimé qu’il restait « beaucoup à faire » pour que les populations concernées puissent véritablement bénéficier des promesses de l’accord.  La Colombie a reconnu son retard en la matière et promis de prioriser la création de pactes territoriaux avec les communautés les plus affectées.  Les États-Unis ont quant à eux annoncé une aide d’un montant de 50 millions de dollars pour soutenir des opérations de déminage et de réparation pour les communautés autochtones.

La réintégration des anciens combattants a également été évoquée par plusieurs membres du Conseil de sécurité, à commencer par la Fédération de Russie, qui l’a jugée insuffisante, soulignant l’importance de leur participation accrue à la mise en œuvre des mesures gouvernementales.  À ce jour, a admis la Colombie, seuls 723 anciens combattants se sont inscrits au Programme global de réintégration.  Les États-Unis ont donc appelé à des mesures concrètes pour protéger ces populations et garantir leur réinsertion durable.

Concernant la justice transitionnelle, le Représentant spécial a salué le travail « pionnier » de la Juridiction spéciale pour la paix. Tandis que la Colombie « attend avec impatience les premières sentences contre les responsables de crimes graves », il est important de garantir l’indépendance et l’autonomie de la Juridiction face aux critiques, a-t-il insisté.  La France a souligné que, sur ce point, la Colombie avait fait des progrès notables, notamment dans la lutte contre l’impunité pour les violences sexuelles et fondées sur le genre.

Enfin, concernant les défis budgétaires auxquels la Colombie est confrontée, le Représentant spécial a exhorté Bogota à ne pas « sacrifier la paix » sur l’autel des contraintes fiscales, appelant la communauté internationale à continuer d’apporter son soutien financier pour combler les lacunes. Alors que le mandat de la Mission de vérification des Nations Unies expire le 31 octobre 2024, la Suisse, qui présidait la séance, a préconisé de préserver les ressources actuelles de la Mission et de mettre davantage l’accent sur le programme pour les femmes et la paix et la sécurité, comptant sur l’unité et le soutien continu du Conseil à cette fin.

LETTRES IDENTIQUES DATÉES DU 19 JANVIER 2016, ADRESSÉES AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ET AU PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SÉCURITÉ PAR LA REPRÉSENTANTE PERMANENTE DE LA COLOMBIE AUPRÈS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES (S/2016/53)

Rapport du Secrétaire général sur la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie (S/2024/694)

Exposés

M. CARLOS RUIZ MASSIEU, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, a fait état de de progrès importants accomplis depuis la dernière séance du Conseil de sécurité à laquelle il a participé, tout en soulignant que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de paix de 2016. Il a d’abord fait savoir que le Gouvernement colombien avait introduit un plan d’intervention rapide, connu sous le nom de « Plan de choc » (« Plan de Choque »), centré sur la réforme rurale et le renforcement des garanties sécuritaires dans les régions touchées par le conflit.  Ce plan a été élaboré avec la contribution des autorités et des communautés locales dans le cadre de la Commission de suivi, de promotion et de vérification de l’Accord final.  Le Représentant spécial a précisé qu’il avait accompagné le Ministre de l’intérieur lors de visites dans des régions affectées, où les populations locales expriment un besoin urgent de projets de développement et de services publics.

M. Massieu a observé que la réforme rurale, une composante clef de l’Accord, progresse lentement.  Bien que des terres soient redistribuées aux paysans qui n’en ont pas et aux personnes déplacées, les résultats restent modestes par rapport aux attentes.  Il a par ailleurs exprimé son inquiétude quant aux menaces reçues par les organisations paysannes engagées dans cette réforme.  En outre, il a souligné la nécessité de renforcer la mise en œuvre du chapitre ethnique de l’Accord, qui vise à corriger les impacts disproportionnés du conflit sur les communautés afro-colombiennes et autochtones.  À ce sujet, M. Massieu a salué la promulgation récente d’un décret destiné à renforcer le rôle de la Vice-Présidente, Mme Francia Márquez, dans la supervision de ces initiatives.  Cependant, il a reconnu que les progrès dans ce domaine ont jusqu’à présent été limités et qu’il reste beaucoup à faire pour que les populations concernées puissent véritablement bénéficier des promesses de l’Accord.

Concernant les garanties sécuritaires, le haut fonctionnaire a signalé que cinq secteurs territoriaux de formation et de réintégration des anciens combattants ont dû être relocalisés en raison de l’insécurité croissante.  Ces régions restent la cible de violences et de menaces de la part de groupes armés cherchant à prendre le contrôle et de routes stratégiques pour les économies illicites.  M. Massieu a particulièrement déploré le fait que les leaders sociaux, les signataires de l’Accord et les anciens combattants continuent d’être des cibles privilégiées de cette violence.  Il a également évoqué des phénomènes inquiétants de contrôle social dans certaines régions, notamment à l’égard des femmes et des jeunes filles, à qui des groupes armés imposent des règles sur leur apparence et leur comportement. Le Représentant spécial a appelé à une présence accrue de l’État dans ces zones vulnérables.

Concernant la Juridiction spéciale pour la paix, il a affirmé que cette institution poursuit son travail pionnier, qui reste central dans la transition de la Colombie vers une paix durable.  Le pays, a-t-il noté, attend avec impatience que soient prononcées les premières peines contre les responsables de crimes graves, tout en insistant sur l’importance de garantir l’indépendance et l’autonomie de la Juridiction face aux critiques.  Le Représentant spécial s’est également penché sur les défis budgétaires auxquels la Colombie est confrontée.  « La paix ne doit pas être sacrifiée » sur l’autel du budget, a-t-il mis en garde, exhortant la communauté internationale à continuer d’apporter son soutien financier pour combler les lacunes.

Enfin, M. Massieu a abordé les différents dialogues de paix en cours avec divers groupes armés.  Il s’est dit préoccupé par l’impasse dans les négociations entre le Gouvernement et l’Armée de libération nationale (ELN), marquée par la fin du cessez-le-feu bilatéral en août, ce qui a entraîné une recrudescence des violences.  Cependant, il a exprimé l’espoir qu’une reprise des pourparlers permette de rétablir la confiance entre les parties et de relancer un processus qui avait initialement montré des progrès prometteurs.  Il a toutefois salué la prolongation pour six mois du cessez-le-feu avec l’État-major central des Forces armées révolutionnaires de Colombie–Armée populaire (EMC FARC-EP), espérant que cela soulagerait les communautés affectées par la violence.

Mme BEATRIZ HELENA QUINTERO GARCIA, Cofondatrice de l’organisation Red Nacional de Mujeres en Colombie, a rappelé que la politique de paix totale du gouvernement actuel, « une initiative précieuse et ambitieuse pour mettre fin à la guerre en Colombie », n’a pas été complétée par des garanties suffisantes pour les communautés vivant à proximité de la zone d’influence des acteurs armés illégaux.  Les mesures de l’accord de paix relatives à l’égalité entre hommes et femmes n’ont guère progressé, a-t-elle par ailleurs regretté, puisque moins de 13% d’entre elles ont été pleinement mises en œuvre et que plus de 50% n’ont été que peu développées ou n’ont pas démarré.  Les défenseurs des droits humains sont confrontés à une violence généralisée, avec 124 attaques rien qu’au cours du premier semestre de l’année dans la plupart des régions de Colombie.  Dans le Cauca, les attaques ont augmenté de 34% par rapport aux années précédentes et dans le Chocó, l’un des départements où la population afro-colombienne est la plus nombreuse, la guerre pour le contrôle territorial entre les groupes armés s’est intensifiée dans presque toutes les municipalités. Les organisations colombiennes de recherche sur les conflits s’accordent à dire que les cessez-le-feu instaurés dans le cadre de la politique de paix totale ont permis aux groupes criminels d’intensifier leurs conflits internes et de renforcer leurs économies criminelles. En 2023, plus de 1 500 femmes ont participé à des forums visant à formuler le premier plan d’action national pour la résolution 1325, promis en 2022, mais pas encore promulgué, a encore précisé l’intervenante.  Ce plan est fondamental pour concrétiser la politique de paix totale, a insisté Mme Quintero Garcia, ajoutant qu’il doit garantir la participation des femmes et des filles dans toute leur diversité. 

Pour toutes ces raisons, elle a recommandé au Gouvernement colombien d’inclure une perspective de genre dans toutes les négociations de paix, en veillant à ce que les corps des femmes et des filles soient exclus du conflit et en incluant une perspective de genre dans tous les accords de paix.  Selon elle également, les autorités colombiennes doivent reconnaître le mouvement des femmes et l’inclure dans toutes les négociations de paix, en garantissant la participation totale, égale et sûre des femmes et des personnes LGBTIQ+.  L’intervenante a aussi exhorté le Gouvernement à réactiver les cessez-le-feu bilatéraux dans le strict respect du droit international humanitaire et des droits humains, en mettant l’accent sur la protection des femmes, des filles et des personnes LGBTIQ+, et de les accompagner d’une politique de sécurité citoyenne.  Mme Quintero Garcia a également insisté sur l’importance de renforcer la présence de l’État localement pour lutter contre l’extorsion, l’enlèvement, la séquestration et la violence à l’égard des femmes.

S’adressant aux membres du Conseil de sécurité, elle leur a recommandé de mettre davantage l’accent, dans les rapports périodiques, sur la violence à l’égard des femmes dans le cadre du conflit armé, comme le non-respect des cessez-le-feu et les lacunes dans l’accès à leurs droits.

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