Conseil de sécurité: débat autour de la migration illégale en Méditerranée alors qu’expire l’autorisation d’inspecter les bateaux au large de la Libye
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Sur demande de la Fédération de Russie, le Conseil de sécurité a examiné cet après-midi l’autorisation conférée par la résolution 2240 (2015), qui est arrivée à échéance hier sans être renouvelée. Ce texte, revu il y a un an par la résolution 2698 (2023), permettait notamment aux États Membres d’inspecter des bateaux naviguant au large des côtes libyennes s’ils avaient « des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils sont utilisés pour le trafic de migrants ».
Les délégations porte-plumes (France et Malte) avaient signifié par avance qu’elles ne comptaient pas demander une prolongation de l’autorisation, entraînant de fait l’extinction de l’autorisation. Toutefois, la Russie a souhaité débattre plus particulièrement des questions relatives aux droits humains dans la mise en œuvre de la résolution et, plus généralement, dans la gestion par les pays européens des flux migratoires qui transitent par l’Afrique du Nord et la Méditerranée.
Le Conseil a tout d’abord entendu les exposés de deux spécialistes pour un éclairage sur ces « tragédies en mer », que le premier, M. Sivanka Dhanapala, Directeur du Bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a déplorées en prédisant que, malgré les risques immenses, les migrants continueront de chercher un futur en Europe. La Libye reste d’ailleurs un point de transit critique, a-t-il dit.
S’il a noté une diminution du nombre de personnes ayant traversé la Méditerranée depuis l’Afrique du Nord en 2024, M. Dhanapala a toutefois relevé une insécurité persistante des routes migratoires. Citant un rapport conjoint du HCR, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Centre des migrations mixtes, il a souligné les risques élevés de décès, de violences sexistes, d’enlèvements, de trafic, de vols et d’autres violences physiques. Il a fait remarquer que les arrivées en Italie ont décliné cette année, et avec elles le nombre de personnes décédées ou portées disparues en Méditerranée entre le début 2024 et le 17 septembre. Ces dernières sont moins nombreuses, avec une baisse de 44% par rapport à la même période en 2023, a-t-il relevé.
M. Pär Liljert, Directeur du Bureau de l’OIM auprès des Nations Unies, a détaillé pour sa part les abus dont plus de la moitié des migrants arrivés en Europe se disent victimes. Il a décrit une situation particulièrement sombre sur la route de la Méditerranée centrale. L’augmentation de la proportion de femmes et d’enfants au point d’entrée entre le Soudan et la Libye entraîne de nouvelles formes de violence, comme le travail forcé des enfants et l’exploitation sexuelle, a-t-il précisé.
Il y a un véritable « cimetière » le long de la route de la Méditerranée centrale, a commenté le représentant de la Fédération de Russie en dénonçant l’Union européenne, qui tenterait selon lui de remédier à la hâte au problème en concluant des partenariats avec des pays africains. Jugeant ces initiatives tardives, il a estimé que la succession des tragédies ne peut prendre fin que si les réfugiés en mer sont secourus, rappelant que cela relève du droit humanitaire élémentaire. Considérant que le sauvetage des migrants n’est pas la priorité de l’Europe, il a accusé l’Union européenne d’interdire aux autres navires d’apporter leur assistance, ce qui sape les efforts des ONG humanitaires. Les institutions européennes ont utilisé le mandat de la résolution 2240 (2015) comme une carte blanche pour endiguer brutalement les flux de migrants et se cacher derrière de beaux discours, s’est-il insurgé. Une manœuvre devenue si évidente que Bruxelles a fini par renoncer à prolonger l’autorisation, selon lui.
La représentante de la France a rétorqué que le non-renouvellement des autorisations est simplement dû au fait qu’aucun acteur n’y a eu recourt depuis un an. Le rôle du Conseil de sécurité n’est pas d’instrumentaliser les discussions sur nos mécanismes, a-t-elle poursuivi, notant qu’avec la guerre en Ukraine, la Russie est elle-même à l’origine de l’une des plus grandes crises migratoires depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de 11 millions de personnes déplacées. Elle a en outre rappelé que l’Union européenne contribue au budget du HCR à hauteur de plus de 1,5 milliard d’euros et qu’elle a investi plus de 46 millions d’euros dans des projets de lutte contre la traite d’êtres humains.
Plusieurs intervenants ont mentionné le problème des réseaux de passeurs. Le représentant de la Sierra Leone s’est alarmé de leur prolifération, évoquant une véritable traite d’êtres humains, tandis que la Chine a préconisé un renforcement de la coopération régionale pour lutter contre les passeurs et les migrations irrégulières. Sur une note positive, Malte a salué les effets très concrets de l’opération IRINI, lancée par l’Union européenne pour faire respecter l’embargo sur les armes imposé à la Libye par les Nations Unies, estimant qu’elle appuie efficacement la détection et la surveillance des réseaux de passeurs.
Enfin, nombre de pays –dont la Sierra Leone, la Suisse, les États-Unis, le Japon et la République de Corée– ont souhaité que l’on s’attaque aux causes profondes des migrations, comme les conflits, l’instabilité politique, la pauvreté et les changements climatiques. Un appel relayé par M. Liljert, qui a préconisé la recherche de solutions régionales. Seuls les gouvernements et communautés locales sont à même de favoriser de meilleurs environnements, seule alternative à la migration irrégulière, a-t-il fait valoir. À cette même fin, il a également lancé un appel en faveur de la résilience climatique, notamment dans l’agriculture, la gestion de l’eau et les politiques environnementales.
Enfin, en reprenant la parole, la Fédération de Russie a noté qu’avec l’échéance de l’autorisation découlant de la résolution 2240 (2015), les opérations menées contre les migrants devront respecter le droit de la mer et autre normes applicables. Il n’y a pas d’autre mandat qui permette d’arrêter des navires en haute mer, a relevé sa représentante en demandant que ce point important soit consigné au procès-verbal de la séance.
MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES
Exposés
M. SIVANKA DHANAPALA, Directeur du Bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a déploré la poursuite des tragédies en mer, malgré les activités de son agence et les efforts qu’elle déploie auprès des États. Notant que le nombre de personnes traversant la Méditerranée depuis l’Afrique du Nord a considérablement diminué, il a toutefois noté que la sécurité ne s’est pas améliorée le long des principales routes migratoires. Il a rappelé la publication, cette année, d’un rapport conjoint du HCR, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Centre des migrations mixtes, lequel souligne les risques élevés de décès, de violences sexistes, d’enlèvements, de trafic, de vols et d’autres violences physiques auxquels sont confrontées les personnes en déplacement.
Détaillant les dernières données sur les migrations dans la région, il a relevé qu’on estime à plus de 134 000 le nombre de migrants ayant quitté l’Afrique du Nord et de l’Ouest par la mer entre janvier et août 2024. Si les arrivées en Italie ont diminué, il a fait remarquer une augmentation en Afrique du Nord avec 33 000 personnes arrivées en Tunisie et 14 000 en Libye. Enfin, quelques 1 550 personnes sont décédées ou portées disparues en Méditerranée entre le début de l’année et le 17 septembre, soit une diminution de 44% par rapport à la même période en 2023, a-t-il fait remarquer.
Parmi les problèmes majeurs rencontrés par son agence, il a déploré notamment la complexité de l’accès aux centres de détention, la difficulté d’obtenir la libération des personnes ayant besoin d’une protection internationale, le manque d’accès aux points de débarquement et les restrictions affectant l’enregistrement des nationalités par le HCR. À ce titre, il a préconisé de mesures provisoires afin de garantir une identification et une assistance rapides.
Pour relever ces défis, il a lancé un appel pour que l’on reconnaisse le droit de demander l’asile aux frontières sans être refoulé ou violemment repoussé. Les personnes ne doivent pas être empêchées de demander la protection qui leur est due au titre du droit international, des droits humains et du droit international des réfugiés, a-t-il insisté. Il a également préconisé l’établissement de voies de migration appropriées et légales ainsi que la mise sur place de points d’entrée.
Au nom du HCR, il a formulé plusieurs recommandations. Si elles ne sont pas nouvelles, leur mise en œuvre limitée appelle un renouvellement, a-t-il estimé. Ainsi, il a demandé que soient garantis les droits humains dans le cadre des coopérations entre États à des fin de gestion des frontières. Il a également recommandé un meilleur accès à la protection étatique, se disant prêt à assister les pays d’Afrique du Nord qui ont exprimé leur intention d’élaborer leurs propres législations et systèmes nationaux d’asile. En outre, il a lancé un appel au renforcement des capacités de recherche et de sauvetage en mer, exigeant que les passeurs et trafiquants fassent l’objet de poursuites. Il a aussi exhorté les États à augmenter leurs investissements dans le développement et l’inclusion dans les pays d’asile. Enfin, il a demandé que l’on s’attaque aux causes profondes des migrations, à savoir les conflits, l’instabilité politique, la pauvreté et les changements climatiques.
M. PÄR LILJERT, Directeur du Bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) auprès des Nations Unies, a rappelé que la mer Méditerranée est tristement célèbre pour les grands déplacements et les décès de migrants et de réfugiés le long de la route de la Méditerranée centrale, l’une des plus meurtrières. Différents facteurs ont renforcé la migration depuis l’Afrique, a-t-il expliqué, citant notamment la flambée des prix des denrées alimentaires, les conflits et la violence ciblée. Les dégâts causés par les catastrophes environnementales, exacerbées par les changements climatiques ne font que s’ajouter à ces problèmes, a-t-il précisé. Malgré les risques immenses, il a averti que les migrants continueront de chercher un futur en Europe, rappelant que la Libye reste, à l’heure actuelle, un point de transit critique. Toutefois, il a noté que les arrivées en Europe, principalement via la route de la Méditerranée centrale, sont en légère diminution cette année entre janvier et septembre.
Plus de la moitié des migrants arrivés en Europe ont dit avoir subi des abus, a-t-il ensuite déploré. Il a expliqué que c’est encore plus vrai pour ceux qui ont emprunté la route de la Méditerranée centrale, avec 45% des migrants qui disent avoir subi de la violence physique et 30% des conditions similaires à de la détention. Les adolescents voyageant seuls sont encore plus vulnérables à la violence et aux abus, a précisé M. Liljert, alors qu’on constate une augmentation de la proportion de femmes et d’enfants à Koufra, le point d’entrée entre le Soudan et la Libye. Ce phénomène mène à son tour à de nouvelles formes de violence, comme le travail forcé des enfants et l’exploitation sexuelle.
En 2023, l’OIM a enregistré 8 542 décès de migrants, dont 37% en mer Méditerranée, le plus grand nombre enregistré depuis 2014. À défaut de retrouver leurs dépouilles, nombre de migrants restent également portés disparus, a-t-il rappelé, précisant que les données sont encore plus difficiles à récupérer sur terre qu’en mer. Cette année, au moins 152 personnes ont péri dans la traversée du Sahara pour rejoindre la Libye à la suite d’accidents de voiture, de déshydratation et de violence, a-t-il encore précisé.
M. Liljert a ensuite appelé les Gouvernements à prendre des mesures urgentes pour diminuer la migration irrégulière. Premièrement, il s’agit de s’assurer que les opérations de recherche et de sauvetage soient activées rapidement dans toutes les situations de détresse sur terre comme en mer, et y compris le secours rapide aux personnes sur des embarcations de fortune qui ne semblent pas être en danger de naufrage imminent. De surcroît, a-t-il poursuivi, la Libye n’est pas considérée sûre pour le débarquement de migrants où ceux-ci subissent des violations de leurs droits, la torture et la détention.
Ensuite, a-t-il développé, il faut adopter une approche holistique afin de s’occuper des causes profondes de ces flux migratoires et de trouver des solutions régionales. À cette fin, il a appelé à aller au-delà des mesures réactives et à promouvoir les opportunités économiques, l’éducation et la stabilité dans les pays d’origine. Seuls les Gouvernements et les communautés locales peuvent créer des environnements meilleurs fournissant une alternative à la migration irrégulière, a-t-il assuré. Les changements climatiques étant également en cause, il a appelé à intégrer la réduction des risques et la résilience climatique dans les stratégies de réponse, notamment dans l’agriculture, la gestion de l’eau et les politiques environnementales.
Enfin, il a encouragé les solutions humanitaires juridiques, telles que les permis de travail temporaire, les visas humanitaires et la réunification familiale. Ces solutions permettent des processus migratoires plus structurés et réduisent le risque de migration irrégulière, a-t-il développé. Appelant la communauté internationale à coordonner ses efforts afin de prendre des mesures urgentes, il a réitéré le soutien de l’OIM aux initiatives visant à réduire les souffrances humaines liées à la migration irrégulière et à mettre en place des solutions durables.