Préoccupations au Conseil de sécurité sur l’incidence négative du retrait des missions de l’ONU pour les droits des femmes et l’égalité de genre
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Plusieurs intervenants, dont la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, ont fait part, ce matin devant le Conseil de sécurité, de leur inquiétude quant aux conséquences négatives du retrait de missions de l’ONU pour l’égalité de genre et la protection des droits des femmes. Plusieurs pistes ont été explorées afin d’y remédier, notamment l’allocation de ressources suffisantes à la mise en œuvre du programme pour les femmes et la paix et la sécurité lors des phases de transition.
« ONU-Femmes est préoccupée par les effets potentiels des récentes décisions de fermer les portes de missions ou de les réduire », a déclaré la Directrice exécutive de cette agence dès l’ouverture de ce débat sur la pérennisation du respect des engagements relatifs aux femmes et à la paix et à la sécurité dans le contexte de l’accélération du retrait des opérations de paix.
Mme Sima Sami Bahous a relevé que ces décisions sont prises alors que le nombre et l’intensité des conflits ne font qu’augmenter, jugeant ainsi « contre-intuitif » que le nombre de Casques bleus ait diminué de près de moitié en passant de 121 000 en 2016 à 71 000 en 2024 dans un contexte marqué par l’augmentation de la misogynie et de la violence faite aux femmes et filles.
Mme Bahous a rappelé que les résolutions du Conseil exigent l’élaboration d’une analyse de genre dès le début d’une transition de mission, les femmes devant être associées à chaque phase. Or, ces directives sont rarement appliquées, a-t-elle déploré. De même, prenant l’exemple du Mali, elle s’est inquiétée d’une diminution trop précipitée de l’empreinte et de l’appui des missions pour permettre une bonne représentation des femmes et assurer le respect de l’égalité de genre.
Même son de cloche du côté de la Sous-Secrétaire générale pour l’Afrique, Mme Martha Ama Akyaa Pobee, qui a relevé que des transitions précipitées peuvent conduire à la perte d’acquis en matière d’égalité entre les genres. Si les transitions ne sont pas bien structurées et financées de manière adéquate et en tenant compte du genre, alors les femmes et filles courent le risque de faire face à des reculs, a-t-elle averti, évoquant notamment la perte d’accès aux services essentiels, leur exclusion des nouveaux processus de prise de décisions et leur vulnérabilité aux nouvelles vagues de violence, notamment sexuelle.
S’appuyant sur l’exemple du Soudan, la Directrice et fondatrice de Confluence Advisory a d’ailleurs estimé que le Conseil a failli à son engagement de protéger les droits des femmes en l’absence d’une mission robuste de protection des civils. « Personne n’est en mesure aujourd’hui de protéger efficacement les Soudanaises, lesquelles sont presque entièrement exclues du règlement de la crise actuelle, a notamment signalé Mme Kholood Khai qui a regretté qu’aucune condition minimale n’avait été fixée avant la fin des différentes missions de l’ONU au Soudan afin de protéger les femmes et les filles.
Une inquiétude partagée par de nombreux membres du Conseil dont la délégation de la France, qui a estimé qu’une « vigilance particulière » doit s’exercer lors des périodes de retrait des opérations de maintien de la paix et des missions politiques spéciales. « La protection des civils en pâtit, en particulier celle des femmes et des filles, comme cela a été illustré lors du retrait des opérations de paix des Nations Unies au Soudan et au Mali, qui ont renforcé l’exposition des civils. »
« Lorsqu’ils deviennent nécessaires, les retraits ou les réductions ne doivent pas entraîner une régression des progrès significatifs qui ont été réalisés en matière d’égalité des sexes et de protection des droits des femmes », a souligné la Vice-Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de la Sierra Leone qui a exhorté à ce que les femmes soient à l’avant-garde des efforts de consolidation de la paix.
Notant que les missions de maintien de la paix constituent souvent des mécanismes essentiels pour protéger les populations vulnérables, la Vice-Ministre a appelé à veiller à ce que les autorités nationales et locales soient équipées et déterminées à faire respecter ces protections à mesure que ces missions se retirent ou transitionnent. Cela exige, selon elle, un renforcement continu des capacités, une allocation de ressources et une politique de tolérance zéro envers les auteurs de violences sexuelles et sexistes.
La fermeture des missions de maintien de la paix doit être une incitation à renforcer les efforts nationaux et régionaux pour assurer la sécurité des femmes, a appuyé la Fédération de Russie.
Ce constat dressé, les intervenants ont exploré plusieurs pistes afin de préserver l’égalité de genre pendant les phases de transition. L’Algérie a appelé à des partenariats multipartites pour les échanges d’expériences, tandis que le Royaume-Uni a plaidé pour une approche centrée sur les victimes. Le Conseil devrait régulièrement inviter des femmes à s’exprimer afin de livrer leur perspective sur la question, a également proposé Mme Bahous, tandis que Mme Pobee a invité le Conseil à échanger avec les autorités nationales lors des visites de terrain.
La question du financement s’est révélée centrale. Tous les plans de retrait doivent prévoir l’allocation de ressources suffisantes pour préserver les gains obtenus, a ainsi indiqué Mme Bahous, en souhaitant que le Conseil se penche davantage sur cette question. Cet appel a été relayé par l’Équateur et la Slovénie ainsi que par la France qui a reconnu que les missions doivent être dotées de moyens appropriés pour mettre en œuvre le programme pour les femmes et la paix et la sécurité, y compris en période de transition.
Le Guyana a estimé pour sa part que l’Assemblée générale doit tenir compte des déficits de ressources créés par le départ des opérations de paix lorsqu’elle alloue des fonds aux agences de l’ONU qui auront désormais des responsabilités accrues.
Les États-Unis ont souligné pour leur part la nécessité de prévenir la violence sexuelle lors du retrait des missions, en rappelant qu’ils sont l’un des principaux donateurs du bureau des Nations Unies chargé de cette question. Dans une même veine, Malte a insisté sur l’importance d’assurer une expertise en matière en genre chez les spécialistes de la transition pour assurer des garanties minimales pour les femmes lors du retrait des missions. De son côté, la Chine a appelé au respect de la souveraineté des pays pendant la transition, tandis que la Russie a plaidé pour la levée des sanctions unilatérales qui affectent le bien-être des femmes.
Ce pays a par ailleurs profité de ce débat pour dénoncer le fait que lors des Jeux olympiques de Paris, « des femmes boxeuses ont fait l’objet de violences publiques de la part d’athlètes qui ont échoué au test hormonal de l’Association internationale de boxe et qui sont des hommes ». Les droits des femmes pâtissent de tout point de vue de la plateforme LGBT que l’Occident cherche à imposer au monde entier, a regretté la Russie. Dans une reprise de parole, l’Algérie a appelé à ne pas mélanger sport et politique, faisant allusion à « une référence » à la boxeuse algérienne Imane Khelif en lice aux Jeux olympiques. « Cette athlète est née femme », a souligné la délégation algérienne.
LES FEMMES ET LA PAIX ET LA SÉCURITÉ: PÉRENNISER LE RESPECT DES ENGAGEMENTS RELATIFS AUX FEMMES ET À LA PAIX ET À LA SÉCURITÉ DANS LE CONTEXTE DE L’ACCÉLÉRATION DU RETRAIT DES OPÉRATIONS DE PAIX (S/2024/573)
Exposés
Mme SIMA SAMI BAHOUS, Directrice exécutive d’ONU-Femmes, a rappelé que l’inégalité de genre rend le conflit plus probable et la paix moins durable. Elle a estimé que l’égalité de genre est au cœur du maintien de la paix, en prenant l’exemple de la République démocratique du Congo (RDC) où la mission de l’ONU a protégé des défenseurs des droits des femmes, facilité la représentation des femmes aux dialogues locaux sur les processus de paix, et contribué à la condamnation de dizaines de membres de groupes armés pour violences sexuelles liées au conflit. Les missions politiques spéciales jouent aussi un rôle important, comme en Somalie, où la mission de l’ONU soutient les femmes dans leurs efforts à être mieux représentées. Elle a dit être préoccupée par les effets potentiels des récentes décisions de fermer les portes des missions ou de les réduire, notant que ces décisions sont prises alors que le nombre et l’intensité des conflits ne font qu’augmenter. Elle a jugé contre-intuitif le fait que, malgré les niveaux sans précédent de violence, le nombre de Casques bleus ait diminué de près de moitié en passant de 121 000 en 2016 à 71 000 en 2024 dans un contexte marqué par l’augmentation de la misogynie et de la violence faite aux femmes et filles. Elle a notamment évoqué la situation en Haïti, où 5 000 cas de viol ont été signalés en 2023, ainsi qu’au Soudan, où les femmes et les filles sont soumises à toutes sortes de cruautés.
Mme Bahous a rappelé que les résolutions du Conseil exigent qu’il soit fait une analyse de genre dès le début d’une transition de mission, les femmes devant être associées à chaque phase. Or, ces directives sont rarement appliquées, a-t-elle déploré. De même, elle s’est inquiétée de la tendance actuelle d’une diminution trop précipitée de l’empreinte et de l’appui des missions pour permettre une bonne représentation des femmes et le respect de l’égalité de genre, en prenant l’exemple du Mali.
Poursuivant, la Directrice exécutive d’ONU-Femmes a noté que les femmes, et les questions d’égalité des sexes en général, sont souvent sous-représentées ou absentes des négociations avec les gouvernements hôtes sur les retraits ou les départs des missions. Les femmes sont également exclues des décisions sur les questions de sécurité ou l’architecture de sécurité. De même, dès que l’ONU connaît une forte diminution budgétaire et de sa présence sur le terrain, l’expertise et la programmation en matière de genre sont trop souvent reléguées au second plan.
À cette aune, elle a demandé que les gains obtenus s’agissant de l’égalité de genre soient préservés lors des retraits de mission. Le Conseil devrait également continuer à régulièrement inviter des femmes à s’exprimer afin de livrer leur perspective sur la question. Enfin, Mme Bahous a invité le Conseil à se pencher davantage sur la question du financement. Tous les plans de retrait doivent prévoir l’allocation de ressources suffisantes pour préserver les gains obtenus, a-t-elle conclu.
Mme MARTHA AMA AKYAA POBEE, Sous-Secrétaire générale pour l’Afrique au Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix, a relevé que les transitions au sein des missions de la paix présentent de nombreux défis mais également des opportunités pour consolider les acquis en matière de participation des femmes. Depuis 2014, a-t-elle rappelé, l’ONU a géré pas moins de 10 transitions, y compris au Mali et au Soudan, avec des défis pour mettre en œuvre le programme pour les femmes et la paix et la sécurité. Elle a indiqué que des transitions précipitées peuvent conduire à la perte des acquis en matière de paix, y compris sur la question de l’égalité entre les genres. Si les transitions ne sont pas bien structurées et financées de manière adéquate et en tenant compte du genre, alors les femmes et filles risquent de faire face à des reculs, a-t-elle expliqué, évoquant notamment la perte d’accès aux services essentiels, leur exclusion des nouveaux processus de prise de décisions, et leur vulnérabilité aux nouvelles vagues de violence, notamment sexuelle.
La haute fonctionnaire a ensuite présenté des exemples de transition au Mali, au Soudan, en Guinée-Bissau ou encore en République démocratique du Congo (RDC), faisant observer qu’il faut agir en amont afin de planifier et coordonner les activités, tout en collaborant avec les partenaires afin de tenir compte de la question des femmes et la paix et la sécurité. Elle a également souligné que le Fonds pour la consolidation de la paix a un rôle crucial à jouer en fournissant un financement flexible et ciblé afin d’appuyer l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes durant les périodes de transition critiques. De même, elle a plaidé afin que l’analyse des questions de genre soit incluse dans les processus de transition, depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre. Une expertise en matière de genre et des capacités financières sont également nécessaires pour appuyer les avancées réalisées. En outre, le Conseil de sécurité doit échanger systématiquement avec les autorités nationales et les partenaires au cours de ses visites de terrain sur la question du programme pour les femmes et la paix et la sécurité.
Mme KHOLOOD KHAIR, Directrice et fondatrice de Confluence Advisory, anciennement basé à Khartoum, a concentré ses remarques sur le cas du Soudan, qui, selon elle, peut offrir d’importantes leçons au Conseil. Après avoir rappelé qu’il y a près de 20 ans, face au génocide, aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité perpétrés au Darfour, le Conseil de sécurité a créé l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD), elle a affirmé que le Gouvernement avait été incapable, mais surtout peu désireux, de mettre fin à la violence qu’il exerçait contre les populations non arabes de la région. La MINUAD a joué un rôle de protection entre les civils et les forces gouvernementales et les milices alliées qui les prenaient pour cible, a expliqué l’intervenante, selon laquelle le retrait de la mission onusienne en 2020 a été une énorme erreur de calcul. En effet, il a eu lieu avant qu’une force nationale alternative puisse la remplacer, et il en a résulté un vide béant. L’Accord de paix de Djouba, perçu comme récompensant un ensemble d’acteurs politiques plutôt qu’un autre, a attisé encore davantage les tensions ethniques dans l’ouest du Darfour, a-t-elle argué.
Lorsque le Gouvernement de transition dirigé par les militaires a finalement conclu un accord avec les signataires de l’Accord de paix global pour mettre en place les Forces conjointes, la population traumatisée du Darfour a été consternée de constater que ces forces étaient composées, en partie, des mêmes groupes qui l’avaient terrorisée et délogée de force, à savoir les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, qui avaient mené les atrocités au Darfour des décennies plus tôt. Pourtant, les défenseurs des droits des femmes ont imploré la communauté internationale de laisser la MINUAD en place, « mais leurs voix ont été ignorées ». Les perspectives des femmes n’ont pas non plus été prises en compte par le Conseil dans le mandat limité confié à la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS) et lors de sa cessation précipitée à la demande des autorités soudanaises de facto en décembre 2023, a renchéri la représentante de la société civile et, aujourd’hui encore, après le départ de la MINUATS, et malgré des rapports circonstanciés sur des violences sexuelles endémiques, les Nations Unies n’ont toujours pas mis en place de dispositifs adéquats de suivi et d’établissement de rapports, a regretté Mme Khair.
Alors qu’une guerre totale fait rage au Soudan et que des rapports font état d’un génocide en cours, la situation du peuple soudanais est désespérée, a-t-elle poursuivi. Le nombre de civils tués depuis le début du conflit en avril 2023 est probablement bien plus élevé que les 18 000 recensés. En juillet, près de 25 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire urgente, 10,7 millions étaient déplacées à l’intérieur du pays et plus de la moitié de la population souffrait d’une faim aiguë. Pourtant, malgré l’urgence des besoins, aucune entité n’a actuellement de mandat de protection des civils au Soudan, a constaté l’intervenante, hormis les autorités de facto, qui se sont une fois de plus montrées incapables et réticentes à le faire. La grande majorité de la population soudanaise est donc totalement vulnérable aux atrocités commises par les Forces d’appui rapide et les milices alliées et les Forces armées soudanaises et cette guerre est menée « sur les corps des femmes et des jeunes filles », s’est-elle indignée, en faisant état de violences sexuelles généralisées et systématiques qui ne se limitent plus au Darfour, mais sont signalées dans tout le pays, y compris à Khartoum et à Gazira.
Alors que depuis près de 25 ans, le Conseil de sécurité s’est engagé à respecter le programme pour les femmes et la paix et la sécurité et à défendre les droits des femmes dans tous les conflits et toutes les crises, l’intervenante a observé qu’aujourd’hui au Soudan, il a failli à cet engagement en l’absence d’une solide mission de protection des civils. Il n’y a actuellement personne sur place pour assurer correctement le suivi des violations des droits humains, personne pour protéger efficacement les civils et aucun organisme pour soutenir suffisamment les femmes, qui ont jusqu’à présent été presque entièrement exclues de tout aspect du règlement de la crise actuelle, bien qu’elles soient en première ligne. Aucune condition minimale n’a été établie avant la fin de la MINUAD, puis de la MINUATS, pour atténuer les préjudices subis par les femmes et les jeunes filles ou pour garantir des ressources suffisantes pour répondre à leurs besoins, a reproché l’intervenante au Conseil.
Elle a donc recommandé que, parallèlement aux efforts de la communauté internationale pour obtenir un cessez-le-feu, un volet diplomatique complémentaire soit mis en place qui se concentre sur la lutte contre la violence à l’encontre des civils, avec des mesures ciblées pour la protection des femmes et des filles, y compris contre la violence sexuelle liée au conflit. Exigeant ensuite que la protection physique des civils, y compris celle des femmes et des filles, figure au cœur de l’action internationale, Mme Khair a appelé l’ONU et l’Union africaine à identifier d’urgence des options pour la protection des civils et, en attendant qu’elles soient élaborées, à faire tout leur possible pour protéger les civils des crimes d’atrocité, notamment par le biais d’initiatives de protection afin que les parties belligérantes cessent de prendre les civils pour cible, et que des enquêtes rapides soient menées. Enfin, Mme Khair a plaidé pour l’expansion de l’embargo sur les armes à l’ensemble du pays et l’ajout de la violence sexuelle liée au conflit en tant que critère de désignation autonome pour des sanctions individuelles ciblées.