Conseil de sécurité: « vous paierez pour vos crimes », lance le Procureur de la Cour pénale internationale aux auteurs des atrocités actuellement commises au Darfour
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Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), M. Karim Khan, a assuré, ce matin, devant le Conseil de sécurité, que les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, ainsi que les acteurs qui les soutiennent et leur donnent des ordres, seront tenus responsables des atrocités actuellement commises au Darfour, dans l’ouest du Soudan. « Le compte à rebours est enclenché », a-t-il affirmé. Si nombre de délégations ont soutenu l’action de M. Khan, d’autres se sont montrées bien plus critiques.
À l’entame de son propos, le Procureur a évoqué les six mois « sombres et tragiques » qui se sont écoulés au Darfour depuis sa dernière intervention. « Des femmes sont violées, des enfants sont tués, des atrocités sont commises selon un mode opératoire identique, destiné à instaurer la terreur pour l’obtention de gains militaires », a-t-il dit. Le Procureur a déclaré que son bureau agit rapidement en vue d’identifier les auteurs de ces atrocités, en pointant le sentiment d’impunité qui prévaut au Darfour. « La mission de mon bureau est de mettre à bas ce bouclier d’impunité », a-t-il souligné.
M. Khan a assuré que son bureau sera bientôt en mesure de préparer et de délivrer des mandats d’arrêt en lien avec les événements en cours au Darfour. « Cela doit être bien compris des responsables d’atrocités », a-t-il insisté, relevant que son bureau a toujours traduit ses paroles par des actes et que cela sera également le cas au Darfour. « Lorsque nous disons agir rapidement sur des allégations de notre compétence, cela signifie que cela se verra bientôt sur le terrain. »
S’agissant des atrocités commises par le passé, M. Khan a précisé que l’affaire Ali Abd-Al-Rahman est en passe d’être tranchée, les déclarations finales devant être prononcées avant la fin de l’année. « Ce sera une première historique pour la Cour, la première affaire de la Cour provenant d’un renvoi du Conseil et la première affaire en réponse aux crimes commis au Darfour il y a 20 ans. » Le Procureur a enfin souligné l’importance de l’arrestation et du transfert rapide de M. Ahmad Muhammad Harun, poursuivi pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis entre 2003 et 2004.
Plusieurs délégations ont salué le travail du Procureur, à l’instar des États-Unis, de la Suisse, du Royaume-Uni ou encore de la France. La Suisse s’est ainsi félicitée des avancées importantes enregistrées au cours des huit derniers mois et a salué la décision du Procureur de mener une enquête sur les incidents survenus dans le cadre des hostilités actuelles. Concernant M. Ali Abd-Al-Rahman, la Suisse s’est félicitée de la célérité de la procédure qui devrait aboutir en 2025.
Les Forces d’appui rapide reproduisent au Darfour les atrocités du passé en s’attaquant aux populations non arabes, tandis que les Forces armées soudanaises conduisent des frappes indiscriminées, a dénoncé le délégué des États-Unis, en soutenant sans réserve l’action du Procureur. Le Royaume-Uni a, lui aussi, salué les progrès réalisés par le Bureau du Procureur en vue d’un établissement des responsabilités, grâce à un engagement continu de la société civile soudanaise et au déploiement d’enquêteurs au Tchad.
L’ensemble des parties doivent coopérer avec le Bureau du Procureur et honorer leurs obligations au titre de la résolution 1593 (2005), de l’Accord de Djouba pour la paix au Soudan et des mémorandums conclus avec le Bureau du Procureur, a soutenu la délégation de la France, appuyée par la Sierra Leone. Alors que l’Algérie, Malte et la Slovénie s’alarmaient du siège de la ville d’El-Fasher par les Forces d’appui rapide, le Mozambique appelait la communauté internationale à soutenir le peuple soudanais dans sa quête de vérité, de justice et de réparation. « Des enquêtes indépendantes, impartiales et rapides, avec des résultats tangibles, doivent rester notre objectif commun et concret », a-t-il plaidé.
Des notes discordantes sont venues de la Chine et, surtout, de la Fédération de Russie. La CPI doit continuer de s’appuyer sur le Statut de Rome et de respecter le mandat défini par le Conseil, ainsi que l’indépendance judiciaire des pays concernés, a fait valoir la Chine. S’agissant de la situation au Darfour, la délégation chinoise a exhorté la CPI à tenir compte des réalités de la région afin d’alléger les tensions et d’éviter toute intervention extérieure qui ne serait pas souhaitable.
« Rien de nouveau », a tranché la représentante de la Fédération de Russie après avoir écouté la présentation du « soi-disant Procureur de la CPI » sur la situation au Darfour. « Nous sommes scandalisés que, depuis 2005, le Conseil consacre du temps et des ressources à examiner, tous les six mois, des questions aussi inutiles. » Elle a accusé M. Khan de rechercher des excuses à l’inefficacité de son action, en invoquant le manque de ressources et de coopération. « La CPI trouve toujours quelqu’un d’autre à blâmer », a-t-elle cinglé.
La représentante russe a également tancé le Procureur Khan pour son inaction face au carnage en cours à Gaza depuis 10 mois. Après 20 années d’atermoiements de la CPI au Darfour et au vu de sa « complicité directe » dans la destruction de l’État libyen, le temps est venu de tirer des enseignements, a martelé la déléguée. « Il est évident que le Conseil ne doit plus jamais renvoyer de nouvelles situations à ce pseudo-tribunal », a-t-elle ajouté, appelant à ce que les dossiers du Darfour et de la Libye lui soient retirés.
De son côté, le représentant du Soudan a souligné la volonté politique de son gouvernement de coopérer avec la CPI, ce dont s’est d’ailleurs félicité le Procureur. Le Soudan coopère tout particulièrement avec la CPI pour les crimes commis par les Forces d’appui rapide, a-t-il précisé, accusant cette force paramilitaire d’avoir brûlé des documents et de chercher à effacer la mémoire judiciaire du pays. Pour faire progresser la reddition de comptes, le délégué a suggéré la création d’une cour hybride lorsque les suspects ne se livrent pas d’eux-mêmes et souligné l’importance du principe de complémentarité judiciaire.
Les autorités soudanaises font de leur mieux pour lutter contre l’impunité et demander des comptes pour les crimes commis sous le précédent régime, a-t-il dit en conclusion, non sans déplorer que le Soudan ne sache pas « où se trouve M. Harun », suspect toujours recherché par la CPI. Dans une reprise de parole, le Procureur a convenu qu’aucun tribunal et aucun État Membre n’est parfait. « Nous pouvons tous faire mieux », a-t-il déclaré, en insistant sur l’importance du lien entre justice et paix.
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Exposé
M. KARIM KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré que la crise du Darfour ne doit pas être oubliée, en évoquant les six mois « sombres et tragiques » qui se sont écoulés depuis sa dernière intervention sur ce sujet devant le Conseil de sécurité. « Des femmes sont violées, des enfants sont tués.» Des atrocités sont commises selon le même mode opératoire, destiné à instaurer la terreur pour l’obtention de gains militaires. Il a ajouté que son bureau a donné la priorité à ces crimes. Nous agissons avec célérité en vue de les documenter et d’en identifier les auteurs, a-t-il dit, en pointant le sentiment d’impunité qui prévaut au Darfour. « La mission de mon bureau est de mettre à bas ce bouclier d’impunité. » Il a fait état de progrès tangibles à cette fin, avant de lancer aux Forces armées soudanaises, aux Forces d’appui rapide et aux acteurs qui les soutiennent et leur donnent des ordres: « Vous paierez pour vos crimes. »
Le Procureur a précisé que son bureau sera bientôt à même de se concentrer sur la préparation et la délivrance de mandats d’arrêt en lien avec les événements en cours au Darfour. Cela doit être clairement compris des responsables d’atrocités, a affirmé M. Khan, relevant que son bureau a toujours traduit ses mots en actes. « Lorsque nous disons agir rapidement sur des allégations de notre compétence, cela veut dire que cela se traduira bientôt sur le terrain. » Les acteurs au Darfour doivent comprendre que cela sera le cas ici aussi et que le compte à rebours est enclenché, a-t-il insisté.
S’agissant des atrocités commises par le passé, M. Khan a précisé que son bureau a avancé sur le cas de M. Ali Abd-Al-Rahman, inculpé de 31 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis au Darfour entre août 2003 et avril 2004. Le dernier témoin de la défense doit être entendu en septembre et les déclarations finales doivent être prononcées avant la fin de l’année. « Cela sera une première historique pour la Cour, la première affaire provenant d’un renvoi du Conseil et la première affaire en réponse aux crimes commis au Darfour il y a 20 ans. ». Le Procureur a également souligné l’importance de l’arrestation et du transfert rapide de M. Ahmad Muhammad Harun.
Enfin, il a détaillé les progrès de la coopération entre la Cour et les autorités soudanaises, les visas d’enquêteurs ayant été notamment accordés. M. Khan a également salué la nomination d’un point focal soudanais pour ladite coopération. Il a fait part de ses efforts pour engager les Forces d’appui rapide à des fins de coopération, regrettant cependant qu’elles n’aient pas encore répondu positivement. Le sentiment d’impunité éprouvé par les acteurs sur le terrain, le plus récemment à El-Fasher, est motivé par la conviction que le monde ne les regarde pas, a conclu M. Khan. « Nous devons montrer par notre action que ce n’est pas le cas. »