Conseil de sécurité: l’appel de la Fédération de Russie pour un ordre mondial plus juste diversement reçu par les délégations
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« La fin de l’histoire n’a pas eu lieu, refondons-la sur la base d’un multilatéralisme reflétant la diversité du monde. » C’est en ces termes que le Ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, M. Sergey Lavrov, a défendu, aujourd’hui devant le Conseil de sécurité, la nécessité de fonder un ordre mondial plus juste, plus démocratique et plus durable. Si cet appel a été entendu par plusieurs délégations, il a en revanche été rejeté par d’autres qui ont accusé la Russie de bafouer la Charte des Nations Unies avec la guerre qu’elle livre en Ukraine.
Avant de détailler ce nouvel ordre mondial, M. Lavrov a longuement critiqué les États-Unis qui, selon lui, ne reconnaîtraient pas les principes fondamentaux de la Charte. « L’Amérique dominante est une menace pour le multilatéralisme. » Le Ministre a dénoncé l’interprétation sélective des résolutions onusiennes faite par « l’Occident collectif », placé sous l’hégémonie des États-Unis. Il a parlé du « sabotage » de certaines résolutions du Conseil, en citant notamment la 2728 (2024) qui appelait à un cessez-le-feu à Gaza. « Après son adoption, les États-Unis ont estimé que cette résolution n’était pas juridiquement contraignante », a rappelé le délégué.
« Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres », a ironisé M. Lavrov, en faisant référence à La ferme des animaux de George Orwell. Dans ce droit fil, il a fustigé la subordination de l’Europe aux États-Unis, l’expansion constante de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), notamment dans l’espace eurasiatique, ou bien encore « le coup d’État orchestré par les États-Unis en Ukraine en 2014 », à l’origine de la crise actuelle selon lui. Nous avons lancé l’opération militaire spéciale en Ukraine pour défendre les droits de la minorité nationale russophone, a justifié le Ministre.
Il a cité ces propos d’un responsable du Pentagone, selon lesquels de longues guerres sont à prévoir, et pas seulement sur le continent européen, avant de dénoncer le déploiement de missiles de longue portée par les États-Unis en Allemagne. « L’Europe doit réaliser le suicide que les États-Unis lui préparent. » Le Ministre a également déclaré que les pays du Sud mondial souffrent des politiques néocoloniales des pays occidentaux. Le libre-échange et le marché, si sacrés auparavant pour les pays occidentaux, ont été remisés dans les « poubelles de l’histoire », a-t-il dit.
Le Ministre a esquissé les contours de cet ordre mondial, en appelant tout d’abord à éliminer les causes fondamentales de la crise en Europe. « Le Président Putin a proposé des mesures concrètes pour régler la crise ukrainienne et éliminer les menaces pesant sur la sécurité de la Russie. » Il convient ensuite de corriger les déséquilibres mondiaux, a déclaré le Ministre en appelant à une réforme des organes de la gouvernance mondiale, dont les institutions de Bretton Woods et ce Conseil. Les pays de l’Occident collectif y sont surreprésentés, tandis que l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine sont sous-représentées, a tranché le Ministre.
Plusieurs délégations ont rejeté l’intervention du Ministre russe ainsi que l’organisation de ce débat, qualifié de « surréaliste » par la République de Corée ou encore d’une « tragique ironie » par le Japon. La Russie prétend demander un ordre mondial plus juste et durable, mais elle multiplie les violations de la Charte et met en péril notre système de sécurité collective, a accusé la France. « Alors que la Charte bannit le recours à la force, sauf en cas de légitime défense ou sur autorisation du Conseil de sécurité, la Russie conduit une guerre d’agression à grande échelle contre l’Ukraine depuis plus de deux ans. »
Qu’y a-t-il de juste à essayer d’annexer le territoire d’un autre État? a renchéri le Royaume-Uni. « Qu’y a-t-il de durable dans une guerre qui a tué ou blessé plus de 500 000 des vôtres? » Ces pays ont par ailleurs accusé la Russie de se fournir en matériel militaire auprès de la République populaire démocratique de Corée, en violation des résolutions qu’elle a soutenues. Mais les mots les plus durs sont venus de la déléguée des États-Unis qui s’est d’abord demandé si elle ne s’était pas trompée de salle en venant.
« Je n’ai entendu que des critiques contre les États-Unis et l’Occident, tandis que le mot de multilatéralisme n’a quasiment pas été prononcé. » Enjoignant au Ministre russe de la regarder dans les yeux plutôt que de regarder son téléphone, elle a accusé la Russie de traiter les êtres humains comme une monnaie d’échange. Elle a ainsi mentionné le sort de Paul Whelan détenu dans une colonie pénale russe depuis plus de 2 000 jours, promettant de tout mettre en œuvre pour le libérer. Elle a aussi rappelé que 143 États Membres se sont unis pour défendre l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine.
Pour autant, l’appel de la Russie pour un ordre mondial plus juste et un « modèle de développement polycentrique », selon l’expression contenue dans la note de cadrage distribuée avant ce débat, a semblé résonner auprès de certaines délégations. L’ordre international fondé sur les règles que certains appellent de leurs vœux a en fait pour objectif d’instaurer un système parallèle au droit international, a ainsi déclaré la Chine, en mettant en garde, à l’instar du Ghana et de la Serbie, contre le règne du « deux poids, deux mesures. »
Le délégué chinois a également accusé l’OTAN d’étendre son influence, quitte à semer « le chaos ». « J’invite donc les membres de cette organisation à un exercice d’introspection car ils imposent leur sécurité au détriment de celle des autres. » De son côté, la délégation de la Hongrie a mis en garde contre un manque de coopération entre Est et Ouest qui ne ferait que des perdants comme son propre pays. Elle a trouvé scandaleuse la stigmatisation des efforts de paix qu’elle mène s’agissant de la guerre en Ukraine. La diplomatie exige de parler à tout le monde, a-t-elle dit. « C’est par la paix que nous pourrons rendre à l’Europe sa grandeur. »
Un consensus entre les délégations s’est néanmoins fait jour quant à la nécessité d’une réforme de la gouvernance mondiale, tant « le multilatéralisme est mal-en-point », selon l’expression de la Suisse. « Un ordre mondial démocratique devrait être centré sur les principes de transparence, de responsabilité et de participation inclusive », a déclaré la Sierra Leone, en demandant notamment un siège permanent de l’Afrique au Conseil de sécurité et l’annulation de la dette des pays en développement.
Dans ce droit fil, les Maldives ont souhaité que les petits États insulaires en développement, qui constituent près du cinquième des Membres de l’ONU, soient représentés au Conseil. « Le multilatéralisme est le mode par défaut du progrès humain », a déclaré cette délégation. De son côté, l’Éthiopie a plaidé pour une coopération mondiale plus efficace afin de prévenir les mouvements illicites de richesses. Pour le Maroc, le multilatéralisme doit aussi être celui du dialogue interreligieux, interculturel, intercivilisationnel et intergénérationnel.
À l’instar du Maroc, nombre de délégations, telles que la Slovénie ou encore l’Union européenne, ont placé leurs espoirs dans le prochain Sommet de l’avenir, qui doit être l’occasion, pour la Sierra Leone, d’établir un nouvel accord mondial sur les solutions multilatérales. « Faisons de ce Sommet un véritable Sommet du futur et non un Sommet du passé », a appuyé l’Algérie, qui a salué la tenue du débat de ce jour. Pour la Türkiye, ce Sommet doit aboutir à une structure de gouvernance idoine pour les générations futures.
Enfin, plusieurs intervenants ont défendu le rôle essentiel des Nations Unies. « Nous pensons que l’ONU doit continuer d’être au centre du monde », a ainsi déclaré le Mozambique. Les États-Unis ont estimé que l’Organisation est le reflet d’un monde extrêmement imparfait, tout en promettant d’œuvrer à sa modernisation. « Les Nations Unies n’ont pas été créées pour nous conduire au paradis mais pour nous sauver de l’enfer », a noté le délégué de la Slovénie, en faisant siens ces mots de l’ancien Secrétaire général Dag Hammarskjöld.