Conseil de sécurité : la Représentante spéciale conclut à des violences sexuelles commises contre des Israéliens lors des attentats du 7 octobre 2023
Nous avons trouvé des informations « claires et convaincantes » selon lesquelles des violences sexuelles, notamment des viols, des tortures sexuelles et des traitements cruels, inhumains et dégradants, ont été commises contre des Israéliens lors des attentats du 7 octobre 2023, « à la périphérie de Gaza », et avons des motifs raisonnables de croire que de telles violences pourraient toujours être perpétrées contre les personnes encore en captivité.
Telle est la principale conclusion du rapport présenté, cet après-midi, au Conseil de sécurité par la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la violence sexuelle dans les conflits, qui s’est exprimée en présence de plusieurs proches d’otages israéliens enlevés par le Hamas et d’autres groupes armés il y a maintenant 154 jours. « Des actes d’une violence indicible, perpétrés avec une brutalité choquante, et qui ont entraîné une souffrance humaine immense dans le sud d’Israël », a constaté Mme Pramila Patten, qui s’est rendue dans le pays et dans le Territoire palestinien occupé du 29 janvier au 14 février. Elle a invité les membres du Conseil « à se mettre à la place de ces familles d’otages écartelées entre espoir et désespoir ».
Nous avons été confrontés à un « catalogue » des formes de violence « les plus extrêmes et les plus inhumaines », a poursuivi la haute fonctionnaire, qui a assuré avoir respecté les normes et méthodes établies par l’ONU et « les principes d’indépendance, d’impartialité, d’objectivité, de transparence et d’intégrité » dans le cadre de son enquête. Celle-ci a en outre bénéficié de l’appui de neuf experts du système des Nations Unies, dont des spécialistes des entretiens avec des survivants et des témoins de crimes de violence sexuelle, un médecin légiste, ainsi qu’un analyste d’informations numériques en open source. « Nous avons également pu évaluer que certaines allégations de violences sexuelles très médiatisées étaient infondées », a précisé Mme Patten.
« Il y a des motifs raisonnables de croire que des violences sexuelles liées au conflit, notamment des viols et des viols en réunion, ont été commis dans au moins trois sites: le festival musical Nova et ses environs, la route 232 et le kibboutz Re’im. Dans la plupart de ces incidents, les victimes ont d’abord été violées puis exécutées », a relevé la Représentante spéciale, qui a cependant précisé que son équipe n’avait pu rencontrer aucune victime, seulement des témoins.
Des actes qui ont suscité la réprobation unanime des membres du Conseil de sécurité, dont la France, qui a jugé « inacceptable » que cet organe et l’Assemblée générale n’aient pas encore été en mesure de les condamner clairement. Alors que le rapport de la Représentante spéciale fait également état de certaines formes de violence sexuelle à l’encontre d’hommes et de femmes palestiniens dans des lieux de détention, lors de contrôles de police et aux checkpoints, la délégation française a rappelé l’impératif de faire la lumière sur ces allégations, comme l’ont demandé également Malte et la Suisse. Si les États-Unis ont exhorté Israël à faire traduire les auteurs en justice, ils ont toutefois invité les membres du Conseil à éviter « une fausse équivalence entre ces actions et une prise d’otages par une organisation terroriste étrangère ».
Concernant la Cisjordanie, Mme Patten a assuré n’avoir reçu aucune information faisant état de viols dans ce territoire, mais a signalé que ses interlocuteurs avaient évoqué des cas de violence sexuelle dans le contexte de la détention de Palestiniens, tels que des fouilles corporelles invasives, des touchers indésirables des zones intimes; des coups, y compris dans les parties génitales; des menaces de viol contre des femmes et des épouses, des sœurs et des filles dans le cas des hommes; et des fouilles à nu inappropriées ou une nudité forcée prolongée de détenus.
L’Observateur permanent de la Palestine s’est étonné de la « réactivité sans précédent » qui a conduit à convoquer cette séance –demandée par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni–, alors que « depuis des décennies », les rapports et les enquêtes concernant les agressions sexuelles commises contre son peuple n’ont pas donné lieu « à une seule réunion » sur le sujet. Aussi a-t-il espéré que la tenue de cette séance marquerait un tournant pour le Conseil et inaugurerait un examen impartial de la question des violences sexuelles en période de conflit.
Rien ne peut justifier les violences délibérées perpétrées par le Hamas et d’autres groupes armés le 7 octobre, et rien ne saurait justifier la punition collective infligée aux Gazaouites, a plaidé Mme Patten, suivie sur ce point par certains membres du Conseil, dont la Fédération de Russie. Cette délégation a toutefois adressé à la haute fonctionnaire des reproches d’ordre méthodologique, évoquant des informations « partielles » qui ne donnent « en aucun cas » une image globale de ce qui se passe aujourd’hui à Gaza. Selon la Russie, ces informations n’exonèrent en rien le Gouvernement israélien de son obligation de permettre aux mécanismes et agences de l’ONU de recueillir des informations complètes sur les violations flagrantes et systématiques du droit international humanitaire perpétrées contre la population civile au cours de l’opération menée dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Alors que le représentant russe s’étonnait que la Représentante spéciale ne se soit pas rendue dans la bande de Gaza, l’Observateur permanent palestinien a déclaré que la Ministre palestinienne de la femme avait, juste avant la tenue de cette réunion, invité Mme Patten à le faire, pour documenter les violences sexuelles commises contre ses habitants. Un appel repris à son compte par l’Algérie, qui a rappelé que, depuis 2001, et en dépit de 1 400 plaintes déposées par des Palestiniens au sujet d’actes de torture, seulement trois enquêtes pénales avaient été ouvertes sans qu’aucune n’ait donné lieu à une inculpation. Sans parler des « statistiques glaçantes » en provenance de Gaza: 31 000 tués par les forces d’occupation israéliennes depuis le 7 octobre, dont 9 000 femmes; 72 000 blessés, dont 75% de femmes; 7 000 disparus, dont 70% de femmes et d’enfants; et des milliers de déplacés de force, dont 50% de femmes.
Après que la Représentante spéciale a indiqué que son enquête visait à établir des faits de violence sexuelle et non à attribuer les responsabilités de ces actes, la Slovénie a jugé nécessaire d’approfondir l’enquête sur ces allégations afin de trouver les auteurs et de les tenir pour responsables, comme du reste la République de Corée. De son côté, M. Tariq Ahmad de Wimbledon, le Secrétaire d’État aux affaires étrangères du Royaume-Uni, qui est aussi le Représentant spécial du Premier Ministre britannique pour la prévention de la violence sexuelle en période de conflit, a indiqué que son pays peut mettre à disposition une équipe d’experts dans ce domaine, qui a été déployée à plus de 90 reprises. Il a également mentionné le Code Murad, lancé en avril dernier au Conseil de sécurité, qui établit des normes minimales pour garantir que les survivants ne soient pas traumatisés à nouveau lorsqu’ils sont interrogés.
Le Chef de la diplomatie britannique a dit avoir présidé aujourd’hui même une réunion avec les membres de l’Alliance internationale pour la prévention des violences sexuelles en période de conflit et avec la baronne Arminka Helic, qui a joué un rôle déterminant dans la création de l’Initiative de prévention des violences sexuelles dans les conflits en 2012. Cette réunion a permis d’envisager des moyens innovants de garantir que les crimes fassent l’objet d’enquêtes, que des témoignages soient recueillis pour faire aboutir les poursuites, et que ceux qui survivent à ces crimes choquants reçoivent un soutien afin de reconstruire leur vie.
Alors que plusieurs membres du Conseil, dont la France, le Guyana et le Mozambique, appelaient à un cessez-le-feu humanitaire immédiat, la délégation américaine a pour sa part appelé le Hamas à accepter l’accord déjà agréé par Israël. « Les combats pourraient et devraient cesser aujourd’hui si le Hamas libérait le premier otage et cessait d’utiliser les gens comme des pions », ont tancé les États-Unis, en annonçant avoir fait circuler un projet de résolution qui soutient les négociations en cours sur le terrain. Un texte qui contribuerait à ouvrir la voie à une cessation durable des hostilités et à une paix durable.
Le Ministre des affaires étrangères israélien, M. Israël Katz, a pour sa part estimé que les « crimes contre l’humanité » commis par le Hamas étaient pires que ceux de l’État islamique et d’Al-Qaida. Pour lui, ce groupe armé doit être considéré comme une « organisation terroriste » et sanctionné comme telle par le Conseil de sécurité. Il a aussi exhorté le Conseil à exercer « toutes les pressions possibles » sur le Hamas pour qu’il relâche immédiatement et sans condition toutes les personnes encore en otage, un appel accueilli par les applaudissements de plusieurs familles ayant assisté à la séance.
En présentant son rapport, Mme PRAMILA PATTEN, Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, a rappelé s’être rendue dans la région du 29 janvier au 14 février 2024, en réponse à une invitation du Gouvernement israélien, qui « n’était pas une mission d’enquête ». Avec les membres de son équipe, elle s’est rendue en Cisjordanie occupée pour dialoguer avec les autorités palestiniennes sur les questions dont elle était saisie et transmettre leurs préoccupations aux autorités israéliennes. L’équipe n’a pas demandé à se rendre à Gaza, où d’autres entités de l’ONU sont opérationnelles, à cause de la violence qui y règne, a-t-elle ajouté.
La mission s’est déroulée dans le strict respect des normes et méthodologies établies par les Nations Unies et conformément aux principes d’indépendance, d’impartialité, d’objectivité, de transparence, d’intégrité et du principe de « ne pas nuire », a assuré la Représentante spéciale soulignant l’importance donnée à la confidentialité, à la protection des victimes et des témoins ainsi qu’à l’approche centrée sur les survivants et les victimes. « Nos conclusions étaient fondées sur notre propre évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins. » Dans un certain nombre de cas, l’équipe a été en mesure d’évaluer que certains signalements ou allégations de violence sexuelle très médiatisés n’étaient pas fondés, a-t-elle signalé.
Mme Patten a martelé que le Secrétaire général n’a pas tenté de réduire au silence son rapport ou d’en supprimer les conclusions. « Au contraire, j’ai reçu son soutien total sur les plans politique, logistique et financier, et il a également donné des instructions claires pour que mon rapport soit rendu public et qu’il soit immédiatement transmis au Conseil de sécurité. » Rappelant la détresse des familles d’otages, 156 jours après les enlèvements, la Représentante spéciale a rappelé que la prise d’otages est strictement interdite par le droit international humanitaire.
Les informations recueillies ont selon elle mis en lumière les attaques aveugles et coordonnées menées par le Hamas et d’autres groupes armés contre de multiples cibles militaires et civiles, dans le but de tuer, d’infliger des souffrances et d’enlever le plus grand nombre possible d’hommes, de femmes et d’enfants –soldats et civils- dans un laps de temps minimal. Mme Patten a dit avoir trouvé des informations « claires et convaincantes » selon lesquelles des violences sexuelles ont été commises contre des otages. « Nous avons des motifs raisonnables de croire que de telles violences peuvent encore se poursuivre contre les personnes en captivité. »
La Représentante spéciale a plaidé pour un cessez-le-feu humanitaire afin de mettre fin aux souffrances indicibles imposées aux civils palestiniens à Gaza et d’obtenir la libération immédiate et sans condition de tous les otages. « La poursuite des hostilités ne peut, en aucun cas, les protéger. Cela ne peut que les exposer à d’autres risques de violence, y compris de violence sexuelle », a-t-elle fait valoir.
Mme Patten a aussi déclaré que sa visite n’avait pas pour vocation de désigner les auteurs des violations. Cela sera du ressort d’une enquête indépendante et complète sur les droits humains par les organes compétents de l’ONU.
« En Cisjordanie, les gens sont terrifiés par la tragédie en cours à Gaza », a-t-elle ensuite témoigné, disant avoir reçu des informations à Ramallah sur des cas de violences sexuelles subies par des Palestiniens en détention, des hommes comme des femmes. Des cas de harcèlement sexuel et de menaces de viol ont également été signalés lors de descentes dans les domiciles et les postes de contrôle. Elle a signalé que les autorités israéliennes, informées de ces cas, ont exprimé leur volonté d’enquêter sur toute violation présumée.
Mme Patten a cependant dit être « déçue » de la réaction immédiate de certains acteurs politiques à son rapport. « Ils l’ont rejeté tout de suite via les médias sociaux », s’est-elle indignée en observant que la volonté politique doit se traduire en réponses opérationnelles. Elle a donc formulé des recommandations en exhortant les parties au conflit à s’entendre immédiatement sur un cessez-le-feu humanitaire, et en demandant au Hamas de libérer immédiatement et sans condition tous les otages.
« J’encourage le Gouvernement israélien à accorder sans plus tarder l’accès au Haut-Commissariat aux droits de l’homme et à la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël afin qu’ils mènent des enquêtes approfondies sur toutes les violations présumées qui ont eu lieu le 7 octobre. »
« Il est également essentiel d’empêcher toute négation des atrocités commises le 7 octobre », a prié la haute fonctionnaire avant d’appeler les organes compétents, nationaux et internationaux, à traduire en justice tous les auteurs de crimes. Elle a encouragé le Gouvernement israélien à signer un cadre de coopération avec l’ONU en vue de prévenir et de combattre la violence sexuelle dans les conflits, lui demandant aussi de prendre des mesures énergiques pour atténuer le risque de voir se commettre de telles violences et d’autres formes de traitements cruels, inhumains et dégradants dans le contexte de la détention et de l’opération militaire en cours. Enfin, tous les acteurs concernés devraient respecter l’accès et l’intégrité de l’information, a-t-elle recommandé.
Avant de conclure, la Représentante spéciale a dénoncé et condamné l’instrumentalisation de son mandat et de son rapport, ainsi que du sort des victimes et des survivants, à des fins politiques ou militaires. Elle a réitéré l’appel du Secrétaire général disant que « rien ne peut justifier la violence délibérée perpétrée par le Hamas le 7 octobre contre Israël et rien ne peut également justifier la punition collective de la population de Gaza, qui a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés palestiniens ».