Alarmée par le niveau sans précédent des déplacements forcés, la Troisième Commission examine aussi le « profilage racial » des forces de l’ordre et les « préjugés raciaux » de l’IA
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La Troisième Commission, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles a dialogué cet après-midi avec le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, qui s’est inquiété du « niveau sans précédent » des déplacements forcés. Dans la matinée, elle a entendu quatre experts, qui ont notamment évoqué le « racisme systémique » à l’encontre des personnes d’ascendance africaine, notamment à travers le « profilage racial » des forces de l’ordre et les « préjugés raciaux » de l’intelligence artificielle (IA).
« Construire des murs et arrêter les bateaux ne fonctionne pas »
Constatant des « niveaux sans précédent » de déplacements forcés, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a indiqué que 123 millions de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leur foyer et que ce chiffre augmentait maintenant sans interruption depuis 12 ans. M. Filippo Grandi s’est notamment inquiété des conflits au Liban et à Gaza, regrettant qu’« un cessez-le-feu désespérément nécessaire ne se matérialise pas », et que les frappes aériennes israéliennes se poursuivent. Au cours des semaines qui ont suivi le début du conflit au Liban, 470 000 personnes -dont 30% de Libanais et 70% de Syriens- sont passées en Syrie, a-t-il indiqué. Il a également évoqué une « situation indescriptible » au Soudan, où l’« effondrement de l’infrastructure sociale d’une nation » a poussé plus de 11 millions de Soudanais à fuir en un an et demi.
Le Haut-Commissaire a également signalé que la gestion des « mouvements mixtes » de réfugiés et de migrants se déplaçant le long des mêmes routes est devenue un problème particulièrement délicat pour les États situés le long de ces itinéraires.
De nombreux gouvernements tentent d’arrêter les flux de personnes en imposant des mesures de plus en plus restrictives, axées sur des contrôles et parfois des mesures d’externalisation, d’extériorisation ou de suspension de l’asile. Ces mesures sont non seulement inefficaces, mais enfreignent également les obligations juridiques internationales des États, a-t-il averti.
Estimant qu’il était plus efficace de regarder au-delà des frontières, le Haut-Commissaire a appelé les États à rechercher des opportunités dans les pays d’origine, en renforçant la résilience des communautés exposées au risque de déplacement climatique, par exemple. Au chapitre des solutions, il a également évoqué des programmes de régularisation dans les pays d’asile ou de transit, couplés avec un accès aux services publics et à l’emploi. Enfin, il a appelé à garantir davantage de voies d’accès légales et sûres entre les pays, assurant que le Haut-Commissariat des Nations Unies (HCR) pour les réfugiés était là pour aider à établir des procédures d’asile efficaces permettant d’identifier rapidement et équitablement les personnes éligibles au statut de réfugié, et prévoyant le retour des autres dans leur pays.
« Construire des murs et arrêter les bateaux ne fonctionne pas », a-t-il martelé, ajoutant que les réponses non coordonnées ne fonctionnaient pas non plus, pire, qu’elles dressaient les pays et les populations les uns contre les autres.
Crise financière au HCR: 1 000 postes supprimés en un an
M. Grandi s’est par ailleurs inquiété de voir le HCR et l’ensemble du secteur humanitaire traverser une « période très difficile » sur le plan financier ces 12 derniers mois, ajoutant qu’elle avait entraîné la suppression de 1 000 postes au sein de l’agence. Dans ce contexte, il a plaidé en faveur d’une meilleure inclusion des réfugiés dans leurs pays d’accueil, tablant sur le fait qu’il était plus efficace d’accueillir des personnes autonomes que dépendant entièrement de l’aide humanitaire.
À l’issue de son exposé, l’Égypte a rappelé que 75% des réfugiés se trouvent dans les pays en développement, soulignant la nécessité de mettre en œuvre le principe de responsabilité partagée. Un point de vue partagé par l’Algérie qui a rappelé que l’Afrique est le continent qui accueille le plus de réfugiés au monde. Les pays riches doivent faire plus pour mieux répartir la charge entre pays d’accueil. Rappelant qu’il était confronté à une « augmentation fulgurante » du nombre de réfugiés, qui est passé de 1 300 en 2012 à 140 000 en 2023, le Mexique a appelé à consacrer plus d’énergie à traiter les causes premières des déplacements. De son côté, l’Union européenne a indiqué qu’elle consacrait 80% de son budget d’assistance humanitaire aux réfugiés.
Racisme systémique des forces de l’ordre à l’encontre des personnes d’ascendance africaine
« Les manifestations de racisme systémique des forces de l’ordre et des systèmes de justice pénale à l’encontre des Africains et des personnes d’ascendance africaine sont toujours répandues dans de nombreuses régions du monde », a regretté la Présidente du Mécanisme international d’experts indépendants chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre.
La titulaire de mandat a notamment évoqué la situation au Brésil, où les Afro-Brésiliens représentaient 82% des plus de 6 000 décès imputables à la police en 2023, ainsi qu’en Italie où le racisme conduit à une « présomption de criminalité » à l’égard des Africains et des personnes d’ascendance africaine et à la représentation disproportionnée des personnes d’origine étrangère dans le système pénal.
Face à la persistance de l’impunité, et constatant que les droits des victimes à la justice, à la vérité, à la réparation et aux garanties de non-répétition sont rarement respectés, Mme Akua Kuenyehia a jugé qu’il était temps pour les États d’investir dans la mise en place d’institutions solides capables d’assurer efficacement la justice, la responsabilité et la réparation pour les victimes.
Elle les a notamment appelés à mettre en place des procédures efficaces de signalement, d’examen et d’enquête, notamment par le biais de caméras portées sur le corps des policiers, et à autoriser les communautés et les individus concernés à participer activement aux enquêtes.
Les États doivent aussi mettre en place des organes de contrôle civils indépendants des forces de l’ordre pour que les victimes de comportements policiers à caractère raciste puissent s’adresser à une autre institution que celle à laquelle appartiennent les auteurs de l’infraction.
De même, les États doivent établir des mécanismes indépendants pour soutenir les victimes et les communautés, permettant des réparations rapides et adéquates, a-t-elle préconisé.
Les préjugés raciaux de l’intelligence artificielle
Lors d’un exposé combiné, la Présidente du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine a appelé pour sa part les États Membres à reconnaître l’impact de la race, des préjugés raciaux et de la discrimination raciale dans la numérisation et l’usage abusif de l’intelligence artificielle.
Constatant que l’IA pouvait « introduire, perpétuer et exacerber les préjugés et la discrimination », Mme Barbara G. Reynolds a souligné que ses principaux systèmes sont développés presque exclusivement par un petit nombre d’entreprises et de laboratoires universitaires d’élite, où les personnes d’ascendance africaine sont peu représentées. De plus, ces IA sont entraînées sur d’énormes quantités de données portant principalement sur des populations non noires, introduisant des préjugés raciaux dans les algorithmes, comme en témoigne « l’incapacité de certains systèmes d’IA générative à créer des représentations précises et réalistes des Noirs ».
Elle a également signalé l’usage de logiciels de reconnaissance faciale par les gouvernements et la police, car ils affectent de manière disproportionnée les personnes d’ascendance africaine en propageant des « associations biaisées sur les groupes raciaux ». À ce sujet, elle a rappelé qu’en 2015, Google a dû s’excuser après que son application de reconnaissance d’images a qualifié à tort les Afro-Américains de « gorilles ». De même, a-t-elle poursuivi, les pratiques de surveillance persistantes datant de l’époque de l’esclavage et de la colonisation ont été aggravées par l’utilisation de l’IA « car la recherche a constamment montré de plus grandes inexactitudes parmi les populations non blanches ».
Pour remédier à ces biais et préjugés, Mme Reynolds a recommandé aux États de sensibiliser l’ensemble de la population à la numérisation et à l’intelligence artificielle, en garantissant un niveau de base d’alphabétisation numérique chez 60 à 80% de la population. Elle leur demande aussi d’adopter des cadres législatifs et politiques éthiques pour réglementer l’utilisation de la numérisation et de l’intelligence artificielle.
Justice réparatrice
Les délégations ont également dialogué avec la Présidente de l’Instance permanente pour les personnes d’ascendance africaine qui, se joignant aux nombreux appels à la proclamation d’une deuxième Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, a conseillé d’y inclure la question de la justice réparatrice.
« La justice réparatrice dans toutes ses dimensions joue un rôle essentiel dans la réalisation du développement durable des Africains et des personnes d’ascendance africaine », a souligné Mme June Soomer qui a notamment appelé à prendre des mesures en vue de la reconnaissance et de la réparation de la longue histoire d’injustices subies par le peuple haïtien, notamment par la création d’un fonds de justice réparatrice et de développement durable pour Haïti.
Le Cameroun a observé que la question des réparations pour le colonialisme reste l’objet de vives oppositions de la part des anciennes puissances coloniales esclavagistes, « en dépit de leur soi-disant attachement aux droits humains et à la justice ».
Financement du mercenariat
Le mercenariat, et les activités liées, étant en constante évolution et émergents, une action immédiate des États et de toutes les parties prenantes concernées est requise, notamment pour combler les lacunes des écosystèmes financiers traditionnels et alternatifs qui permettent au financement du mercenariat de prospérer.
C’est l’appel qu’a lancé à la Troisième Commission la Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes venue présenter un rapport qui examine les méthodes, les canaux et les moyens utilisés pour financer le mercenariat et les acteurs associés.
Mme Jovana Jezdimirovic Ranito a dénoncé une lacune « béante » concernant la réglementation du financement de sociétés militaires et des sociétés de sécurité privée, compte tenu de la nature transnationale de leurs activités et de la souplesse des structures d’entreprise du secteur.
Au cours du dialogue qui a suivi, Cuba a dénoncé l’appui financier et logistique apporté par les États-Unis à des mercenaires dont les activités déstabilisent des pays et privent des peuples de leur droit à autodétermination. De son côté, l’Union européenne s’est dite profondément préoccupée par les graves violations des droits humains commises dans diverses régions du monde par le Groupe Wagner, ainsi que par d’autres entités similaires en Ukraine, en Syrie, en Libye, en République centrafricaine, au Soudan et au Mozambique.
Tout en reconnaissant qu’il était nécessaire de réviser les normes internationales en matière de lutte contre le mercenariat, la Russie a constaté qu’il existe des divergences entre les États sur le caractère juridique de l’instrument appelé à réglementer les activités des mercenaires et des sociétés militaires et de sécurité privée. À ce stade, a-t-elle ajouté, les conditions ne sont pas réunies pour adopter un instrument juridiquement contraignant sur l’utilisation de ces sociétés militaires privées. L’Union européenne a fait valoir que les activités des mercenaires, catégorie spécifique en droit international, ne doivent pas être confondues avec celles des sociétés militaires et de sécurité privée, dont le travail est légitime.
Autodétermination des peuples
Lors de la reprise de la discussion générale sur l’élimination du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Troisième Commission a notamment entendu l’État de Palestine qui a vivement condamné l’occupation israélienne. « Israël non seulement tue notre population civile, mais fragmente et réduit nos terres, impose un blocus à Gaza et détruit l’expression culturelle et religieuse palestinienne », a-t-il affirmé. Comme l’a signifié la Cour internationale de Justice (CIJ), aucune préoccupation sécuritaire ne peut entamer le droit des peuples à l’autodétermination, a rappelé la délégation palestinienne, rappelant que la CIJ avait aussi conclu qu’Israël devait mettre fin à son occupation « dès que possible ».
Israël a dénoncé la propagation de théories raciales erronées, y voyant de nouvelles formes d’antisémitisme qui cherchent à « racialiser le peuple juif ». Selon lui, cette notion, qui « provient d’Europe », serait utilisée pour propager l’idée d’un groupe racial dominateur. La délégation a par ailleurs assuré que le sionisme n’est que la conviction du peuple juif de son droit à vivre en paix sur ses terres ancestrales. « Nous sommes rentrés chez nous non par caprice mais par nécessité de survivre », a-t-elle affirmé, ajoutant: « il y a une chose que nous ne pouvons pas sacrifier, c’est notre droit à exister. »
La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, jeudi 7 novembre, à partir de 10 heures.
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