La Troisième Commission face à l’« augmentation alarmante » des exécutions en Iran et l’« apartheid fondé sur le genre » en Afghanistan
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Six spécialistes des droits humains ont dialogué aujourd’hui avec la Troisième Commission, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles. Pendant la matinée, trois experts ont dénoncé, respectivement, les violations en cours en Iran, qui ordonne un nombre record d’exécutions; le sort des réfugiés syriens contraints de rentrer en Syrie en raison des opérations militaires israéliennes au Liban; et l’« apartheid fondé sur le genre » en Afghanistan, qualifié de « crime contre l’humanité ». Durant l’après-midi, l’attention s’est focalisée sur les personnes handicapées ainsi que sur la question des droits humains et des sociétés transnationales.
Plus 600 exécutions depuis le début de l’année en Iran
Présentant le premier rapport d’un mandat entamé le 1er août 2024, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran s’est inquiétée d’une augmentation alarmante des exécutions à la suite de condamnations à mort: 93 en août 2024 et plus de 140 en octobre. Cette inquiétude a été partagée par de nombreux pays occidentaux, dont la Suisse qui a noté que plus de 600 personnes avaient été exécutées cette année, qualifiant ce chiffre d’« atterrant ».
Mme Mai Sato s’est dite préoccupée par l’application disproportionnée de la peine capitale aux minorités ethniques et religieuses, ainsi que par la condamnation de mineurs et de coupables d’infractions liées aux stupéfiants, ces derniers représentant la moitié des personnes exécutées le mois dernier. Parmi les autres motifs de mise à mort elle a notamment évoqué des délits de sécurité au sens large, tels que la « rébellion armée » ou la « propagation de la corruption sur Terre », rappelant qu’ils n’atteignaient pas le seuil des « crimes les plus graves » en vertu du droit international.
Renchérissant sur ce point précis, le Royaume-Uni s’est inquiété de la condamnation à mort de 10 manifestants ayant pris part au mouvement « Femme, Vie, Liberté ». L’Australie a condamné le recours à la peine capitale pour des crimes tels que l’apostasie, la Suisse proposant une restriction de l’application de la peine capitale aux « crimes les plus graves » comme premier pas vers son abolition. L’Union européenne, la France, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Norvège et le Canada ont eux aussi lancé des appels dans ce sens.
Indiquant qu’en 2023, l’Iran se classait cent quarante-troisième sur 146 pays dans l’index mondial sur l’écart entre les femmes et les hommes, la Rapporteuse spéciale a également dit être « particulièrement préoccupée » par la réponse de l’État au mouvement « Femme, Vie, Liberté », ainsi que par la récente approbation d’un projet de loi sur la « protection de la femme et la promotion de la culture du hijab et de la chasteté ».
Estimant que la situation des droits humains en Iran ne nécessitait pas un mandat spécifique d’évaluation, la délégation iranienne a qualifié d’« inacceptable » l’assertion du rapport selon laquelle aucun progrès n’avait été fait au cours des 40 dernières années. Toute évaluation de la situation des droits humains en Iran serait incomplète sans se pencher sur la question des mesures coercitives unilatérales imposées par les États-Unis qui violent les droits humains des Iraniens, notamment des femmes et des enfants, a-t-elle ajouté. L’évaluation de la situation des droits humains dans un pays ne peut faire abstraction de ses conditions sociopolitiques, historiques et culturelles, a appuyé la Chine.
S’exprimant au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, le Venezuela a rejeté en bloc les résolutions spécifiques à des pays sans leur consentement, s’inquiétant en outre de la prolifération de mécanismes ne permettant pas d’évaluations impartiales et produisant des « pamphlets de propagande ». Une douzaine de délégations dont l’Iran, la Chine, la Fédération de Russie, le Bélarus, le Pakistan, le Burundi, l’Algérie et l’Érythrée se sont aussi positionnées sur cette ligne.
Retour des réfugiés syriens du Liban
La Syrie est aujourd’hui entraînée dans « le conflit catastrophique qui engloutit la région », a averti à son tour le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne. En raison de l’escalade au Liban, plus de 300 000 réfugiés syriens sont à nouveau déplacés, contraints de retourner en Syrie pour échapper aux bombardements israéliens, a expliqué M. Paulo Sérgio Pinheiro. Aux côtés de plus de 100 000 ressortissants libanais, ils fuient vers un pays dévasté et déchiré par la guerre, qui continue de s’enfoncer dans une crise humanitaire et économique, a-t-il résumé.
« Le fait que des Syriens craignant avec raison d’être persécutés dans leur pays d’origine fuient souligne le choix impossible auquel ils sont confrontés: risquer leur vie sous les bombes au Liban ou retourner dans un endroit où ils peuvent également faire face à des menaces de mort. » Avant la crise actuelle, a rappelé M. Pinheiro, seul 1,7% des réfugiés exprimaient l’intention de retourner en Syrie à court terme, citant des inquiétudes liées à la sûreté et à la sécurité.
En raison de la crainte omniprésente d’une arrestation arbitraire, d’une conscription ou d’un recrutement forcé d’hommes en âge de servir dans l’armée, de nombreuses femmes et enfants se sont lancés seuls dans ce périlleux voyage, tandis que les membres adultes masculins de la famille sont soit restés sur place, soit ont eu recours à des voyages alternatifs mais tout aussi risqués, via des passeurs, a expliqué le Président de la Commission d’enquête. Une fois rentrés dans leur pays, certains Syriens déplacés seraient maltraités, arrêtés ou victimes d’extorsion par des « acteurs armés prédateurs » à des points de contrôle dans toute la Syrie, a-t-il ajouté, appelant toutes les autorités –étatiques et non étatiques– à mettre fin aux abus commis par leurs forces et à donner accès aux acteurs humanitaires internationaux et de droits humains.
Affirmant craindre que les sanctions, en particulier les sanctions sectorielles, n’aggravent encore des conditions de vie déjà désastreuses, il a réitéré son appel aux États qui les imposent à procéder d’urgence à une révision de ces mesures coercitives unilatérales compte tenu de leur impact sur la population et les acteurs humanitaires.
« Apartheid fondé sur le genre » en Afghanistan, un « crime contre l’humanité »
Alarmé par l’oppression systématique des femmes en Afghanistan, « littéralement réduites au silence », le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans ce pays a affirmé que l’absence d’une réponse forte et unie de la part de la communauté internationale a enhardi les Taliban.
Pour preuve, un mois après leur participation à la troisième réunion du processus de Doha, ils ont introduit une loi dite de « moralité » qui non seulement restreint encore davantage tous les aspects de la vie des femmes, mais impose également des restrictions sur les pratiques des minorités religieuses et limite les médias, a indiqué M. Richard Bennett.
Depuis plus de trois ans, a-t-il rappelé, les filles et les femmes sont exclues de l’enseignement secondaire et au-delà. Et la nouvelle loi « sur le vice et la vertu » institutionnalise une liste croissante de restrictions qui violent de manière flagrante les droits des femmes et des filles, littéralement réduites au silence et considérées comme une menace contre la vision et la stratégie des Taliban.
Pour cette raison, le Rapporteur spécial a préconisé une « approche tous azimuts » pour faire comprendre aux Taliban que des améliorations démontrables en matière de droits humains sont une condition préalable à toute normalisation. Il s’agirait aussi de codifier l’apartheid fondé sur le genre comme un crime contre l’humanité.
Cet appel a été relayé par de nombreuses délégations, à commencer par la Pologne qui a estimé que sans amélioration de la situation sur le terrain, la communauté internationale ne devrait pas reconnaître les Taliban. La Chine a appelé au contraire à privilégier une approche de dialogue, appelant par ailleurs à la levée des sanctions et à la restitution des avoirs afghans gelés pour résoudre la crise humanitaire qui engloutit le pays.
Handicap: des écarts en matière de pauvreté et d’emploi sont eux supérieurs à 20%
Bénéficiant d’une interprétation en langue des signes, la séance de l’après-midi a été dominée par la question des droits humains des personnes handicapées. Déclarant qu’il restait encore beaucoup à faire pour atteindre les normes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Présidente du Comité a indiqué qu’il avait lancé un processus visant à préparer une observation générale sur le droit des personnes handicapées à participer à la vie politique et publique.
Citant le rapport 2024 des Nations Unies sur le handicap et le développement, publié en juin dernier, Mme Gertrude Oforiwa Fefoame a signalé qu’à six ans de 2030, les personnes handicapées sont toujours laissées pour compte. Des progrès ne sont réalisés que sur 30% des cibles des objectifs de développement durable (ODD) et 14% ont stagné ou reculé. Le même rapport indique que de larges écarts, supérieurs à 10% persistent entre les personnes handicapées et non handicapées, notamment en ce qui concerne l’insécurité alimentaire, la santé, l’accès à l’énergie et aux technologies de l’information et des communications. Les écarts en matière de pauvreté multidimensionnelle et d’emploi sont, eux, supérieurs à 20%, a-t-elle indiqué.
Face à cette situation, la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, a lancé un message « clair et urgent »: les personnes handicapées continuent d’être gravement laissées pour compte. Les voix de 1,3 milliard de personnes handicapées dans le monde sont encore trop souvent ignorées dans les discussions politiques qui façonnent leur avenir, a déploré Mme Heba Hagrass ajoutant que les personnes handicapées supportaient une part disproportionnée des crises actuelles telles que les inégalités croissantes, les conflits et les changements climatiques.
Son rapport propose en conséquence des recommandations concrètes pour une participation significative des personnes handicapées, notamment la création de plateformes de consultation accessibles, l’octroi d’un financement indépendant aux organisations de personnes handicapées et leur intégration dans les organismes nationaux et infranationaux de suivi des ODD. La Stratégie des Nations Unies pour l’inclusion du handicap doit être accélérée, en particulier au niveau des pays, a-t-elle ajouté.
Droits des personnes LGBTI+ et sociétés transnationales
Dernière intervenante du jour, la Présidente du Groupe de travail sur la question des droits humains et des sociétés transnationales et autres entreprises, a présenté un rapport consacré aux droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI+) dans le contexte des activités commerciales. Mme Fernanda Hopenhaym a indiqué que le respect par les entreprises de leurs droits humains est gravement entravé là où persistent des lois et politiques discriminatoires, des inégalités structurelles et des normes sociétales néfastes.
Pour remédier à ces impacts négatifs, elle invite les États à adopter et appliquer des lois antidiscriminatoires couvrant les personnes LGBTI+ et à fournir des voies de recours efficaces pour les abus les visant dans les contextes commerciaux. Aux entreprises, elle recommande de s’engager publiquement à respecter les droits des personnes LGBTI+ à tous les niveaux des opérations commerciales, de mettre en œuvre des processus de diligence raisonnable en matière de droits humains tenant compte du genre pour gérer les risques dans les opérations, les chaînes d’approvisionnement et les relations commerciales, et, enfin, d’établir, en collaboration avec les parties prenantes concernées, des mécanismes de réclamation efficaces et accessibles aux personnes LGBTI+.
La Troisième Commission poursuivra ses travaux lundi 4 novembre, à partir de 10 heures.
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