En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-neuvième session,
36e et 37e séances plénières – matin et après-midi
AG/SHC/4422

Troisième Commission: les accusations de génocide à Gaza et en Cisjordanie portées contre Israël dominent l’examen de plusieurs situations spécifiques

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

Dans un climat de forte tension, la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles a poursuivi, aujourd’hui, son examen de la situation des droits humains dans des pays ou territoires spécifiques.  Comme attendu, l’état des lieux de ces droits dans le Territoire palestinien occupé a dominé les échanges, souvent houleux, entre titulaires de mandat et délégations, lesquels ont culminé avec l’accusation de génocide à Gaza et en Cisjordanie portée contre Israël.  Outre cette situation particulièrement scrutée, la Commission s’est penchée sur le dossier des droits humains en Somalie, en République centrafricaine, au Burundi, en Érythrée et au Soudan du Sud.     

« Campagne génocidaire contre les Palestiniens »

En présentant son rapport, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a rappelé qu’en mars dernier, deux mois après que la Cour internationale de Justice (CIJ) eut reconnu le « risque plausible de génocide » à Gaza, elle avait elle-même informé le Conseil des droits de l’homme qu’il y avait des « motifs raisonnables » de croire qu’un génocide était en train de se produire.  Depuis, a observé Mme Francesca Albanese, le Conseil de sécurité a ordonné un cessez-le-feu et la CIJ a pris de nouvelles mesures provisoires contre Israël, tout en exigeant qu’il soit mis fin à la présence israélienne illégale en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza « le plus rapidement possible ».  Malgré cela, l’assaut contre Gaza s’est intensifié, s’étendant même au-delà et entraînant des « développements horribles ». 

« Ces développements renforcent mon évaluation selon laquelle Israël mène une campagne génocidaire contre les Palestiniens », a déclaré Mme Albanese, non sans rappeler que le crime de génocide consiste en « des actes accompagnés de l’intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel ».  Ces actes vont de l’incitation des dirigeants à détruire Gaza dans son intégralité, « prétendument pour libérer les otages et éradiquer le Hamas », jusqu’à chaque action exécutée dans le cadre de la destruction en cours, a-t-elle expliqué, faisant état du « nettoyage » d’un territoire qui comprend la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza, et qu’Israël « considère comme le sien par un dessein divin ». 

Qualifiant de « totalement compréhensibles » le traumatisme et la rage ressentis par les Israéliens après les « événements brutaux » du 7 octobre 2023, elle a constaté que cela a « approfondi une animosité collective préexistante envers les Palestiniens » et que les institutions de l’État d’Israël, « système d’état de droit autoproclamé », ont fait avancer la catastrophe actuelle au lieu de la contenir. 

À la suite de cette présentation, l’État de Palestine, soutenu par des pays tels que l’Algérie, le Bangladesh, Cuba, Djibouti, le Liban, la Malaisie, la République islamique d’Iran, le Soudan et le Venezuela, a dénoncé les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide commis par le Gouvernement israélien, « qui cherche à les dissimuler en accusant les plus hauts responsables de l’ONU d’antisémitisme ».  Certaines délégations, comme le Nicaragua et la République arabe syrienne, ont aussi brandi l’accusation de « complicité de génocide » pour la livraison d’armes à Israël.  À cet égard, la Chine a dit s’être jointe à la Türkiye pour demander une session spéciale de l’Assemblée générale qui exigerait la fin de ces transferts.  L’Afrique du Sud a, quant à elle, rappelé qu’elle avait transmis à la CIJ, le 28 octobre dernier, un mémoire qui détaille comment Israël a violé la Convention sur le génocide en promouvant la destruction de toute vie palestinienne à Gaza.  La Norvège a ensuite annoncé qu’elle initierait un projet de résolution demandant à la CIJ de rendre un avis sur l’obligation d’Israël de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à la population palestinienne.  Plusieurs États Membres se sont aussi alarmés de la nouvelle loi israélienne bannissant l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). 

Des actes imposés « à titre de punition collective » 

La Présidente de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a, elle aussi, brossé un tableau catastrophique de la situation actuelle, avant de présenter un rapport dont il ressort que les autorités israéliennes ont mis en œuvre « une politique concertée visant à détruire le système de santé de Gaza ». 

Illustrant son propos, Mme Navi Pillay a fait état de centaines d’attaques contre des hôpitaux et des installations médicales, ajoutant que des centaines de membres du personnel médical ont été délibérément tués ou blessés, arrêtés et maltraités par les forces israéliennes.  « Ces actes ont été imposés à titre de punition collective, constituant des crimes de guerre d’homicide volontaire et de torture, et un crime contre l’humanité d’extermination », a-t-elle asséné, relevant que la destruction des infrastructures sanitaires de Gaza, aggravée par le siège de l’enclave, a entraîné une forte augmentation de mortalité et de la morbidité, principalement chez les enfants et les patients vulnérables.  En outre, le ciblage et la destruction délibérés des infrastructures fournissant des soins de santé sexuelle et reproductive risquent d’entraîner des répercussions irréversibles à long terme sur la survie du peuple palestinien en tant que groupe.

Après avoir précisé que la Commission a également documenté des attaques perpétrées par des groupes armés palestiniens contre du personnel médical, des installations et des ambulances en Israël à compter du 7 octobre 2023, actes qui « constituent un crime de guerre », Mme Pillay a attiré l’attention sur le traitement des personnes capturées et détenues par les parties au conflit.  Des milliers de Palestiniens ont ainsi été arbitrairement détenus et mis au secret, certains étant même utilisés comme bouclier humain en Cisjordanie et à Gaza, des faits là encore « constitutifs de crimes de guerre ».  Quant aux mauvais traitements persistants imposés aux détenus palestiniens, hommes et femmes, ils relèvent de la torture « en tant que crime de guerre et crime contre l’humanité », a-t-elle souligné.  Elle a cependant tenu à rappeler que, dans son précédent rapport, la Commission avait conclu que la prise d’otages du 7 octobre 2023 constituait un crime de guerre, ajoutant que, depuis lors, elle a constaté que des otages ont été intentionnellement maltraités en captivité.

Au cours du dialogue interactif avec la titulaire de mandat, plusieurs pays, parmi lesquels l’Albanie, le Canada, les États-Unis, la Hongrie et le Royaume-Uni, se sont déclarés préoccupés par « l’attention disproportionnée » prêtée à Israël par le Conseil des droits de l’homme et par la « durée indéfinie » du mandat de la Commission d’enquête.  Une critique à laquelle Mme Pillay a opposé « la durée indéfinie de l’occupation israélienne ».  L’Union européenne a, elle, rappelé qu’elle n’avait pas appuyé la création de ce mandat en 2021. Défendant une position inverse, un grand nombre de délégations, dont l’État de Palestine, suivi par l’Afrique du Sud, Cuba, l’Espagne, l’Irlande ou encore la République arabe syrienne, ont dénoncé l’« impunité injustifiable » dont jouit Israël.  La Chine a, pour sa part, appelé à la tenue d’une conférence de paix sous l’égide des Nations Unies. 

Des progrès en Somalie mais l’état de droit y reste fragile 

Dans la foulée de ces échanges orageux, la Troisième Commission s’est intéressée à la situation des droits humains en Somalie, l’occasion pour l’Experte indépendante en charge de ce dossier de saluer les progrès réalisés par le Gouvernement fédéral somalien en la matière.  Mme Isha Dyfan a notamment évoqué le renforcement des cadres juridiques et institutionnels visant à protéger les droits fondamentaux des citoyens.  Elle a néanmoins concédé que le conflit civil en cours, associé aux attaques des Chabab et d’autres groupes armés, continue de faire des ravages inacceptables sur la population civile et que la protection de l’espace démocratique et des droits à la liberté d’expression et d’opinion laisse encore à désirer, en particulier pour les journalistes. 

Notant que l’absence d’institutions et de législations solides en matière de droits humains continue d’affaiblir l’état de droit fragile du pays, Mme Dyfan a appelé à la mise en place d’une commission nationale dédiée à ces droits et à l’adoption des projets de loi en souffrance sur les délits de viol et d’indécence, la justice pour mineurs, les droits de l’enfant et les mutilations génitales féminines.  Si les défis restent nombreux, elle a dit croire que l’élection de la Somalie au Conseil de sécurité se traduira par un plus grand respect de ses obligations en matière de droits humains. 

Préoccupations liées aux droits et à la sécurité en République centrafricaine 

Inquiet lui aussi, l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine a noté des avancées en matière de sécurité, tout en constatant qu’une partie de la population vit toujours sous la menace des groupes armés de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC).  M. Yao Agbet a appelé les autorités centrafricaines ainsi que la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et l’Union africaine (UA) à se saisir de l’ouverture manifestée par la CPC de mettre en place un processus de désarment, de démobilisation et de dissolution dans les meilleurs délais. 

Alertant d’autre part sur le fait que les conflits intercommunautaires au Tchad ont fait fuir plus de 38 000 personnes en République centrafricaine, que la guerre au Soudan a entraîné l’arrivée de près de 29 000 autres et que ces conflits ont poussé plus de 12 000 Centrafricains à rentrer, il a invité le Secrétaire général de l’ONU à organiser rapidement une conférence sous-régionale sur la paix et le développement en étroite collaboration avec la CEEAC et l’UA. 

M. Agbet a également demandé aux autorités centrafricaines de renoncer au projet de loi relatif au statut juridique des « agents étrangers », estimant qu’elle restreindrait le champ d’opération des ONG et fermerait l’espace civique alors que les élections locales se profilent.  De même, il a appelé les autorités à reconsidérer la notion de « centrafricain d’origine » comme critère pour être candidat à l’élection présidentielle et accéder aux hautes fonctions civiles et militaires, estimant que cet ajout dans la nouvelle Constitution de 2023 est « porteur des germes de conflits futurs ». 

Les droits humains toujours menacés au Burundi 

Pour sa part, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi a constaté que les raisons à l’origine de la mise en place de son mandat n’ont pas fondamentalement changé.  Le pays fait face à une crise économique sans précédent qui impacte la jouissance des droits, tandis que l’espace civique reste verrouillé, avec des représailles contre les professionnels des médias et les organisations de la société civile.  M. Fortuné Gaetan Zongo a ainsi rappelé que plusieurs membres du principal parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL), ou leurs proches sont emprisonnés et que les permanences de plusieurs formations d’opposition sont régulièrement vandalisées.  Dans le même temps, des cotisations forcées sont prélevées au profit du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) au pouvoir. 

De surcroît, l’État continue d’exercer un contrôle systématique sur le service national de renseignement et laisse la milice des Imbonerakure torturer et intimider la population.  Autre motif d’inquiétude pointé par M. Zongo: le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire, en raison duquel les cas de plaintes déposées à la suite de violations graves ont rarement débouché sur l’ouverture d’enquêtes impartiales, et encore plus rarement sur la poursuite et la condamnation des auteurs.  Dans ce contexte, les arrestations arbitraires se sont poursuivies, le plus souvent sous des motifs politiques, et les disparitions forcées ont permis de faire taire des voix dissidentes. 

Violations graves et généralisées des droits humains en Érythrée 

La situation des droits humains en Érythrée n’est pas plus reluisante, d’après le Rapporteur spécial traitant de ce dossier qui a fait état de « violations graves et généralisées », indiquant que des milliers d’Érythréens continuent de subir une détention arbitraire prolongée dans des conditions inhumaines et dégradantes, sans inculpation ni procès. 

Selon M. Mohamed Abdelsalem Babiker, beaucoup ne survivent pas à leur détention, à l’instar de l’ancien Ministre des finances, Berhane Abrehe, arrêté en 2018 après avoir publié un livre critique à l’égard du Président Isaias Afwerki.  Il serait décédé plus tôt cette année, après six années passées au secret.  Dans ce pays où les libertés fondamentales sont systématiquement réprimées, les autorités persistent aussi à appliquer un système de service militaire et national à durée indéterminée, souvent associé au travail forcé, à la torture et aux traitements inhumains ou dégradants, et aux violences sexuelles contre les femmes et les filles. 

De plus, a indiqué M. Babiker, le contrôle de l’espace civique et démocratique ne se limite pas aux frontières du pays.  Partout dans le monde, les autorités érythréennes tentent de contrôler la diaspora en étouffant l’engagement civique et en réduisant au silence les militants, les journalistes et les défenseurs des droits humains.  Sur le plan intérieur, il a fait état de violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire imputées aux Forces de défense érythréennes au Tigré, région du nord du pays en conflit avec le Gouvernement fédéral. 

Exhortant l’Érythrée à procéder à des réformes significatives dans le domaine des droits humains, le Rapporteur spécial a rappelé que, lors de son quatrième Examen périodique universel, en mai de cette année, le pays n’a accepté que 43% des recommandations reçues des États Membres. 

Au Soudan du Sud, la reprise du conflit fait craindre le pire 

En clôture de cette séance, M. Barney Afako, membre de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, a regretté que les dirigeants sud-soudanais aient replongé le plus jeune pays du monde dans la guerre.  Déplorant la reprise d’un conflit qui a déjà tué des centaines de milliers de personnes et forcé à fuir 2,3 millions de réfugiés et 2 millions de déplacés, il a rappelé que toutes les régions du pays ont connu des violences, souvent à dimension ethnique, et que plus de la moitié de la population a besoin d’aide humanitaire.  « En détournant des milliards de pétrodollars, les élites ont impunément réduit les Sud-Soudanais à une vie précaire et indigne », a-t-il martelé, accusant ces « dirigeants corrompus » d’alimenter la violence, notamment sexuelle, et de priver des millions de personnes de leurs droits fondamentaux à l’alimentation, à la santé et à l’éducation.   

En obtenant en septembre le report des élections, faute d’avoir effectué les préparatifs nécessaires, ces mêmes dirigeants sont en train de voler l’avenir du Soudan du Sud, a renchéri M. Afako.  Face à ces forfaitures, il a appelé l’Assemblée générale à exiger d’eux qu’ils prennent des mesures concrètes et correctives pour conclure la transition de manière crédible et pour protéger, respecter et réaliser les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des citoyens sud-soudanais. 

La Troisième Commission reprendra ses travaux, vendredi 1er novembre, à partir de 10 heures. 

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