En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-neuvième session,
34e et 35e séances plénières – matin et après-midi
AG/SHC/4421

La Troisième Commission s’inquiète de la « crise oubliée » au Myanmar et de la « torture systématique » pratiquée par les autorités russes

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

La Troisième Commission, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles a entendu sept experts des droits humains qui ont exposé des violations en Ukraine, en Fédération de Russie, au Bélarus, au Myanmar et en République populaire démocratique de Corée (RPDC).  Ces situations, notamment les crimes commis dans une relative indifférence au Myanmar et la pratique systématique de la torture par les autorités russes, qualifiées dans les deux cas de « crimes contre l’humanité », ont suscité l’inquiétude de certaines délégations.  D’autres ont rejeté la légitimité des mécanismes consacrés aux situations nationales spécifiques. 

Ce fut notamment le cas du Mouvement des pays non alignés qui, en ouverture de la séance, par la voix de l’Ouganda, a exprimé sa « vive préoccupation » face à la prolifération de la « pratique sélective » consistant à examiner des situations nationales en vue d’« exploiter les droits humains à des fin politiques » et de « satisfaire les objectifs politiques de certains États ». Il a estimé que l’Examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’homme était l’instrument idoine pour aborder les questions des droits humains au niveau national avec l’accord des pays concernés.  Cette position a été largement partagée, notamment, mais pas exclusivement, par les pays concernés par ces mécanismes. 

« Crise oubliée » au Myanmar

Alertant que la situation est plus que jamais désespérée et dangereuse dans l’État rakhine, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a indiqué que la junte incendie les villages et attise intentionnellement les tensions entre les populations rakhine et rohingya, notamment en enrôlant et déployant des milliers de Rohingya en première ligne des combats contre l’Armée arakanaise. 

Pendant ce temps, les groupes militants rohingya ont créé une poudrière de suspicion, d’animosité et de violence en s’alignant cyniquement sur la junte et en commettant des violations des droits humains contre la population ethnique rakhine.  L’Armée arakanaise a également été impliquée dans de graves violations des droits humains. 

Face à ce tableau, il a salué la disposition de plusieurs États Membres, y compris Singapour et la Thaïlande, à imposer des sanctions sur les réseaux de trafic d’armes et les banques publiques contrôlées par la junte, avec des résultats probants: au 31 mars 2024, les achats militaires de la junte via le système financier international ont chuté de 33% par rapport à l’année précédente. 

Cependant, ces actions ne sont pas assez nombreuses et restent peu coordonnées, a constaté M. Andrews qui a exhorté les États Membres à élaborer une approche stratégique coordonnée pour mettre fin au flux d’armes vers le Myanmar et traduire en justice les responsables d’atrocités criminelles. 

L’importance de mettre un terme à l’impunité a été soulignée par le Chef du Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar qui a fait état d’un nombre croissant d’attaques aériennes de l’armée.  « La fréquence et la brutalité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans le pays n’ont fait que se renforcer », s’est alarmé M. Nicholas Koumjian.

« Demander des comptes pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime de génocide commis au Myanmar aura des implications au-delà du Myanmar », a-t-il affirmé, sollicitant le soutien des États Membres pour permettre au Mécanisme de fournir les éléments nécessaires aux tribunaux, notamment la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de Justice (CIJ).  Le Myanmar a demandé aux États Membres de faire jouer leurs compétences universelles.

Préoccupée du risque de voir le Myanmar devenir une « crise oubliée », l’Envoyée spéciale du Secrétaire général pour le Myanmar a signalé pour sa part que l’état de droit a été si gravement mis à mal que la criminalité transnationale venue du pays prolifère. 

L’ampleur de la production et du commerce d’armes, de la traite des êtres humains, de la fabrication et du trafic de stupéfiants et des centres d’escroquerie a fait passer le Myanmar au premier rang mondial en termes de criminalité organisée, a affirmé Mme Julie Bishop qui a aussi dénoncé l’« augmentation spectaculaire » des pertes civiles provoquées par les frappes aériennes, les mines et les tirs d’artillerie. 

Invitant les acteurs du Myanmar à « dépasser la mentalité actuelle du jeu à somme nulle », Mme Bishop a affirmé que la violence devait cesser pour qu’une aide des institutions financières internationales puisse être apportée.  Elle a également souligné l’urgence d’ouvrir la voie à un retour à un régime civil, s’inquiétant de l’intention déclarée de l’armée d’organiser des élections dans un contexte d’intensification du conflit. 

Constatant l’absence d’accord sur la manière d’atteindre une paix inclusive et durable, Mme Bishop a appelé les États Membres à œuvrer à « trouver un terrain d’entente dans le chaos » afin d’y parvenir.  La Thaïlande et la Chine, voisines du Myanmar, ont appelé à la mise en œuvre du consensus en cinq points de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN).  Cette dernière a également soutenu toute mesure permettant de renforcer le développement du Myanmar.  De son côté, la Fédération de Russie a dit comprendre les mesures que les autorités du Myanmar doivent prendre pour « assurer la sécurité de l’État ».

La torture pratiquée par la Russie en Ukraine: un crime contre l’humanité

Les délégations ont également dialogué avec le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine selon qui les autorités russes auraient agi conformément à une « politique d’État coordonnée » et commis des actes de torture « constitutifs de crime contre l’humanité » .

Si la Commission d’enquête avait précédemment souligné le recours généralisé et systématique à la torture par les autorités russes, des enquêtes récentes ont permis d’établir que ces pratiques ont lieu dans toutes les régions d’Ukraine où elles ont pris le contrôle de territoires, ainsi que dans les centres de détention sur lesquels la Commission a enquêté en Fédération de Russie, a indiqué M. Erik Møse. 

Parmi les éléments supplémentaires identifiés par la Commission d’enquête, il a cité le recours à des pratiques violentes à l’encontre des détenus et le recours récurrent à la violence sexuelle comme forme de torture.  En outre, la Commission a constaté que le personnel déployé par les autorités russes dans les centres de détention agit de manière coordonnée et selon une division du travail dans la perpétration de la torture. 

La torture outil de contrôle légitime aux mains de l’État russe 

Constatant pour sa part que la pratique de la torture s’était « généralisée » en Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans la Fédération de Russie a affirmé qu’elle était devenue une manière de réprimer les droits civils et politiques et de « museler les Russes par la peur ».  Mme Mariana Katzarova a rappelé qu’en Russie il n’y avait pas de loi pénale contre la torture, considérée comme un simple abus de pouvoir, ce qui revient à légitimer cette culture de la violence. 

Selon elle, l’impunité a laissé son empreinte sur la société russe, qui a fini par considérer cette violence comme un outil de contrôle légitime aux mains de l’État.  D’après une enquête récente, 47% des Russes estiment que la torture devrait être utilisée sur des suspects de crimes violents et seulement 35% d’entre eux s’opposent à son usage, a indiqué Mme Katzarova. L’État se déchaîne non seulement sur les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes, a-t-elle expliqué, mais aussi sur, les prisonniers de guerre ukrainiens, les minorités ethniques, les migrants et les personnes LGBTIQ+, forcées de subir des traitements de conversion, enrôlées de force dans l’armée et envoyées au front de guerre. 

Bélarus: une situation des droits humains « pire que jamais »

Constatant que, depuis sa nomination en 2018 la situation s’était « considérablement détériorée » au Bélarus, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains dans ce pays a rappelé la cruauté systématique déployée face aux manifestations pacifiques, la quasi-éradication de la société civile et l’utilisation des lois sur la sécurité pour réduire au silence toute dissidence, avec à la clef l’exil forcé de centaines de milliers de Bélarussiens.  Mme Anaïs Marin a affirmé que le Bélarus avait gagné sa « réputation de pays portant gravement atteinte aux droits humains », rappelant qu’un État avait récemment porté l’allégation de crimes contre l’humanité au Bélarus devant la Cour pénale internationale (CPI).

Terminant son mandat, la Rapporteuse spéciale a présenté un rapport qui examine comment le pays, en contestant la légitimité des deux mandats le concernant, en dénonçant les traités internationaux qu’il trouvait gênants et en ignorant les recommandations de plusieurs organisations, a accru son isolement. 

Dénonçant l’« hypocrisie » d’autorités prétendant collaborer avec les mécanismes des droits de l’homme, alors qu’elles ne le font pas, elle leur a reproché de ne pas suivre les recommandations formulées par les organismes internationaux compétents, à commencer par l’Examen périodique universel (EPU).  De fait, la situation des droits humains au Bélarus est aujourd’hui « pire que jamais » et mérite un examen attentif, a-t-elle souligné. 

Plus précisément, Mme Marin a appelé le Bélarus à comprendre que chacun des 1 300 prisonniers politiques qu’il retenait devait sortir vivant de détention et invité les États à tout faire pour parvenir à cet objectif.  Plusieurs délégations dont les États-Unis, la République tchèque et la Suisse ont également appelé à leur libération.  De leur côté, l’Ukraine, l’Union européenne et la Lituanie, au nom des États nordiques et baltes, ont estimé le Bélarus complice de l’agression russe contre l’Ukraine.

« L’isolement sans précédent » de la RPDC

L’isolement sans précédent de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a encore aggravé la situation désastreuse des droits de l’homme dans le pays, a affirmé la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en RPDC, ajoutant que depuis la fermeture des frontières mis en place durant la pandémie de COVID-19, le Gouvernement continuait de renforcer son contrôle sur la population qui vit en « isolement total ».

Mme Elizabeth Salmón a mis l’accent sur le droit à la réparation de milliers de personnes vivant hors de la RPDC victimes de disparitions forcées et de torture lors de rapatriements forcés, encourageant les États où résident ces victimes à respecter ce droit, notamment grâce à des soins médicaux et psychologiques et des services juridiques et sociaux.  De même, elle a encouragé les États Membres à abonder le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, qui permet d’accompagner la réadaptation des victimes de la RPDC. 

Lors du dialogue interactif, la Chine a indiqué que les Coréens ayant quitté la RPDC sans respecter les procédures d’entrée sur son territoire qui n’étaient pas des réfugiés étaient traités selon le droit chinois et avec humanité.  Dénonçant les « crimes contre l’humanité » persistants en RPDC, l’Australie, rejointe par la République de Corée, a appelé les pays concernés à respecter le principe de non-refoulement de ses ressortissants. 

À l’instar du Japon et des États-Unis, la République de Corée a également affirmé que l’extrême militarisation du régime n’aurait pas été possible sans des violations massives des droits humains, incluant le recours au travail forcé.  Elle a condamné les « crimes d’esclavage » commis en RPDC, et demandé à la Rapporteuse spéciale de s’y intéresser dans ses prochains rapports.

La Fédération de Russie a fustigé pour sa part un rapport « si mensonger » qu’on avait « l’impression de lire un thriller sur la RPDC ».  Elle a appelé à ne pas s’appuyer sur des informations proposées par des ONG occidentales qui, a-t-elle affirmé, ne s’intéressent pas aux droits humains. A contrario, le Pérou a défendu l’excellent travail de la Rapporteuse, tandis que l’Union européenne soulignait la validité de son mandat. 

La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, mercredi 30 octobre, à partir de 10 heures. 

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