Troisième Commission: inquiétudes face à la domination de l’économie sur le monde et aux morts illicites de personnes LGBTQI+
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Poursuivant son examen de la promotion et la protection des droits humains, la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles s’est penchée aujourd’hui sur l’indépendance des juges et des avocats; les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires; et la protection des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Elle a aussi discuté de l’impact des mesures coercitives unilatérales et de la dette sur la jouissance des droits humains, et de la promotion d’un ordre international juste et équitable.
« La justice n’est pas à vendre »
Son titre, comme un slogan, est sans équivoque et se veut, à dessein, être un signal d’alarme: « La justice n’est pas à vendre » met en garde le rapport de la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats qui y examine les efforts déployés par des acteurs économiques puissants pour exercer une influence sur les systèmes judiciaires. Les processus adoptés par les États pour la sélection et la nomination des juges comportent en effet des points d’accès par lesquels ces acteurs économiques peuvent tenter d’exercer une influence indue, a signalé Mme Margaret Satterthwaite.
Ces acteurs peuvent notamment obtenir secrètement leur adhésion aux organismes de nomination ou de désignation des juges, ou tenter d’influencer les décisions des membres des comités de sélection. Dans les États qui ont recours à des élections directes pour sélectionner les juges, les acteurs économiques peuvent façonner les tribunaux en finançant clandestinement des campagnes de candidatures à la magistrature. De nombreux juges élus indiquent eux-mêmes que les contributions de campagne ont un impact sur leurs décisions, a-t-elle fait savoir.
Les juges en exercice peuvent également être ciblés par des acteurs économiques cherchant à exercer une influence sur leur prise de décisions, en leur offrant, par exemple, des opportunités génératrices de revenu, telles que des conférences ou des nominations en tant qu’experts. Ils peuvent aussi financer des séminaires de formation judiciaire afin de rendre les juges plus réceptifs à des interprétations juridiques particulières favorables aux entreprises. Ces activités, a mis en garde la Rapporteuse spéciale, peuvent déformer des processus conçus pour fonctionner de manière équitable et transparente afin de garantir l’indépendance judiciaire et l’égalité devant la loi.
Pour protéger les juges en exercice, elle a appelé les États à établir des normes claires concernant les types de cadeaux, services, gains financiers ou travaux rémunérés qui sont interdits ou qui doivent être divulgués; à publier les déclarations financières des juges; et à veiller à ce que les juges bénéficient de salaires et d’avantages compétitifs.
Elle a également attiré l’attention sur les poursuites stratégiques contre la mobilisation du public, une illustration frappante, selon elle, de l’instrumentalisation des systèmes judiciaires pour servir des intérêts privés au détriment d’objectifs légitimes en matière de droits humains.
Une tragédie « mondiale, inacceptable et scandaleuse »
De son côté, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a lancé un « appel urgent » pour mettre fin à ce qu’il a qualifié de « tragédie mondiale, inacceptable et scandaleuse »: la mort illicite de milliers de personnes dans le monde en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. « Il n’existe aucune excuse acceptable pour justifier le meurtre dû aux préjugés, à la discrimination et à la haine », a-t-il souligné.
M. Morris Tidball-Binz a appelé a mettre en œuvre de toute urgence des mesures pour « une enquête, un suivi et une prévention efficaces de ces crimes » afin de mettre fin et prévenir toutes les morts arbitraires de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Il faut également faire une meilleure collecte de données ventilées car sans statistiques fiables, il est difficile de mettre en place des politiques publiques permettant de protéger les droits de ces personnes.
Il a cité en exemple Cuba qui a inscrit, lors de la réforme de sa constitution en 2019, des dispositions protégeant les droits des personnes LGBTIQ+, ainsi que les bonnes pratiques des pays qui ont créé des services spéciaux dédiés aux délits contre les personnes LGBTIQ+, notamment le Royaume-Uni, la Suède, le Brésil et l’Afrique du Sud.
« En 1957, tous les pays du monde criminalisaient les rapports homosexuels, alors qu’aujourd’hui les deux tiers les ont dépénalisés, ce qui prouve qu’il est possible de changer les choses », a-t-il souligné.
À la suite de cet exposé, le Canada a demandé des informations sur le lien entre les thérapies de conversion et les exécutions de personnes LGBTQI+. Plusieurs délégations, à l’instar de la Fédération de Russie, ont par ailleurs reproché au Rapporteur spécial d’employer dans son rapport une terminologie « néolibérale non consensuelle », et, comme l’a affirmé l’Iran, de n’avoir pas pris en compte les différentes sensibilités culturelles et religieuses.
Les organisations régionales appelées à assurer la protection des droits humains dans la lutte contre le terrorisme
« Les guerres contre le terrorisme et leurs conséquences humanitaires catastrophiques reviennent en force, avec des “deux poids, deux mesures” qui érodent la confiance mondiale dans le droit international et encouragent le recours à la violence pour régler les différends », a signalé à son tour le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, M. Ben Saul.
À cela s’ajoute que des lois trop générales sur le terrorisme continuent d’être utilisées pour intimider et emprisonner arbitrairement des militants politiques et la société civile, souvent combinées à des aveux forcés, des procès inéquitables et une justice complaisante.
C’est pourquoi, dans son rapport consacré à la protection des droits humains par les organisations régionales dans la lutte contre le terrorisme, M. Ben Saul exhorte toutes les organisations régionales dont les définitions et les infractions de terrorisme et d’extrémisme violent sont vagues et trop larges à les réviser et à les modifier. « De telles lois violent le principe de sécurité juridique et permettent des violations en cascade des droits fondamentaux, en particulier dans les régions où prévaut une gouvernance autoritaire », a-t-il plaidé.
Les cadres de coopération régionale devraient davantage renforcer les garanties des droits humains, notamment le non-refoulement, le statut de réfugié, la protection des données personnelles et le droit à la vie privée. Il appelle également les organisations régionales à améliorer systématiquement leurs mécanismes de contrôle et de responsabilisation, y compris les recours en cas de violations.
Il leur demande également de faire davantage pour aider et protéger les victimes du terrorisme. « Le pendule doit revenir vers l’humanité. Les mesures antiterroristes ne doivent jamais entraver les secours vitaux destinés aux civils extrêmement vulnérables », a-t-il ajouté.
Au cours du dialogue qui a suivi, la Fédération de Russie a estimé que l’accent mis sur les droits humains dans le contexte de la lutte contre le terrorisme est excessif et réduit l’efficacité de la coopération internationale et des mesures prises par les États pour contrer la menace terroriste.
Assurer l’accès à la justice face aux mesures coercitives unilatérales
Les délégations ont ensuite dialogué avec la Rapporteuse spéciale sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme dont le rapport est consacré à l’accès à la justice face à ces mesures.
Mme Alena Douhan a expliqué que dans ce contexte, l’accès à des recours significatifs et à la justice sont extrêmement limités, car les États qui appliquent des sanctions unilatérales nient leur caractère punitif apparent, empêchant de facto l’accès à la justice. Or, l’accès à la justice et le droit de recours qui en découle pour les violations des droits humains, face aux sanctions unilatérales, font partie intégrante de la protection des droits humains, a-t-elle souligné.
En outre, la présomption de légalité des sanctions unilatérales, ainsi que la présomption réfutable de culpabilité des entités et des individus soumis à des sanctions sont contraires au droit international, notamment à la présomption d’innocence. « Les États ne doivent pas faire peser la charge de la preuve de la légalité de leur activité sur les individus ou des entités faisant l’objet de sanctions », a-t-elle souligné, appelant en outre à ne pas conditionner l’accès aux organes de traités des Nations Unies dans les cas de sanctions à l’épuisement des voies de recours nationales.
Au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, le Venezuela, appuyé par l’écrasante majorité des délégations qui sont intervenues après cet exposé, a dénoncé les sanctions unilatérales qui affectent 30 pays et les droits humains d’un tiers de l’humanité, condamnant leur aspect extraterritorial et le risque représenté par la surconformité. Les mesures coercitives unilatérales contribuent à une « fracturation géopolitique croissante », s’est inquiétée l’Érythrée.
L’Union européenne a expliqué de son côté que les sanctions qu’elle applique sont conformes au droit international, temporaires et ne touchent pas l’alimentation, les médicaments, ou l’aide humanitaire. Elle a reconnu que les voies de recours étaient importantes et précisé que les personnes concernées pouvaient s’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne.
Un appel en faveur d’une « économie des droits humains »
Le système financier actuel a également préoccupé l’Experte indépendante sur la dette extérieure et les droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels qui a plaidé pour une « économie des droits humains » qui place les personnes et la planète au cœur des politiques économiques, des décisions d’investissement, des choix des consommateurs et des modèles économiques.
S’alarmant de l’état d’un monde où divers facteurs -emprunts insoutenables, dettes illégitimes et réformes du régime fiscal conditionnelles et dommageables- sapent les fondements du contrat social fiscal et la légitimité budgétaire entre les gouvernements et leurs citoyens, Mme Attiya Waris a proposé une réforme de l’architecture financière mondiale caractérisée par la mise en place d’une autorité fiscale mondiale, d’un système fiscal plus progressif et la création d’une autorité régionale indépendante de la dette.
Elle a également appelé à l’arrêt de tout soutien financier aux activités qui exacerbent la crise climatique et la réorientation des fonds pour soutenir les engagements climatiques.
Si les pays du monde entier, en particulier les économies en développement, sont confrontés à des difficultés pour adhérer au contrat social budgétaire et à la légitimité fiscale, cela est dû à un système financier international défaillant qui répercute ses défauts au niveau des pays, a affirmé l’Experte indépendante.
L’Experte a par ailleurs relevé que la dette ne se limite pas uniquement à la dette extérieure d’un pays mais concerne aussi la dette privée, laquelle n’est pas encadrée. Dans ce contexte, « le véritable problème est le marché »: même si vous payez votre dette, les agences de crédit peuvent considérer que c’est une mauvaise décision financière et augmenter votre taux de crédit, ce qui vous empêchera d’emprunter , s’est-elle inquiétée avant de recommander l’élaboration d’une convention fiscale qui inclurait les produits numériques, les flux financiers illicites et la fiscalité des super-riches.
À la suite de cet exposé, Cuba a souligné que la dette extérieure est l’obstacle essentiel au développement des pays du Sud. Ce devrait être aux États-Unis et à l’Union européenne, en tant que principaux créanciers, d’alléger ce fardeau et de favoriser le retour des fonds dans leurs pays d’origine, a estimé la Chine.
Valeurs marchandes et valeurs démocratiques
« Au lieu de l’émergence d’une communauté cosmopolite, nous assistons plutôt à une domination mondiale de l’économie sur la politique et des valeurs marchandes sur les valeurs démocratiques », a constaté l’Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable.
Face à ces tendances, M. George Katrougalos a proposé une relance du dialogue Nord-Sud sur la démocratie et les droits humains, l’intégration de l’application des droits humains dans le système des Nations Unies, et l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la promotion de la démocratie mondiale. Il faut également appuyer la participation des sociétés multinationales à la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, et la protection des instances judiciaires internationales et nationales face aux pratiques autoritaires et antilibérales, a-t-il ajouté.
Pour l’Expert, l’enjeu principal, tant pour un ordre international démocratique que pour la sauvegarde du caractère démocratique des démocraties nationales, est de fixer des limites au pouvoir économique asymétrique international et transnational.
La Troisième Commission se réunira à nouveau demain, mardi 29 octobre, à partir de 10 heures.
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