Troisième Commission: inquiétude face à la propagation de la torture, notamment sexuelle, et forte poussée en faveur du droit au développement
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Poursuivant son examen marathon des droits humains, la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles s’est penchée aujourd’hui sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, violations tristement d’actualité compte tenu du grand nombre de conflits armés. Elle a ensuite abordé la question toujours clivante du droit au développement, alors que l’Assemblée générale doit prochainement se prononcer sur un projet d’instrument juridiquement contraignant.
Violence sexuelle – un acte de torture
À l’entame de la présentation de son rapport consacré cette année à la torture sexuelle, la Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a averti l’assistance que son contenu risquait de susciter « une détresse émotionnelle ou des réactions traumatiques ». Indiquant avoir reçu, au cours de l’année écoulée, des rapports faisant état de tortures sexuelles dans près de 30 conflits armés, Mme Alice Jill Edwards a notamment rapporté le témoignage d’une mère de famille violée par des soldats sous les yeux de ses enfants en bas âge.
« Lorsque des soldats commettent des agressions sexuelles et infligent à des civils ou à des prisonniers de guerre des souffrances aiguës, physiques et mentales, à des fins d’interrogatoire, de punition, d’intimidation ou de discrimination, il s’agit de torture », a-t-elle précisé, évoquant des cas fréquents d’atteintes graves aux organes reproductifs, « parfois visés par des tirs, mutilés ou électrocutés, entraînant la stérilité », ou de personnes forcées d’assister à l’agression sexuelle de membres de leur famille ou d’autres détenus.
Dans un monde où le nombre des conflits armés atteint le total « colossal » de 120 et où la torture se propage dramatiquement, « il est temps de repenser fondamentalement la manière dont nous traitons les violences sexuelles liées aux conflits », a plaidé la Rapporteuse spéciale, selon laquelle le cadre juridique relatif à la torture offre des avantages substantiels par rapport à celui régissant les violences sexuelles, en particulier pour les victimes et les survivants, mais aussi pour les enquêteurs et les procureurs. En effet, a-t-elle expliqué, « il n’y a pas de prescription pour les poursuites ou la réhabilitation des survivants de la torture, alors que des limites de temps peuvent s’appliquer si ces crimes sont poursuivis en tant qu’infractions sexuelles en vertu du droit national ».
Outre la douleur et la peur que subissent les victimes de torture sexuelle, Mme Edwards a évoqué la stigmatisation de ces dernières, qui limite leur capacité à lancer des poursuites. Elle a estimé que qualifier la violence sexuelle de torture permet d’éliminer cet obstacle car « il n’y aucune honte à être victime de torture ». Cette approche permet non seulement de déplacer le discours des victimes vers les auteurs mais aussi de mieux défendre les intérêts des survivants, a—t-elle ajouté, non sans rappeler que la torture sexuelle peut toucher n’importe qui: femmes et filles, hommes et garçons, personnes LGBTQI+, civils et soldats.
Dans ce contexte, le Président du Comité contre la torture a présenté son rapport annuel en déplorant de nombreux retards dans la soumission des rapports des 174 États parties à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui marque cette année ses 40 ans. M. Claude Heller a toutefois reconnu qu’en raison de l’impact de la pandémie de COVID-19, les rapports initiaux et périodiques de 51 États parties sont en attente d’examen, les ressources limitées du Comité entravant sa capacité à gérer cette charge de travail accrue.
De son côté, la Présidente du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a fait état de 8 visites officielles en 2023 et 6 jusqu’à présent en 2024, auxquelles s’ajouteront des déplacements en République démocratique du Congo et en Bolivie d’ici à la fin de l’année. Parmi les problèmes récurrents identifiés lors de ces missions, Mme Suzanne Jabbour a cité la mise en œuvre de garanties juridiques fondamentales, la création de mécanismes nationaux de prévention indépendants et les mesures visant à réduire la surpopulation carcérale. Elle a par ailleurs assuré que la récente publication de la première observation générale du Sous-Comité sur l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention permettra de garantir un accès complet des organes de surveillance aux lieux de privation de liberté.
Au cours du dialogue interactif qui a suivi ces présentations, l’Ukraine a dénoncé le recours systématique à la torture par la Fédération de Russie, notamment à l’encontre des prisonniers de guerre, appelant à tenir ce pays responsable de ses graves violations des droits humains. La délégation russe a, elle, reproché aux mécanismes de prévention de « fermer les yeux » sur les tortures infligées par les « criminels ukrainiens » à ses soldats et aux citoyens exprimant des vues pro-russes. La Chine, la République arabe syrienne et la République populaire démocratique de Corée ont également réfuté les « fausses allégations » les concernant contenues dans le rapport de Mme Edwards, tandis que le Bélarus accusait le Comité d’avoir sciemment ignoré les commentaires apportés par Minsk dans ses observations finales.
Le droit au développement
La Commission est ensuite passée à l’examen de la délicate question du droit au développement, entendant le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur ce droit rappeler qu’il appartient maintenant à l’Assemblée générale de « tracer la voie à suivre vers l’adoption rapide d’un instrument juridiquement contraignant », comme demandé par le Conseil des droits de l’homme. Réitérant son appel à « une action déterminée pour élever le droit au développement au rang d’un pacte contraignant, au même titre que les autres instruments relatifs aux droits humains », M. Zamir Akram a averti que tout retard risquerait de faire dérailler et de diluer le processus, lequel a nécessité « des décennies d’efforts ».
Pour sa part, le Président du Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement a présenté un rapport décrivant la promotion du droit au développement comme une responsabilité partagée de tous les États, lesquels sont tenus de s’acquitter de leur devoir individuel et collectif de coopérer. M. Mihir Kanade a dit s’être efforcé de clarifier les différents éléments normatifs du droit au développement en s’appuyant sur le droit international afin de « contribuer à construire un terrain d’entente ». Mettant l’accent sur l’urgence d’une action collective pour faire face à la crise climatique, il a souligné qu’il est de la responsabilité première des pays forts émetteurs historiques de gaz à effet de serre de respecter leurs engagements et de veiller à ce que le financement climatique et la coopération au développement soient complémentaires.
Dans la même veine, le Rapporteur spécial sur le droit au développement, venu présenter un rapport intitulé « Justice climatique: pertes et dommages », a insisté sur la nécessité de permettre à toutes les personnes et communautés, en particulier les pays les moins avancés (PMA) et les petits États insulaires en développement (PEID), de demander « réparation intégrale » pour les pertes et dommages passés, présents et futurs. Constatant que 1% des humains les plus riches produisent autant d’émissions carbone que les deux tiers les plus pauvres de l’humanité, M. Surya Deva a appelé à réformer l’architecture financière internationale, qui « discrimine systémiquement » les pays en développement. À cette aune, il a demandé aux États de dégager un large consensus autour du projet de pacte sur le droit au développement et de l’adopter « au plus vite ».
Le dialogue interactif avec les États Membres a vu l’immense majorité des délégations défendre le projet de pacte. Rappelant que cette ébauche de traité est désormais entre les mains de l’Assemblée générale, la Chine a souhaité que les États Membres poursuivent leurs discussions pour trouver un terrain d’entente. L’adoption de cet instrument juridiquement contraignant lors de la session actuelle de l’Assemblée générale serait « la bienvenue », a affirmé le Pakistan, soutenu par le Bangladesh, le Venezuela ou encore Cuba, pour qui, près de 40 ans après l’adoption de la Déclaration sur le droit au développement, ce droit humain ne peut être écarté ou nié « comme le sont les pays en développement après des siècles d’esclavage, de colonisation et d’exploitation ». Un avis partagé par l’Ouganda, qui, au nom du Mouvement des pays non alignés, a proposé d’organiser une réunion de haut niveau en marge du débat général de la quatre-vingtième session de l’Assemblée générale pour célébrer les 40 ans de la Déclaration.
Pointant les disparités croissantes entre pays riches et en développement, l’Afrique du Sud, qui s’exprimait au nom du Groupe des États d’Afrique, a estimé que la réalisation du droit au développement contraindrait les premiers à soutenir les seconds, « non par charité, mais parce que c’est leur responsabilité ». Soutenir le développement des pays en développement est une obligation morale pour les conséquences du colonialisme, a renchéri la Fédération de Russie. « Au lieu d’envoyer des armes au régime de Kiev, il serait peut-être préférable d’investir ces ressources dans le droit au développement », a-t-elle ajouté.
Seule délégation occidentale à participer à cette discussion, l’Union européenne s’est contentée de réaffirmer que la promotion de l’exercice de tous les droits humains, « y compris le droit au développement », est une condition préalable à la réalisation d’un développement inclusif et durable. Elle a toutefois rappelé qu’elle défend une approche du développement fondée sur les droits humains et qu’à ce titre, elle et ses États membres sont les leaders mondiaux du financement climatique et de l’aide à l’adaptation pour les pays en développement.
La Troisième Commission reprendra ses travaux lundi 28 octobre, à partir de 10 heures.
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