En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-neuvième session,
28e et 29e séances plénières – matin et après-midi
AG/SHC/4418

Troisième Commission: le déploiement de l’intelligence artificielle dans l’éducation fait craindre un accroissement « abyssal » de la fracture numérique

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La Troisième Commission, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles a entendu aujourd’hui cinq rapporteurs spéciaux et une experte indépendante sur des sujets divers allant du droit à l’éducation à celui à la santé en passant par la liberté religieuse, les droits culturels et l’extrême pauvreté.  Les développements en matière d’intelligence artificielle (IA) ont tout particulièrement attiré l’attention. 

« L’intrusion de l’IA dans la pédagogie scolaire et les processus administratifs, et son intégration dans toutes les routines scolaires constituent une menace directe et significative pour l’autonomie des enseignants, la liberté académique et la gouvernance démocratique des écoles », a notamment averti la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation. 

Utilisée à bon escient, l’IA peut être un outil offert aux pays et régions souffrant d’une pénurie d’enseignants et affrontant des défis systémiques pour réaliser une éducation inclusive, équitable et de qualité pour tous.  Cependant, l’IA ne peut, ni ne doit remplacer les enseignants ou compromettre les compétences sociales que l’éducation apporte.

Risque d’une commercialisation de l’éducation par les entreprises technologiques

Alertant sur un risque de « privatisation de l’éducation » par le biais de services d’IA aux mains d’entreprises technologiques favorisant une « commercialisation de l’éducation », la Rapporteuse spéciale a rappelé qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, l’éducation devrait rester « un bien commun public et librement accessible à tous ».  L’Union européenne s’est inquiétée de la diffusion croissante de contenus éducatifs par des fournisseurs de services d’IA sans supervision des autorités éducatives. « Les entreprises du secteur technologique poussent pour que leurs outils soient utilisés dans l’éducation sans contrôle », a averti Mme Farida Shaheed, appelant les États à jouer leur rôle de régulateurs. 

« Il existe un risque réel que l’IA exacerbe les fractures numériques car plus d’un tiers de la population mondiale n’est pas connectée », a informé la Rapporteuse spéciale.  Une inquiétude largement partagée par des délégations, notamment le Yémen, l’Égypte, l’Érythrée, l’Afrique du Sud, le Cameroun, et le Maroc, qui a été jusqu’à évoquer le risque d’une fracture numérique potentiellement « abyssale » si des mesures urgentes n’étaient pas prises. Insistant sur l’importance de la collaboration Nord-Sud, l’Irlande a appelé à s’assurer que les plus vulnérables participent pleinement à la gouvernance mondiale en matière d’IA.

« La solidarité internationale en matière d’IA s’impose de toute urgence », a renchéri l’Experte indépendante sur la solidarité internationale, regrettant que le texte final du Pacte numérique mondial ait supprimé toute mention de cette nécessité.

Mme Cecilia Bailliet a donc appelé les États, les entreprises et la société civile à promouvoir un modèle mondial de gouvernance solidaire et multipartite de l’intelligence artificielle afin de promouvoir la pleine inclusion des groupes et des individus vulnérables dans le traitement des données et la prise de décisions dans le cycle de vie de l’IA.

L’Experte indépendante a également indiqué que l’expansion de la surveillance recourant à l’IA affecte particulièrement les pauvres, dans la mesure où les institutions étatiques utilisent l’IA pour identifier les abus de prestations sociales, contrôler les quartiers marginalisés et suivre la migration irrégulière.  En outre, la majorité des principes déontologiques liés à l’IA sont rédigés dans les pays du Nord et ne tiennent pas compte des préoccupations des pays du Sud qui fournissent les minerais dont dépend cette technologie.  Cette concentration du pouvoir entre les mains des développeurs de l’IA accroît le risque d’un renforcement des mesures allant à l’encontre de la solidarité, a-t-elle averti.  Plaidant pour un modèle mondial de gouvernance multipartite de l’IA, elle a appelé à y inclure les groupes et les individus vulnérables, notamment les pauvres, qui sont les premières victimes de la surveillance liée à cette technologie. 

« Économie de l’épuisement »

Dénonçant « une pandémie de santé mentale » provoquée par une « économie de l’épuisement professionnel », le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a dénoncé un système qui fabrique une anxiété liée au statut en tolérant des niveaux élevés d’inégalités, en précarisant le travail et en provoquant l’insécurité économique.  Les scientifiques estiment que la moitié de la population mondiale développera un trouble de santé mentale au cours de sa vie, a expliqué M. Olivier de Schutter, ajoutant que les personnes à faible revenu avaient jusqu’à trois fois plus de risques de souffrir de maladies mentales courantes que les autres. 

La cause principale de cette situation est l’accroissement des inégalités, a estimé le Rapporteur spécial, dénonçant 40 années de privatisation des services publics, d’octroi d’allégements fiscaux aux entreprises et aux riches, d’affaiblissement des syndicats et des droits des travailleurs et de mise en œuvre de mesures d’austérité – tout cela au nom de la croissance économique.  Mais pendant que le PIB augmente, la situation des plus vulnérables s’aggrave, a-t-il résumé. 

M. de Schutter a appelé à consacrer plus de ressources à la santé mentale, rappelant qu’en moyenne, les États consacrent seulement 2,1% de leurs dépenses de santé à ce secteur. Pour ce faire, il a appelé à alléger le fardeau de la dette, rappelant qu’en 2023, un record de 54 pays en développement avaient consacré 10% ou plus de leurs recettes publiques au service de la dette, et 3,3 milliards de personnes vivaient dans des pays qui dépensent plus en intérêts qu’en éducation ou en santé.  Il a donc estimé crucial de progresser dans la réforme de l’architecture financière internationale afin d’affronter le défi de la santé mentale. 

Manipulation politique de la diversité culturelle et religieuse

Déplorant que la conflictualité ait augmenté de 40% depuis 2020, portant à une sur 6 le nombre de personnes sur Terre vivant dans une zone de conflit, la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction a indiqué avoir dédié son rapport au droit à la paix, le définissant non seulement comme l’absence de guerre, mais aussi comme « paix positive », un concept plus large incluant l’absence de violence indirecte ou structurelle. 

Évoquant la relation entre la paix et la religion, Mme Nazila Ghanea a noté qu’elle était reconnue comme « ambivalente », inspirante pour la résolution des conflits mais aussi plus meurtrière quand elle justifie le recours à la violence.  Elle a aussi expliqué que si le déni de droits ne causait pas la violence, il favorisait les clivages religieux eux-mêmes porteurs de violences.  Ces clivages ne sont en aucun cas le produit naturel de la diversité religieuse ou culturelle mais résulteraient de la « manipulation politique de la diversité ».

C’est là où la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction est respectée que les mouvements alternatifs et les discours en faveur de la paix ont plus de chances d’émerger et que le public est moins susceptible de se laisser entraîner dans l’instrumentalisation politique de la division, de la haine et de l’altérité sur la base de la religion ou des convictions, a-t-elle estimé.

Décriminaliser pour réduire les risques sanitaires

Présentant son rapport sur la « réduction des risques pour une paix et un développement durables », la Rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible a exploré un modèle applicable à la consommation de drogues, au VIH, à l’avortement, aux relations homosexuelles et au travail du sexe, en mettant en lumière les populations stigmatisées, criminalisées et victimes de discriminations les privant de leurs droits humains. 

Mme Tlaleng Mofokeng a relevé que les violations du droit à la santé découlent non seulement des comportements et des substances, mais aussi de la manière dont les États et les entreprises les traitent.  Elle a par exemple noté que la criminalisation des usagers de drogue les empêchait de rechercher les soins requis, tout comme avec celle qui touche des personnes porteuses du VIH, les travailleurs du sexe ou les personnes homosexuelles.  Elle a appelé à la décriminalisation comme approche évidente de réduction des risques. 

Le droit de participer à des activités sportives

De son côté, la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels a regretté que le droit de participer à des activités sportives ne soit pas reconnu comme tel par les États.  Mme Alexandra Xanthaki a estimé qu’ils ne pouvaient contourner leurs obligations face à ce droit en les reportant sur les associations sportives, lesquelles ne peuvent continuer à bloquer le contrôle externe au nom de « l’autonomie du sport ». 

Si le droit de participer à des sports peut nécessiter des limitations, celles-ci doivent être fondées sur la loi, poursuivre un objectif légitime et être strictement nécessaires, a fait valoir Mme Xanthaki.  Prenant des exemples, elle a questionné l’interdiction des athlètes transgenres par de nombreuses fédérations nationales, l’exclusion des athlètes portant le hijab en France et la répression des femmes qui font du vélo ou assistent à des événements sportifs masculins en Iran.  Il est temps d’arrêter de détourner les yeux des violations persistantes dans le sport et d’y remédier à tous les niveaux et avec tous les acteurs, a-t-elle conclu.

En fin de séance, s’exprimant au nom d’un groupe de 123 pays, Cuba a dénoncé la liste des États censés parrainer le terrorisme, qui va à l’encontre des principes de base du droit international, notamment du principe de solidarité internationale.  La délégation a exigé le retrait de Cuba de cette liste, dont le processus d’établissement n’est ni clair ni transparent et qui a des incidences sur les droits humains à l’alimentation, à la santé, à la vie et au développement.  Au lieu d’imposer des mesures coercitives unilatérales, nous devons promouvoir la solidarité et la coopération internationales, a-t-elle plaidé. 

La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, vendredi 25 octobre, à partir de 10 heures. 

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