L’Assemblée générale examine le rapport de la Cour pénale internationale, vue comme « un atout fort contre l’impunité » malgré les réserves de certains États
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L’Assemblée générale s’est penchée aujourd’hui sur le rapport annuel de la Cour pénale internationale (CPI) que présentait sa Présidente, Mme Tomoko Akane, du Japon. Les délégations ont déploré les attaques ciblant la CPI, celle-ci étant, selon les Pays-Bas, « notre atout le plus fort contre l’impunité ». La délégation néerlandaise a présenté un projet de résolution qui sera examiné demain par l’Assemblée et en vertu duquel elle entérinerait le rapport et soulignerait notamment que la Cour, ses responsables et son personnel doivent pouvoir s’acquitter de leur mandat et de leurs obligations professionnelles « sans subir d’intimidations ».
Dans un discours lu en son nom, le Président de l’Assemblée générale, M. Philémon Yang, a rappelé que la CPI joue un rôle essentiel dans la promotion de l’objectif 16 de développement durable pour des sociétés pacifiques et inclusives, en garantissant l’accès à la justice pour tous et en mettant en place des institutions efficaces et responsables.
« Nous ne pouvons pas abandonner. Nous n’abandonnerons pas », a assuré la juge Akane qui a promis de garder le cap, malgré l’adversité et les vents contraires qui font tanguer le navire de la justice pénale internationale. La Présidente de la CPI a ainsi déploré des niveaux de menaces, de pressions et de mesures coercitives « sans précédent » contre la Cour, qui a entrepris des efforts internes pour renforcer sa sécurité. Mme Akane a remercié le pays hôte, les Pays-Bas, pour son soutien, y compris en réponse à la cyberattaque qui a fortement impacté la Cour en septembre dernier, mais aussi pour assurer la sécurité physique de la Cour.
L’Union européenne a condamné toute attaque ou menace contre la CPI, son procureur, ses juges et son personnel, estimant qu’il s’agit tout simplement de tentatives « inacceptables » d’influencer leurs actions ainsi que les enquêtes indépendantes et objectives et les procédures judiciaires impartiales de la Cour. Les États-Unis ont aussi marqué leur opposition à toute menace, harcèlement ou attaque dirigé contre la Cour et ses fonctionnaires. Même si les États-Unis ne sont pas partie au Statut de Rome et ne sont pas toujours d’accord avec la CPI, dans l’intérêt de la justice internationale, « nous sommes d’accord sur le fait que les points de vue devraient être transmis à la Cour de manière appropriée, y compris en cas de désaccord », a précisé le délégué.
Selon Mme Akane, le rapport à l’examen, qui couvre la période allant du 1er août 2023 au 31 juillet 2024, laisse voir que l’année écoulée a été marquée par une augmentation sans précédent de la demande de travail de la Cour sous forme d’enquêtes, de procédures préliminaires, de procès et d’appels. Ce qui reflète, a-t-elle souligné, « une réalité douloureuse ». « D’innombrables civils innocents vivent dans la souffrance et la misère dans toutes les régions du globe. »
En effet, au cours de la période considérée par le rapport, le Greffe a transmis 416 demandes primaires de coopération aux États parties, à d’autres États et à des organisations internationales et régionales. Ces chiffres s’ajoutent aux 734 demandes de visas et aux 519 demandes d’assistance du Bureau du Procureur ainsi qu’aux autres demandes d’assistance pour des activités de défense ou de réparation.
En outre, la Cour continue de promouvoir la ratification du Statut de Rome qui compte à ce jour 124 États parties. L’Ukraine ayant déposé son instrument de ratification le 25 octobre, le Statut entrera en vigueur pour ce pays à compter du 1er janvier 2025. La majorité des orateurs ont plaidé pour l’universalisation du Statut de Rome.
Les chambres ont par ailleurs rendu 532 décisions écrites, en plus des décisions orales et par courriels, alors que quelque 158 audiences ont eu lieu. « Dans un monde idéal, la CPI ne serait plus nécessaire. » Malheureusement, sa charge de travail élevée fait écho au nombre record de conflits violents dans le monde depuis la fin de la guerre froide et à la prévalence de violations graves du droit international, a constaté la Finlande, s’exprimant au nom des pays nordiques.
Nous soutenons le réexamen des amendements de Kampala en vue d’aligner la compétence de la Cour pour le crime d’agression, ont informé le Luxembourg et d’autres délégations comme l’Allemagne. Cette dernière a également relevé une « lacune » dans le Statut de Rome, « quand une agression est commise par un État non membre contre un État membre. » C’est la situation que connaît la Palestine, a dénoncé cette délégation, déplorant que la CPI n’ait pas délivré de mandat d’arrêt sur le dossier « Gaza » alors que l’État de Palestine a adhéré au Statut de Rome, il y a 10 ans. « Israël est protégé pendant que la justice est refusée au peuple palestinien », a fustigé le délégué palestinien.
Le Groupe arabe, par la voix de la Mauritanie, a exhorté la Cour à émettre des mandats d’arrêt à l’encontre des autorités israéliennes responsables, et à enquêter sur ces crimes « qui choquent la conscience de l’humanité ». Selon l’Afrique du Sud, la procédure pour délivrer un mandat d’arrêt risque de reporter plus avant l’application du principe de responsabilité en ce qui concerne la Palestine. La délégation a appelé à plus de ressources pour accélérer le processus, tandis que le Mexique a dit avoir introduit, avec le Chili, une procédure d’amicus curiae pour l’exercice de la compétence de la CPI sur le territoire palestinien.
L’impartialité nécessaire de la Cour a également été mentionnée par le Venezuela qui a rappelé que sa demande de février 2020 est restée lettre morte. Le pays plaidait afin que la CPI ouvre une enquête sur « la responsabilité pénale des membres du Gouvernement des États-Unis qui ont perpétré des crimes graves et préoccupants contre le peuple vénézuélien, notamment des sanctions cruelles ». Pour Cuba, le pouvoir du Conseil de sécurité de déférer des situations à la Cour confirme une tendance négative vers une politique sélective à l’égard des pays en développement, au nom d’une prétendue lutte contre l’impunité. La délégation a réitéré sa position en faveur de l’établissement d’une juridiction pénale internationale complémentaire des systèmes judiciaires nationaux, « libre de toute subordination à des intérêts politiques susceptibles de porter atteinte à son essence ».
« La Cour n’est pas une institution politique », s’est défendue sa Présidente qui a précisé que c’est un organe judiciaire international qui exerce des fonctions qui correspondent aux intérêts généraux de la communauté internationale, en exerçant sa compétence sur les crimes internationaux les plus graves. Il existe une séparation stricte entre le Bureau du Procureur et le pouvoir judiciaire, chacun étant chargé de mandats différents. « Les juges sont et seront toujours pleinement indépendants et impartiaux dans l’exercice de leurs fonctions », a assuré Mme Akane qui a promis que la CPI continuera de s’acquitter de son mandat légitime, de manière indépendante et impartiale, sans céder à aucune ingérence extérieure.
Aucun État ne doit craindre la CPI qui est un tribunal de dernier ressort et ne menace en aucune façon la souveraineté nationale, a estimé la Trinité-et-Tobago. Pour la Roumanie, les critiques envers la CPI témoignent de la pertinence et du succès de son travail. Un travail difficile à accomplir selon sa Présidente qui s’est plainte du manque d’action concrète de la part des États parties pour exécuter les mandats d’arrêt émis par les chambres préliminaires. L’immunité personnelle, y compris celle des chefs d’État, n’est pas opposable devant la CPI, et les États parties et ceux qui acceptent la compétence de la Cour sont tenus d’arrêter et de remettre les personnes faisant l’objet de mandats de la CPI, quelle que soit leur position officielle ou leur nationalité, a-t-elle rappelé.
Au moment de la soumission du rapport, des mandats d’arrêt étaient en suspens contre 20 personnes, dont 4 mandats émis dans le cadre de la situation en Ukraine en 2024, a poursuivi la Présidente Akane.
L’Ukraine a rappelé que toutes les atrocités commises par la Fédération de Russie en Ukraine font l’objet d’enquêtes de la CPI et que des responsables militaires russes sont ciblés. La délégation a évoqué l’exécution sommaire de soldats ukrainiens capturés, espérant que les familles des victimes seront indemnisées. Au sujet du rapport de la CPI, il a demandé des détails sur certains faits évoqués, avant de dénoncer les États parties qui ne respectent pas leurs obligations.
L’Estonie, au nom des États baltes, a appuyé l’enquête sur la situation en Ukraine et les mandats d’arrêt délivrés contre le Président Putin. La France a notamment condamné les poursuites pénales engagées en Russie contre le personnel et des responsables de la Cour. La Géorgie a aussi rappelé qu’en 2016, la CPI a ouvert sa toute première enquête en Europe après l’agression militaire à grande échelle de la Russie contre la Géorgie en 2008.
Les victimes sont au cœur du système du Statut de Rome, a rappelé l’Ouganda, au nom du Groupe des États d’Afrique. Pour le Groupe, toutes les victimes, d’où qu'elles viennent, méritent un accès égal à une justice impartiale. Les États parties africains sont d’ailleurs prêts à poursuivre le dialogue avec la Cour et saluent les efforts déployés par elle pour développer son interaction avec l’Union africaine, comme avec la participation du Procureur adjoint, M. Mame Mandiaye Niang, au trente-septième sommet de l’Union africaine en février 2024.
Le principe de complémentarité a été maintes fois évoqué aux cours du débat. Le Guatemala a ainsi souligné que la CPI ne remplace pas les tribunaux des États, puisque les juridictions pénales nationales ont la primauté et la responsabilité de l’enquête ou de la poursuite des personnes responsables de crimes visés dans le Statut de Rome. Dans cet esprit, le Sénégal a demandé à la Cour de renforcer la complémentarité en soutenant les systèmes judiciaires nationaux pour qu’ils soient à même de juger les crimes les plus graves. Il faut en effet éviter toute ingérence de la CPI sur les tribunaux nationaux, car « la lutte contre l’impunité commence chez soi », a tranché l’Australie.
Un veto ne doit pas empêcher le Conseil de sécurité de prendre des mesures lorsque des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou le crime d’agression sont commis, a pour sa part plaidé Malte. Justement, des délégations ont appelé l’Assemblée générale à agir afin que l’ONU partage la charge financière relative aux situations que le Conseil de sécurité a renvoyées à la CPI. Pour sa part, le Royaume-Uni s’est dit heureux de soutenir la Cour en assurant la protection des témoins, l’exécution des peines et en s’efforçant de garantir que la Cour dispose des ressources dont elle a besoin pour fonctionner efficacement. Même son de cloche pour le Japon qui s’est enorgueilli d’être le plus grand contributeur financier de la CPI.
La République de Corée a constaté que le groupe Asie-Pacifique est l’une des régions les moins représentées à la CPI, y compris dans la composition du personnel professionnel de la Cour. Abondant dans ce sens, le Brésil a dénoncé une structure institutionnelle qui ne respecte pas la diversité géographique et n’est pas inclusive.
En fin de séance, le délégué d’Israël a réagi aux propos de ses homologues palestinien et mauritanien, leur dérogeant le droit d’user des mots « plus jamais, plus jamais ça ». Ils ont une signification pour le peuple juif, a-t-il rappelé, et tout délégué désirant en faire usage dans un autre contexte que l’Holocauste doit faire preuve d’humilité face au poids de ces mots.
L’Assemblée achèvera son débat, auquel ont déjà participé une cinquantaine de délégations, demain, mardi 29 octobre, à partir de 15 heures.
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RAPPORT DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE; NOTE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL (A/79/198); RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GENÉRAL (A/79/197, A/79/199)
Exposé
Mme TOMOKO AKANE, Présidente de la Cour pénale internationale (CPI), a commencé par rappeler que l’ONU est un partenaire clef de la Cour. L’année écoulée a été marquée par une augmentation sans précédent de la demande de travail de la Cour sous forme d’enquêtes, de procédures préliminaires, de procès et d’appels, a-t-elle indiqué. Malheureusement, la CPI devient de plus en plus pertinente dans le monde d’aujourd’hui. « Je le dis tristement, car cela reflète une réalité douloureuse: d’innombrables civils innocents vivent dans la souffrance et la misère dans toutes les régions du globe. »
De ce fait, l’engagement pris dans le Statut de Rome selon lequel les crimes les plus graves, qui touchent la communauté internationale dans son ensemble, ne doivent pas rester impunis est devenu d’une importance existentielle pour l’avenir de l’humanité, a estimé la Présidente. Elle a néanmoins déploré des niveaux de menaces, de pressions et de mesures coercitives « sans précédent » contre la CPI. « Nous ne pouvons pas abandonner. Nous n’abandonnerons pas », a-t-elle promis.
« La Cour n’est pas une institution politique », a-t-elle rappelé, précisant que c’est un organe judiciaire international qui exerce des fonctions qui correspondent aux intérêts généraux de la communauté internationale, en exerçant sa compétence sur les crimes internationaux les plus graves. Il existe une séparation stricte entre le Bureau du Procureur et le pouvoir judiciaire, chacun étant chargé de mandats différents. « Les juges sont et seront toujours pleinement indépendants et impartiaux dans l’exercice de leurs fonctions », a assuré Mme Akane.
Au cours de la période considérée par le rapport, le Greffe a transmis 416 demandes primaires de coopération aux États parties, à d’autres États et à des organisations internationales et régionales. Ces chiffres s’ajoutent aux 734 demandes de visas et aux 519 demandes d’assistance du Bureau du Procureur ainsi qu’aux autres demandes d’assistance pour des activités de défense ou de réparation. Ces chiffres élevés illustrent à quel point la coopération est essentielle pour assurer l’avancement des procédures judiciaires au quotidien, a expliqué la juge. Afin de renforcer son réseau de soutien, la Cour a continué de s’engager dans des efforts visant à promouvoir la ratification du Statut de Rome qui compte à ce jour 124 États parties. En outre, l’Ukraine a déposé son instrument de ratification le 25 octobre et le Statut entrera en vigueur à l’égard de l’Ukraine à compter du 1er janvier 2025, portant le nombre d’États parties à 125, a-t-elle indiqué. Cela représente environ les deux tiers de la communauté internationale dans toutes les régions.
La Présidente de la CPI a relevé que la Cour est particulièrement préoccupée par le manque d’action concrète de la part des États parties pour exécuter les mandats d’arrêt émis par les chambres préliminaires. L’immunité personnelle, y compris celle des chefs d’État, n’est pas opposable devant la CPI, et les États parties et ceux qui acceptent la compétence de la Cour sont tenus d’arrêter et de remettre les personnes faisant l’objet de mandats de la CPI, quelle que soit leur position officielle ou leur nationalité, a-t-elle rappelé.
Par ailleurs, la Cour a entrepris des efforts internes pour renforcer sa sécurité et elle a collaboré et travaillé avec des partenaires externes. Mme Akane a remercié le pays hôte, les Pays-Bas, pour son soutien, y compris en réponse à la cyberattaque sans précédent et à grande échelle qui a impacté la Cour, mais aussi pour assurer la sécurité physique de la Cour. Le niveau actuel de soutien n’est toutefois pas suffisant pour atténuer efficacement les risques découlant de menaces futures et d’autres actions coercitives, s’est-elle inquiétée. De telles attaques, a-t-elle noté, sont des attaques contre les valeurs inscrites dans la Charte des Nations Unies.
Au moment de la soumission du rapport, des mandats d’arrêt étaient en suspens contre 20 personnes, dont 4 mandats d’arrêt émis dans le cadre de la situation en Ukraine en 2024, a poursuivi la Présidente Akane. Elle a aussi mentionné les 6 mandats d’arrêt récemment lancés dans le cadre de la situation en Libye, ce qui porte le nombre total à 26. Un chiffre qui n’inclut pas les nombreux autres mandats émis sous scellés ainsi que l’énorme travail effectué par les chambres préliminaires et qui ne peut pas être partagé en raison de leur nature confidentielle. Dans la situation en Ouganda, le 23 novembre 2023, pour donner suite à la demande de l’accusation de tenir une audience de confirmation des charges contre M. Kony par contumace, la Chambre préliminaire II a estimé qu’il y aurait lieu de tenir une audience de confirmation des charges contre M. Kony par contumace. Ces audiences devraient avoir lieu l’année prochaine et les activités de sensibilisation du Greffe ont déjà commencé pour cette première affaire de confirmation par contumace devant la CPI. La Chambre préliminaire a estimé que les audiences exceptionnelles par contumace sont justifiées, étant donné que les victimes des crimes présumés commis par M. Kony attendent justice depuis plus de 18 ans.
Au cours de la période à l’examen, les chambres ont par ailleurs rendu 532 décisions écrites, en plus des décisions orales et par courrier électronique. Quelque 158 audiences ont eu lieu. Selon sa Présidente, la Cour a franchi une étape historique lorsque la procédure de réparation dans l’affaire Katanga s’est achevée en avril de cette année, avec une cérémonie de clôture organisée à Bunia, en République démocratique du Congo. Dans le même temps, environ 24 000 personnes bénéficient directement de la fourniture de traitements médicaux, de réadaptation psychologique, de soutien socioéconomique, d’éducation et d’activités de consolidation de la paix par l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes. Cela représente une augmentation de 53% par rapport à l’année précédente, ce qui démontre une fois de plus le rythme sans précédent auquel les demandes adressées à la Cour augmentent, a dit la juge qui a précisé que 69% de ces bénéficiaires sont des femmes.
Mme Akane a enfin rappelé que le Statut de Rome reflète également un engagement de la part de la communauté internationale qui a établi que les atrocités ne doivent pas se répéter et que justice sera rendue. Selon elle, il appartient à la communauté internationale de décider si l’état de droit sur le plan international doit être défendu ou si nous devons revenir à l’état de force. Pour sa part, a-t-elle conclu, la CPI continuera de s’acquitter de son mandat légitime, de manière indépendante et impartiale, sans céder à aucune ingérence extérieure.