Soixante-dix-neuvième session
23e séance plénière - matin
AG/12646

L’Assemblée générale fait le point sur les activités du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux

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L’Assemblée générale s’est penchée, ce matin, sur le douzième rapport annuel du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux. L’Assemblée a pris note du rapport après le débat qui a suivi sa présentation par la Présidente du Mécanisme, Mme Graciela Gatti Santana.  Afin de continuer d’obtenir des résultats, le Mécanisme a besoin de ressources suffisantes et d’un peu de temps, a-t-elle plaidé. 

Depuis 2012, le Mécanisme est chargé d’exercer plusieurs fonctions essentielles qu’assumaient auparavant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).  La période allant du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 a marqué un « tournant historique » pour le Mécanisme, qui est entré dans sa phase véritablement résiduelle après la suspension sine die de la dernière affaire relative aux crimes principaux et la fin de la recherche des fugitifs, indique le rapport.

Par la résolution 2740 (2024), le Conseil de sécurité a prolongé le mandat du Mécanisme et reconduit le Procureur, M. Serge Brammertz, dans ses fonctions jusqu’au 30 juin 2026.  Le Secrétaire général a aussi prorogé le mandat des juges inscrits sur la liste des juges et celui du Greffier.  Le Conseil demande en outre au Secrétaire général de lui présenter, avant la fin de l’année 2025, un rapport sur les possibilités de transfert des fonctions du Mécanisme concernant le contrôle de l’exécution des peines et l’assistance aux juridictions nationales ainsi que sur les différents lieux de dépôt envisagés pour les archives du Mécanisme.

Mme Gatti Santana a indiqué que le Mécanisme a achevé les affaires relatives aux crimes principaux qu’il devait conclure.  Plus aucune personne mise en accusation pour les crimes odieux relevant de la compétence du Mécanisme n’est en fuite et sa jurisprudence est actuellement appliquée par d’autres juridictions internationales et nationales, s’est félicitée la juge.

« Bien que notre parcours ne soit pas achevé », a-t-elle dit, notre attention s’est portée sur la rationalisation de nos opérations, le possible transfert de nos fonctions et notre fermeture selon des modalités qui garantissent que l’équité prévaudra, que les témoins continueront de bénéficier d’un appui et d’une protection, que l’exécution des peines continuera d’obéir au principe d’équité et aux normes internationales, que des États seront soutenus dans leur quête de justice sur le plan national, et que l’intégrité et l’accessibilité de nos archives seront préservées.

La juge a rappelé que le Mécanisme est toujours mandaté par le Conseil de sécurité pour protéger et soutenir les victimes et les témoins, contrôler l’exécution des peines des personnes condamnées, conserver les archives des tribunaux et assister les États dans la recherche des fugitifs et le jugement des auteurs des crimes commis dans le cadre de ces conflits.  Si ce travail ne suscite pas le même intérêt que les procès en première instance et en appel auxquels il succède, il n’en est pas moins important.

La Chambre de première instance saisie de l’affaire mettant en cause le Rwandais Félicien Kabuga, dont la procédure a été suspendue sine die après qu’il a été déclaré inapte à être jugé, continue d’administrer plusieurs questions essentielles, notamment le suivi de son état de santé, les mesures concrètes à prendre en vue du recouvrement des fonds qui lui ont été alloués pour sa défense au titre de l’aide juridictionnelle, et la possibilité de sa libération provisoire.  De plus, les juges continuent d’être saisis de nombreuses demandes de consultation d’informations confidentielles ou de modification de mesures de protection accordées à des témoins, a expliqué Mme Gatti Santana.

Elle a aussi rappelé que, selon son statut, le Mécanisme doit envisager de renvoyer les affaires d’outrage aux juridictions nationales. C’est pourquoi les juges ont récemment renvoyé une affaire de ce type à la Serbie.  Une deuxième affaire d’outrage a été renvoyée à la Belgique. En outre, a-t-elle souligné, le Mécanisme a la responsabilité continue de contrôler l’exécution des peines prononcées contre les personnes que lui ou les tribunaux qui l’ont précédé ont déclarées coupables.

Activités de transition et perspectives

Selon sa Présidente, le Mécanisme a réduit ses besoins tout en continuant de s’acquitter de son mandat.  Entre janvier 2020 et la fin de cette année, le Mécanisme aura réduit ses effectifs de près de 60% et son budget de plus de 30%, a-t-elle expliqué.  De même, le Mécanisme a fermé son Bureau chargé des relations extérieures en juin dernier, les responsabilités restantes étant à présent redistribuées aux ressources existantes.  De plus, le Greffe a regroupé le Service des dossiers judiciaires et la Section des archives et des dossiers.  Néanmoins, l’achèvement des procès de l’ex-Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et du Mécanisme ne signifie pas la fin du processus judiciaire pour les victimes, a déclaré le Rwanda lors de la discussion.  « Notre demande la plus importante concerne certainement le transfert des archives du TPIR/Mécanisme au Rwanda », a en outre indiqué la délégation qui a rappelé qu’en avril de cette année, l’Assemblée générale a commémoré le trentième anniversaire du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda, soulignant la nécessité d’un engagement durable pour traquer, extrader ou juger les fugitifs inculpés par le Rwanda.

Le Canada, au nom également de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, a dit partager la déception des survivants et des familles des victimes sachant que M. Kabuga ne sera pas jugé pour ses crimes présumés.  Ces pays reconnaissent le soin apporté par la Chambre d’appel pour trouver un équilibre entre les intérêts de la communauté internationale de poursuivre les personnes accusées de crimes internationaux graves, et l’importance de garantir que cela soit fait conformément au droit fondamental à un procès équitable et au respect des meilleures pratiques en matière de justice pénale internationale. 

Le Brésil a rappelé que les États sont responsables au premier chef de l’application du principe de responsabilité aux auteurs de crimes commis sur leur territoire.  Les tribunaux internationaux sont donc complémentaires des systèmes judiciaires nationaux et n’interviennent que lorsque les institutions nationales ne sont pas en mesure de juger elles-mêmes ces crimes ou ne veulent pas le faire.

Avec la fin des fonctions judiciaires du Mécanisme, la question de l’utilisation future des locaux d’Arusha se pose, et la République-Unie de Tanzanie a proposé d’envisager d’y transférer certaines agences onusiennes, dans un souci d’économie.  La délégation a également recommandé la création d’un « centre de sensibilisation et de prévention du génocide » dans les locaux du Mécanisme à Arusha.  De plus, et compte tenu de la contribution de la Tanzanie à la prévention et à la répression du crime de génocide, elle a prié l’ONU d’y conserver archives et dossiers.

Au sujet de l’assistance judiciaire aux juridictions nationales, le Japon a souligné qu’un processus efficace et fiable sur le plan national est essentiel pour obtenir une plus grande justice pour les victimes, renforçant ainsi l’état de droit et favorisant la réconciliation dans la société. À cet égard, en tant que pays ayant bénéficié directement de l’institution d’un tribunal international, la Sierra Leone a salué le rôle indispensable des tribunaux internationaux tels que le Mécanisme dans la lutte contre l’impunité et le rétablissement de la justice pour les victimes.

La France a toutefois regretté que certains partenaires se refusent encore à collaborer avec le Mécanisme, malgré les multiples appels de sa Présidente, du Procureur et de nombreux États Membres.  Pourtant, le succès continu du Mécanisme dans sa phase résiduelle, tout comme pendant la phase active du procès, dépend de la coopération et du soutien de tous les États, ont fait observer les États-Unis. 

Dans la même veine, le Royaume-Uni s’est dit préoccupé par le manque de coopération de la Serbie, et la délégation lui a suggéré d’arrêter et transférer Petar Jojić et Vjerica Radeta au Mécanisme après tant d’années.  Au nom des États baltes, la Lettonie a plaidé pour que ceux qui sont responsables des crimes commis en Ukraine soient poursuivis, y voyant un moyen pour consolider les systèmes pénaux internationaux.

L’Allemagne a, quant à elle, rappelé que la justice ne s’arrête pas au prononcé d’un jugement définitif.  « C’est surtout maintenant, dans la phase résiduelle, qu’il appartient aux autorités nationales de renforcer leur engagement à poursuivre les crimes atroces commis dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. »  Plusieurs États ont également appelé à trouver une issue à la situation des huit personnes acquittées ou libérées qui ont été relocalisées au Niger en 2021.  Le Rwanda a indiqué que ceux de ses ressortissants qui ont été acquittés et libérés étaient « libres de revenir vivre au Rwanda ».

Déni des crimes et gestion des archives

À l’instar d’autres délégations, l’Albanie s’est dite très préoccupée par les incitations à la violence, la distorsion des faits historiques, la glorification des crimes de guerres ainsi que le déni des atrocités commises dans les Balkans, des éléments qui mettent en danger le processus en cours et la cohabitation pacifique dans la région.  L’Union européenne a ainsi évoqué les défis liés aux menaces que représentent pour l’héritage et le travail des Tribunaux ad hoc et du Mécanisme « le déni de génocide, le révisionnisme historique et la glorification des criminels de guerre condamnés ».

À son tour, la Slovénie a noté avec une grande inquiétude la non-acceptation des faits établis dans les jugements et le manque de coopération de certains États Membres.  Pour la délégation, l’une des fonctions résiduelles les plus importantes qui doit être davantage prise en considération est la préservation, la gestion et l’accessibilité continue des archives du Mécanisme.  Un système centralisé de gestion des archives des différents tribunaux et mécanismes établis sous l’égide de l’ONU serait, selon elle, la voie la plus appropriée et la plus efficace.

La Fédération de Russie, en revanche, a sonné la charge contre le Mécanisme.  Elle a considéré qu’avec le « désert judiciaire » marqué par l’absence d’affaire en instance, la poursuite du fonctionnement du Mécanisme dans sa forme est une « pure absurdité ».  Selon la délégation, il n’a pas été question d’impartialité dans les travaux du TPIY qui avait refusé de s’attaquer aux « crimes de guerre » commis par l’OTAN lors de l’agression militaire contre la Yougoslavie. Et elle a accusé le Mécanisme d’avoir hérité des lacunes du TPIY, notamment sa politique de « deux poids, deux mesures », avant de conclure qu’il ne sert à rien de maintenir l’existence du Mécanisme.

Toujours d’après la Russie, les archives du Mécanisme devraient être envoyées respectivement en Serbie et au Rwanda pour le TPYI et le TPIR.  Et les personnes condamnées détenues sous la supervision du Mécanisme ou dans son centre de détention à La Haye devraient être transférées dans leur État de nationalité pour y servir le restant de leur peine.  De même, la fonction de protection des témoins devrait également être transférée aux États.

Résumant la position d’une majorité de délégations, le Royaume-Uni a dit ne pas soutenir les propositions visant à imposer des délais arbitraires pour la fermeture éventuelle du Mécanisme.  Bien que nous soyons favorables à de nouvelles améliorations et à une rationalisation dans le cadre de la transition vers une institution entièrement résiduelle, il est essentiel que le Mécanisme ait le temps d’achever ses travaux, d’une manière qui soutienne et respecte le droit international, a-t-il tranché.

Les Tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda puis le Mécanisme ont été créés, a rappelé la juge Gatti Santana, parce que la communauté internationale, par l’intermédiaire de l’ONU, a dit qu’elle ne pouvait accepter le génocide, le viol et le meurtre de civils comme armes de guerre.  « Nos activités résiduelles témoignent de l’engagement du monde à voir cette mission essentielle menée à bon terme, à faire obstacle au révisionnisme historique et à donner l’espoir que notre avenir peut être différent », a-t-elle plaidé.

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