Le rôle de l’Assemblée générale en matière de paix et de sécurité internationales au centre du débat annuel sur l’exercice du droit de veto
À l’occasion de son deuxième débat annuel sur l’exercice du droit de veto depuis l’adoption de la résolution 76/262, le 26 avril 2022, l’Assemblée générale a, aujourd’hui, fait le point sur la mise en œuvre de l’initiative relative au veto, qui découle de ce texte, tout en résonnant d’appels à ce que l’organe le plus représentatif de l’ONU se saisisse plus largement des questions de paix et de sécurité internationales lorsque que l’action du Conseil de sécurité est bloquée par le vote négatif d’un ou plusieurs de ses membres permanents.
Si la responsabilité première du maintien de la paix et de la sécurité internationales incombe au Conseil de sécurité, l’Assemblée générale a un rôle essentiel à jouer sur ces questions en vertu de la Charte des Nations Unies, a d’emblée rappelé le Président de ce deuxième organe. « Un rôle qui prend de plus en plus de sens alors que le Conseil de sécurité se trouve dans une grave impasse pour s’acquitter efficacement de ses responsabilités. » M. Dennis Francis a ainsi relevé que, depuis le débat annuel de l’an dernier, huit résolutions et un amendement ont fait l’objet d’un veto au Conseil, celui-ci se montrant incapable de répondre aux situations critiques en matière de paix et de sécurité dans la bande de Gaza, en Ukraine, en République arabe syrienne, au Mali et en République populaire démocratique de Corée (RPDC).
« En cette période de tensions géopolitiques accrues et alors que des crises en cours et émergentes exigent notre action urgente et résolue, nous échouerions à assumer notre devoir en tant qu’Assemblée générale si nous restions les bras croisés et permettions que l’usage effréné du veto paralyse non seulement le Conseil, mais aussi la capacité de l’ONU à répondre efficacement aux questions de paix et de sécurité », a fait valoir M. Francis. En conséquence, il a appelé à utiliser « la vaste portée du mandat de cette Assemblée », à travers tous les piliers des Nations Unies, pour approfondir une coopération plus étroite entre les principaux organes de l’Organisation.
Cet appel a été soutenu par un grand nombre de pays, à commencer par le Liechtenstein, pays au rôle moteur dans l’adoption de la résolution 76/262. S’exprimant au nom d’un groupe de pays, il a estimé que, plus qu’un simple instrument de responsabilisation et de transparence, l’initiative relative au veto est devenue « un outil pour engager l’Assemblée générale en tant qu’organe apte et prêt à assumer le rôle défini par la Charte au Chapitre IV pour maintenir la paix et la sécurité ». Alors que le veto « n’est plus la fin de la conversation », il importe selon lui de veiller à ce qu’il « ne signifie pas la fin de l’action de l’ONU ».
Sur cette même ligne, le Luxembourg a rappelé que l’Assemblée générale peut, comme elle l’a fait à de multiples reprises par le passé, « orienter l’action politique et prendre des décisions, notamment lorsque le Conseil de sécurité ne s’acquitte pas de son mandat faute de consensus ou lorsqu’un veto l’empêche de protéger la Charte et donc l’intérêt général de l’ensemble des membres de l’ONU ». Une faillite qui s’est vérifiée lors du récent vote sur l’admission de l’État de Palestine en tant que membre des Nations Unies. L’Assemblée générale a l’autorité nécessaire pour ordonner l’envoi de forces d’urgence, autoriser des missions de maintien de la paix, prendre des sanctions ou des mesures d’embargo, défendre les droits humains et promouvoir le règlement pacifique des différends, a appuyé le Costa Rica.
Lorsque le Conseil de sécurité n’est pas en mesure d’agir, l’Assemblée générale « doit se mettre aux commandes et assumer la responsabilité qui lui revient, conformément à l’Article 11 (2) de la Charte des Nations Unies », a souligné à son tour l’Autriche, pour qui il n’existe aucun obstacle juridique à ce que l’Assemblée assume un rôle plus opérationnel à travers une action complémentaire à celle du Conseil. Un avis partagé, entre autres, par la Bulgarie, le Danemark, au nom des pays nordiques, et les Philippines.
À cet égard, a fait observer l’Estonie, au nom des États baltes, la Charte habilite l’Assemblée à formuler des recommandations sur des questions de paix et de sécurité internationales. Singapour l’a ainsi clairement encouragée à formuler de telles recommandations et à prendre des mesures « là où l’action du Conseil de sécurité est bloquée en raison du recours au veto ». Le Portugal a, lui, demandé que soit examinée la proposition du Conseil consultatif de haut niveau, qui suggère de renvoyer directement à l’Assemblée générale « pour action » les questions pour lesquelles le Conseil de sécurité n’agit pas.
À l’instar de pays tels que l’Autriche, le Liechtenstein, le Luxembourg ou encore les Pays-Bas, le Portugal a également soutenu l’élaboration d’un manuel détaillant le rôle de l’Assemblée générale en matière de paix et de sécurité, financée par des contributions volontaires.
Soucieuses de voir s’accroître la responsabilité quant à l’utilisation du droit de veto, l’immense majorité des délégations, de l’Allemagne au Japon, en passant par le Chili, le Kenya, les Philippines et la Suisse, ont exprimé leur soutien à l’initiative franco-mexicaine sur la suspension de ce droit en cas d’atrocités de masse et au Code de conduite du Groupe Responsabilité, cohérence et transparence (ACT). Évoquant l’initiative qu’elle porte avec le Mexique depuis 2015 et qui est aujourd’hui soutenue par 106 États, la France a précisé que sa mise en œuvre ne nécessiterait pas de modification de la Charte et serait applicable aux membres permanents actuels.
Plusieurs pays, principalement européens, ont pour leur part appelé les membres du Conseil de sécurité à respecter les dispositions de l’Article 27 (3) de la Charte, en vertu duquel les parties à un différend doivent s’abstenir de voter. L’Allemagne, l’Estonie, la Géorgie et le Japon ont du reste rappelé que la résolution 76/262 est la conséquence directe de l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie et de l’incapacité du Conseil de sécurité à agir en conséquence. Cette paralysie a encouragé la Fédération de Russie, membre permanent ayant le plus exercé son droit de veto, tout en lui permettant de soutenir les actions illégales de ses « clients géopolitiques », a déploré la délégation estonienne.
Concernée au premier chef, l’Ukraine a noté que tous les projets de résolution concernant l’agression russe à son encontre ont été bloqués dès 2014 du fait d’une utilisation abusive du veto par la Fédération de Russie. Face à ces agissements systématiques, elle a souhaité que l’Assemblée générale renforce les mécanismes de reddition de comptes et les initiatives existantes « afin que l’agresseur ne puisse prendre le Conseil en otage et que ce dernier ne devienne pas un témoin passif des crimes russes ».
De manière connexe, la République de Corée a dénoncé la pratique du « veto contradictoire ». Elle a ainsi rappelé qu’à la suite de l’adoption de la résolution 76/262, la Chine et la Fédération de Russie ont été les premières à exercer leur droit de veto, en l’occurrence sur un projet de résolution soumis en réponse aux violations flagrantes par la RPDC de plusieurs résolutions du Conseil interdisant tout lancement utilisant la technologie des missiles balistiques. Or, les résolutions violées par la RPDC avaient été négociées et votées en faveur par ces deux membres permanents, a-t-elle fait observer, regrettant un « empêchement » préjudiciable à la paix et à la sécurité internationales, aggravé depuis par le veto opposé le 28 mars dernier par la Fédération de Russie au renouvellement du mandat du Groupe d’experts chargé d’assister le Comité des sanctions contre la RPDC.
Ripostant à ces attaques, la Fédération de Russie a argué que le veto est un droit inaliénable, consacré par l’Article 27 de la Charte, et que son utilisation n’est aucunement une violation des principes fondamentaux de l’ONU. « Ce qui doit être critiqué n’est pas le veto lui-même, mais plutôt le refus de certains membres du Conseil de prendre en compte les opinions des autres et de trouver des compromis », a-t-elle estimé, prenant pour exemple la « dissimulation par les États-Unis des actions israéliennes à Gaza ». Il importe aussi, selon elle, de critiquer ceux qui ne respectent pas les résolutions du Conseil, les ignorent délibérément ou les interprètent librement. À ce sujet, elle a qualifié de violations flagrantes de la Charte les déclarations américaines selon lesquelles les résolutions du Conseil ne seraient pas juridiquement contraignantes. Parmi les résolutions ainsi « sabotées » par les Occidentaux, elle a cité les décisions sur la Palestine, le Sahara occidental, le règlement du Kosovo, le programme nucléaire iranien et les accords de Minsk destinés à résoudre le conflit interne ukrainien.
Face à l’augmentation rapide du recours au veto, voire à ses abus, les délégations ont été nombreuses à réclamer une réforme en profondeur du Conseil de sécurité, au-delà du seul droit de veto. La majorité des États Membres ne se sentent pas représentés dans les décisions prises par le Conseil, dont la capacité à être à la hauteur de son mandat « laisse à désirer », a asséné l’Inde, avant de s’en prendre à la « minorité d’États négatifs » qui prennent en otage le processus de réforme depuis 40 ans. La seule façon de remédier aux maux du Conseil consiste à le rendre représentatif, en incluant les pays du Sud, et de l’Afrique en particulier, dans les deux catégories de membres, a-t-elle ajouté, soutenue dans cette volonté réformiste par des pays aussi divers que l’Afrique du Sud, le Brésil, Cuba, l’Égypte, l’Estonie, l’Indonésie, le Japon et le Nigéria.
Favorable elle aussi à une réforme de l’organe en charge de la paix et de la sécurité internationales, la France a déclaré soutenir son élargissement dans ses deux catégories de membres et a souhaité qu’une négociation s’engage sans tarder sur la base d’un projet de résolution. Pour la délégation française, le Sommet de l’avenir organisé par le Secrétaire général en 2024 et le quatre-vingtième anniversaire de l’ONU en 2025 représentent une occasion unique d’y parvenir. Quant au droit de veto, elle a indiqué ne l’avoir utilisé que 18 fois depuis 1945 et ne plus y avoir recours depuis plus de 30 ans. Le Royaume-Uni a affirmé faire de même depuis 1989.
Reste que, comme l’a noté la Malaisie, ce droit a été exercé à 293 reprises depuis qu’il existe. Et si certains membres permanents du Conseil sont plus enclins que d’autres à en faire usage, « il discrédite ceux qui l’utilisent », a jugé la délégation malaisienne, selon laquelle le veto est « obsolète, antidémocratique et contraire au principe d’égalité souveraine entre États Membres ». De fait, ce droit devrait être abrogé ou à tout le moins restreint, a-t-elle tranché, rejointe dans ce rejet par l’Argentine et la Colombie. « Dans un monde idéal, le veto devrait être aboli », a renchéri la Türkiye, l’Indonésie et l’Italie voyant dans ce droit un privilège d’un autre temps. Le veto –qui n’est « pas un droit mais une responsabilité », selon le Mexique- ne devrait jamais être utilisé, ont abondé le Bangladesh et la Nouvelle-Zélande, cette dernière constatant à regret que la résolution 76/262 n’a pas empêché son utilisation à 11 reprises depuis deux ans.
Dans ce concert de critiques de l’action du Conseil, les États-Unis se sont félicités de l’adoption de la résolution 76/262 et, par voie de conséquence, de la transmission à l’Assemblée générale de rapports spéciaux du Conseil en cas d’utilisation du veto. Tout en se disant conscients des controverses que suscite l’exercice de ce droit, ils ont salué la transparence que permet l’initiative relative au veto au travers de l’explication des positions.
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