Soixante-dix-huitième session,
62e séance - matin
AG/12587

L’Assemblée générale demande de nommer un envoyé spécial des Nations Unies chargé de lutter contre l’islamophobie

Deux ans après avoir proclamé la Journée internationale de lutte contre l’islamophobie, célébrée aujourd’hui, 15 mars, l’Assemblée générale a adopté ce matin une résolution qui prie le Secrétaire général de nommer « un ou une envoyé(e) spécial(e) des Nations Unies qui sera chargé(e) de lutter contre l’islamophobie ».  Cette résolution a fait l’objet de deux propositions d’amendement de la part des pays de l’Union européenne (UE) et du Royaume-Uni, toutes deux rejetées: l’une demandait de nommer un « point focal » plutôt qu’un envoyé spécial; l’autre proposait une formulation plus générique de la condamnation de la discrimination, en enlevant la mention des actes de profanation du livre saint des musulmans. 

C’est par 115 voix que cette résolution intitulée « Mesures de lutte contre l’islamophobie » a été adoptée, avec 44 abstentions et aucune voix contre.  Outre sa demande de nomination d’un envoyé spécial, l’Assemblée demande aux États Membres de prendre toutes les mesures nécessaires, dont « des lois et des politiques », pour combattre l’intolérance religieuse, les stéréotypes négatifs, la haine, l’incitation à la violence et la violence contre les musulmans. 

En présentant le texte, le représentant du Pakistan a rappelé que l’islamophobie a ressurgi après les attaques du 11 septembre et a regretté que des États refusent d’adopter des lois pour contrer le phénomène, constatant que l’islamophobie est tolérée et même diffusée par certains d’entre eux. Un premier ministre a consacré un temple indou sur les ruines d’une mosquée historique; des politiques migratoires sont conçues pour exclure les musulmans, tandis que le hijab et l’appel à la prière sont officiellement interdits par endroit, a-t-il dénoncé, condamnant en outre les appels au génocide des Palestiniens. 

Il a ensuite fait savoir que des changements avaient été apportés à la version originale de la résolution en tenant compte des observations de l’Union européenne, entre autres, précisant que le paragraphe 4 du dispositif avait été confronté à « une opposition inexplicable » à la référence au Coran et que le libellé avait été supprimé.  Il s’est ensuite élevé contre les « amendements de dernière minute » proposés.  « Si nous avions su qu’il y en aurait, nous n’aurions pas accepté de faire des concessions », a-t-il dit, avant d’exprimer son rejet de ces amendements qui ont été présentés par la Belgique

Le premier amendement proposé visait à remplacer la mention « contre les musulmans, qui se traduit par la multiplication des actes de profanation de leur livre saint, des attaques visant les mosquées » par la suivante: « contre les personnes en raison de leur religion ou de leurs convictions, dont les musulmans ».  Le Pakistan a rejeté l’idée de retirer la mention de la profanation du Coran, faisant valoir que cet acte est une offense pour tous les musulmans qui ne peut être justifiée par le droit à la liberté d’expression. 

Le deuxième amendement proposé, visant à nommer un point focal plutôt qu’un envoyé spécial, n’a pas non plus recueilli l’accord de la délégation pakistanaise qui a fait valoir que si un rôle de simple coordination peut suffire pour des mesures prises ici et là, ce ne serait pas suffisant dans le cas de l’islamophobie en raison de l’absence de mesures spécifiques au niveau des gouvernements et des organisations internationales, à commencer par l’ONU.  Le rôle de la personne nommée au poste d’envoyé spécial sera donc d’une importance primordiale, a-t-elle souligné.

En présentant les deux projets d’amendement, le représentant de la Belgique a appelé à lutter contre toute forme d’intolérance, y compris à l’encontre des non-croyants. Cela inclut le droit à une expression libre, a-t-il précisé en expliquant la nécessité de préserver la définition internationale de la haine religieuse, telle qu’elle figure dans le Pacte international sur les droits civils et politiques.  Cela n’interdit pas de critiquer les religions ou les croyances, a-t-il affirmé. 

Il a reproché au texte de la résolution de ne pas adopter une approche inclusive pour lutter contre l’intolérance, la haine, la discrimination et la violence. Concernant le premier amendement, il a estimé que l’ONU devrait être neutre en matière de religion et ne pas mentionner la profanation de livres sacrés.  Dans la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, le terme profanation se limite à des sites religieux, tandis que le droit international des droits de l’homme ne protège pas une religion en tant que telle, ni ses symboles. 

Pour ce qui est du deuxième amendement, l’UE a des réserves sur la création d’un poste d’envoyé spécial, a poursuivi le délégué belge: elle craint les incidences financières importantes d’un tel poste et estime qu’un point focal serait plus adapté, comme celui qui existe pour l’antisémitisme. 

Le Secrétariat de l’ONU a précisé que les incidences financières seraient examinées par la Cinquième Commission, notamment en ce qui concerne l’établissement d’un rapport qui est demandé au Secrétaire général.  Il a aussi indiqué que l’amendement prévoyant un point focal entraînerait un coût de 31 000 dollars. 

Plusieurs délégations se sont exprimées avant le vote sur les propositions d’amendement, pour demander leur rejet, dont l’Iran qui s’est élevé contre les actes visant le Coran, faisant valoir que la profanation des livres saints a déjà été reconnue par la communauté internationale comme une violation du droit international. 

Le Koweït a assuré que les consultations sur le projet de résolution avaient entendu des propositions constructives, mais a regretté le déni du phénomène de l’islamophobie.  En dépit des efforts concertés de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), nous constatons que nous n’arrivons pas à lutter contre l’islamophobie, s’est-il désolé en demandant de conserver le texte dans son intégralité.  L’Égypte a regretté que l’on cherche à détourner la résolution de son objectif principal et l’Indonésie a expliqué que le fait de brûler le Coran est une manifestation claire de l’islamophobie et donc une violation des droits humains.  « Lorsque l’on brûle le Coran, on incite à commettre d’autres actes islamophobes », a signalé l’Iraq, suivi de l’Arabie saoudite qui a fait remarquer que cette résolution est présentée dans un contexte marqué par une augmentation du nombre d’attaques contre l’Islam.  La Malaisie a demandé aux États Membres de faire preuve d’un esprit de consensus pour adopter la résolution telle quelle, de même que l’Ouganda et la Türkiye

Première à prendre la parole après le vote, au titre des explications de vote, l’Inde a vanté le « pluralisme » confessionnel de son pays avant de condamner les actes de discrimination et de violence qui visent les hindous, les bouddhistes et les sikhs.  Elle a donc prôné la lutte contre la « religiophobie » afin de ne pas négliger les défis analogues auxquels sont confrontés d’autres confessions. Comme d’autres intervenants, elle a aussi critiqué les incidences budgétaires significatives qu’entraînerait la création d’un poste d’envoyé spécial.  Elle s’est demandé si l’on n’aboutirait pas à de meilleurs résultats avec une approche plus inclusive qui se pencherait sur les discriminations religieuses dans leur ensemble. 

Les pays ont été nombreux cependant à appuyer sans réserve la résolution adoptée, notamment la Tunisie qui a condamné la situation actuelle dans le « génocide » en cours dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que les attaques répétées et systématiques contre la mosquée Al-Aqsa.  Oman a appelé à lutter contre l’islamophobie et la xénophobie par le biais d’une législation qui vienne pénaliser ces actes, la profanation de symboles ne pouvant relever du droit à la liberté d’expression ou d’opinion selon lui. 

Singapour a regretté que l’amendement de l’UE n’ait pas reflété les préoccupations sur la profanation des livres sacrés.  « Comment peut-on laisser impunie la profanation du Coran sous prétexte que ce serait un droit à la liberté d’expression? » s’est insurgée la Fédération de Russie en affirmant que certaines des délégations à l’origine des amendements ne tiennent pas à lutter contre l’islamophobie.  Il ne faut pas profaner les religions, a exhorté la Syrie en réitérant son rejet de toutes les formes de discrimination contre les réfugiés, notamment les réfugiés syriens. 

La Belgique a en revanche exprimé une « réserve majeure » au paragraphe 2 du dispositif de la résolution, estimant que l’ONU devrait être neutre en termes de religion et ne pas mentionner la profanation de livres sacrés. Elle s’est également dissociée du paragraphe 3 qui évoque la nomination d’un envoyé spécial en raison des doublons que ce poste créerait et de ses incidences financières.  Un point focal serait plus approprié, a-t-elle redit. 

Les réserves à la nomination d’un envoyé spécial ont en effet porté à la fois sur la pertinence d’un tel poste et sur son poids pour le budget de l’ONU.  Le Pérou a estimé qu’il serait plus efficace que le Secrétaire général désigne le Haut-Représentant de l’Alliance des civilisations de l’Organisation des Nations Unies en tant que point focal de l’ONU pour la lutte contre l’islamophobie, étant donné qu’il exerce déjà des fonctions similaires concernant l’antisémitisme.  Le Mexique a craint pour sa part une prolifération de mandats à l’ONU, tandis que l’Australie a averti du risque de créer une hiérarchie dans les mandats et de faire doublon. 

S’agissant du coût élevé de ce poste, le Canada a fait remarquer que des incidences budgétaires majeures ne sont pas appropriées dans un environnement fiscal déjà extrêmement difficile. 

L’Islande a souligné que les contraintes budgétaires doivent être prises en compte lors de la création de tout nouveau poste, tout en précisant avoir appuyé la résolution.  Le Brésil a expliqué son abstention en exprimant des réserves similaires, suivi de la Nouvelle-Zélande qui a prévenu que la création d’un poste d’envoyé spécial placerait une religion au-dessus d’une autre. 

Dans le même sens, le Canada a regretté l’inégalité que crée ce texte entre les différentes formes d’intolérance religieuse.  Le Mexique a également dit qu’il espérait un texte « plus large », qui ne porte pas seulement sur une seule religion, ce qui explique son vote en faveur du deuxième amendement, ainsi qu’une mention sur les partis pris de genre. 

La Suisse a pour sa part fait valoir que la diffamation religieuse n’est pas un concept juridique faisant partie du cadre des droits de l’homme.  La délégation a également jugé cruciale la question de savoir si la liberté d’expression doit être limitée dans certains cas pour protéger des personnes, soulignant que toute limitation doit être prévue par la loi et doit être proportionnée.  Or à son avis, le texte ne reflète pas suffisamment ces aspects.  L’Australie a fait valoir que le droit international n’interdit pas forcément le fait de brûler les livres sacrés: dans certaines circonstances, cela pourrait être l’exercice de la liberté d’expression.  Au Royaume-Uni, nous sommes fiers de la liberté d’expression, a déclaré la délégation en regrettant que le paragraphe 2 de la résolution limite ce droit.  « On doit être libre de critiquer une religion. »  Le Royaume-Uni a aussi remarqué que le paragraphe 3 vise à protéger une religion alors que d’autres religions ne bénéficient pas de ce genre de disposition. 

Les États-Unis se sont inquiétés de la monté de l’islamophobie et de la profanation de livres saints, appelant à la redevabilité et insistant sur l’importance de défendre la liberté religieuse.  Une liberté que l’Argentine a aussi rappelée, soulignant que « la religion est un bien juridique » et qu’il faut protéger les personnes qui la pratiquent. 

Intervenant en fin de séance, avant celle de la célébration de la Journée internationale de lutte contre l’islamophobie, le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, a déclaré que les musulmans représentent la « merveilleuse diversité de la famille humaine ».  En cette Journée internationale, il faut renouveler notre engagement à défendre les principes d’égalité, de dignité, de droits humains et de respect, ces principes étant au fondement de notre humanité commune et de la Charte des Nations Unies, a-t-il recommandé. 

La prochaine réunion de l’Assemblée générale sera annoncée dans le Journal des Nations Unies.

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.