SG/SM/21653

Devant le Conseil de sécurité, le Secrétaire général appelle à faire progresser l’état de droit afin de créer un monde plus stable et plus sûr

On trouvera, ci-après, le texte du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé à l’occasion du débat public du Conseil de sécurité consacré au thème « Promotion et renforcement de l’état de droit dans le cadre des activités de maintien de la paix et de la sécurité internationales: la légalité parmi les nations », à New York, aujourd’hui:

Je félicite le Japon, qui vient de rejoindre le Conseil de sécurité, d’en assumer la présidence, et je vous remercie d’ouvrir la nouvelle année par ce débat sur l’état de droit.  Je souhaite également la bienvenue à la juge Joan Donoghue, Présidente de la Cour internationale de Justice, et au professeur Dapo Akande, qui interviendront également aujourd’hui devant le Conseil.

L’état de droit est un pilier de l’ONU et de notre mission de paix.  Le Conseil de sécurité a un rôle essentiel à jouer pour garantir son respect.  La clef de voûte de l’état de droit est que toutes les personnes, institutions et entités, publiques et privées, y compris l’État lui-même, doivent répondre de leurs actes devant la justice.

Du plus petit village jusqu’à la scène mondiale, l’état de droit, gage de paix et de stabilité, est tout ce qui nous sépare d’une lutte violente pour le pouvoir et les ressources.  L’état de droit protège les personnes vulnérables.  Il prévient la discrimination, le harcèlement, et d’autres atteintes.  C’est notre première ligne de défense contre les atrocités criminelles, y compris le génocide.  Il instaure et renforce la confiance dans les institutions.  Il favorise des économies et des sociétés équitables et inclusives.  Et il est à la base de la coopération internationale et du multilatéralisme.

Comme il est dit dans la Charte: « Nous, peuples des Nations Unies, [sommes] résolus [...] à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international. »

Les principes énoncés dans la Charte sont développés dans la Déclaration de 1970 relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États et dans la Déclaration de 2012 sur l’état de droit aux niveaux national et international.  Le droit humanitaire international permet de sauver des vies et de réduire les souffrances dans les conflits.  Les Conventions de Genève, adoptées après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, montrent que même les guerres doivent obéir à des lois.

Le débat d’aujourd’hui envoie un message fort: garantir l’état de droit est notre priorité et tous les pays doivent respecter les normes internationales.  Toutes les parties prenantes –les États Membres, les organisations régionales, la société civile et le secteur privé– ont la responsabilité de contribuer à la construction et au respect de l’état de droit.

Mais la situation internationale montre que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.  Nous ne sommes pas loin de basculer dans l’état de non-droit.  Dans toutes les régions du monde, les populations civiles subissent les effets de conflits dévastateurs, de la perte de vies humaines, de l’augmentation de la pauvreté et de la famine.  Du développement illégal d’armes nucléaires à l’emploi illégal de la force, les États continuent de bafouer le droit international en toute impunité.

L’invasion russe de l’Ukraine a provoqué une catastrophe sur le plan humanitaire et sur celui des droits humains, traumatisé une génération d’enfants et accéléré les crises alimentaire et énergétique mondiales.  Toute annexion du territoire d’un État par un autre État obtenue par la menace ou l’emploi de la force constitue une violation de la Charte et du droit international.

L’année 2022 a été meurtrière pour les Palestiniens et les Israéliens.  Nous condamnons tous les actes et homicides illicites commis par des extrémistes.  Rien ne saurait justifier le terrorisme.  Dans le même temps, l’expansion des colonies par Israël, ainsi que les démolitions de maisons et les expulsions, suscitent colère et désespoir.

Je suis également très préoccupé par les initiatives unilatérales qui se sont succédé ces derniers jours.  L’état de droit est au cœur de la réalisation d’une paix juste et globale, fondée sur la solution des deux États, conformément aux résolutions des organes de l’ONU, au droit international et aux accords antérieurs.

Les changements anticonstitutionnels de gouvernement -les coups d’État- sont malheureusement de nouveau à la mode.  Ils sont particulièrement inquiétants dans les régions qui connaissent déjà des conflits, le terrorisme et l’insécurité alimentaire, notamment le Sahel.  Les Nations Unies sont prêtes à soutenir les efforts régionaux visant à renforcer la gouvernance démocratique, la paix, la sécurité et le développement durable.

Le programme illicite d’armement nucléaire poursuivi par la République populaire démocratique de Corée représente un danger bien réel et immédiat, qui pousse les risques et les tensions géopolitiques vers de nouveaux sommets.  La République populaire démocratique de Corée doit se conformer à ses obligations internationales et retourner à la table des négociations.

En Afghanistan, les attaques systématiques sans précédent contre les droits des femmes et des filles et le mépris des obligations internationales créent un apartheid fondé sur le genre.  Cela compromet délibérément le développement d’un pays qui a désespérément besoin des contributions de l’ensemble de sa population pour rétablir une paix durable.

L’effondrement de l’état de droit au Myanmar depuis la prise du pouvoir par les militaires en 2021 a entraîné un cycle de violence, de répression et de graves violations des droits humains.  Je demande instamment aux autorités d’écouter leur peuple et de reprendre la transition démocratique.

La situation en Haïti est caractérisée par une crise institutionnelle profonde et un état de droit affaibli, par des violations généralisées des droits humains, par une montée en flèche de la criminalité et par la corruption et la criminalité transnationale.  Je demande aux parties prenantes haïtiennes de travailler ensemble au rétablissement d’institutions démocratiques inclusives et de l’état de droit.

Comme le montrent ces exemples, le respect de l’état de droit est plus important que jamais.  Il incombe à tous les États Membres de le faire respecter en toutes circonstances.  L’état de droit est à la base des efforts que déploie l’ONU pour trouver des solutions pacifiques à tous ces conflits, faire face aux catastrophes et autres crises, et soutenir les personnes et les communautés les plus vulnérables dans le monde.

La relation étroite et complémentaire qui unit l’état de droit, le principe de responsabilité et les droits humains est soulignée dans mon appel à l’action en faveur des droits humains.  Il est crucial de mettre fin à l’impunité.  De la Cour internationale de Justice au Conseil des droits de l’homme, y compris ses missions d’établissement des faits et ses commissions d’enquête, les entités et mécanismes des Nations Unies défendent et mettent en œuvre l’état de droit.

La Cour internationale de Justice, avec son mandat unique, occupe une place particulière.  J’insiste sur l’importance d’accepter la juridiction obligatoire de la Cour et je demande à tous les États Membres de le faire sans la moindre réserve.  Les membres du Conseil de sécurité ont une responsabilité particulière à cet égard et devraient jouer un rôle de premier plan.

Dans le monde entier, l’ONU se dresse contre l’impunité et est résolue à faire en sorte que les auteurs de crimes répondent de leurs actes dans le cadre de procédures judiciaires équitables et indépendantes.  Nous renforçons également l’état de droit en soutenant les victimes et les personnes rescapées et en leur donnant accès à la justice, à des recours et à des réparations.

Les cours et tribunaux créés par ce Conseil dans les années 19’90, ainsi que le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, ont permis d’amener un certain nombre de responsables d’atrocités criminelles commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda à répondre de leurs actes.  Aujourd’hui, la Cour pénale internationale est l’institution centrale du système de justice pénale internationale, et elle a pour vocation de faire en sorte que les auteurs répondent des crimes les plus graves.

Je souhaite maintenant aborder la manière dont les États Membres peuvent renforcer davantage l’ONU et ses organes en vue de promouvoir l’état de droit.  En premier lieu, je demande à tous les États Membres de défendre la vision et les valeurs énoncées dans la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, et de se conformer au droit international.  De régler les différends de manière pacifique, sans recourir à la menace ou à l’emploi de la force.  De reconnaître et de promouvoir l’égalité des droits de toutes les personnes.  De rester attachés aux principes de la non-intervention dans les affaires intérieures, de l’autodétermination des peuples et de l’égalité souveraine des États Membres.

Je compte sur les États Membres pour soutenir nos efforts de promotion de l’état de droit dans tous les domaines, y compris au sein de ce Conseil.  Les différends dans un domaine ne doivent pas entraver les progrès dans un autre.  Les défis à relever sont nombreux, mais la primauté de l’état de droit est essentielle au maintien de la paix et de la sécurité internationales et aux efforts de consolidation de la paix.  Elle passe par des règles claires régissant la menace ou l’emploi de la force, comme prévu au paragraphe 4 de l’Article 2 et au Chapitre VII de la Charte.

Deuxièmement, j’exhorte les États Membres à utiliser pleinement l’état de droit comme outil de prévention.  Au niveau international, la Charte consacre un chapitre entier au règlement pacifique des différends, notamment par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage et de règlement judiciaire.  Il s’agit de mesures concrètes de prévention, ancrées dans le droit international.

Au niveau national, l’état de droit renforce la confiance entre les personnes et les institutions.  Il fait reculer la corruption et crée des conditions équitables pour toutes les personnes.  Il permet aux sociétés et aux économies de fonctionner harmonieusement, pour le bien de toutes et tous.  À l’inverse, lorsque l’état de droit est faible, l’impunité prévaut, la criminalité organisée prospère et le risque de conflit violent est élevé.

Troisièmement, j’exhorte les États Membres à renforcer l’état de droit, qui est un élément clef dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et la réalisation des objectifs de développement durable.  L’objectif 16, qui concerne l’accès de tous à la justice et la mise en place d’institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous, est un catalyseur essentiel de tous les autres objectifs de développement durable.  La pauvreté, l’injustice et l’exclusion ne peuvent être combattues que par des politiques publiques efficaces, non discriminatoires et inclusives.

La légitimité démocratique ne doit jamais être utilisée pour justifier des mesures qui affaiblissent ou compromettent l’état de droit.  La société civile et les autres parties prenantes ont un rôle essentiel à jouer à cet égard.  L’ONU se tient prête à soutenir les États Membres par l’intermédiaire de ses équipes de pays dans le monde entier.

Tourné vers l’avenir, mon rapport sur Notre Programme commun propose une Nouvelle vision de l’état de droit – l’occasion de réaffirmer et de renforcer le rôle central de l’état de droit dans toutes les activités de notre Organisation.  Cette Nouvelle vision exposera les liens entre l’état de droit, les droits humains et le développement, et préconisera une approche centrée sur les personnes, qui garantisse que les lois et la justice soient accessibles à toutes et à tous.  Je veillerai à ce qu’elle soit mise en œuvre dans toute l’Organisation, y compris les éléments qui correspondent aux travaux de ce Conseil.

L’importance du respect de l’état de droit sera également reflétée dans le Nouvel Agenda pour la paix.  L’état de droit est essentiel pour relever les défis actuels et futurs, qu’il s’agisse du désarmement nucléaire, de la crise climatique, de l’effondrement de la biodiversité, ou encore des pandémies et des maladies dangereuses.  Nos efforts en matière d’état de droit doivent s’adapter à un environnement en mutation et aux progrès technologiques.

L’Organisation des Nations Unies occupe une position unique pour promouvoir l’innovation et le progrès dans le respect de l’état de droit.  Aucune autre organisation mondiale n’a la légitimité, la capacité de rassemblement et le pouvoir normatif de l’ONU.

Le Conseil de sécurité à un rôle essentiel à jouer pour faire avancer l’état de droit, à travers ses efforts pour maintenir la paix et la sécurité internationales, protéger les droits humains et promouvoir le développement durable.  Ensemble, engageons-nous à faire progresser l’état de droit afin de créer un monde plus stable et plus sûr, pour toutes et pour tous.

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