Conférence des Nations Unies sur l’eau,
Table ronde # 2 - après-midi
ENV/DEV/2053

Les participants au second dialogue interactif de la Conférence sur l’eau appellent à relâcher la pression sur les ressources hydriques

Face aux dynamiques démographiques à la hausse qui exacerbent la demande en eau dans les domaines agricole, industriel et énergétique, les participants au second dialogue interactif de la Conférence des Nations Unies sur l’eau ont demandé l’adoption de mesures concertées permettant d’améliorer la gestion de l’eau et de réduire le stress hydrique devenu critique dans de nombreuses régions du monde.  Sur le thème de « l’eau et le développement durable: valorisation de l’eau, liens entre l’eau, l’énergie et l’alimentation, et développement économique et urbain durable », cette discussion a été l’occasion pour les délégations de la société civile, d’ONG, d’États Membres et d’institutions des Nations Unies de partager leurs préoccupations et de présenter leurs solutions pour faire face à la « crise systémique » de l’eau à l’échelle internationale.

L’eau joue un rôle de catalyseur pour le développement en connectant tous les objectifs de développement durable (ODD), a d’abord fait remarquer Mme Dubravka Šuica, Vice-Présidente de la Commission européenne chargée de la démocratie et de la démographie.  Une gestion des eaux non durable, ajoutée à la pollution, à la perte de diversité, aux changements démographiques et aux longues périodes de sécheresse, nuit à la production agricole et énergétique.  Si nous ne changeons pas la manière dont nous utilisons et conservons l’eau, la société se heurtera à des conséquences dramatiques, s’est alarmée la Vice-Présidente.  Elle a assuré que, depuis 2019, l’Union européenne mise sur une croissance durable fondée sur le pacte vert pour l’Europe, qui est le cadre stratégique en la matière, tandis que la loi européenne sur l’eau établit les règles pour assurer une gestion durable de l’eau.  Le but est de se tourner vers un modèle économique permettant d’assurer un secteur alimentaire plus rentable et plus durable, a-t-elle expliqué en prônant d’adopter des approches plus sobres en ressources hydriques, de combattre la pollution à la source, de promouvoir des solutions plus naturelles ainsi que des investissements durables, comme c’est le cas pour la Stratégie européenne pour la biodiversité.

L’eau est en effet une ressource économique stratégique déterminante sur le plan environnemental et le développement, a convenu M. Li Guoying, Ministre des ressources hydriques de la Chine.  Il s’est inquiété du fait que plus de deux milliards de personnes vivent dans un environnement affecté par un important stress hydrique, qui plus est dans une ère émaillée de défis mondiaux.  Les effets combinés des changements climatiques et des activités humaines en augmentation ont créé des risques additionnels en matière de sécurité hydrique qui rendent d’autant plus importante la réalisation des objectifs de développement durable relatifs à l’eau, a noté le Ministre.  Il a souligné que les gouvernements et les peuples aspirent ainsi plus que jamais à une coopération bilatérale et multilatérale étroite dans le domaine de l’eau, accompagnée de garanties concernant la protection de l’environnement aquatique.  La Chine applique pour sa part le concept de gouvernance de l’eau, en faisant de la conservation et de la distribution égale de l’eau une priorité, en collaboration avec le secteur privé.  Le Ministre a appelé à garder à l’esprit les intérêts communs de l’humanité en assurant davantage de coopération et de partage dans la gestion des ressources hydriques.

La modératrice de la discussion, Mme Myrna Cunningham Kain, du Groupe des peuples autochtones sur le développement durable en Amérique latine et dans les Caraïbes, a indiqué qu’elle vit depuis l’enfance avec la conviction que l’eau est un élément central de l’identité culturelle humaine.  Elle est une question qui traverse tous les ODD, a-t-elle observé, ajoutant attendre des intervenants qu’ils s’attardent sur l’interaction eau-énergie-alimentation-écosystèmes.  « En tant que peuples autochtones engagés à participer activement auprès des gouvernements et de l’ONU à œuvrer à la protection des ressources en eau dans le plein respect de nos droits, nous vous demandons de réfléchir aujourd’hui à une gouvernance durable en eau de demain, afin qu’il soit remédié à la crise climatique actuelle », a-t-elle indiqué aux panélistes.

La « grande disparité » qui subsiste entre pays développés et pays en développement en termes d’accès à l’eau a d’abord été soulignée par le Ministre des affaires étrangères du Bangladesh, M. A. K. Abdul Momen, qui a relevé qu’au rythme actuel, 1,6 milliard de personnes dans le monde, en particulier dans les pays les moins avancés (PMA), risquent de rester sans accès à l’eau potable, et 2,8 milliards de personnes de voir l’accès à des services d’assainissement limité.  Il s’est inquiété de l’absence de données de surveillance concernant la qualité de l’eau dont dépend près de la moitié de la population mondiale.  De même, plus de 733 millions de personnes, soit un dixième de la population mondiale, vivent dans des zones de stress hydrique élevé ou critique.  Face à cette « crise de l’eau », il a donc jugé impératif que le Programme d’action sur l’eau mette l’accent sur le financement et les innovations technologiques.  Il a averti à cet égard que l’architecture financière internationale telle qu’elle est actuellement ne permettra pas de remplir les engagements pris envers les peuples des pays en développement.  À cette fin, a-t-il rappelé, 16 PMA, dont le Bangladesh, revendiquent le respect de leurs droits en vertu des engagements de développement adoptés au niveau international.  Enfin, le Ministre a indiqué que le Bangladesh a entrepris une « valorisation de l’eau » en vue d’introduire des prix fictifs dans les secteurs à forte intensité d’eau comme l’agriculture et l’industrie, en tenant compte des risques climatiques.

M. Tālis Juhna, Vice-Recteur à la recherche et professeur à l’Université technique de Riga (Lettonie), a pour sa part souligné l’importance du rôle tenu par les universités en tant que moteurs de l’innovation en matière de développement des nouvelles technologies vertes.  À cet égard, il a souligné l’importance d’une généralisation de l’approche WEFE (interaction eau-énergie-alimentation-écosystèmes) dans les sphères académiques et d’un rapprochement de la recherche en ce domaine des marchés industriels et agricoles.  Le potentiel est immense, a-t-il ajouté, se disant confiant dans la capacité de l’approche WEFE à remettre le système global à l’équilibre pour permettre aux gouvernants de mieux lutter contre les pénuries alimentaires et répondre aux défis climatique et sécuritaire.  Il a ainsi indiqué que des innovations tels que les jardins verticaux, les infrastructures vertes pour recollecter les eaux de pluie ou encore la récupération des phosphores dans les effluents devraient être implantées dans les procès industriels.  Enfin, selon lui seule la volonté politique des États permettra de faire de l’approche WEFE une norme, l’établissement de celle-ci passant par une collaboration accrue entre universités, industries et gouvernements, et la multiplication des partenariats et incubateurs d’écoentreprises.

Un appel entendu par Mme Dinara Ziganshina, Directrice du Centre d’information scientifique de la Commission interétatique pour la coordination de l’eau en Asie centrale, pour qui les pays de la région doivent « voir » les avantages concrets de la coopération dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de l’alimentation et du climat, notamment d’un point de vue économique.  Pour renforcer la coopération intersectorielle dans ce domaine, nous avons besoin selon elle de preuves plus convaincantes et d’instruments pratiques permettant d’orienter la réflexion des décideurs et de renforcer la planification du développement.  À ses yeux, seuls le développement ciblé des capacités, la recherche et le dialogue politique et technique sauront mener à des progrès dans la gestion des ressources en eau.  Il nous revient donc de cultiver notre propre avenir sécurisé et paisible en matière d’eau, a-t-elle conclu.

« Savoir comment chaque goutte d’eau dans le monde est utilisée. »  Cela doit être l’objectif ultime de l’approche WEFE (interaction eau-énergie-alimentation-écosystèmes), a recommandé M.  Yong-deok Cho, Secrétaire général du Conseil asiatique de l’eau, en misant sur les systèmes intégrés de gestion.  Rappelant que 55% de la population asiatique sera urbanisée d’ici à 2030, ce qui accroîtra la pression accrue sur la ressource en eau et la production attenante d’énergie et de denrées alimentaires, le panéliste a expliqué que le Conseil asiatique de l’eau axe son travail sur le développement de solutions concrètes pour aboutir au partage le plus équilibré possible de l’eau sur le plan régional.  Il a précisé à ce propos que la cinquantaine de projets portés par le Conseil se basent sur la compréhension maximale de toutes les complexités inhérentes à une gestion durable et partagée de l’eau.  M. Cho a plaidé pour l’établissement d’un mécanisme dans lequel toutes les parties prenantes trouveraient leur place dans la définition des priorités et les processus décisionnels liés à l’interaction eau-énergie-alimentation-écosystèmes.  Il a également souligné l’importance de mettre au point des innovations consommant moins d’eau pour lutter rapidement contre le stress hydrique et ses effets délétères.  Notamment, il a suggéré la création de plateformes régionales de collecte des données afin de résoudre le dilemme voulant que la génération de nombre d’énergies renouvelables exige encore trop de consommation en eau.

Prenant la parole pour dialoguer avec les panélistes, la Première Ministre d’Aruba (Pays-Bas), Mme Evelyn Wever-Croes, a fait le constat suivant: « Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, le cycle de l’eau a été perturbé ».  La demande en alimentation devrait augmenter de moitié d’ici à 2050 et l’eau sera d’autant de plus en plus rare, a-t-elle prévenu craignant notamment que cela alimente de nouveaux conflits.  Le moment est donc venu d’ajouter l’eau aux considérations alimentaires, a-t-elle lancé en demandant que le cycle de l’eau soit considéré comme un bien public mondial.

Près de 70% de l’eau douce est en effet utilisée pour l’agriculture, a relevé Mme Claudia Sadoff, du Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR), qui a fait de l’amélioration des systèmes d’approvisionnement en eau une priorité.  Pour ce faire, nous devons renforcer la résilience des agriculteurs et des infrastructures hydriques tout en assurant une gestion efficace de l’eau, au moyen d’une plus grande coopération transfrontalière, a-t-elle recommandé.

En Iraq, a fait savoir la délégation de ce pays, les réserves en eau ne cessent de diminuer en raison de la réduction des pluies et des dynamiques démographiques à la hausse dans ce pays où les moins de 19 ans représentent près de la moitié de la population, ce qui accroît d’autant la pression sur les ressources financières, les infrastructures et les services publics.  Un problème que partage l’Éthiopie, où seulement 2% de la population a accès à une eau salubre à domicile et où divers projets d’énergie renouvelable et de récoltes résistantes aux sécheresses ont été lancés.

Le Ministre de la protection de l’environnement et des ressources naturelles de l’Ukraine a rappelé que l’invasion de son pays fait courir des risques alimentaires et hydriques dans le monde entier.  La Fédération de Russie détruit délibérément les champs ukrainiens, contamine ses cours d’eau et empêche l’irrigation des champs, a-t-il dénoncé, soulignant que cela compromet la capacité de l’Ukraine à respecter ses obligations découlant de l’Initiative sur l’exportation de céréales par la mer Noire et cause la famine dans plusieurs pays.

Le Ministre des ressources hydriques et de l’irrigation de l’Égypte a considéré pour sa part, comme le Chili, que l’eau est indispensable pour assurer le droit à la vie et une condition sine qua non de la réalisation des autres droits humains.  S’il a jugé utile l’interaction eau-énergie-alimentation-écosystèmes, il s’est toutefois inquiété des inégalités mondiales qui constituent une menace pour les plus vulnérables au stress hydrique, comme en Égypte, où plusieurs dépendent du Nil pour leur survie.  Nous devons valoriser l’eau en tant que vecteur des droits humains, a opiné le Mexique, en lançant un appel à cette « valorisation » de l’eau.  La délégation a souligné à cet égard l’importance de l’assainissement pour les populations les plus vulnérables ainsi que la nécessité d’une meilleure gouvernance de l’eau.

Afin de surmonter ces défis interconnectés, la Vice-Présidente de la Commission européenne chargée de la démocratie et de la démographie a plaidé pour des solutions basées sur la nature, en repensant l’agriculture et en privilégiant le développement durable dans le cadre d’une économie circulaire fondée sur une évaluation précise des besoins.  Un avis partagé par l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), qui s’est dite prête à participer au renforcement des capacités des pays en développement ainsi qu’à l’échange de bonnes pratiques.  Une approche globale, intégrée et systémique est nécessaire pour assurer la préservation des ressources en eau douce « rares, précieuses et irremplaçable », a renchéri le Ministre des ressources hydriques de la Chine.

Au Maroc, le dessalement de l’eau sera bientôt affecté au secteur agricole et à la production industrielle, ce qui permettra d’affecter l’eau conventionnelle aux besoins en eau potable de la population, a fait savoir M. Nizar Baraka, Ministre de l’équipement et de l’eau.  L’essor de la population urbaine exerce déjà une pression accrue sur les ressources en eau et la fourniture de services, a noté Mme Maimunah Mohd Sharif, Directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat), phénomène aggravé par les changements climatiques et les conflits.  Ainsi, à l’horizon 2050, 1,9 milliard de citadins seront confrontés à des pénuries saisonnières d’eau sans un aménagement du territoire et des transports urbains adéquats.

La gouvernance de l’eau est inadaptée et doit être repensée, a diagnostiqué Mme Ngozi Okonjo-Iweala, Directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).  À ses yeux, l’approche politique sur les ressources hydriques doit reposer sur l’efficacité et l’équité, et non sur les infrastructures hydriques coûteuses et les subventions agricoles nuisibles.  À cet égard, le commerce constitue selon elle un véhicule permettant la diffusion de la technologie nécessaire à une meilleure gestion des ressources en eau ou à un meilleur traitement des eaux usées.

Nous avons besoin pour l’eau d’un mécanisme à même de « changer la donne », comme l’a fait le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour les changements climatiques, a acquiescé M. Abou Amani, Directeur des sciences de l’eau, Secrétaire du Programme hydrologique intergouvernemental de l’UNESCO, en plaidant pour une évaluation mondiale de l’eau basée sur la science et exploitant les nouvelles technologies avec l’appui d’une plateforme intergouvernementale regroupant science et politique.

Le troisième dialogue interactif de la Conférence des Nations Unies sur l’eau se tiendra demain, jeudi 23 mars, à partir de 10 heures.

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