Forum sur les forêts: dissonances sur les objectifs forestiers mondiaux et les moyens à disposition du Forum
Le Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF) a poursuivi aujourd’hui les travaux de sa dix-huitième session en examinant plusieurs points de son ordre du jour, en particulier les liens entre les objectifs forestiers mondiaux et les objectifs de développement durable (ODD). Cette deuxième journée de débats a été marquée par plusieurs dissonances entre délégations, mais aussi entre celles-ci et la Directrice du secrétariat du Forum, Mme Juliette Biao.
Répondant à certaines délégations, dont le Canada, sur la nécessité d’une réfection du site du Forum jugé « obsolète », Mme Biao a insisté ce matin, comme elle l’avait fait hier, lors de la journée d’ouverture du Forum, sur le manque de personnel à sa disposition en expliquant qu’il manque notamment un responsable Web. Si elle a salué les éloges que lui a décernées l’Union européenne, Mme Biao a également rappelé que seuls deux pays de l’Union sur 27 ont contribué au fonds d’affectation spéciale finançant le Forum, à savoir la Finlande et l’Allemagne.
La question financière a aussi été au cœur des interventions de nombreux pays en développement, à l’instar de la République démocratique du Congo. « Il est demandé à des pays comme le mien de préserver les forêts dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, alors que nous ne sommes en rien responsables de ce phénomène », a tranché la déléguée congolaise.
Elle a également noté que ces pays, véritables gardiens des forêts, ne reçoivent aucune compensation pour ce rôle. Le Mali a également déploré que certains partenaires bilatéraux ne souhaitent pas s’engager sur le plan financier. « Le manque de financement est le principal obstacle dans la réalisation des objectifs forestiers mondiaux, qui sont vitaux pour réaliser les ODD », a appuyé M. Leonce Komguem, consultant.
Ces objectifs forestiers, au nombre de six, ont été abondamment évoqués par les délégations, non sans afficher, là encore, certaines divergences. L’Union européenne a rappelé que ces objectifs sont étroitement liés entre eux. Elle a aussi déploré la priorité accordée à l’objectif 2 visant à améliorer les avantages et les moyens d’existence qui proviennent de la forêt et à l’objectif 3, au détriment de l’objectif 1 consistant à mettre fin à la réduction du couvert forestier.
À ce sujet, M. Mahendra Joshi, consultant, a qualifié de « réels mais inégaux » les progrès accomplis au titre de l’objectif forestier mondial 3 relatif à la protection des forêts et à l’utilisation des produits forestiers durables. Enfin, le Brésil a demandé un lien plus clair entre les objectifs forestiers mondiaux et le Cadre mondial de biodiversité de Kunming-Montréal, tandis que la Fédération de Russie a rappelé que la gestion des ressources forestières doit se faire selon des modalités arrêtées au niveau national.
Le Forum poursuivra ses travaux demain, mercredi 10 mai, à 10 heures.
APPLICATION DE LA STRATÉGIE DE COMMUNICATION ET D’INFORMATION DU PLAN STRATÉGIQUE DES NATIONS UNIES SUR LES FORÊTS (2017-2030), Y COMPRIS LES ACTIVITÉS CONCERNANT LA JOURNÉE INTERNATIONALE DES FORÊTS DE 2023
Dans un premier temps, les délégations ont achevé les discussions, entamées hier, sur les activités de sensibilisation dont l’importance a été soulignée par la Malaisie qui a fait savoir que la Journée internationale des forêts a été célébrée par le Parlement malaisien. La délégation a détaillé le plan de protection des forêts de pins adopté par son pays qui, a-t-elle ajouté, s’est également engagé à développer une communication efficace au service des forêts. La République de Corée a souhaité une plus grande implication des experts dans ces activités, afin de donner au grand public des informations fiables. Nous avons célébré cette journée avec les plus hautes autorités gouvernementales et les peuples autochtones, a estimé le Costa Rica, pays couvert à 65% de forêts. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a indiqué de son côté avoir organisé des manifestations dans le cadre cette journée qui ont attiré près de 700 personnes et réalisé une vidéo qui a été traduite dans 46 langues.
En réponse à une question du Canada, la Directrice du secrétariat du Forum a convenu que le site Web du Forum est obsolète et doit être rénové. Pour ce faire, nous avons besoin d’un responsable Web, a dit Mme JULIETTE BIAO, en pointant, une nouvelle fois, le manque de personnel. « Les lacunes doivent être comblées. » Elle a aussi salué les paroles prononcées par l’Union européenne sur sa vision, avant de rappeler que seuls deux pays de l’Union ont financé le Forum, la Finlande et l’Allemagne.
Examen des points: Priorités pour la période biennale en appui à la mise en œuvre du plan stratégique; liens entre les objectifs forestiers mondiaux et les ODD
Le Forum a entendu deux consultants qui travaillent sur des documents d’information. Le premier, M. LEONCE KOMGUEM, professeur au Durham College, au Canada, a détaillé les actions pour réaliser les objectifs forestiers mondiaux, lesquels sont vitaux pour réaliser les ODD. Le manque de financement est le principal obstacle, a-t-il cependant signalé. Il a aussi souligné, comme autre source de difficulté, le faible encadrement des marchés forestiers dans certains pays. Enfin, il a indiqué que les forêts ont souffert de la période de pandémie, avec des activités de déforestation et de contrebande accrues, mais aussi de la survenue de nouveaux conflits, tel celui en Ukraine.
De son côté M. MAHENDRA JOSHI, ancien membre du personnel du secrétariat du FNUF et ancien agent forestier du Népal, a fait le bilan des progrès, « réels mais inégaux », en ce qui concerne l’objectif forestier mondial 3 relatif à la protection des forêts et à l’utilisation des produits forestiers durables. Il a indiqué que près de 18% des forêts du monde sont protégées, même si 62% de ces forêts se trouvent dans 10 pays seulement, la plupart des forêts bénéficiant d’un plan de gestion durable se trouvant en Europe et en Amérique du Nord. Il a mentionné les principales difficultés, en particulier le manque de ressources financières et de volonté politique.
Il a également indiqué que la protection des forêts par l’utilisation d’aires protégées fixes est compliquée par le fait que certaines espèces végétales et animales, dont dépendent les écosystèmes forestiers, deviennent de plus en plus migratrices en raison des effets des changements climatiques, citant notamment le cas de la Floride. Enfin, il a plaidé pour une évaluation plus réaliste des progrès accomplis au titre de l’objectif 3 et le lancement de campagnes de promotion des produits sylvicoles bénéficiant d’une gestion durable.
Dans le cadre de la discussion interactive qui a suivi ces deux interventions, la République démocratique du Congo a rappelé qu’il est demandé à des pays comme le sien de préserver les forêts dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, dont ils ne sont en rien responsables. Qui plus est, ces pays, gardiens des forêts, ne reçoivent aucune compensation. L’Union européenne a rappelé que les six objectifs forestiers mondiaux sont étroitement liés entre eux, avant de déplorer que la priorité semble être accordée à l’objectif 2 visant à améliorer les avantages et les moyens d’existence qui proviennent de la forêt et à l’objectif 3 qui cible la protection des forêts et l’utilisation des produits forestiers durables, au détriment de l’objectif 1 consistant à mettre fin à la réduction du couvert forestier. Les États-Unis ont souligné l’importance des partenariats, notamment avec la FAO. Le Brésil a demandé un lien plus clair entre les objectifs forestiers mondiaux et le Cadre mondial de biodiversité de Kunming-Montréal et rappelé que la bioéconomie peut contribuer à réaliser l’objectif 2. Le Costa Rica a dit avoir engagé 21 millions de dollars en faveur de la protection des forêts, avant de demander davantage de transferts de technologies dans le secteur forestier au niveau mondial.
De son côté, la Malaisie s’est engagée à réaliser l’objectif 3, notamment en certifiant 5,4 millions d’hectares de forêts. Même son de cloche du côté du Mexique, qui veut augmenter les zones forestières protégées. Le délégué a également demandé une simplification des procédures financières et souhaité que les mesures « non-marchandes » d’atténuation des effets des changements climatiques soient prioritaires. La gestion des ressources forestières doit se faire selon des modalités arrêtées au niveau national, a estimé pour sa part la Fédération de Russie, suivie du Mali qui a déploré que certains partenaires bilatéraux ne souhaitent pas s’engager sur le plan financier. Cette délégation a elle aussi dénoncé la complexité des demandes de financement. Concernant l’objectif 3, la Nouvelle-Zélande a estimé que le Cadre de Kunming-Montréal pourrait être modifié pour inclure davantage de types de forêts. Enfin, une représentante des jeunes et des enfants a déploré que la dimension spirituelle des forêts soit négligée, celles-ci étant souvent envisagées sous un angle financier.
Examen du point sur le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal
Cet examen s’est ouvert sur une intervention de la Directrice de la Science, Society and Sustainable Futures Division de la Convention sur la diversité biologique, Mme JIHYUN LEE, qui a rappelé que ce cadre appelle à une augmentation considérable des ressources allouées, souligne le rôle capital des peuples autochtones et complète les six objectifs forestiers mondiaux. Elle a souligné l’urgence de concilier respect de la biodiversité et satisfaction des besoins humains. Les peuples et les habitats naturels doivent s’épanouir de concert, a-t-elle insisté, appelant à poursuivre l’objectif de 30% de zones protégées.
La matinée s’est conclue par une brève table ronde sur les priorités thématiques de la période biennale et sur les liens entre ODD et objectifs forestiers mondiaux. Cette table ronde a été conçue pour favoriser les échanges entre délégations, banques et partenaires de développement.
M. ULRICH APPEL, du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), a ainsi rappelé que le FEM est la principale institution internationale ayant pour vocation d’investir dans la gestion, la protection et la restauration de la planète. « C’est votre partenaire de développement privilégié. » M. MIKKO OLLIKAINE, du Fonds d’adaptation, a rappelé que ce fonds a pour but de financer des projets d’adaptation aux changements climatiques dans le cadre de l’Accord de Paris. Ce fonds devrait être bientôt opérationnel, a-t-il dit, en rappelant qu’il est financé par des contributions volontaires. De son côté, Mme VANESSA USHI, de la Banque africaine de développement, a noté le coût élevé des politiques d’adaptation en Afrique. Nous encourageons le reboisement en Afrique grâce au financement de nombreux projets, a-t-elle dit. M. QINGFENG ZHAN, de la Banque asiatique pour le développement, s’est également exprimé mais son intervention n’a pas pu être couverte en raison de l’interruption des services d’interprétation.
Discussions techniques sur la mise en œuvre du plan stratégique des Nations Unies sur les forêts (2017-2030)
Renforcement de la coopération avec les partenaires en vue de la réalisation des priorités thématiques et contribution de ceux-ci
Contribution du Partenariat de collaboration sur les forêts, de ses organisations membres et du système des Nations Unies à la réalisation des priorités thématiques; progrès accomplis dans l’exécution du programme de travail du Partenariat
Contribution des organisations et mécanismes régionaux et sous-régionaux à la réalisation des priorités thématiques
Les participants à la seconde discussion générale de la journée avaient sous les yeux la note portant sur le « renforcement de la coopération avec les partenaires en vue de la réalisation des priorités thématiques et contribution de ceux-ci », présentée par la Directrice du secrétariat du FNUF, Mme JULIETTE BIAO.
Le Directeur de la Division des forêts de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Président du Partenariat de collaboration sur les forêts, M. ZHIMIN WU, a ensuite présenté le rapport du Partenariat qui regroupe 16 organisations membres et dont le mandat est de fournir des conseils scientifiques et techniques au FNUF. Au cours des dernières années, le Partenariat a permis de renforcer les capacités nationales, d’intensifier les synergies en matière de données et de mettre les forêts à l’avant-plan des débats mondiaux sur les changements climatiques, la biodiversité et l’agriculture, a-t-il indiqué. Il a également pour fonction de favoriser la mobilisation des ressources et de la volonté politique des États Membres. Pour apporter un soutien réel à la réalisation des objectifs du FNUF, le Partenariat doit selon lui élaborer un plan de travail plus ciblé et mieux définir ses priorités. En 2024, la Journée internationale des forêts se tiendra sur le thème « Forêts et innovation », a par ailleurs annoncé le Président.
Le Partenariat n’a pas encore réalisé son plein potentiel pour faire face à la fragmentation des questions liées à la forêt au niveau mondial, a regretté l’Union européenne. Pour y arriver, il doit d’abord améliorer la transparence et les interactions entre les États Membres, les organisations régionales et les bailleurs de fonds. Une demande reprise par le Japon, lequel a également souhaité la mise en place de critères d’adhésion précis, tout en évitant les doublons coûteux avec d’autres organisations internationales.
La lutte contre les changements climatiques, la protection de la biodiversité et le renforcement des écosystèmes sont des questions transversales qui partagent des objectifs convergents, a diagnostiqué l’Inde, rejointe par la Türkiye qui a plaidé à son tour pour un resserrement des synergies. Selon la Chine, le Partenariat devrait utiliser ses conclusions dans les rapports de synthèse et les évaluations afin de mener des activités intégrées, plus étroitement liées au plan stratégique sur les forêts ainsi qu’aux questions émergentes qui en découlent.
Les initiatives du Partenariat doivent être élaborées en vertu d’un mandat recensant les priorités des pays bénéficiaires et centré sur le renforcement des capacités, particulièrement s’agissant des pays en développement, a fait valoir à son tour le Brésil. Pour disposer d’une perspective régionale, l’Organisation du Traité de coopération amazonienne (OTCA) a prôné la création d’un mécanisme officiel permettant de mieux tirer parti des contributions des organisations régionales.
Comme les États-Unis, l’Australie s’est félicitée de l’expertise du Partenariat en matière de financement de projets sur les forêts, estimant que ses organisations membres sont souvent mieux placées que les États Membres pour accéder au financement provenant du secteur privé et des milieux philanthropiques. La conservation, la gestion durable et l’utilisation rationnelle du patrimoine forestier nécessitent la mise en place de partenariats entre les pays en développement et les pays développés, assortie de mesures incitatives et de modes de financement adéquats, a opiné le Gabon.
L’an dernier, l’Équateur a mis en place un mécanisme de coopération doté d’un fonds permettant de soutenir les droits des peuples autochtones et de les intégrer dans les normes nationales sur les forêts. À cet égard, la Jamaïque a considéré la participation à la présente session du FNUF exclusivement en présentiel comme un « pas en arrière » qui limite l’inclusion et la participation des pays les plus pauvres.
Contribution des grands groupes et d’autres parties prenantes, y compris le secteur privé et les milieux philanthropiques, à la réalisation des priorités thématiques; progrès accomplis dans l’exécution des programmes de travail des grands groupes
La seconde partie de la discussion générale était consacrée à la contribution des grands groupes et d’autres parties prenantes, y compris le secteur privé et les milieux philanthropiques, à la réalisation des priorités thématiques. La modératrice et Présidente et Directrice générale de Conservation de la nature Canada (CNC), Mme CATHERINE GRENIER, a déclaré d’emblée que les activités de l’organisation qu’elle dirige s’inscrivent dans le droit fil des objectifs de renforcer la résilience et d’inverser les pertes de biodiversité. Pour y parvenir, nous devons miser sur le pouvoir d’innovation de l’ensemble des parties prenantes. Le plan stratégique des Nations Unies sur les forêts joue un rôle essentiel pour protéger 3% des forêts d’ici à 2030, une entreprise impossible à ses yeux sans la participation du secteur privé.
En tant qu’entreprise alimentaire et agricole, l’empreinte la plus importante de Nestlé provient des ingrédients, et ses émissions de la déforestation et de la conversion des terres, a expliqué Mme MICHELE ZOLLINGER, chargée des achats et du programme de reboisement mondial de Nestlé, en précisant que l’entreprise a pour objectif de réduire de moitié ses émissions d’ici à 2030. M. ALEXANDER GILLETT, Directeur général de HowGood, a relevé pour sa part que l’agrosylviculture joue un rôle essentiel pour lutter contre les changements climatiques.
Pour renforcer l’agriculture régénérative, nous aurons besoins de près de 40 milliards de dollars par année d’ici à 2030, a relevé M. STÉPHANE HALLAIR, Président de Reforest’action, en appelant à encourager les entreprises à faire la transition vers ce type d’agriculture. L’adoption de nouvelles législations, le renforcement des capacités des agriculteurs et l’essor du marché du carbone sont autant de conditions nécessaires permettant de mener à bien ces projets. Pour que les recettes du marché du carbone, qui devrait atteindre 40 milliards en 2030, profitent aux populations locales et à l’agroforesterie, il a appelé à concevoir des projets avec les représentants des communautés locales, les investisseurs et les gouvernements.
En réponse à une question du Sénégal, le Président de Reforest’action a par ailleurs indiqué que les prix du carbone trop bas ont des effets dévastateurs et ne permettent pas une juste distribution des bénéfices à l’ensemble des populations, ni de développer des projets de qualité plus chers.
Sur les neuf grands groupes reconnus par le FNUF, seuls trois sont présents dans cette salle, a déploré pour sa part le grand groupe des agriculteurs et des petits propriétaires forestiers, en demandant davantage de financement pour les parties prenantes afin qu’elles aient les moyens de participer aux activités du FNUF, ainsi que la création d’un mécanisme de coordination à l’intention des grands groupes. En réponse, la Directrice du secrétariat du FNUF a déclaré que, compte de tenu des moyens dont il dispose, le FNUF préfère renforcer la capacité des grands groupes à mobiliser des financements plutôt que d’assurer le financement de leur participation à ses réunions.