ECOSOC: « deux monologues ne font pas un dialogue », avertit la société civile qui entend collaborer effectivement et pleinement à la réalisation des ODD
Les États Membres ont entendu, ce matin, des appels pressants à ouvrir de réels espaces de dialogue à tous les « grands groupes et autres parties prenantes » participant à la recherche de solutions et aux actions permettant de faire avancer le développement durable. Les représentants de ces groupes étaient en effet venus nombreux présenter leur position sans ambages au forum politique de haut niveau pour le développement durable: il faut intégrer de manière plus concrète leurs avis et leurs engagements. La session matinale leur était d’ailleurs entièrement consacrée pour qu’ils fassent entendre leurs doléances et suggestions en vue de réaliser les 17 objectifs de développement durable (ODD), pour « une transformation inclusive ».
Les grands groupes et autres parties prenantes, au nombre de 13, ont fait partie intégrante de l’élaboration et de l’adoption du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Ils travaillent activement à sa mise en œuvre, par le biais de projets, d’initiatives, de plaidoyer, de partage des connaissances et de suivi, en partenariat notamment avec les gouvernements. Mais le risque d’avoir deux discours en parallèle, les gouvernements d’un côté et les autres parties prenantes de l’autre, a été illustré par M. BRUNO IBARRA, le délégué des grands groupes et parties prenantes d’Amérique latine et des Caraïbes: « Deux monologues ne font pas un dialogue », a-t-il averti. Alors qu’il a relevé que les gouvernements sont très souvent absents dans la salle lorsque la société civile prend la parole dans les rencontres internationales, son appel à une collaboration sincère a été largement relayé par les autres participants.
L’Amérique latine et les Caraïbes représentent la région au monde dans laquelle l’espace civique se réduit de plus en plus, a prévenu d’emblée M. Ibarra en observant que c’est la région la plus dangereuse au monde pour les militants écologistes. Pourtant, il a dit garder espoir qu’en 2030, on pourra affirmer que personne n’a été laissé de côté. La main sur le cœur, la Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC) a affirmé qu’elle s’était assurée que les membres de la société civile prennent part à toutes les sessions de cette édition 2023 du forum politique. Et la cerise sur le gâteau, a relevé Mme LACHEZARA STOEVA, est ce segment qui leur était dédié pour faire entendre leurs doléances et suggestions en vue de réaliser les ODD.
Renforcer l’espace civil pour les ONG, les LGBTQI+, les réfugiés
C’est parce que la société civile dans son ensemble fait face à diverses formes de discriminations que la modératrice de la session, Mme RASHIMA KWATRA, coprésidente du mécanisme de coordination des grands groupes et autres parties prenantes, a appelé à ne pas politiser la violence à l’égard des LGBTQI+, avant d’appeler à des solutions systémiques pour que le monde s’engage sur une voie plus durable. En attendant, il faut veiller au rétablissement de l’espace civil pour les ONG avant le Sommet sur les ODD de septembre prochain, a demandé Mme MARIANNE HASLEGRAVE, Directrice du « Commonwealth Medical Trust », qui s’est exprimée en tant que représentante des grands groupes et autres parties prenantes d’Europe. Elle a souligné que la région européenne compte une société civile dynamique, mais que le combat n’est pas gagné d’avance dans un contexte régional marqué par le conflit en Ukraine et la montée de gouvernements populistes.
N’oublions pas les réfugiés qui doivent également avoir voix au chapitre, a plaidé la Sud-Soudanaise Mme MARY MAKER, Ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Selon celle qui fut elle-même réfugiée, la vie de cette couche sociale est une lutte pour la rédemption. Les réfugiés ont aussi droit au développement, a-t-elle déclaré. Ce droit, dont tout le monde devrait jouir, a d’ailleurs été défendu par M. SURYA DEVA, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit au développement. Constatant que seulement 15% des cibles des ODD sont en voie de mise en œuvre, il a demandé de s’attaquer aux causes profondes qui nuisent à leur réalisation. Il a donc appelé à un nouveau modèle de développement pour la planète, un concept qu’il va présenter au Sommet sur les ODD de septembre, avec comme objectif de « ne laisser personne de côté ».
Institutionaliser la participation des jeunes, inclure les personnes âgées
C’est une société civile dynamique qui va pousser les gouvernements à plus d’ambitions, a lancé un jeune norvégien issu de la société civile. Il a appelé à protéger les défenseurs des droits humains et, de manière générale, tous les membres de la société civile. La représentation des jeunes dans les parlements a également attiré l’attention: moins de 3% des parlementaires au monde ont moins de 30 ans, alors que cette portion de la population mondiale est la plus importante, a dénoncé à son tour une jeune suédoise. « Il est temps d’institutionnaliser la participation des jeunes. » Une jeune irlandaise a salué à ce propos le fait qu’un chapitre entier de l’examen national volontaire de son pays ait été écrit par les jeunes. « Cette implication leur permet effectivement d’avoir leur mot à dire et de ne pas seulement prendre des photos pour démontrer qu’ils ont participé. » Suivant l’exemple, l’Autriche a promis que son examen national volontaire, prévu l’an prochain, sera préparé en collaboration avec la société civile. Il faut donner une vraie place aux jeunes, a tranché l’Italie.
Beaucoup de jeunes bénéficieront des ODD si le futur Pacte numérique mondial (à convenir lors du Sommet de l’avenir en septembre 2024) est inclusif, a lancé le représentant du grand groupe des enfants et des jeunes qui a insisté sur le respect de la vie privée des enfants et des jeunes en ligne. Le délégué de Sri Lanka a salué l’engouement des jeunes, tout en souhaitant qu’ils gardent la même verve quand ils seront aux affaires. S’exprimant au nom des LGBTIQ+, un militant non binaire d’Afrique du Sud a dénoncé des lois discriminatoires contre les LGBTIQ sous le prétexte de la protection de la famille. De son avis, ces lois sapent la réalisation des ODD en prônant des discriminations contre les groupes marginalisés. Le représentant du grand groupe des personnes âgées a aussi plaidé pour le respect de leurs droits: « Sinon, pas de réalisation d’ODD. » Le grand groupe de l’éducation et des universitaires a relevé que des millions d’enfants restent non scolarisés, alors que l’éducation est cruciale non seulement pendant l’enfance mais aussi tout au long de la vie.
Impliquer le secteur privé pour l’emploi décent et l’égalité femmes-hommes
Le grand groupe des entreprises et de l’industrie a appelé à impliquer davantage le secteur privé et à promouvoir les partenariats public-privé. Le représentant des populations discriminées sur le lieu du travail a déploré que ces personnes, comme les migrants et les Roms, soient laissées en marge de la mise en œuvre des ODD. Pour lui, ces groupes vulnérables doivent également accéder à des emplois décents. Or, selon Mme PAOLA SIMONETTI, de la Confédération syndicale internationale, le concept de travail décent est aujourd’hui devenu un vœu pieux. Une grande portion des travailleurs dans le monde n’a pas accès à la protection sociale, a-t-elle constaté, avant de plaider pour la protection sociale des quelques 2 milliards de personnes piégées dans le secteur informel. Déplorant en outre les écarts de salaires entre femmes et hommes, elle a appelé à une transformation du monde du travail en établissant une sorte de « contrat social ».
Pour sa part, Mme JOAN CARLING, Directrice exécutive de « the Indigenous Peoples Rights International », a relevé que les disparités économiques se sont accentuées dans plusieurs pays et qu’il faut donc agir de manière déterminée pour résorber ce fossé. Il faut également transformer le système économique actuel afin de placer l’intérêt des populations en son cœur, a-t-elle plaidé. Militant pour la protection des droits des personnes autochtones, elle a notamment insisté sur leur droit à la terre. Elle a également appelé les pays développés à respecter leur engagement en matière d’aide publique au développement (APD). Selon elle, la hausse de l’autoritarisme et la corruption sapent les possibilités de participation de la société civile et leur accès à la justice. On ne peut réaliser les ODD sans une véritable participation de la société civile, a-t-elle tranché.
Éliminer les obstacles à la participation de la société civile
Il faut effectivement assurer la participation de la société civile à tous les processus, a plaidé M. ALI JILLANI. Le Vice-Président de « the Karachi Research », qui représentait les grands groupes et parties prenantes d’Asie et du Pacifique, a rappelé que la région est malheureusement la plus vulnérable face aux changements climatiques. Son collègue représentant les grands groupes et parties prenantes d’Afrique a, quant à lui, mis l’accent sur les obstacles à la participation de la société civile du continent. M. KOFI KANKAM, qui est également Président de « Elizka Relief Foundation », a ainsi évoqué des cas de blocages de gouvernements, ces derniers s’arrogeant parfois le droit de choisir qui parlera au nom de la société civile. Il a averti que les progrès faits en Afrique seront la boussole de notre promesse de réaliser les ODD. Le Brésil a confirmé que sa société civile est impliquée dans la préparation du forum politique et du Sommet sur les ODD. La Malaisie a dit avoir créé une structure de gouvernance pour coordonner la mise en œuvre des ODD, avec la participation du milieu universitaire et de la société civile.
À la suite de cette séance, le forum politique de haut niveau a commencé les examens nationaux volontaires: la Bosnie-Herzégovine, les Comores, le Liechtenstein et la Zambie, le matin; puis la Barbade, le Rwanda, le Viet Nam, le Burkina Faso et le Cambodge, l’après-midi.
Le forum politique de haut niveau pour le développement durable organisé sous les auspices du Conseil économique et social (ECOSOC) tiendra sa réunion ministérielle de trois jours dès lundi 17 juillet, jusqu’au 19 juillet, conjointement avec le débat de haut niveau de la session de 2023 de l’ECOSOC qui, lui, se finira le 20 juillet.