ECOSOC: le forum politique débat du rôle de l’eau comme canal pour la réalisation des objectifs de développement durable
« L’eau est un connecteur reliant de nombreux secteurs et tous les aspects de la vie. » Ce constat qui coule de source a été fait ce matin par le Vice-Ministre des infrastructures et de la gestion de l’eau des Pays-Bas. M. Jaap Slootmaker prenait part au segment matinal du deuxième jour du forum politique de haut niveau pour le développement durable, placé sous les auspices du Conseil économique et social (ECOSOC). Un segment consacré à l’ODD 6, l’objectif de développement durable sur l’eau et l’assainissement.
En tant que coorganisateur, avec le Tadjikistan, de la Conférence des Nations Unies sur l’eau de mars dernier, le Ministre néerlandais a salué les près de 800 engagements pris par les participants à ce conclave, un large éventail d’acteurs (gouvernements, ONG, entreprises et universités) dans de nombreux domaines: agriculture, santé, changements climatiques, industrie. Cela démontre les liens effectifs entre l’eau et tous les secteurs, tous les aspects de la vie. Les idées ont d’ailleurs jailli de toutes parts pendant la matinée pour le confirmer, consacrant même cette ressource comme « un bien public mondial » dont l’accès, de même que l’assainissement, est largement reconnu comme un droit humain.
En dépit de son importance pour le bien-être des personnes, de la planète, pour la paix et la prospérité, les progrès pour réaliser l’ODD 6, à mi-parcours de leur mise en œuvre, montrent que les efforts vont à vau-l’eau. C’est ce qu’a expliqué M. Daniel Eshetie, de la Division statistique du Département des affaires économiques et sociales (DAES), en présentant les points saillants de l’édition spéciale du rapport du Secrétaire général. Il a quand même relevé des avancées: entre 2015 et 2022, l’accès mondial à l’eau potable est passé de 69% à 73%, tandis que l’accès aux services d’assainissement est passé de 49% à 57%.
Malgré de tels progrès, il y avait en 2022 encore 2,2 milliards de personnes sans accès à des services d’approvisionnement en eau potable gérée de façon sûre, et 3,5 milliards de personnes n’ayant pas accès à des services d’assainissement gérés en toute sécurité. De plus, 2 milliards de personnes n’avaient pas accès à des services d’hygiène de base. À l’échelle mondiale, le stress hydrique reste à un niveau non dangereux de 18,2% en 2020, mais ce pourcentage masque d’importantes variations régionales et fait apparaître une augmentation de 1,2% entre 2015 et 2020, toujours selon le rapport. Il souligne également le manque de coordination intersectorielle en matière d’utilisation de l’eau, entre l’agriculture, l’industrie, la production d’énergie et l’approvisionnement des ménages, ce qui menace la réalisation de plusieurs ODD, notamment ceux relatifs à l’alimentation, à l’énergie et à la vie terrestre.
Surfant sur ces obstacles et défis, les participants à la session n’ont pas tari de propositions et solutions pour résoudre les problèmes de l’eau dans le monde. La Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, Mme Rola Dashto, a communiqué les priorités établies par les commissions régionales des Nations Unies: tenir compte de la gestion intégrée des ressources en eau dans les politiques et plans nationaux de développement; promouvoir la coopération transfrontalière dans le domaine de l’eau, tout en veillant, à améliorer la collecte et le partage des données sur l’eau grâce aux plateformes d’accès libre; et mobiliser des financements pour des initiatives liées à l’eau.
Au niveau du système des Nations Unies, plusieurs délégations, dont l’Allemagne, ont salué la perspective prochaine de nomination d’un envoyé spécial du Secrétaire général sur l’eau, qui devrait travailler en étroite collaboration avec ONU-Eau et d’autres agences onusiennes, ainsi qu’avec les États Membres et les parties prenantes, pour accélérer la mise en œuvre de l’ODD 6 et, partant, des autres objectifs. Le Vice-Président d’ONU-Eau, M. Johannes Cullmann, a d’ailleurs rappelé que l’eau étant un bien essentiel de l’humanité, il est crucial de travailler d’une manière concertée sur les questions y afférentes.
Et ce ne sont pas les fonds qui manquent, a précisé M. Joel Kolker, de la Banque mondiale, tout en précisant que c’est leur répartition qui pose problème. Les inégalités et la mise à l’écart des femmes et des jeunes dans la gestion des ressources hydriques ont été également mentionnées. C’est pourquoi le besoin de données ventilées est revenu parmi les vœux émis par les uns et les autres. Le Président de l’Assemblée générale a quant à lui souhaité que les actions dans le domaine de l’eau s’appuient sur la science.
Le Danemark qui s’est targué d’avoir une avance en la matière a promis de partager son savoir-faire avec d’autres pays. À ce propos, l’Éthiopie a appelé à une coopération internationale concertée afin notamment de soutenir la construction d’infrastructures. Au milieu de cette cascade d’idées et de réalisations, l’Algérie s’est enorgueillie de ses 80 barrages à grande capacité de stockage, qui ont réduit le stress hydrique dans le pays.
L’après-midi a été consacrée à deux autres discussions, l’une portant sur les actions locales et l’autre, sur les défis des petits États insulaires en développement (PEID), dont la vulnérabilité entrave le développement. M. Gaston Browne, Premier Ministre d’Antigua-et-Barbuda, pays qui accueillera en 2024 la Conférence des Nations Unies sur les PEID, s’est impatienté notamment au sujet de l’allègement de la dette des pays vulnérables. « Nous répétons les mêmes choses depuis trente ans », a-t-il déclaré en misant toutefois sur le futur indice de vulnérabilité multidimensionnelle pour l’aide au développement, qui sera à son avis d’un grand secours pour réaliser les ODD.
Le forum politique se poursuit demain, mercredi 12 juillet, dès 10 heures.
FORUM POLITIQUE DE HAUT NIVEAU POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ORGANISÉ SOUS LES AUSPICES DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Liens entre l’ODD 6 -eau propre et assainissement- et d’autres ODD
La session de ce matin, fort courue, a permis aux participants au forum politique d’échanger sur les liens existants entre l’objectif de développement durable (ODD) 6, relatif à l’eau propre et l’assainissement, et d’autres ODD. Pour de nombreux intervenants, l’eau peut servir de viaduc pour faciliter la mise en œuvre de plusieurs autres ODD. Pour ce faire, il est question pour les parties prenantes de collaborer et de travailler en synergie pour une bonne gestion des questions hydriques.
C’est en substance le message transmis dans le discours liminaire prononcé par M. JAAP SLOOTMAKER, Vice-Ministre des infrastructures et de la gestion de l’eau des Pays-Bas. Prenant la parole en tant que coorganisateur de la Conférence des Nations Unies sur l’eau, avec le Tadjikistan, il a salué les près de 800 engagements de différents types pris par les participants à ce conclave de mars dernier au Siège des Nations Unies. Il a précisé que ces engagements ont été pris par un large éventail d’acteurs -gouvernements, ONG, entreprises et universités– dans toute une série de domaines –agriculture, santé, changements climatiques, industrie-. Selon lui, cet état de fait laisse voir que « l’eau est un connecteur reliant de nombreux secteurs et tous les aspects de la vie ».
Le Vice-Ministre néerlandais a observé que le monde ne peut plus considérer l’eau, le climat, les catastrophes, la planification et l’investissement comme des questions distinctes. Et les cibles relatives à l’eau sont encore réalisables, a-t-il confié. D’ailleurs, la Conférence de mars n’a-t-elle pas donné l’élan nécessaire pour inverser la tendance? a-t-il demandé en appelant à maintenir cet élan. Il a salué l’adoption, en mars dernier, du Programme d’action pour l’eau dont le premier bilan de mise en œuvre sera bientôt présenté. De même, il s’est réjoui de la perspective prochaine de nomination d’un envoyé spécial du Secrétaire général sur l’eau qui devrait travailler en étroite collaboration avec ONU-Eau et d’autres agences des Nations Unies, avec les États Membres et les parties prenantes pour accélérer la mise en œuvre de l’ODD 6. Enfin, il a souhaité que soit adoptée une résolution à l’Assemblée générale pour renforcer le processus intergouvernemental sur l’eau et institutionaliser la tenue régulière de conférences sur l’eau.
M. DANIEL ESHETIE, de la Division statistique du Département des affaires économiques et sociales (DAES), a ensuite présenté les points saillants du rapport du Secrétaire général (édition spéciale) sur les objectifs de développement durable, notamment en rapport avec l’ODD 6. On retient qu’entre 2015 et 2022, l’accès mondial à l’eau potable est passé de 69% à 73%, tandis que l’accès aux services d’assainissement est passé de 49% à 57%. Pour la même période, l’accès aux services d’hygiène est passé de 67% à 75%. Cependant, des milliards de personnes n’ont toujours pas ces services essentiels. M. Eshetie a souligné que le stress hydrique et la rareté de l’eau demeurent une préoccupation dans de nombreuses régions du monde.
La région de l’Afrique du Nord et celle de l’Asie occidentale ont connu une augmentation inquiétante de 18% du stress hydrique entre 2015 et 2020. Globalement, on estime que 2,4 milliards de personnes vivaient dans des pays en situation de stress hydrique en 2020, dont près de 800 millions connaissant des conditions de stress hydrique élevé et critique. Pour remettre l’ODD 6 sur les rails, le rapport suggère de stimuler les investissements et le renforcement des capacités à l’échelle du secteur, de favoriser l’innovation et l’action fondée sur des données probantes, et d’améliorer coordination et coopération intersectorielles.
Dans les régions africaine, arabe et latino-américaine, il existe une concurrence croissante pour des ressources en eau qui sont de plus en plus rares, a observé pour sa part la Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, Mme ROLA DASHTI, en relevant le risque de conflit que cela pose au sein et entre les communautés et les pays. La pollution de l’eau par les villes, les industries et l’agriculture sont un thème prioritaire en Europe, en Asie et en Amérique latine, a-t-elle poursuivi, tandis que la surexploitation des eaux souterraines est un problème urgent dans les régions arabes et africaines. Ce problème menace d’ailleurs la disponibilité des réserves d’eau douce. De même, les phénomènes météorologiques extrêmes et les changements climatiques ont entraîné des pertes et dommages liés à l’eau dans toutes les régions.
Pour atteindre les ambitions de l’ODD 6 et de la Décennie d’action pour l’eau, les commissions régionales des Nations Unies ont identifié des priorités, a rappelé Mme Dashti. Il est d’abord question de tenir compte de la gestion intégrée des ressources en eau dans les politiques et plans nationaux de développement. Il faut aussi promouvoir la coopération transfrontalière dans le domaine de l’eau, tout en veillant à améliorer la collecte et le partage des données sur l’eau grâce aux plateformes d’accès libre. Enfin, il est crucial de mobiliser des financements pour des initiatives liées à l’eau.
La question du financement a été abordée également par Mme KELLY ANN NAYLOR, une contributrice au rapport sur les ODD, qui a jugé crucial de modifier l’architecture financière internationale afin de favoriser les investissements relatifs à l’eau. Elle a également proposé que davantage de femmes et de jeunes soient impliqués dans les professions liées à l’eau. Selon elle, il serait de bon ton de créer un bureau de coordination des Nations Unies sur la question de l’eau. Il faut effectivement agir d’une manière concertée sur les questions d’eau, vu que c’est un bien essentiel de l’humanité, a renchéri le modérateur de la session, M. JOHANNES CULLMANN qui est également Vice-Président d’ONU-Eau.
Mme MARIA FERNANDA ESPINOSA, Commissaire de la Commission mondiale sur l’économie de l’eau, et ancienne Présidente de l’Assemblée générale des Nations Unies, a averti que si l’on n’agit pas aujourd’hui, la crise de l’eau aura des répercussions négatives à grande échelle, puisque l’eau relie tous les ODD. Elle a plaidé pour de meilleures données, demandant aussi une gouvernance différente pour faire bouger les vannes. Il faut réfléchir au coût de l’inaction, a-t-elle lancé, soulignant que l’eau est un facteur clef de la stabilité mondiale. C’est pourquoi il est important d’investir d’abord sur la coopération hydrique, a plaidé Mme KARIN GARDES, Directrice exécutive par intérim de l’Institut international de l’eau à Stockholm. L’oratrice a appelé à une plus grande volonté politique et à tendre la main aux acteurs d’autres secteurs. Parmi les investissements nécessaires pour relancer l’ODD 6, elle a recommandé notamment de combler les besoins en matière d’infrastructures hydriques.
Les fonds sont disponibles, mais ils sont inégalement répartis, a concédé M. JOEL KOLKER, Chef du programme eau et finance à la Banque mondiale. Les inégalités et la mise à l’écart des femmes ont été mentionnées par Mme OLGA DJANAEVA, Directrice de l’association Alga pour les femmes rurales, une ONG du Kirghizistan. L’intervenante qui a parlé au nom du grand groupe des femmes n’a pas manqué de préciser que la mobilisation des ressources doit tenir compte des besoins des femmes et jeunes filles. Il faut donc fournir des données ventilées par genre afin de mieux évaluer les cibles de l’ODD 6 et rendre les gouvernements plus responsables. Le représentant du grand groupe des jeunes a, pour sa part, évoqué des innovations dont des jeunes sont à l’origine pour aider à réduire le stress hydrique.
Le Président de l’Assemblée Générale a souhaité que les actions dans le domaine de l’eau s’appuient sur la science. M. CSABA KŐRÖSI a appelé à mettre sur pied des politiques intégrées sur l’eau, le climat et la gestion des terres au sein des Nations Unies. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a recommandé aux pays de partager les informations et d’adopter des approches de gestion des ressources en eau qui tiennent compte de la biodiversité. Même son de cloche pour le Secrétariat de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique qui a expliqué que le cycle de l’eau dépend de la biodiversité et vice versa. De ce fait, préserver et protéger la biodiversité contribuerait à une meilleure gestion des ressources en eau, a-t-il observé.
Le Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes a relevé que les catastrophes liées à l’eau sont parmi les plus destructrices. Il faut donc passer du stade où on réagit face aux catastrophes à celui où on se prépare à les gérer. Les PMA sont parmi les plus exposés aux catastrophes hydriques et à peine la moitié d’entre eux ont mis en place des stratégies de prévention des catastrophes et des mesures d’alerte précoce, a prévenu le Népal qui s’exprimait au nom des pays les moins avancés (PMA). Même la Suisse, qui est considérée comme le château d’eau de l’Europe, connaît des soucis avec ses ressources en eau, a témoigné la délégation.
Le Danemark s’est réjoui du fait que le monde a les connaissances nécessaires pour mieux gérer l’eau. C’est pourquoi le Danemark échange son savoir-faire avec d’autres pays, comme avec l’Afrique du Sud et l’Inde. À ce propos, l’Éthiopie a appelé à une coopération internationale concertée afin notamment de soutenir la construction d’infrastructures. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a dit avoir un programme de coopération technique qui aide plus de 60 pays au monde à gérer leurs ressources en eau. L’agence renforce donc le savoir-faire technique et les capacités des États. La Chine a évoqué son implication dans la coopération internationale en faveur de l’eau, comme le témoigne les 28 engagements qu’elle a pris à la Conférence sur l’eau de mars dernier. La délégation ayant dénoncé le Japon, qui déverse dans la mer des millions de mètres cube d’eau contaminée de la centrale nucléaire de Fukushima, le Japon s’est défendu en arguant que ce déversement s’est fait en collaboration avec des parties prenantes internationales. Il a d’ailleurs fait valoir avoir promis 500 millions de yens sur cinq ans pour la coopération hydrique internationale.
Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a appelé à renforcer la résilience dans les communautés, tandis que le grand groupe des territorialités locales a mis en avant les gouvernements locaux, qui doivent prendre des actions dans ce domaine, ce qui nécessite de faire avancer le processus de décentralisation. Le Brésil a évoqué la coopération avec ses voisins pour la gestion des eaux transfrontalières comme celles du fleuve amazone. Le pays veut amender sa Constitution afin de faire de l’accès à l’eau un droit fondamental. La Colombie a également prêché pour le respect du droit des populations vulnérables dans la gestion de l’eau, notamment les peuples autochtones.
L’Ukraine a accusé la Russie d’avoir fait exploser le barrage hydroélectrique de Kakhovka, ce qui a conduit à des conséquences jamais vues avant en Europe. La délégation a également évoqué l’impact de la guerre sur la qualité de l’eau dans le pays. La Fédération de Russie a estimé que c’est plutôt l’Ukraine qui est responsable de la destruction du barrage. La délégation a en outre appelé à éviter les doublons au sein des Nations Unies, faisant remarquer que d’autres entités onusiennes travaillent déjà sur les questions hydriques. L’Allemagne, qui consacre 360 millions d’euros pour la coopération hydrique, a dit attendre impatiemment la nomination de l’envoyé spécial sur l’eau avant le Sommet sur les ODD de septembre prochain. Le Viet Nam a appelé à la création d’un comité scientifique onusien pour la gestion des cours d’eau transfrontaliers.
ONU-Habitat est ensuite venu rappeler qu’un logement décent s’accompagne de services essentiels d’eau et d’assainissement. Il a appelé à une économie circulaire pour mieux gérer les ressources en eau. Cette gestion harmonieuse est déjà visible en Algérie dont le délégué s’est enorgueilli de ses 80 barrages qui ont une grande capacité de stockage. Des infrastructures qui ont réduit le stress hydrique dans le pays, qui entend d’ailleurs partager son expérience.
Transformer en partant de la base: agir au niveau local
Le deuxième débat du jour s’est penché sur les actions à mener à l’échelon local comme conditions préalables à la réalisation des ODD. Présidé par M. ALBERT RANGANAI CHIMBINDI (Zimbabwe), Vice-Président de l’ECOSOC, il avait entre autres pour objectif d’évoquer les « examens locaux volontaires ». Depuis 2018, ces examens locaux, créés sur le modèle des examens nationaux volontaires, sont apparus comme un outil innovant pour les villes et leur nombre a d’ailleurs explosé, passant de quelques villes pionnières à plus de 130 examens.
La panéliste Mme ROSARIO DIAZ CARAVITO (Pérou), représentante de la jeunesse, a estimé que malgré ces succès, on ne parlait pas encore assez du Programme 2030 au quotidien, sur le terrain, alors qu’énormément de travail est abattu pour réaliser le Programme 2030 à l’échelon local. Elle a souligné le rôle clef des communautés locales et régionales, prenant à bras le corps des politiques sur le moyen et long terme, au-delà du jeu de l’alternance politique au sommet des gouvernements. Elle a appelé les États Membres à faire en sorte que les « examens locaux volontaires » représentent une partie significative des attentions et des ressources.
Est-il plus facile de travailler avec les « millenials » ou avec la « génération Z » pour réaliser les ODD? a rebondi la modératrice et journaliste suédoise Mme LYDIA CAPOLICCHIO, en direction de Mme Rosario. Cette dernière lui a répondu que les deux générations se complétaient parfaitement pour réaliser le Programme 2030 au Pérou.
M. BHAKTA BISHWAKARMA (Népal), Secrétaire général et membre fondateur de l’Asia Dalit Rights Forum, a expliqué que son organisation travaille au service de plus de 270 millions de membres de la « caste » des Dalits, une communauté faisant l’objet de discriminations multiples qui entravent la réalisation des ODD. Une approche fondée sur les droits humains est essentielle pour aider les Dalits, aussi nommés « intouchables », parfois réduits en esclavage et privés de leurs droits fondamentaux, a développé M. Bishwakarma plaidant pour que cette communauté soit prise en compte en priorité dans les États où ses membres vivent. Les Dalits ont bénéficié d’avancées législatives ces dernières années en Inde, a-t-il signalé, et ils sont désormais représentés à l’Assemblée nationale. « Quel est le plus grand obstacle pour mener à bien un plan d’action en faveur des Dalits? » s’est enquise la modératrice. Selon lui, le plus urgent est d’élaborer un calendrier.
Reprenant la parole, le Président de la séance a vanté les mérites d’une « approche ascendante » tout en relevant une ambiguïté sémantique dans cette locution. Parle-t-on de l’échelle d’une ville, d’une région, d’une province ou d’un continent? M. Chimbindi a invité les délégations à prendre en compte ces remarques dans la discussion interactive à suivre.
La réponse est d’abord venue de la représentante de la Suède. Dirigeante d’une petite localité, elle a évoqué un projet de sa ville intégrant la mise en œuvre des ODD à l’échelon municipal. « Une bonne gouvernance est une condition sine qua non à la bonne réalisation de cet engagement », a-t-elle constaté sur le terrain. Différents objectifs ont été cartographiés; un système d’évaluation est en cours d’élaboration pour évaluer les avancées. Les objectifs « directs », les plus directement liés à la vie quotidienne des habitants et les plus réalisables, ont été ciblés en priorité, avant de s’attaquer aux objectifs « indirects », selon une méthode concentrique.
Au Guatemala également, l’accent est mis sur le travail à l’échelon municipal pour faire progresser l’inclusivité, la qualité de l’éducation et le développement des énergies renouvelables, ainsi que la réduction du taux de mortalité. Un « conseil de l’eau et de l’assainissement » a été créé, corollaire à la création de stations d’épuration dans le pays, a expliqué la délégation. La Pologne a remarqué que parvenir aux ODD nécessitait des « partenariats robustes » entre gouvernements, universités et secteur privé, tandis que la Norvège a témoigné qu’en 2024, les pays nordiques procéderont à un « examen nordique conjoint »: preuve, pour la Norvège, de l’attachement des pays nordiques aux synergies, ainsi qu’aux capacités locales de résolution des problèmes à tous les niveaux.
Pour le représentant africain du grand groupe représentant les autorités locales, les examens nationaux volontaires sont « suffisamment préoccupants » pour réaliser à quel point il est important de redonner des capacités d’initiative aux gouvernements locaux, alors même que celles-ci s’amenuisent, du fait, notamment, de l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les finances. Redonner du pouvoir au niveau local est pourtant, selon lui, « la seule manière d’aller de l’avant ».
La Zambie a mis en avant les réseaux sociaux pour redonner du vent dans les voiles de ses autorités locales, notamment pour les « activités sylvestres » et les « pratiques agricoles durables ». L’Indonésie a elle aussi mis en avant les efforts déployés pour doper les capacités au niveau local, grâce au développement du numérique et à la promotion de l’inclusion. Une assistance financière a été octroyée aux ménages modestes pour faire face à la pandémie. « Les villages sont devenus l’épine dorsale du redressement économique de l’Indonésie », a-t-elle par ailleurs souligné. Rattachant l’effort national aux examens locaux volontaires mis en exergue dans ce forum, le Gouvernement indonésien a enfin annoncé qu’il préparait actuellement les examens locaux volontaires de 6 villes et de 4 provinces.
Les États-Unis se sont joints aux déclarations d’attachement à l’échelon local, via les partenariats tissés entre l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et les gouvernements locaux, en utilisant les idiomes locaux de préférence plutôt que l’anglais. Les États-Unis veulent être un partenaire « patient et humble », ont-t-ils avancé. La représentante d’ONU-Habitat s’est dite heureuse que l’échelon local détienne désormais une place de choix dans ce forum; elle a souligné le caractère crucial de la bonne gouvernance, de la collecte de données au niveau local, ainsi que la nécessité de financements davantage canalisés vers l’échelon local, « sans quoi les efforts de localisation des ODD ne seront pas couronnées de succès ».
La France a donné l’exemple de la ville de Strasbourg qui utilise les ODD depuis 2018 pour évaluer les politiques publiques, mobiliser et partager les connaissances entre citoyens et pouvoirs publics. L’alimentation, plus précisément la diminution de l’impact carbone de la consommation alimentaire strasbourgeoise, est le principal levier du programme. Lutte contre le gaspillage, aide aux agriculteurs: la démarche a permis d’éveiller les consciences citoyennes tout en renforçant l’identité agricole alsacienne, a étayé la France.
Réagissant à cet éventail d’expériences relatées par les délégations, la modératrice a demandé aux panélistes comment enrayer le déficit de popularité des ODD parmi les citoyens dans le monde, et comment faire en sorte que davantage d’entre eux soient familiers avec les concepts d’ODD et de Programme 2030. « Comment démystifier les ODD? »
M. TURAN HANÇERLI, maire de la ville d’Avcilar (Türkiye), localité d’un demi-million d’habitants sur la rive européenne du Bosphore, a proposé de « renforcer la croissance et le développement depuis la base, et à la base »: cette modification permettrait, selon lui, de davantage cibler l’échelon local et les citoyens qui s’y trouvent.
Selon M. ROBERT PAPA, Chef de cabinet du Gouvernement de Busia County (Kenya), il faut trouver des solutions aux problèmes concrets, quotidiens des gens; il faut trouver un lien entre les ODD et la vie quotidienne des gens. C’est à ce moment-là qu’ils y porteront un intérêt. Le secteur privé peut participer à la mise en œuvre de solutions. Le plus important reste selon lui de « cibler les laissés-pour-compte » - jeunes, handicapés, analphabètes, entre autres.
Mme GARAVITO, représentante de la jeunesse, a abondé estimant que le Programme 2030 devait « tomber entre les mains du peuple » et que chaque acteur devait s’approprier le Programme 2030 à l’échelon local. Elle a appelé à ce qu’on intègre sa génération au processus sur le terrain.
Petits États insulaires en développement, du relèvement à la résilience face à la multiplicité des chocs
Cette session a été marquée par la franchise du Premier Ministre d’Antigua-et-Barbuda qui a répété ce que les petits États insulaires en développement (PEID) réclament depuis de longues années: un allègement du fardeau de la dette et l’élaboration d’un indice de vulnérabilité multidimensionnelle.
M. GASTON BROWNE, Premier Ministre d’Antigua-et-Barbuda, a en effet dit qu’il n’a rien de nouveau à dire puisque tout a été dit l’an dernier et l’année d’avant. « Nous répétons les mêmes choses depuis trente ans », a-t-il déclaré lors de son intervention qu’il a voulu « franche et directe ». Il a demandé un allègement de la dette des pays vulnérables qui disposent d’une marge budgétaire très restreinte. Il faut effacer ou restructurer les dettes des PEID, a insisté M. Browne. Il a souligné l’utilité de cet indice de vulnérabilité multidimensionnelle en cours d’élaboration. « Cet indice sera d’un grand secours pour réaliser les ODD. »
Les PEID sont les plus sujets aux chocs multiples, dont les catastrophes, a fait remarquer Mme MAMI MIZUTORI, Représentante spéciale pour la réduction des risques de catastrophe. Elle a appelé à investir dans la résilience de ces pays afin de transformer les crises en opportunités, en soulignant la pertinence, à ce titre, du Cadre de Sendai. Les PEID doivent pouvoir disposer de tous les outils de financement disponibles, a-t-elle dit. « Le renforcement de leur résilience doit être une priorité. » Elle a aussi plaidé pour que les risques de catastrophe soient inclus dans cet indice de vulnérabilité multidimensionnelle.
Un autre militant de la résilience aux catastrophes, M. AMIT PROTHU, Coalition for Disaster Resilient Infrastructure, a souligné la nécessité de doter les PEID en infrastructures résilientes et durables, avant de détailler l’appui apporté par son organisation à cette fin.
Car la vulnérabilité des PEID est réelle, a tenu à rappeler Mme RUTH KATTUMURI, Secrétariat du Commonwealth, en insistant sur la vulnérabilité de leur population réduite, Nauru ne comptant par exemple que 10 000 habitants. Elle a plaidé pour une réforme des circuits de financement internationaux afin que les caractéristiques de ces pays soient pleinement prises en compte. Il est crucial que ces pays disposent d’un accès équitable aux financements, a-t-elle tranché, en jugeant positive l’élaboration d’un indice de vulnérabilité multidimensionnelle. « Pour l’heure, les financements sont insuffisants. » Elle a enfin souligné l’acuité du défi de la dette pour ces pays.
Mobiliser les financements nécessaires afin de renforcer la résilience des PEID face aux changements climatiques a été également le leitmotiv de Mme RENEE ATWELL, Programme jeunes ambassadeurs de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), qui a appelé à créer des mécanismes de financement spécifiques pour ces pays. Il faut faire le pari du capital humain et de la jeunesse, a-t-elle de plus exhorté.
La résilience attendue passe par le renforcement des systèmes d’alerte précoce des PEID face aux changements climatiques, comme l’a exprimé Mme ARMIDA SALSIAH ALISJAHBANA, Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP). Comme de précédents orateurs, elle a demandé pour cela un allègement du fardeau de la dette, avant de détailler l’appui fourni par sa Commission en vue de la prochaine conférence sur les PEID.
Mme KRSHTEE SUKHBILAS, grand groupe des enfants et des jeunes, a exhorté les PEID à investir sur leurs jeunes, avant de plaider pour un meilleur accès aux financements. Nos pays ne sont pas seulement des destinations pour une lune de miel, a-t-elle dit.
Lors du dialogue interactif qui a suivi, l’Indonésie a appelé à la fourniture d’un appui coordonné aux PEID, notamment en vue de la mobilisation des ressources financières internationales, avant de souligner l’importance du Sommet des ODD de septembre. « Les PEID sont durement mis à l’épreuve », a déclaré Samoa, en soulignant la pertinence de cet indice de vulnérabilité multidimensionnelle. « Il est crucial d’alléger le fardeau de la dette. » Il a indiqué que la fenêtre d’opportunité est en train de se refermer pour les PEID qui risquent de se voir condamnés à un « avenir non viable ».
« Nous devons agir de toute urgence et nos paroles doivent enfin se traduire en actes », a exhorté Nauru, qui a demandé un meilleur accès à l’aide publique au développement. De son côté, le délégué de Belize a noté le recul des PEID en ce qui concerne la réalisation des ODD. « Ces pays ont très peu de marge de manœuvre », a-t-il dit, en appelant au renforcement de leur résilience. Il a également souligné l’importance que revêt l’élaboration d’un indice de vulnérabilité multidimensionnelle pour déterminer l’accès aux financements. Une position pleinement partagée par l’Espagne, le Portugal, la Nouvelle-Zélande ou encore le Timor-Leste. « Il faut aller au-delà du PIB », a déclaré le délégué espagnol.
Le délégué du Royaume-Uni a mentionné l’appui de son pays aux PEID, notamment par le biais d’un programme de développement des infrastructures doté de 50 millions de livres sterling. Mon pays a proposé un mécanisme novateur permettant de différer les remboursements au titre du service de la dette en cas de choc climatique, a-t-il ajouté. Son homologue des États-Unis a souligné la robustesse des partenariats noués par son pays avec les PEID, tandis que la France a appelé à un engagement revigoré de la communauté internationale en faveur de ces derniers. Il convient d’assurer une meilleure prise en charge assurantielle des risques de catastrophe climatique pesant sur ces pays, a déclaré le délégué français.