Au deuxième jour du forum sur le financement du développement, des appels à la « transparence » et au partage d’informations pour mieux gérer l’endettement
Au deuxième des quatre jours du forum du Conseil économique et social (ECOSOC) sur le suivi du financement du développement, la question de la réforme de l’architecture financière mondiale a été posée de manière à la fois plus fine et plus franche. Le format de l’événement a permis de faire dialoguer les institutions financières internationales, les pays créanciers et les pays endettés. À l’issue de la Réunion spéciale de haut niveau avec les institutions de Bretton Woods, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) qui a entamé la journée, la Présidente de l’ECOSOC, Mme Lachareva Stoeva, avait d’ailleurs expliqué que tout le sel de ce genre d’événement consistait précisément à amener les parties prenantes à discuter, à « reconnaître leurs différences de points de vue », tout en les amenant à des « solutions convergentes ».
Dans sa déclaration d’ouverture, elle a rappelé les propos du Secrétaire général en début de forum, selon lesquels plus de 40% des personnes en situation d’extrême pauvreté vivent dans des pays affligés par de graves problèmes d’endettement. Elle a aussi souligné le déficit sans précédent de financement des ODD, à la suite des multiples crises frappant les pays en développement depuis 2020. L’un des vice-présidents de l’ECOSOC, M. Albert Ranganai Chimbindi, a dénoncé « la myopie des perspectives ». Il a réclamé un financement adéquat, prévisible et durable à destination des pays en développement, sans quoi les ODD ne seront pas atteints, et le fossé entre pays s’élargira.
Que faire concrètement, alors, pour réduire le fardeau de la dette? M. Bahtijors Hasans, Président du Conseil du commerce et du développement de la CNUCED, a prôné l’intégration des besoins climatiques en matière de financement, dans la même ligne que le doyen du Conseil des administrateurs du Groupe de la Banque mondiale, M. Koen Davidse, qui a appelé à investir davantage dans la lutte contre les changements climatiques et la numérisation, sans quoi le monde risque de « perdre une décennie de croissance ». Durant les deux tables rondes du jour, consacrées respectivement aux moyens de combler les lacunes de l’architecture de la dette souveraine, et à l’investissement privé pour les pays en développement, Sri Lanka et les Seychelles ont réclamé de leurs vœux des solutions adaptées au contexte de chaque pays.
Un des nombreux représentants du Fonds monétaire international (FMI) présents aujourd’hui, M. Carlos Cuerpo Caballero, Président des députés du Comité monétaire et financier international du FMI, a confirmé la nécessité d’adopter des politiques ciblées, adaptées aux circonstances de chaque pays, notamment pour parvenir à la réduction de l’inflation, à la stabilité financière et au renforcement de la protection sociale. Le soutien ciblé apporté aux pays pour le financement de leur développement a été illustré par la Secrétaire exécutive du Comité du développement de la Banque mondiale-FMI, Mme Miyang Tembon: depuis les réunions de printemps du Groupe de la Banque mondiale, cette dernière a pu mobiliser un montant record pour le soutien au développement, en plus de fonds débloqués en faveur des pays en développement dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques.
Il a aussi été beaucoup question de rendre la dette « transparente » pour progresser. Une transparence réclamée par exemple par le Président de l’Indonésie, M. Joko Widodo, et par M. Robert Powell, Représentant du FMI auprès des Nations Unies qui, pour l’atteindre, a jugé essentiel le partage, par le FMI et la Banque mondiale, de l’information sur la gestion de la dette. Un partage d’informations jugé pertinent par l’Inde lorsqu’il s’agit de garantir les efforts de restructuration. Dans cette optique, la France a rappelé s’être déjà engagée à partager les données sur les dettes de ses débiteurs. Dernier appel à la « transparence » –des économies, cette fois-, celui du Président du Rwanda, M. Paul Kagame, qui, s’exprimant par un message vidéo, a souligné la nécessité d’aller au-delà des clichés s’agissant des profils à risque des pays en développement.
Des critiques ont été adressées contre des pratiques ou des instruments vus comme des obstacles à la réforme de l’architecture financière internationale réclamée par tous. Ainsi, pour Cuba, le FMI doit « cesser ses partis pris en matière de prêts » et accorder davantage de droits de tirage spéciaux (DTS) plutôt qu’exercer une politique d’austérité servant « les intérêts des créanciers ». Plus nuancés, les pays les moins avancés (PMA) ont salué l’octroi de DTS supplémentaires pour lutter contre les effets de la COVID-19, mais ont invité le FMI à identifier des mesures pouvant avoir un impact positif à plus long terme. Ils ont aussi estimé que les prêts concessionnels devaient être une priorité.
Une critique a par ailleurs été formulée par une membre de la société civile, au sujet du Cadre commun pour le traitement de la dette du G20, qui selon elle déçoit car il n’améliore pas le sort des pays emprunteurs. Elle a regretté à cet égard que les discussions aient lieu au sein du G20, c’est-à-dire entre pays créanciers, sans prendre en compte le point de vue des débiteurs. Le Président du comité de liaison du FMI, M. Facinet Sylla, a répondu aux critiques, arguant qu’il était « facile de pointer du doigt celui réclamant son dû » et lançant en retour des appels à la bonne gouvernance à l’échelon des pays. M. Sylla a invité les délégations à ne pas transformer la dette en « arme géopolitique », un appel repris au mot près par le Président de l’Indonésie.
Parmi d’autres voies à suivre, Mme Ayanda Dlodlo, Directrice exécutive du Groupe de la Banque mondiale, a préconisé un accès élargi des pays aux marchés financiers et de faire que l’aide publique au développement (APD) cesse de diminuer. Le financement du secteur privé, qui suscitait beaucoup d’espoir, ne s’est pas révélé optimal, selon elle. Elle a aussi critiqué le rôle joué par le système de notation des agences de crédit.
Le forum du Conseil économique et social (ECOSOC) sur le suivi du financement du développement reprendra ses travaux demain, mercredi 19 avril, à 10 heures.
RÉUNION SPÉCIALE DE HAUT NIVEAU AVEC LES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS, L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE ET LA CNUCED
Déclarations d’ouverture
Mme LACHEZARA STOEVA, Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC), a déclaré que cette réunion, mandatée par le Programme d’action d’Addis-Abeba, qui se tient dans le cadre du forum de l’ECOSOC sur le suivi du financement du développement, constitue « un lien essentiel entre nos institutions et nos groupes d’intérêt ». Compte tenu de l’urgence à relever les défis du financement du développement durable, il est impératif que toutes les institutions multilatérales travaillent de concert et en cohérence, a-t-elle appuyé. Elle a annoncé les deux sujets abordés lors de cette réunion spéciale: la dette extérieure, d’une part, et l’aide apportée aux pays en développement pour faire face à l’aggravation des crises et financer les objectifs de développement durable (ODD), d’autre part. Tous deux nécessitent des actions et des solutions urgentes, étant donné le risque que les vulnérabilités de la dette font peser sur la stabilité économique et les perspectives de développement durable, a-t-elle prévenu. Mme Stoeva a rappelé les propos du Secrétaire général dans son discours d’ouverture du forum hier, selon lesquels plus de 40% des personnes en situation d’extrême pauvreté vivent dans des pays affligés par de graves problèmes d’endettement. Dans le même temps, le déficit de financement des ODD s’est creusé à une échelle sans précédent, à la suite des multiples crises se chevauchant et frappant les pays en développement depuis 2020. La Présidente a encouragé les délégations à utiliser cette réunion spéciale comme une plateforme pour « avancer des solutions concrètes à ces immenses défis ».
Des solutions qui s’inscrivent dans le prolongement d’une importante série de consultations, a-t-elle précisé en rappelant qu’en février se sont tenus des dialogues fructueux à Washington entre le Bureau de l’ECOSOC, des représentants permanents impliqués dans la cofacilitation de processus de développement clefs, les directeurs exécutifs du groupe de la Banque mondiale et le Comité de liaison du Fonds monétaire international (FMI). Depuis lors, les discussions se sont poursuivies avec les principales parties prenantes, a poursuivi la Présidente en se réjouissant qu’elles aient permis de dégager d’importants domaines d’alignement et de complémentarité.
En cette année cruciale pour le développement durable, elle a appelé à faire davantage ensemble à tous les niveaux -local, national, régional et mondial- pour renforcer conjointement la mise en œuvre du Programme 2030. La budgétisation des ODD, la réponse aux crises et le partage de données ne sont que quelques-uns des domaines identifiés pour le renforcement de la collaboration dont chaque organisation peut tirer parti afin que nos efforts aient un impact maximal, a appuyé Mme Stoeva. Elle a misé sur les engagements qui seront pris lors du forum politique de haut niveau pour le développement durable qui se tiendra sous les auspices de l’ECOSOC en juillet, ainsi que lors du Sommet sur les ODD et du Dialogue de haut niveau sur le financement du développement, qui se tiendront en septembre. À plus long terme, d’autres mécanismes, tels qu’un sommet biennal proposé par le Secrétaire général entre l’ECOSOC, le G20, le Secrétaire général et les dirigeants des institutions financières internationales peuvent aider à mettre en place une collaboration multilatérale encore plus homogène, a espéré la Présidente en conclusion.
M. CARLOS CUERPO CABALLERO, Secrétaire général au Trésor d’Espagne et Président des députés du Comité monétaire et financier international du Fonds monétaire international (FMI), a estimé que l’économie mondiale et les marchés financiers ont fait preuve de résilience malgré des progrès mitigés et une situation mondiale caractérisée par des crises telles que la guerre en Ukraine et l’inflation. Les pressions que subissent les marchés font toutefois augmenter les risques en matière de stabilité. Pendant ce temps, certains pays font face à des niveaux d’endettement très élevés, ce qui sape les efforts des populations vulnérables, creuse les inégalités et les risques de chocs, a encore constaté le Secrétaire général au Trésor qui a recommandé de préserver la stabilité macroéconomique tout en appuyant les pays vulnérables et en renforçant la résilience, éléments clefs pour traiter de ces questions d’un point de vue politique. Nous avons besoin pour ce faire de politiques ciblées, adaptées aux circonstances de chaque pays, notamment pour parvenir à la réduction de l’inflation, à la stabilité financière et au renforcement de la protection sociale. Nous devons en outre assurer la cohérence entre les politiques fiscales et monétaires et faciliter le commerce, une liste très longue de mesures à prendre, a-t-il convenu.
M. Caballero a prôné la restructuration de la dette extérieure de façon coordonnée et prévisible, avec la coopération de partenaires tels que la Banque mondiale. Il s’est dit impatient à cet égard de tenir une réunion conjointe avec la Banque afin d’échanger des informations sur cette question, notamment les détails d’une analyse de la vulnérabilité face à la dette. Il a salué la tenue de la table ronde sur la question de la dette souveraine, qui permet selon lui de réunir les principales parties prenantes, les marchés émergents, le secteur privé et les pays créanciers.
Le Secrétaire général entend par ailleurs diriger ses efforts en vue d’alléger la crise alimentaire en se concentrant sur les restrictions en matière d’accès à l’alimentation et aux engrais. « Nous devons donc renforcer la production et la chaîne de valeur agricole dans les économies vulnérables, tout en fournissant un appui politique concret et des activités de renforcement des capacités. » Une croissance soutenue et la mise en œuvre des différents programmes de réduction de la pauvreté existants constituent pour le FMI des moyens essentiels pour appuyer des pays en difficulté, a-t-il noté. M. Caballero s’est félicité à cet effet de l’approbation du premier projet pilote en matière de résilience et de durabilité. Pour un avenir vert et inclusif, il a appelé à une coopération internationale solide, au multilatéralisme et à l’ouverture, plutôt qu’à la guerre et à l’isolationnisme.
Mme MIYANG TEMBON, Secrétaire exécutive du Comité du développement de la Banque mondiale-FMI a pris la parole au nom du Président dudit Comité. Elle a indiqué qu’au cours de la réunion de la semaine dernière, les membres de celui-ci ont salué les progrès faits depuis la dernière séance. Entre les deux sessions en effet, la Banque mondiale a pu mobiliser un montant record pour le soutien au développement, en plus de fonds débloqués en faveur des pays en développement dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques. Mme Tembon a informé que la plupart des membres du Comité ont condamné l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, laquelle a eu des effets délétères sur l’économie mondiale. Elle a aussi indiqué que ces membres ont insisté sur l’action de la Banque pour l’évaluation des dégâts en Ukraine et qu’ils ont encouragé des mesures ciblant la reconstruction du pays, ainsi qu’un soutien approprié aux pays affectés par les conflits en général. Le Comité a insisté sur le concept de la durabilité et sur la finalisation de la nouvelle vision de la Banque mondiale, a-t-elle ajouté, avant de signaler que le Comité, au cours de sa réunion de la semaine dernière, a abordé la mobilisation des ressources nationales pour la cause du développement. Le Comité a aussi discuté de la manière dont la Banque mondiale pourrait renforcer son partenariat avec le FMI, ainsi qu’avec d’autres banques multilatérales de développement, a fait valoir la Secrétaire exécutive. Elle a conclu en relatant l’insistance des membres du Comité sur l’importance d’aborder la question du fardeau de la dette; des membres qui ont par ailleurs réitéré leur appel en faveur de la coopération internationale et du multilatéralisme.
M. BAHTIJORS HASANS, Président du Conseil du commerce et du développement de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a estimé qu’il faut absolument mettre en œuvre l’accès à un filet de sécurité en matière de dette. Ceci est crucial, la plupart des pays en développement sans aide internationale connaissant de graves problèmes de liquidité qui les mènent au bord du gouffre par le surendettement, a-t-il expliqué. Il a aussi prôné l’évaluation de la durabilité de la dette et l’intégration des besoins climatiques en matière de financement. Les pays en développement ont besoin de transparence dans les financements, a-t-il ajouté.
Mais le financement n’est pas le seul élément de l’équation, selon l’expert, car il s’agit aussi d’assurer autour du système commercial mondial une prévisibilité et une collaboration élargie. Ce système est au cœur de la croissance, il en est le moteur et il peut aussi être le moteur de la transformation climatique, a fait valoir M. Hasans en recommandant à la communauté internationale de commencer à identifier comment le commerce peut être un moteur pour appliquer l’Accord de Paris. Il a toutefois fait remarquer que la dépendance au fossile doit être prise en compte et qu’il faut concentrer les efforts sur le numérique. Les géants du numérique se battent dans le domaine de l’intelligence artificielle mais les besoins en connectivité et en infrastructures numériques doivent être dans tous les esprits car ils sont la condition pour que les pays en développement ne soient pas irrémédiablement distancés, a appuyé l’expert.
M. KOEN DAVIDSE, doyen du Conseil des administrateurs du Groupe de la Banque mondiale, a reconnu que la mise en œuvre des ODD se heurte à de nombreux défis. Il y aura bientôt 600 millions de pauvres supplémentaires si nous ne changeons pas de trajectoire, a-t-il prévenu, en mettant en garde contre la perte de capital humain, notamment les jeunes. « Si nous n’investissons pas davantage dans la lutte contre les changements climatiques et la numérisation, nous risquons de perdre une décennie de croissance. » L’engagement des pays est au cœur de nos priorités afin de lutter contre la pauvreté, a dit M. Davidse, au moyen notamment de l’atténuation et de l’adaptation au climat. Pour y parvenir, il a recommandé de développer de meilleurs outils d’analyse et une approche plus intégrée entre les secteurs public et privé, tout en nous concentrant sur les résultats.
À cet égard, M. Davidse a estimé que la réunion de Marrakech arrivera à point nommé pour faire en sorte que la Banque continue de servir les pays à revenu faible et intermédiaire. Les défis sont trop grands pour que les acteurs du développement agissent seuls, a-t-il ajouté en appelant le système des Nations Unies, le secteur public, le secteur privé, le FMI, les banques multilatérales de développement, l’Union africaine et l’Union européenne à travailler de concert pour faciliter l’entrée des pays en développement dans le système économique mondial ainsi que la réalisation des ODD.
Du côté des instruments à disposition, M. FACINET SYLLA, Président du comité de liaison du FMI, a vanté plusieurs outils, dont les fonds fiduciaires pour la résilience. Ces fonds étant victimes de leur succès, il a réclamé un appui pour atteindre ses objectifs de levée de fonds, en attendant les prochaines échéances
Discussion interactive
Lançant le premier sujet de la Réunion spéciale sur la dette extérieure, la modératrice Mme SARAH CLIFFE, Directrice exécutive du Centre de coopération internationale de l’Université de New York (NYU), a demandé aux panélistes de réfléchir aux différents moyens permettant de renforcer le cadre de l’architecture financière mondiale. M. JUN MIZUGUCHI, Directeur exécutif du FMI, remarquant que la dette dans les pays à revenu intermédiaire pouvait créer de l’instabilité politique et sociale, a jugé important d’augmenter la transparence et la visibilité. Le FMI a lancé un outil destiné à renforcer la compréhension entre les parties et éviter « un goulot d’étranglement », a-t-il fait valoir. Son voisin M. PARAMESWARAN IYER, Directeur exécutif du Groupe de la Banque mondiale, a lui aussi appelé à améliorer la transparence et à rendre le système plus efficace afin de renforcer les capacités de restructuration de la dette. « Nous fournissons des financements à des conditions favorables aux pays en difficulté, restructurons les portefeuilles et permettons de réduire ce fardeau. » Le Groupe a financé près de 22 milliards de dollars aux pays relevant de ce système, a précisé son directeur avant de réitérer l’engagement du Groupe de la Banque mondiale à réduire la pauvreté et à garantir la résilience.
La « vulnérabilité » qu’implique la dette a été soulignée par M. MAURIZIO MASSARI, Vice-Président de l’ECOSOC, qui a cité, parmi les causes, les changements climatiques, la pandémie et l’invasion de la Russie en Ukraine. Les pays font face à des taux d’intérêt élevés et à une « super inflation », a-t-il relevé. Il a rappelé que, sous la présidence de l’Italie, le G20 s’est mis d’accord pour temporairement suspendre la dette des pays en ayant besoin. À l’heure actuelle, il travaille à des mesures financières internationales plus structurées, s’est félicité le Vice-Président, qui a appelé à un système financier international « davantage adapté aux réalités d’aujourd’hui », plus souple, ainsi qu’à une meilleure coopération entre créanciers privés et publics. Il a aussi insisté sur le rôle important que jouent les institutions financières internationales, « dotées de ressources immenses », pour mettre fin aux crises alimentaires.
Première délégation à s’exprimer après les experts, Cuba a appelé à la mise en œuvre de mesures d’urgence et à opérer des changements structurels au sein des organisations. Le FMI doit « cesser ses partis pris en matière de prêts », a poursuivi Cuba, citant en exemple les droits de tirage spéciaux (DTS), qu’elle a réclamés, au lieu de mener une politique d’austérité et de « servir les intérêts des créanciers ». Une membre de la société civile a rappelé que la Zambie a négocié deux ans sans obtenir la restructuration de sa dette et donc sans aucun résultat, tout comme le Suriname, qui avait négocié hors du Cadre commun pour le traitement de la dette. Les bénéfices du Cadre commun se font attendre, s’est-elle impatientée. Renforcer le Cadre commun ne résoudra pas la crise de la dette, car les discussions se font au sein du G20, c’est-à-dire par les créanciers, sans prendre en compte les débiteurs, a encore regretté le Suriname avant de faire remarquer que le G20 n’est ni inclusif, ni clair, ni doté de mandat ou d’ordre du jour, une observation accueillie par des applaudissements du fond de la salle du Conseil de tutelle.
Le Tchad a tout simplement pensé que les États devraient revoir leur modèle de développement durable. Le Tchad, qui n’a reçu aucun dollar de réduction de sa dette, a pourtant lancé un plan d’industrialisation en investissant massivement dans le secteur manufacturier, avec des objectifs ambitieux. Convaincu que seule la collaboration internationale pourra résoudre le problème de la dette, le Tchad a appelé à élargir les sources de financement pour aider les pays qui le réclament. Le Président du comité de liaison du FMI a repris plus tard la parole pour répondre aux critiques. Soyons clair, le Cadre commun ne règlera pas le problème de la dette, a-t-il concédé, mais « il est cependant toujours facile de pointer du doigt celui qui réclame son dû ». Il faut absolument renforcer la bonne gouvernance au sein des pays, a-t-il ajouté. Il a noté qu’il aura fallu plus d’une décennie pour rendre effectif le Cadre commun, les autorités tchadiennes ayant bénéficié de ce mécanisme. Il a lancé un appel à toutes les délégations à ne pas transformer la dette en « arme géopolitique ».
L’Inde, pour soutenir les pays plongés dans la crise de la dette, a préconisé un dialogue basé sur le « partage d’informations », condition nécessaire selon elle pour garantir les efforts de restructuration. Elle a aussi appelé à garantir un transfert des technologies, à aider les pays à long terme, et à créer de l’emploi. Pour l’Inde, les partenariats doivent être consultatifs et préserver l’intégrité des pays. Le Maroc a rappelé que 60% des pays en développement avaient vu leur note de crédit diminuer depuis la crise de la COVID-19. Il a appelé les institutions à élargir l’appui et l’éligibilité à des programmes spéciaux à tous les pays, y compris les pays à revenu intermédiaire, et à subvenir à leurs besoins en matière de liquidités.
Passant au second sujet de la réunion, l’aide apportée aux pays en développement pour faire face à l’aggravation des crises et financer les ODD, Mme Cliffe, de NYU, a demandé à trois nouveaux panélistes si le système multilatéral international était « toujours crédible ». Pour Mme AYANDA DLODLO, Directrice exécutive du Groupe de la Banque mondiale, la voie à suivre est de renforcer l’accès des pays aux marchés financiers, de renforcer la bonne gouvernance et de faire que l’aide publique au développement (APD) cesse de baisser. Le financement du secteur privé, qui suscitait beaucoup d’espoir, ne s’est pas révélé optimal, selon lui. L’architecture financière internationale doit être révisée, a-t-elle conclu, critiquant le rôle du système de notation des agences de crédit.
M. ROBERT NICHOLL, Directeur exécutif du FMI, a quant à lui conseillé d’aligner les financements sur des objectifs mondiaux à long terme. Les États doivent mieux gérer leur dette, a-t-il ajouté, leur recommandant aussi d’élaborer des politiques monétaires tournées vers le relèvement. C’est ce à quoi le FMI contribue en jouant un rôle de conseil avec des guichets dédiés, a-t-il fait observer. De plus, pour M. Nicholl, l’assistance financière sera efficace seulement si les pays ont la capacité de collecter des données et de les partager. Enfin, M. ALBERT RANGANAI CHIMBINDI, Vice-Président de l’ECOSOC, a dénoncé « la myopie des perspectives » et réclamé un financement adéquat prévisible et durable à destination des pays, sans quoi les ODD ne seront pas atteints, et les écarts grandiront.
En clôture de la Réunion spéciale, la Présidente de l’ECOSOC a constaté que l’architecture financière internationale demeure défavorable aux pays en développement malgré l’expansion récente du filet de sécurité mondial, que le Cadre commun n’a pas répondu aux attentes suscitées et que la fourniture de liquidités reste un défi majeur pour de nombreux pays en développement en période de crise, alors que le Secrétaire général a appelé à une relance des ODD comprenant une réforme en profondeur du système financier international, visant à mobiliser 500 milliards de dollars par an au minimum. Il s’agit également d’accroître les fonds d’urgence pour les pays dans le besoin, en réorientant les DTS inutilisés ou en en émettant de nouveaux, et d’élargir le mandat des banques multilatérales de développement (BMD) afin d’augmenter massivement les financements abordables à long terme.
Enfin, face aux désaccords entendus, la Présidente a souligné que c’était précisément le rôle de ce forum que d’amener les parties prenantes à des solutions convergentes tout en reconnaissant les différences de points de vue.
Table ronde 4 - Favoriser la soutenabilité de la dette en comblant les lacunes de l’architecture de la dette souveraine
La session avait pour objectif d’explorer les réformes de l’architecture de la dette souveraine pour parler des moyens de combler les lacunes connues de longue date, comme l’a expliqué Mme SARAH CLIFFE, Directrice exécutive du Centre de coopération internationale de l’Université de New York (NYU). Elle a entendu tout d’abord un message vidéo du Président de l’Indonésie, M. JOKO WIDODO, qui a lancé un appel: « La dette ne doit pas devenir un outil géopolitique » Selon lui, il faut trouver des solutions durables en garantissant la coopération entre les créanciers publics et privés et les débiteurs. Le Président indonésien a insisté sur la transparence de la dette, avant de préciser que le niveau d’endettement de tout pays ne devrait pas dépasser ses capacités de remboursement. Il faut une architecture de la dette qui soit à la fois inclusive et équitable, a-t-il conclu.
Il faudrait en effet combler les lacunes de longue date de cette architecture, a souscrit le Ministre d’État en charge des finances de Sri Lanka, M. SHEHAN SEMASINGHE, qui a informé que son pays a demandé une restructuration de sa dette en fin d’année 2022. Le pays a invité les créanciers de Sri Lanka à accompagner ce processus, y compris les créanciers issus de banques commerciales. Selon le Ministre, les solutions doivent tenir compte du contexte de chaque pays. C’est aussi la position de son homologue le Ministre des finances des Seychelles, M. NAADIR HASSAN, dont le pays, comme la plupart des petits États insulaires en développement (PEID), n’a pas les capacités financières de faire face aux effets des changements climatiques. De nombreux pays dans la même situation ne peuvent accéder ni aux financements ni aux marchés de capitaux, ce qui les oblige à se tourner vers des créances à fort taux d’intérêt que proposent les banques commerciales. Ces dettes à haut risque viennent encore renforcer l’insolvabilité de ces pays, a-t-il expliqué. Il a aussi fait remarquer que la crise climatique exacerbe la vulnérabilité de ces pays, appelant à des solutions à court terme comme à long terme. Sur le court terme, ces pays pourraient par exemple accéder à des prêts concessionnels, a-t-il suggéré avant de recommander aussi de renforcer les capacités des PEID à mieux gérer leurs dettes. Une assistance technique pour appuyer les pays en développement dans la gestion de leur dette serait déjà un bon début, a renchéri le Paraguay.
Donnant le témoignage du Tchad, M. ABDELKERIM AHMADAYE BAKHIT, Président du Conseil économique, social, culturel et environnemental du Tchad, a expliqué que la baisse du prix du baril du pétrole sur les marchés internationaux a fait exploser la dette publique du pays: elle est estimée à 2,6 milliards de dollars, soit environ 70% de son produit intérieur brut (PIB). Pour réduire la dette, le pays a engagé des négociations pour sa restructuration, notamment en visant la baisse des taux d’intérêt et en espaçant les payements, a relaté le haut fonctionnaire. Il faut davantage de prêts concessionnels pour les pays en développement, a—t-il plaidé. Il serait aussi souhaitable d’améliorer la transparence dans le secteur de la dette, a argumenté le Directeur du développement durable au Ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la France. M. CHRISTOPHE GUILHOU a expliqué que la France s’est déjà engagée dans le partage des données sur les dettes de ses débiteurs. Il a souligné que le Club de Paris est engagé dans la restructuration des dettes souveraines, comme c’est le cas avec le Tchad. Mais il faut des processus transparents et limités dans le temps, a-t-il insisté.
M. ROBERT POWELL, représentant du FMI auprès des Nations Unies, a expliqué qu’en plus de la restructuration, la lutte contre l’endettement passe aussi par la mobilisation des ressources nationales. En matière de transparence, il a aussi jugé urgent le partage, par le FMI et la Banque mondiale, de l’information sur la gestion de la dette. Il faut aussi améliorer le cadre de résolution de la dette, a-t-il convenu, suggérant une amélioration du processus de restructuration initié au sein du G20. « Le Cadre commun du G20 ne marche pas, d’ailleurs, il y a quelque chose qui ne marche pas dans ce système », s’est emporté un représentant de la société civile, membre d’AFRODAD. « Les pays en développement ont suivi mot pour mot les conseils de la Banque mondiale et du FMI, mais aujourd’hui le cycle de la dette se poursuit. » Le représentant a donc appelé à une réforme de l’architecture de la dette, ajoutant que la société civile insiste pour un cadre multilatéral inclusif de gestion de la dette.
Le Népal, s’exprimant au nom des pays les moins avancés (PMA), a déclaré que les prêts concessionnels doivent être la priorité. La délégation a salué l’octroi de DTS supplémentaires pour lutter contre les effets de la COVID-19, mais elle a invité le FMI à identifier également des mesures ayant un impact sur le long terme. L’ONG South Center a décrié l’exclusion de certains pays en développement des marchés financiers du fait de leur insolvabilité. Une mise à l’écart qui, cyniquement, vient encore aggraver leur situation. Pour cette ONG, il faut réformer les agences de notation qui déterminent le sort de ces pays, et plus globalement, modifier l’architecture internationale de la dette.
Table ronde 5 - L’investissement privé pour les pays en développement
Dans un message vidéo préenregistré, le Président du Rwanda, M. PAUL KAGAME a ouvert la table ronde en prônant des actions concertées de la part des gouvernements et des institutions multilatérales, afin de réaliser les objectifs de développement durable. Pour y parvenir, nous devons voir émerger un consensus « fort » permettant d’intensifier la participation du secteur privé à la construction d’infrastructures durables, a-t-il relevé. Le Président a appelé à une gestion macroéconomique « robuste et réactive » de la part des gouvernements et des banques centrales, avec l’appui des institutions financières internationales, et avec comme objectif d’accompagner les pays en développement. Des économies ouvertes et transparentes sont également nécessaires, a-t-il ajouté, en invitant à aller « au-delà des préjugés infondés s’agissant des profils de risque des pays en développement », notamment en Afrique. Selon le Président, l’afflux de capital, la mise en place de mécanismes permettant de réduire les risques, ainsi que la privatisation des entreprises publiques sont autant d’instruments nécessaires pour favoriser les investissements au service des ODD.
En écho à ces propos, le modérateur de la table ronde, M. WERNER HOYER, Président de la Banque européenne d’investissement, a rappelé que les petites et moyennes entreprises (PME) représentent plus de 90% des entreprises privées et 50% d’emplois dans le monde. En collaboration avec la Commission européenne, la Banque s’affaire à mettre au point des obligations vertes afin de lever du capital à long terme en faveur de l’aménagement d’infrastructures dans les pays en développement.
Le Ministre des finances d’Eswatini, M. NEAL HERMAN RIJKENBERG, a fait état des progrès enregistrés par son pays en termes de croissance du secteur privé. Le Gouvernement a réduit le déficit budgétaire et mis au point une feuille de route stratégique axée sur le développement d’investissements. Au nombre des mesures identifiées par le Gouvernement pour accompagner la croissance du secteur privé, le Ministre a évoqué la mise en place d’un système de garantie des prêts à l’intention des PME, des initiatives de réduction de la dette et la mise en point d’une stratégie verte. « Les institutions de Bretton Woods n’ont pas assez de ressources pour nous sauver tous », a-t-il lancé, en appelant les pays en développement et les institutions multilatérales à élaborer un plan en matière de gouvernance.
Les investissements étrangers directs (IED) continuent d’être une source importante de financement extérieur, a renchéri M. PEDRO MANUEL MORENO, Secrétaire général adjoint de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Les IED vers les pays en développement ont ainsi atteint 850 millions de dollars en 2021, une augmentation de 30% par rapport à 2020. Toutefois, pour tirer parti de ces investissements, les pays en développement doivent, selon lui, disposer de filières d’investissement axées sur les ODD et d’une stratégie de gouvernance adaptée. Face à ce constat, la CNUCED mène des programmes visant le renforcement des capacités des agences de promotion des investissements dans les PMA, une initiative qui est également le thème du Forum mondial de l’investissement qui se tiendra en octobre.
Pour réaliser ces objectifs « existentiels », nous aurons besoin non seulement de capital privé, mais aussi de leadership politique, a diagnostiqué M. NILS BOLMSTRAND, Directeur général de Nordea Asset Management. Nombre de marchés émergents demeurent cependant confrontés à des crises interreliées, a relevé Mme KAREN FANG, Directrice générale et responsable mondiale de la finance durable de Bank of America. Le secteur privé souhaite participer de manière constructive à relever ces défis pour mobiliser des investissements en faveur de la transition vers des économies neutres en carbone, a-t-elle assuré, une volonté qui se traduit par une rupture avec les énergies fossiles et un accent mis sur des progrès technologiques rapides.
Or, a fait remarquer Mme FLORA SONKIN de Society for International Development, le recours à des fonds publics pour mobiliser les investissements privés ne saurait répondre aux défis « systémiques et structurels » auxquels se heurtent les PMA, tels que le poids de la dette, les changements climatiques et l’évitement fiscal par les multinationales. Tout cela constituant à ses yeux autant de conséquences de l’architecture financière actuelle. La contribution des acteurs privés reste pour le moment « un simple espoir », fondé, a-t-elle argué, sur des engagements « volontaires et irréalistes » qui ne sont pas en phase avec les priorités du développement. Elle a plutôt soutenu la mobilisation des ressources publiques adaptées aux réalités nationales et la création d’une instance spécialisée des Nations Unies sur les questions fiscales.
Nous devons en effet garder à l’esprit que le financement privé implique des réseaux d’influence sur les systèmes de gouvernance. De même, l’accroissement de la coopération multinationale a pendant longtemps tenu en otage les pays en développement, a fait valoir le Tax Justice Network Africa.
Malheureusement, ont constaté les États-Unis, l’APD sera insuffisante pour atteindre les ODD. Elle doit donc s’accompagner de la participation du secteur privé. Il s’agit, pour la délégation, de repenser une aide publique au développement assortie de garanties à long terme concernant la gouvernance et le respect de l’état de droit et des droits humains. L’Indonésie a proposé pour sa part une combinaison de mesures réglementaires permettant de faciliter le flux d’investissements à long terme, en développant la transparence et des mécanismes d’analyse des risques à l’aide de données de qualité.
Il faut toutefois convenir, a rappelé le Belize, que les pays en développement continuent de faire face à un déficit de financement et que les efforts concertés n’ont pas atteint les résultats escomptés. Malgré la coopération internationale, la perception des risques pour les investissements privés dans les petits pays vulnérables représente un obstacle de taille. La délégation a appelé à combattre cet obstacle de manière systématique, au moyen de méthodes de financement mixtes permettant de partager les risques.