Session de 2023,
13e et 14e séances plénières – matin & après-midi
ECOSOC/7115

Le Forum pour la coopération politique en matière de développement se penche sur de nouvelles idées, dont celle de « coopération circulaire », véritable rupture épistémologique

L’édition 2023 du Forum pour la coopération politique en matière de développement, du Conseil économique et social (ECOSOC), s’est conclue, aujourd’hui, par l’examen de nouvelles idées qui pourraient constituer de véritables changements de paradigme dans ce domaine.  Les intervenants ont notamment loué les mérites de la « coopération circulaire », qui serait, selon la représentante du Chili, une véritable « rupture épistémologique ».

« Cette notion de coopération circulaire permettrait de se libérer de ce principe obsolète qui voudrait que les ressources et connaissances sont situées dans les pays du Nord, ceux-ci n’ayant rien à apprendre des pays du Sud », a expliqué M. Jonathan Glennie, cofondateur de Global Nation, lors du résumé des débats de la veille.  Tout au contraire, a-t-il tranché, en indiquant, à titre d’exemple, que le Bangladesh pourrait aider l’Allemagne dans le renforcement de ses capacités face aux inondations. 

« Cette idée permettrait en outre de dépasser la dichotomie entre donateurs et bénéficiaires. »  Même son de cloche du côté de la déléguée du Chili, qui a déclaré que cette notion permet de « redéfinir le pouvoir, de briser les hiérarchies et de sortir de la logique binaire des bons et des mauvais ».  La déléguée a aussi établi un parallèle entre cette notion et les débats novateurs sur le féminisme, qui cherchent également une redéfinition du pouvoir.  L’Équateur, l’Uruguay et la Colombie ont souligné leur attachement à cette notion.

Une autre idée novatrice a été avancée par Mme Pooja Rangaprasad, de la Société pour le développement international, au sujet de l’aide publique au développement (APD).  À l’instar des nombreux intervenants qui se sont exprimés lors de ces deux journées de débat du Forum, elle a rappelé que les pays développés n’ont pas honoré leur promesse de consacrer 0,7% de leur RNB à cette aide.  Pour y remédier, elle a suggéré de créer les « mécanismes redditionnels » afin que les engagements pris soient bel et bien tenus. 

Une convention pourrait être élaborée sur ce sujet, a déclaré Mme Rangaprasad, en notant que la communauté internationale a souvent recours à un instrument juridique pour résoudre une difficulté.  Dans ce droit fil, elle a en outre suggéré l’adoption d’un cadre juridique sur l’endettement des pays en développement, dont les incidences négatives pour leur développement ont été abondamment soulignées.  « Il est crucial que les promesses au titre de l’APD soient tenues », a renchéri la Colombie, à l’instar de nombreux intervenants.

Les appels à un changement de paradigme ont également été lancés lors des deux tables rondes qui se sont tenues aujourd’hui.  Lors de la première table ronde intitulée « Faire fond sur l’élan en faveur de mesures efficaces de protection sociale », le délégué de l’Espagne a appelé à un « nouveau contrat social » pour garantir l’exercice des droits universels et « revenir à un état de bien-être ».  Ce nouveau contrat ne peut être qu’élaboré à l’échelle mondiale, a-t-il déclaré, en notant que 6 personnes sur 7 dans le monde se disent en insécurité dans leur vie.

L’APD a de nouveau été au centre des discussions, la Présidente exécutive du Fond de sécurité sociale du Costa Rica jugeant capital que les pays développés augmentent la part de cette aide allouée aux investissements dans la sécurité sociale.  Quatre milliards de personnes dans le monde n’ont pas de protection sociale, a rappelé la Directrice du Bureau de l’Organisation internationale du Travail (OIT) à l’ONU.

Lors de la seconde table ronde consacrée au renforcement des capacités pour réduire la fracture numérique, la Directrice exécutive de la stratégie et des partenariats de Global Digital Inclusion Partnership a indiqué que 430 milliards de dollars sont nécessaires pour une connectivité universelle effective.  « Nous en sommes loin. »  Elle a également chiffré à 1 000 milliards de dollars le coût de l’exclusion numérique des femmes sur ces dernières années. 

À l’instar de la déléguée de l’Inde, le Ministre adjoint du commerce de la Chine s’est décerné un satisfecit dans ce domaine, en notant que l’économie numérique représente 38,5% du PIB chinois.  Nous devons œuvrer de concert afin de faire profiter les pays en développement des pratiques optimales qui ont permis à la Chine de réussir, a-t-il proposé.

Dans sa déclaration de clôture, le Sous-Secrétaire général au Département des affaires économiques et sociales (DESA) a appelé à la création de partenariats plus efficaces, en soulignant également l’importance des vertus du dialogue et de l’apprentissage par les pairs.  Nous devons d’aller au-delà du RNB pour déterminer le besoin d’aide d’un pays et inclure des « critères holistiques » dans les outils de mesure macroéconomiques, a conclu la Présidente de l’ECOSOC.

SUITE DES TABLES RONDES

Table ronde 3: Faire fond sur l’élan en faveur de mesures efficaces de protection sociale

Deux intervenants ont été invités à planter le décor de cette discussion.  Tout d’abord Mme MARTA EUGENIA ESQUIVEL RODRIGUEZ, Présidente exécutive du Fond de sécurité sociale du Costa Rica, qui a commencé par souligner le manque de ressources financières dont souffre la sécurité sociale dans la plupart des pays en développement et le fait que, souvent, il n’y a pas de système de financement clairement défini pour cela.  Dans ce contexte, elle a jugé capital que les pays développés augmentent la part d’aide publique au développement (APD) allouée aux investissements dans la sécurité sociale et fournissent de l’assistance technique.  En outre, elle a mis l’accent sur le manque d’informations fiables sur les besoins de la population, qui empêche une prise de décision éclairée.  Pour l’intervenante, l’enjeu véritable est une utilisation efficace et efficiente des ressources disponibles pour la sécurité sociale, qu’elles soient nationales ou internationales. 

Donnant l’exemple de ce qui se fait dans son pays, Mme Esquivel Rodriguez a expliqué que la Caisse de sécurité sociale du Costa Rica a adopté une stratégie de coopération avec les communautés dans un souci de reddition de comptes et pour que les communautés soient informées du travail qui est mené.  La Caisse offre en outre des formations de médecins spécialisés.  Elle a ajouté que la pandémie a permis de transformer les services de santé et de mieux satisfaire les besoins de la population, ce qui s’est notamment traduit par l’un des taux de vaccination les plus élevés au monde.  L’intervenante a fait observer qu’il s’agit en fin de compte de gérer des besoins « infinis » avec des ressources limités.  C’est là tout l’enjeu de la sécurité sociale, selon elle.  Mais, a-t-elle insisté, c’est un élément essentiel pour parvenir au développement durable.  Elle a, enfin, concédé que l’un des plus grands défis auxquels se heurte le Costa Rica c’est la corruption dans la sécurité sociale, en citant six enquêtes en cours sur des achats frauduleux avec les fonds de la sécurité sociale pendant la pandémie.

La deuxième personne intervenant pour introduire le contexte de la discussion, Mme BEATE ANDREES, Directrice du Bureau de l’Organisation internationale du Travail (OIT) à l’ONU, a indiqué que 4 milliards de personnes dans le monde n’ont pas de protection sociale et appelé à y remédier pour réaliser les objectifs de développement durable (ODD).  Elle a aussi pointé les lacunes dans le financement de la protection sociale, en faisant remarquer que la pandémie a eu pour conséquence de les creuser.  Elle a plaidé pour des investissements dans ce domaine.  L’OIT offre une aide aux pays dans leurs efforts visant à se doter d’un système de protection sociale, a-t-elle dit, en mentionnant l’exemple du Cambodge et la mise en place d’un transfert de liquidités pendant la pandémie.

La discussion tenue ce matin, qui était placée sous la modération de M. MICHAEL BRÖNING, Directeur exécutif du Bureau de New York de Friedrich-Ebert-Stiftung, a entendu comme premier panéliste M. ALEXEI BUZU, Ministre du travail et de la protection sociale de la République de Moldova.  Le Ministre a mis l’accent sur l’importance du contrat social qui sous-tend tout système de protection sociale, contrat qui malheureusement fait défaut dans de nombreux pays du monde.  Ainsi, face à la hausse des prix de l’énergie, un système de compensation a été mis en place dans le sien pour 80 000 foyers parmi les plus pauvres: 5% du budget national a été consacré à assurer que les ménages aux revenus les plus bas soient protégés autant que possible face à l’envolée de ces coûts.  M. Buzu a partagé que son défi le plus important en tant que Ministre, est de s’assurer que soit créé un système de sécurité sociale efficace tout en changeant l’idée reçue selon laquelle les soins ne sont pas chers et qu’il n’y a pas besoin de payer pour cela.  « Si nous ne parlons pas de la valeur de ces soins, nous n’aurons pas de système de protection sociale efficace », a mis en garde M. Buzu, qui a salué la contribution précieuse et souvent sous-estimée des travailleurs sociaux, alors que la pandémie de COVID-19 aurait dû leur apporter la reconnaissance qu’ils méritent. 

Deuxième panéliste, Mme FATOU GUEYE DIANE, Ministre de la femme, de la famille et de la protection des enfants du Sénégal, a noté que malgré des avancées notoires, des défis demeurent à l’échelle nationale et internationale à la réalisation des ODD, ce qui démontre une nouvelle fois la nécessité de renforcer la résilience des populations face aux chocs, notamment à travers des mécanismes de protection sociale efficaces et adaptés.  Conscient de cet impératif, le Sénégal a axé le pilier 2 de sa stratégie décennale de développement, le plan Sénégal Emergent (PSE), sur « le capital humain, la protection sociale et le développement durable ».  Dans cette dynamique, la promotion de la protection sociale, qui est le neuvième objectif stratégique du PSE, vise l’amélioration des conditions de vie des populations à travers la stratégie nationale de protection sociale 2015-2035 bâtie sur une approche « cycle de vie », a expliqué la Ministre en énumérant ses trois priorités: l’amélioration de la couverture sociale, l’inclusion des personnes vivant avec un handicap et la protection de l’enfance.  Cet effort de protection sociale sera renforcé et élargi progressivement à tous les travailleurs, y compris ceux du secteur informel, à l’image du projet « Autonomisons 1 million de femmes vulnérables », a-t-elle précisé.  Elle a aussi signalé ce qui est fait pour les femmes de ménages (domestiques) qui bénéficient d’une carte Jaboot (Famille), avant d’évoquer les efforts entrepris pour faciliter l’accès des personnes travaillant dans l’économie informelle à la protection sociale dans le cadre de la stratégie nationale intégrée de formalisation de l’économie informelle.

Consciente de l’impératif de fournir à chacun non seulement un revenu minimum garanti et une couverture maladie, mais aussi un filet de sécurité globale assurant la résilience à tous ceux qui souffrent des chocs et des crises, la Ministre a expliqué que le budget 2023 consacre 25% des fonds à l’éducation et à la formation avec un accent particulier sur le développement intégré de la petite enfance.  Dans la même dynamique, des mécanismes innovants et programmes structurants sont déployés pour renforcer la résilience et l’autonomisation des jeunes.  Elle a terminé son propos en rappelant que dans le cadre du relèvement post-COVID, l’Afrique a besoin de financements additionnels d’au moins 252 milliards de dollars d’ici à 2025 pour permettre l’atteinte des ODD, ce qui passe par la mise en place de systèmes de protection sociale efficaces.

Partageant l’expérience réussie de l’Uruguay, M. MARIANO BERRO GONZÁLEZ, Directeur exécutif de l’Agence pour la coopération internationale de l’Uruguay, a insisté sur la robustesse du système de protection sociale dans son pays et sa bonne mobilisation lors de la pandémie.  En pleine pandémie, nous avons élaboré un cadre de coopération avec l’ONU, a-t-il dit.  Il a noté que la part du travail informel a baissé, pour arriver à 22% du PIB, soit le taux le plus bas de la décennie.  « L’Uruguay est un pays à revenu élevé, ce qui restreint notre accès à la coopération, mais nous ne sommes pas pour autant un pays développé », a-t-il tenu à rappeler.  Il a indiqué à cet égard que l’Uruguay est un pays en transition qui a besoin d’une aide technique internationale pour mener cette transition à son terme.  Le pays est très dépendant des exportations de matières premières, a-t-il informé, en soulignant aussi l’étroitesse de son marché intérieur.  « Nous avons besoin de la coopération internationale. »  Enfin, il a rappelé que les pays développés n’ont pas honoré leur promesse de consacrer 0,7% de leur revenu national brut (RNB) à l’aide publique au développement (APD), avant de dire son attachement à la notion de coopération circulaire.

Mme ARUNEE HIAM, Directrice adjointe de l’Agence de coopération internationale de la Thaïlande, a déclaré que celle-ci cherche à promouvoir la sécurité humaine dans cinq domaines d’intervention, qui sont l’alimentation, l’emploi, la santé, l’environnement et l’énergie.  L’Agence a également souscrit à l’innovation technologique, en mettant l’accent sur les ressources disponibles localement et le développement de la personne, et ce afin de garantir des mesures de protection sociale efficaces, a-t-elle précisé.  Cette stratégie, a-t-elle estimé, pourra contribuer au développement durable et permettra de réduire les lacunes existantes en matière de protection sociale.  Une stratégie que la Thaïlande a diffusée au sein de pays partenaires, s’est félicitée Mme Hiam, qui a dit que Bangkok mise sur le développement durable en tant que pays à revenu intermédiaire.  Ainsi, son gouvernement s’efforce de fournir des services de base à ses citoyens, chacun ayant notamment accès à des soins de santé de base.

Trois intervenants ont ensuite été invités à commenter les présentations.  La première, Mme PAULA NARVAEZ OJEDA (Chili) Vice-Présidente de l’ECOSOC, a noté que l’une des difficultés du contexte actuel, c’est que les populations les plus vulnérables sont en premières lignes des crises multiples.  Or en période de crise, les systèmes de sécurité sociale jouent un rôle de stabilisateur et les plus vulnérables en dépendent le plus, a-t-elle souligné.  Fort de ce constat, le Chili est conscient de la nécessité d’un nouveau pacte social et y travaille à travers un processus démocratique pour aboutir à une nouvelle constitution qui incarne ce pacte, a expliqué la représentante.  Concrètement, cela signifie que la sécurité de l’humanité ne doit plus être envisagée uniquement sous l’angle militaire et que l’on doit s’attaquer à la pauvreté, à la faim et aux inégalités pour parvenir à des sociétés prospères et sûres, a-t-elle conclu. 

À son tour, M. AGUSTÍN SANTOS MARAVER, (Espagne), a lui aussi relevé que les inégalités mondiales se sont creusées, en raison notamment de la pandémie.  Il a indiqué que six personnes sur sept dans le monde se disent en insécurité dans leur vie, selon une étude du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).  Il nous faut un nouveau contrat social pour garantir l’exercice des droits universels, a-t-il dit, en demandant des emplois décents et l’élargissement de la protection sociale.  Pour lui, ce nouveau contrat social ne peut être qu’élaboré à l’échelle mondiale.  Il a aussi appelé à réviser l’architecture financière mondiale et à soutenir le fonds pour la résilience et la durabilité du Fonds monétaire international (FMI).  L’Espagne va y affecter 20% de ses droits de tirage spéciaux (DTS), a-t-il annoncé.  Enfin, il a indiqué que son pays va bientôt présenter à l’Assemblée générale un projet de résolution sur la promotion de l’économie sociale et solidaire afin de « revenir à un état de bien-être ».

Fournissant un autre exemple de pays qui a beaucoup œuvré pour le renforcement de son système de protection sociale, Mme SARAH LYNNE S. DAWAY-DUCANES, Sous-Secrétaire à l’Autorité nationale économique de développement des Philippines, a mentionné la mise en œuvre de programmes pertinents et la création de cadres législatifs destinés à élargir l’accès aux services de base.  Les Philippines, avec l’aide de l’ONU et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ont également créé une feuille de route pour la protection sociale.  Face aux chocs provoqués par des catastrophes naturelles ou des pandémies, l’objectif est de réduire les vulnérabilités, en renforçant les capacités des populations à risque afin qu’elles puissent se préparer, et de muscler le programme de protection sociale.  Malheureusement, l’accès à ces initiatives reste inéquitable au sein de notre population, a reconnu l’intervenante.  Elle en a déduit qu’il faut renforcer les investissements dans ces programmes afin de le rendre plus accessible.  Dans cette perspective, elle a recommandé d’élaborer les programmes de protection sociale à partir de données mises à jour.  Enfin, la Sous-Secrétaire a souligné l’importance de la coopération Sud-Sud et triangulaire pour partager les pratiques optimales.

La discussion interactive a été l’occasion pour les délégations de brosser un tableau des mesures prises en termes de protection sociale, en particulier pendant la pandémie de COVID-19 et avec la triple crise alimentaire, énergétique et financière qui s’en est suivie l’année dernière, pour venir en aide aux couches de population les plus vulnérables.  Si la pandémie a été révélatrice des faiblesses et lacunes de ces systèmes dans le monde en développement, elle a aussi été un catalyseur pour entamer des réformes et lancer des programmes sur mesure en vue de réduire les vulnérabilités et renforcer la résilience dans ce qu’a appelé le Chili « un nouveau contrat social ».  La Fédération de Russie a tenu à lui rappeler que le contrat social, dans chaque pays, reste sa constitution.

Cela s’est traduit concrètement au Panama par la mise en place du programme « Panama Solidaire », qui a profité aux personnes en situation de vulnérabilité socioéconomique ou encore au Brésil par le programme « Bolsa Familia » qui s’appuie depuis 20 ans sur une politique robuste visant à apporter une aide sociale aux plus vulnérables, qui ont été présentés par les délégués de ces pays.  Celui du Brésil a expliqué que le programme social s’inscrit dans ses efforts de lutte contre la pauvreté, d’autonomisation des femmes et de lutte contre les inégalités.  Il a précisé que ce système unique repose sur une base de données numérisées, qui porte sur 93 millions de personnes à bas revenu.  En Colombie, la réponse à la pandémie a suscité des réformes du travail, avec notamment la réduction du travail dans le secteur informel, ainsi que des retraites, a indiqué la délégation qui a aussi parlé des améliorations de l’accès à un revenu solidaire universel et à la santé, les services de santé étant ainsi fournis dans les zones rurales et reculées.

Le besoin de base de données fiables et ventilées, notamment par sexe, a été souligné pour pouvoir développer des politiques de protection sociale efficaces et ciblées.  C’est dans ce contexte que la coopération internationale en matière de développement peut faire une différence à travers l’assistance technique et des investissements.  Pourtant, a regretté la Colombie, depuis 2022 les flux financiers vers la protection sociale sont de nouveau en baisse, ce qui est inacceptable.  À cet égard, le représentant colombien a salué le lancement de l’accélérateur mondial de l’emploi décent, en exhortant les pays bailleurs de fonds à lui fournir des ressources adéquates.  Le Brésil a fait valoir qu’au-delà des systèmes de santé résilients, la protection sociale permet également de bénéficier au secteur de l’emploi, en favorisant les emplois productifs et en garantissant des revenus minimums et une protection sociale de base aux familles.  À ce sujet, la Fédération de Russie a noté qu’en 2022, 60% des travailleurs touchaient un salaire inférieur à celui d’avant la pandémie.  Elle a aussi relevé que 60% des pays en développement sont à la limite de la crise de la dette.  Les intervenants ont tous fait remarquer que les conséquences socioéconomiques les plus fortes de ces multiples crises se sont indéniablement manifestées dans les pays du Sud.  Ces pays auront besoin de bien plus de temps et de ressources pour s’en relever que les pays développés qui pensent y arriver en trois ans, ont-ils noté. 

Revenant aussi sur le potentiel de la coopération Sud-Sud et du partage de l’information, le Brésil a cité un outil de coopération essentiel: la plateforme de partage des connaissances en matière de protection sociale, qui se concentre sur les pays en développement et qui est accueillie par le Centre international de politique pour une croissance inclusive, à travers un partenariat entre le Brésil et le PNUD.

Table ronde 4: Renforcer les capacités pour réduire la fracture numérique

Plantant le décor de la discussion, M. CHEN CHUNJIANG, Ministre adjoint du commerce de la Chine, s’est félicité des possibilités de croissance offertes par une économie numérique qui se porte de mieux en mieux au niveau mondial, même s’il a regretté la persistance d’une fracture qui laisse de côté plus de trois milliards de personnes.  En Chine, cette économie représente 38,5% du PIB, s’est enorgueilli le Ministre, qui a expliqué la nécessité de privilégier la coopération en mettant en place des mécanismes bilatéraux et multilatéraux.  C’est ce qu’a fait Beijing, a-t-il affirmé, après avoir identifié l’économie numérique comme le principal moteur de développement national.  Nous devons donc faire maintenant preuve d’innovation et œuvrer de concert à faire profiter les pays en développement des pratiques optimales qui ont permis à la Chine de réussir, a encouragé M. Chunjiang.

Mme MARTHA DELGADO PERALTA, Secrétaire générale adjointe aux affaires multilatérales et aux droits humains au Ministère des affaires étrangères du Mexique, a souligné l’importance de relever les défis qui se posent en termes de politiques publiques afin de maximiser le potentiel de l’économie numérique.  Elle aussi s’est alarmée que la moitié de la population mondiale n’ait pas accès à Internet, en faisant toutefois observer que cette fracture entre pays peut aussi exister au sein d’un même pays, avec des régions inégalement câblées.  Pour la surmonter, la Ministre a plaidé pour une coopération Sud-Sud qui place l’être humain au cœur de politiques qui doivent être par ailleurs sensibles au genre et intersectionnelles.  Œuvrons de concert à une coopération efficace pour combler ces inégalités d’accès aux nouvelles technologies et à Internet, a exhorté Mme Peralta.  C’est dans cet esprit que, les 15 et 16 février, le Mexique a accueilli les délibérations autour d’un pacte numérique mondial dans le but de faire advenir un monde plus connecté, a-t-elle fait valoir. 

Mme JULIETTE PRODHAN, Directrice adjointe du Bureau de la politique de développement au Ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni, s’est convaincue que l’adoption de technologies numériques inclusives peut permettre l’accélération de la réalisation des objectifs de développement durable, en tant que moteur fondamental du développement.  Cela suppose un accès équitable aux nouvelles technologies et à la connexion Internet, a-t-elle souligné.  L’inclusion numérique peut encourager l’innovation, permettre une plus grande participation civique et faciliter l’apprentissage en ligne entre autres, a-t-elle fait valoir en citant le commerce électronique et la télémédecine à titre d’exemples des applications utiles.  Il faut pour cela assurer un accès sur un pied d’égalité aux technologies de l’information et des communications (TIC) et à Internet pour parvenir à une bonne économie numérique, a insisté l’intervenante, ce qui suppose de faire les bons investissements et de veiller à ce que la connectivité soit abordable.  Elle a appelé à peser les bénéfices et les risques des TIC, arguant que l’utilisation de ces outils doit être sûre et encadrée grâce à des efforts de sensibilisation et à des règlementations.  Le Royaume-Uni soutient une transformation numérique inclusive, durable et équitable, a-t-elle poursuivi en donnant quelques exemples, comme le partenariat social numérique avec l’Union internationale des télécommunications (UIT) ou encore celui avec l’alliance sur l’impact numérique.  Elle a également parlé de la collaboration de son pays avec le Rwanda sur une stratégie de commerce électronique.  Ce travail est complété par des investissements dans les infrastructures, a précisé Mme Prodhan en appelant tous les partenaires de développement à agir pour combler le fossé numérique. 

Mme SONIA JORGE, Directrice exécutive de la stratégie et des partenariats de Global Digital Inclusion Partnership, a chiffré à 430 milliards de dollars la somme nécessaire pour une connectivité universelle effective.  Nous en sommes très loin de cette somme qui pourrait connecter celles et ceux qui ne le sont pas, a-t-elle dit, en appelant à des investissements pour renforcer les compétences numériques dans le monde.  Elle a dit que les personnes privilégiées qui siègent dans cette salle doivent s’employer à remédier à la fracture numérique.  Elle a chiffré à 1 000 milliards de dollars le coût de l’exclusion numérique des femmes sur ces 10 dernières années, en se faisant l’écho des débats qui se tiennent en parallèle cette semaine à la Commission de la condition de la femme.  La révolution du numérique est fondamentale pour tout ce que nous faisons, a-t-elle conclu, en disant son refus de vivre dans ce monde « d’inégalités massives ».

De même, Mme RUCHIRA KAMBOJ (Inde) a appelé à remédier d’urgence à la fracture numérique, avant de détailler les efforts de son gouvernement pour faire des nouvelles technologies un facteur d’inclusion plutôt que d’exclusion.  « Nos résultats sont remarquables », s’est-elle enorgueillie en vantant les mérites des services en ligne qui ont transformé le pays.  Tous les Indiens peuvent désormais ouvrir des comptes en banque en ligne, a-t-elle précisé.  Elle a aussi mentionné l’outil numérique qui a été élaboré dans son pays pour vérifier le statut vaccinal des Indiens lors de la pandémie.  Elle a appelé à remédier aux lacunes des capacités des pays en développement en matière de collecte et d’utilisation des données, y compris par le biais de la coopération Sud-Sud et triangulaire.  Mon pays est tout à fait disposé à partager son expérience, a-t-elle conclu, en soulignant le rôle de chef de file de l’Inde s’agissant des technologies du numérique.

Dans la discussion avec les délégations et les organisations présentes à ce forum, le représentant d’Action Aid International s’est dit convaincu que le forum peut permettre de rééquilibrer la coopération au développement en termes de transparence et de redevabilité.  Il intervient dans un contexte où la Guinée, a indiqué son représentant, vient d’adopter son programme de référence intérimaire (PRI) pour la période 2023-2025.  Ce cadre de référence des partenaires au développement et de toutes les interventions accorde une priorité essentielle à la transformation numérique, a-t-il expliqué.  Son pays a clairement l’intention de profiter de ces mutations technologiques pour entrer dans la modernité, diversifier ses exportations, accélérer la transformation structurelle de son économie et forger durablement sa résilience.  En revanche, a nuancé le représentant guinéen, à ces profonds changements est attaché un défi de taille, celui de la cybersécurité: le pays doit en effet apporter une réponse appropriée aux menaces que font peser la cybercriminalité, le sabotage des infrastructures, l’exploitation inappropriée des données personnelles, la propagande dirigée, la cyber guerre et le cyber terrorisme. 

De son côté, l’Angola a dit avoir lancé en février 2023 le processus de commercialisation des services de communication par satellite couvrant l’ensemble du continent africain, une partie importante de l’Europe du Sud, dont la fourniture stimulera selon lui la coopération Sud-Sud.  Après avoir salué l’initiative lancée par Microsoft d’investir dans des projets de développement numérique dans environ cinq pays prioritaires du Groupe des pays les moins avancés (PMA) d’ici à 2023, le représentant a réaffirmé l’intérêt de son pays à faire partie de cette liste, afin de permettre la mise en œuvre réussie du plan national pour la transformation numérique des structures gouvernementales, ainsi que la numérisation des processus administratifs.  En outre, il a annoncé la signature récente du contrat pour la construction du premier satellite d’observation de la Terre en Angola.  Il permettra de mieux surveiller les ressources naturelles, le développement et les infrastructures, ainsi que de comprendre les effets des changements climatiques sur l’économie angolaise, à savoir les phénomènes de sécheresse et l’élévation du niveau de la mer.

À cet égard, la représentante d’une ONG a souligné l’importance d’évaluer les conséquences environnementales de la transformation numérique, en considérant qu’il ne suffit pas d’attendre une situation de crise pour en parler.  L’ONU doit donc prendre le leadership sur ces questions, a-t-elle estimé.  L’Algérie s’est demandé si d’ici huit ans, à l’horizon 2030, la communauté internationale serait en mesure de combler la fracture numérique entre pays et à l’intérieur même des pays.  Le délégué a demandé la création d’un mécanisme international sur les nouvelles technologies pour que les pays en développement puissent avoir plus facilement accès aux transferts de technologies et à des pratiques optimales dans ce domaine.  Il a pris note de la proposition du Secrétaire général d’un pacte numérique mondial, un sujet également abordé par le Brésil, qui a dit que pour lutter contre les asymétries, il faut être ambitieux et rien moins qu’œuvrer à l’avènement de sociétés numériques inclusives centrées sur l’humain.  Le Panama a déclaré que, malgré les progrès technologiques, il reste encore beaucoup à faire pour combler la fracture numérique, raison pour laquelle une vision holistique et inclusive est plus que jamais de mise pour y remédier.  La Suède a d’ailleurs dit que ce pacte serait l’occasion de faire preuve de vision en termes de coopération numérique, à condition d’inclure toutes les parties prenantes.  Aussi cette délégation s’est dite impatiente de débuter les négociations intergouvernementales à la fin du mois. 

La panéliste du Royaume-Uni, Mme Prodhan, est brièvement revenue sur les conséquences néfastes de la non-participation des femmes aux activités en ligne, évoquées par l’Indonésie, et sur le thème de l’accélération du numérique, évoqué par la Suède. 

À sa suite, la représentante de Global Digital Inclusion Partnership, Mme Jorge, est revenue sur plusieurs éléments, dont les effets positifs de la coopération Sud-Sud, tout en mentionnant qu’à ce rythme, les objectifs de connectivité ne seront pas atteints.  Elle a recommandé de « respecter les droits humains des femmes », leur protection et leur vie privée.  Elle a aussi voulu qu’on insiste sur l’éducation, « sans quoi nous ne serons pas les agentes de notre humanité » et sur « l’accès à Internet ».  Ses autres recommandations ont été de veiller à créer du contenu en langue locale et de « cibler » les populations de manière fine.  En tant que partenariat numérique inclusif, Global Digital Inclusion Partnership est une coalition mondiale de la société civile et du secteur privé, a-t-elle expliqué.  Elle s’est dite prête à travailler avec tous ceux souhaitant « prendre part au voyage » pour « changer de trajectoire ».

La modératrice de la discussion, Mme URSULA WYNHOVEN, de l’Union internationale des télécommunications (UIT), est revenue sur le pacte mondial numérique, une notion qu’elle a beaucoup entendue durant le forum, et sur les conséquences profondes que peut avoir la connectivité numérique.

Déclarations finales

M. MAVID HANIF, Sous-Secrétaire général au Département des affaires économiques et sociales (DESA), a invité tous les acteurs à faire davantage pour relever les défis d’aujourd’hui, tout en renforçant la résilience des plus vulnérables ainsi que la coopération pour réaliser la transition numérique et l’adaptation aux changements climatiques.  Pour réagir aux recommandations entendues ces deux derniers jours, il a reconnu la nécessaire création de partenariats plus efficaces, soulignant également l’importance des vertus du dialogue et de l’apprentissage par les pairs.  Les recherches menées par le DESA, y compris l’exercice d’enquête biannuel qui sera lancé plus tard cette année, ainsi que les nombreux ateliers de coopération avec les pays les moins avancés (PMA), fourniront des données précieuses, a-t-il annoncé.  Il a également fait valoir qu’il y a un mois, le DESA a lancé une nouvelle plateforme de connaissances en ligne pour favoriser l’apprentissage par les pairs. 

Mme LACHEZARA STOEVA, Présidente de l’ECOSOC, a remercié tous ceux ayant apporté des contributions vitales à la discussion des deux derniers jours.  À propos des crises actuelles, et des appels en faveurs d’une prospérité plus inclusive qu’elle a entendus durant le forum, elle a recommandé d’aller au-delà du RNB pour déterminer le besoin d’aide d’un pays et d’inclure des « critères holistiques » dans les outils de mesure macroéconomiques.  Elle a aussi dit avoir entendu que l’adaptation aux changements climatiques devait être incluse de façon plus efficace dans les programmes de développement.  Les communautés locales doivent elles aussi être entendues, a-t-elle déclaré.  Enfin, alors que l’économie numérique représente 15% du produit intérieur brut (PIB) de la planète, des millions de personnes sont toujours exclues de l’écosystème numérique, s’est-elle désolée.  La Présidente a donc appelé à davantage de financement pour changer cet état de fait.

 

 

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