Session de 2023,
11e et 12e séances plénières – matin & après-midi
ECOSOC/7114

ECOSOC: Le Forum pour la coopération politique en matière de développement s’ouvre sur un appel à renforcer l’adaptation aux changements climatiques

Organisée chaque année par le Conseil économique et social (ECOSOC), l’édition 2023 du Forum pour la coopération politique en matière de développement s’est ouverte ce matin par des appels à renforcer l’adaptation aux changements climatiques sans alourdir le fardeau de la dette des pays en développement.  Experts et délégations se sont préoccupés de la prise en compte de la vulnérabilité multidimensionnelle de ces pays, en particulier ceux qui sont insulaires, face aux changements climatiques.  « Progresser sur chacune de ces priorités nécessitera une planification à moyen et long terme et une coopération prévisible en termes de financement, de renforcement des capacités et de changements de politique », a précisé la Présidente du Conseil, en plaidant pour l’élargissement des partenariats.

Comment pouvons-nous apprendre des expériences des uns et des autres et comment la communauté internationale peut-elle renforcer son soutien? s’est demandé Mme Lachezara Stoeva à l’orée de cette première journée de délibérations, occupée par deux tables rondes précédées de quelques interventions liminaires.  Parmi elles, celle de la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Amina Mohammed, qui a exhorté les bailleurs de fonds à honorer leurs promesses de contributions en faveur des pays en développement et à envisager ce financement sur le long terme, moins d’une semaine après la fin de la Conférence sur les pays les moins avancés tenue à Doha, au Qatar. 

Le Directeur exécutif du Fonds monétaire international (FMI), M. Facinet Sylla, a d’ailleurs a annoncé aujourd’hui la création du premier fonds pour un financement de long terme –étalé sur 20 ans– des priorités de développement des pays éligibles, pour le moment le Rwanda, l’Équateur et la Barbade.  Envoyé spécial du Premier Ministre de ce dernier pays pour l’investissement et les services financiers, M. Avinash Persaud a mis en avant la notion de « vulnérabilité multiple » pour encourager le secteur privé à investir dans la résilience, arguant que la lutte contre la pauvreté structurelle est un « bien public ».

La première discussion interactive du jour a été l’occasion pour les participants de réfléchir à la manière dont les pays équilibrent les différentes priorités de coopération en faveur du développement lorsqu’ils doivent affronter plusieurs crises simultanément.  Pour M. Vitalice Meja, Directeur exécutif de Reality of Aid Africa Network, les moyens mis à disposition par les États Membres restent très insuffisants, rendant impossible de répondre comme il se doit aux crises multiples auxquelles les pays les plus fragiles sont confrontés. 

M. Olof Skoog, Chef de délégation de l’Union européenne (UE) auprès des Nations Unies, a fait valoir que l’aide publique au développement (APD) de l’UE a augmenté de 4,4% en 2022, même si un effort reste à consentir pour atteindre les cibles qui ont été fixées, a-t-il concédé.  Il a également redit l’engagement de l’UE en faveur de la mobilisation annuelle de 100 milliards de dollars pour le financement climatique au profit des pays en développement, engagement qui tarde à se concrétiser, ont cependant reproché plusieurs intervenants.

La deuxième discussion interactive a été justement l’occasion de s’intéresser aux moyens d’aider les pays en développement à atteindre leurs objectifs climatiques.  La Conférence de Charm el-Cheikh de 2022 sur les changements climatiques (COP27) a souligné l’importance du financement d’un fonds vert pour aider les pays en développement à faire face aux impacts du réchauffement planétaire.  Comment opérationnaliser ce fonds pour combler les lacunes de l’architecture actuelle du financement climatique et garantir que les pays les plus vulnérables auront accès en temps opportun aux ressources nécessaires? se sont demandé les intervenants, en plaidant pour une base de donateurs élargie.  Un élan doit être impulsé en vue de la COP28, afin d’arriver à un résultat significatif qui réponde à l’ampleur et à la portée des besoins de financement de l’adaptation aux changements climatiques, ont encouragé plusieurs intervenants.

Si Mme Carmen Correa, Présidente et Directrice exécutive de l’ONG Pro Mujer, qui a fait état des obstacles auxquels les femmes des pays en développement sont confrontées aujourd’hui, a considéré que la création de bases de données permet de mettre en évidence les vulnérabilités spécifiques, M. Meja a cependant estimé que l’objectif n’est pas d’avoir en soi des données mais de pouvoir changer la nature des processus de prise de décision au niveau national, en incluant toutes les composantes sociales du pays concerné.  En termes d’inclusion, M. Kantuta Diana Conde Choque, du Réseau de la jeunesse autochtone pour l’Amérique latine et les Caraïbes, a appelé à protéger les territoires autochtones en soulignant leur rôle capital dans la préservation de la biodiversité et donc dans la prévention et la propagation de certaines maladies.  Tout en notant les annonces de contribution faites en faveur de la protection des forêts, le panéliste a toutefois regretté que 7% seulement des financements aient été octroyés directement aux populations autochtones, demandant que cette situation change.

Le Forum pour la coopération en matière de développement poursuivra et conclura ses travaux demain, mercredi 15 mars, à partir de 15 heures. 

FORUM POUR LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT

Discours d’ouverture

Mme LACHEZARA STOEVA, Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC), a déclaré que cette huitième biennale du Forum pour la coopération en matière de développement se tient à un moment crucial.  Le monde se remet encore des conséquences de la pandémie de COVID-19, de la crise sanitaire, économique et sociale la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale, sans compter la guerre menée contre l’Ukraine, qui a également eu de lourdes conséquences.  Or, comme l’a clairement montré la conférence de Doha la semaine dernière, les pays les moins avancés (PMA) sont parmi les plus touchés et parmi ceux qui requièrent de toute urgence une assistance internationale, a souligné Mme Stoeva.  Elle a fait valoir que l’ECOSOC joue un rôle central dans la surveillance des engagements pris par les États Membres et dans l’identification des domaines d’action collective.  Aussi Mme Stoeva a-t-elle saisi l’occasion de formuler quelques suggestions sur la manière de tirer le meilleur parti du Forum pour renforcer l’impact de la coopération au développement en réponse aux défis actuels et futurs. 

Tout d’abord, a-t-elle dit, concentrons-nous sur les domaines clefs où la coopération au développement peut faire une différence dans la vie et les moyens de subsistance des plus vulnérables.  D’après les dernières recherches en date, ils sont au nombre de trois.  Il s’agit de renforcer l’adaptation au climat et d’investir dans la création d’emplois décents; de renforcer la protection sociale; et d’exploiter le potentiel de la transformation numérique.  « Progresser sur chacune de ces priorités nécessitera une planification à moyen et long terme et une coopération au développement prévisible en termes de financement mais aussi de renforcement des capacités, de soutien collectif au changement de politique », a précisé la haute fonctionnaire, en plaidant pour un partenariat incluant aussi la société civile et les organisations régionales en plus de celles du système des Nations Unies.  Comment pouvons-nous apprendre des expériences des uns et des autres et où la communauté internationale peut-elle renforcer sa réponse et son soutien? a-t-elle demandé.

« Nous sommes à plus que mi-chemin du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et nous sommes en bien mauvaise posture », a posé Mme AMINA MOHAMMED, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, en insistant sur l’acuité des crises que le monde connaît.  Elle a donc plaidé pour une profonde transformation de la coopération en matière de développement afin d’y remédier.  Le forum de l’ECOSOC qui y est consacré joue un rôle essentiel dans cette transformation, a-t-elle souligné.  Il faut, a-t-elle notamment recommandé, investir dans les populations afin de répondre aux besoins d’aujourd’hui et de demain.  Elle a appelé à assurer un financement à long terme en demandant aux bailleurs de fonds d’honorer leurs promesses s’agissant du financement de la coopération en faveur du développement.  « Nous devons en faire davantage sur le terrain », a-t-elle demandé, en appelant notamment à remédier aux conséquences des changements climatiques.  Enfin, elle a exhorté à « mieux travailler ensemble » et à une meilleure coopération de tous les acteurs au sein de partenariats robustes.

Pour M. AVINASH PERSAUD, Envoyé spécial du Premier Ministre de la Barbade pour l’investissement et les services financiers, les 12 prochains mois doivent servir à opérer des changements significatifs, avec ampleur et non pas des petites modifications faites à la marge, afin d’agir et de passer de millions aux milliards pour réduire la pauvreté dans le monde.  Il a donné l’exemple de son pays, qui avait un taux de chômage de 40% en avril 2020 au moment où la pandémie le frappait et qui a adopté des stratégies pour répondre à cette crise tout en recherchant des financements, notamment auprès de ses partenaires de développement.  Il a constaté que ce sont toujours les mêmes pays qui sont frappés par les crises mondiales, que ce soit par les changements climatiques, la crise financière mondiale ou encore la COVID-19.  Il a fait remarquer que la réponse doit passer par une action délibérée pour venir à bout de la pauvreté et des inégalités dans le monde.  Il a soulevé la question de savoir s’il fallait se concentrer sur les personnes les plus pauvres ou les pays les plus pauvres, tout en appelant à ne pas s’écarter du mandat général de réduction de la pauvreté et à remobiliser les fonds tout en définissant clairement qui est éligible à ces financements.  En tant que petit État insulaire en développement (PEID), la Barbade fait partie de ce groupe de pays très vulnérables, a rappelé M. Persaud en recommandant, pour pouvoir agir efficacement, de définir des indices spécifiques pour mesurer la vulnérabilité spécifique en termes de résilience aux changements climatiques, de genre, d’accès à l’eau et autres.  Il faut poser des questions spécifiques, a-t-il recommandé en constatant qu’aujourd’hui, quand on parle de financements, on a tendance à tout mélanger.  Il a donc insisté sur la notion de vulnérabilité multiple avant de plaider en faveur de la mobilisation du secteur privé pour investir dans la résilience, arguant que ce sont des investissements rentables à terme.  Il a conclu en rappelant l’origine des idées qui ont constitué le socle des institutions de Bretton Woods, en 1919.  Il a ainsi cité un ouvrage intitulé Les conséquences économiques de la paix, qui prédisait déjà que si l’on ne s’attaque pas à la pauvreté dans des pays spécifiques, on aboutit à des problèmes mondiaux, des conflits.  « La lutte contre la pauvreté est en soit un bien public mondial. »

Table ronde 1: Tendances et progrès en matière de coopération internationale pour le développement

Présentant les enjeux de la discussion, son modérateur, M. SALIH BOOKER, de la Fondation Ford, a noté que le monde est de plus en plus marqué par les inégalités et que seule une poignée de personnes profite du système mondial actuel.  Dès lors se pose la question de savoir comment la coopération en matière de développement peut répondre aux besoins des plus vulnérables mais aussi comment elle peut transformer les moteurs structurels des inégalités, a-t-il posé.

Première panéliste à prendre la parole, Mme KARLA MAJANO DE PALMA, Directrice exécutive de l’Agence de coopération internationale de El Salvador, est venue apporter un éclairage national sur les enjeux dont il est question.  Elle a expliqué que face aux multiples crises qui ont frappé ces dernières années El Salvador, pays à revenu intermédiaire, l’Agence qu’elle dirige a été créée en vue d’améliorer les modalités de la coopération internationale, y compris la « coopération non remboursable ».  Pour cela, il faut tenir compte des divers défis auxquels se heurtent les pays en développement et aller au-delà de la mesure du progrès basée uniquement sur le revenu national brut (RNB), a argué l’intervenante.  Elle a ainsi conseillé de réimaginer les mesures des progrès en matière de développement durable et de suivre une approche plus équitable dans la coopération internationale.  Le but, a-t-elle précisé, est d’offrir aux pays en développement un meilleur accès aux ressources concessionnelles et non concessionnelles, et de leur apporter plus d’assistance technique.  Selon elle, ce changement de paradigme ne se limite pas à l’évaluation et à des statistiques qui permettent de mesurer le niveau de progrès des pays.  La paneliste a salué à cet égard le rôle du système des Nations Unies pour le développement et a mis l’accent sur l’importance des coordonnateurs résidents, faisant valoir que ce système permet d’apporter une réponse plus exhaustive en phase avec les besoins nationaux.

Lui emboîtant le pas, M. OLOF SKOOG, Chef de délégation de l’Union européenne (UE), a souligné la gravité des défis actuels et de la « fragmentation » du monde.  L’UE œuvre pour remédier à cette fragmentation et restaurer la foi dans la coopération internationale, a-t-il assuré.  Il a tout d’abord indiqué que l’aide publique au développement (APD) de l’Union européenne a augmenté de 4,4% en 2022 même si un effort reste encore à consentir pour atteindre les cibles qui ont été fixées.  Il a également redit l’engagement de l’UE en faveur de la mobilisation de 100 milliards de dollars pour le financement climatique au profit des pays en développement.  Il a rappelé l’importance d’investir dans les infrastructures, en ajoutant que c’est un axe de la politique de développement de l’UE, celle-ci investissant notamment en Asie et en Afrique.  Enfin, il a dit son intérêt pour l’initiative de Bridgetown pour une réforme du financement du développement et des taux d’intérêt durables. 

En tant que voix de la société civile, Mme CARMEN CORREA, Présidente et Directrice exécutive de Pro Mujer, a fait état des obstacles auxquels les femmes sont confrontées aujourd’hui, trois ans après le début de la pandémie de COVID-19: leur taux d’activité dans le monde entier a connu une chute historique, sachant qu’elles s’occupent des enfants âgés de moins de cinq ans.  C’est notamment le cas en Amérique latine et dans les Caraïbes, où la pandémie a entraîné un recul de près de 10 ans pour le taux d’activité des femmes, a-t-elle déploré.  Elle en a expliqué les raisons.  D’abord, environ 57% des femmes étaient employées dans des secteurs où la pandémie a eu des conséquences néfastes plus importantes pour l’emploi, notamment la vente, le travail domestique, le tourisme, les services administratifs, l’immobilier ou la santé.  En outre, les confinements et les restrictions liés à la pandémie sont venus exacerber la crise et ont accru la charge de travail des femmes avec des conséquences sanitaires, les forçant bien souvent à quitter leurs emplois.  La panéliste a également mentionné les effets des changements climatiques, qui ne sont pas neutres en ce qui concerne le genre, a-t-elle précisé.  Elle en a déduit qu’il faut absolument intégrer une perspective sexospécifique dans les processus décisionnels en la matière.  Elle s’est toutefois félicitée que l’Amérique latine soit la région du monde où il existe le plus grand nombre de femmes entrepreneures et où la moitié des PME sont fondées et gérées par des femmes.  Toutefois, a fait observer l’intervenante, 73% de ces entreprises ne trouvent pas les capitaux nécessaires pour fonctionner.  Son dernier conseil a été, pour tous les secteurs de la société, de coopérer pour créer des bases de données permettant de distinguer les vulnérabilités spécifiques auxquelles les femmes sont confrontées.  C’est selon elle la seule manière de créer des politiques répondant à leurs besoins. 

De son côté, M. ERIC PELOFSKY, de la Fondation Rockefeller, a mis en garde contre une aggravation potentielle de la situation dans le monde cette année.  Citant quelques statistiques, il a dit qu’en décembre 2022, au moins 10 pays étaient dans une situation difficile en termes d’endettement et que de nouvelles faillites sont à attendre.  Si l’an dernier les pays développés ont pu allouer 24% du PIB à la lutte contre l’impact de la pandémie de COVID-19, ce ne sont que 6% du PIB des pays en développement et 2% pour les pays à faible revenu qui y ont été consacrés, a-t-il ajouté.  Il a fait remarquer que la pandémie a balayé une décennie de progrès en matière de lutte contre la pauvreté.  Le calendrier diplomatique de cette année, a-t-il relevé, offre cependant quelques avantages pour la mobilisation de fonds, mais sans dates butoirs.  Il a aussi misé sur la nomination d’un nouveau Président à la Banque mondiale, dans un contexte où les appels à la réforme des institutions financières internationales se multiplient.  La vraie question reste de savoir si on est assez ambitieux et audacieux, a estimé M. Pelofsky. 

L’importance des financements concessionnels a été soulignée par M. ROBIN OGILVY, Représentant spécial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) auprès de l’ONU, qui a aussi plaidé pour une coopération renforcée face aux conséquences des changements climatiques.  Il a relayé l’appel des pays à revenu intermédiaire à changer le critère du RNB comme critère d’accès aux financements concessionnels.  Il a aussi insisté sur l’importance de remédier aux goulots d’étranglement constatés dans le financement de la coopération du développement.  Nous devons enfin tirer les enseignements de la riposte mondiale apportée à la pandémie, a conclu le délégué. 

Les gouvernements doivent allouer les fonds nécessaires aux priorités en matière de développement, a recommandé pour sa part M. VITALICE MEJA, Directeur exécutif de Reality of Aid Africa Network, leur conseillant de prévoir un budget à cette fin.  Il a en effet noté que ce budget est très insuffisant chez la plupart des États Membres.  Impossible de répondre comme il se doit, dans ces conditions, aux crises auxquelles le monde est confronté, a tranché l’intervenant.  Il a ensuite attiré l’attention sur les difficultés endurées par les familles, qui, par exemple, ne savent pas comment nourrir leur bétail ou maintenir en vie leurs entreprises.  Pour lui, il est absolument essentiel de se concentrer sur les infrastructures qui soutiennent les plus vulnérables, en associant pleinement ces populations aux processus décisionnaires.  Dès lors, les gouvernements doivent créer dans leurs programmes et politiques un environnement favorable à la contribution de la société civile et des communautés les plus touchées, pour leur permettre de participer pleinement à leur propre développement.  Si le Directeur exécutif a appuyé le principe de collecte des données, il a cependant estimé que l’objectif n’est pas d’avoir en soi des données mais de pouvoir changer la nature des processus de prise de décision au niveau national. 

La discussion interactive qui a suivi ces présentations a mis en lumière à quel point le monde en développement a été inégalement affecté par les crises multiples des trois dernières années.  Concrètement, cela s’est traduit par un effondrement de l’indice de développement humain au cours des deux dernières années, a relevé Cuba, qui s’exprimait au nom du Groupe des 77 et la Chine, et une augmentation sans précédent des déficits de financement des pays en développement qui cherchent à atteindre les objectifs de développement durable (ODD).  Par conséquent, les intervenants ont insisté sur l’impératif d’une coopération renforcée et repensée en matière de développement, sans quoi la réalisation du Programme 2030 risque de dérailler.

Parmi les thématiques principales qui sont ressorties de la discussion, ce matin, il faut citer cette injonction à changer le paradigme de la coopération internationale pour le développement et l’impératif de changer la mesure du niveau de développement, au-delà du RNB, afin de tenir réellement compte de l’aspect multidimensionnel de la vulnérabilité des pays en développement.  Si la lutte contre la pauvreté doit rester au cœur des efforts collectifs, parce qu’il s’agit de l’enjeu principal d’un développement durable pour tous, les intervenants ont tour à tour souligné que la coopération en matière de développement doit être repensée pour permettre la « décolonisation de l’aide au développement », comme l’a dit le modérateur, et faire en sorte que les fonds arrivent réellement entre les mains des agents locaux du développement.  À l’instar de ce qu’a prôné le Groupe des 77 et la Chine, l’idée que l’APD et la coopération en matière de développement doivent s’offrir dans le respect des priorités nationales, est revenue souvent dans les interventions.  En effet, comme l’a dit la Directrice exécutive de l’Agence de coopération internationale de El Salvador, l’intervention internationale doit appuyer les politiques nationales.

Le Groupe des 77 et la Chine a également fustigé les pays développés qui n’honorent pas leurs engagements en termes d’APD, à quoi s’ajoute le fait que cette APD prend aujourd’hui souvent la forme de prêts plutôt que de dotations, aggravant ce faisant le niveau d’endettement déjà insoutenable de beaucoup de pays en développement, en particulier chez les plus vulnérables d’entre eux.  Il est indéniable en effet que les pays développés n’en font pas assez puisque leur APD ne se situe qu’autour de 0,33% et n’atteint donc pas le seuil de 0,7% du RNB.  Ils ne tiennent pas non plus leurs engagements en termes de financement de l’action climatique, ont relevé certains. 

Le nouveau paradigme de la coopération internationale doit donc veiller à ce que l’APD réponde aux besoins et aux contextes de chaque pays en développement et qu’elle ne vienne pas aggraver le lourd fardeau de leur dette, a exigé la Sierra Leone, qui parlait au nom du Groupe des pays d’Afrique.  En outre, il faut veiller à ce que cette aide ne devienne pas politisée ou un outil de pression, a insisté la Fédération de Russie.  Les appels se sont multipliés à la suspension de la dette de certains pays au bord de la faillite, ce qui appelle non seulement l’adoption de solutions exhaustives à moyen et long terme, mais aussi une évaluation critique des agences de notation et une réforme urgente des institutions financières internationales créées il y a 60 ans.  Le besoin de mettre en place des financements concessionnels et de repenser la manière d’accorder des prêts a notamment été mis en avant, parmi les questions auxquelles cette réforme doit répondre.  Toutefois, a remarqué le représentant de l’Union européenne, l’APD ne peut pas remplacer la structure de gouvernance des pays eux-mêmes.  Son argument a été que les capitaux privés ne vont que vers des environnements transparents et qui présentent une possibilité de rentabilité.  L’UE a donc insisté sur l’importance de la bonne gouvernance dans les pays récipiendaires de l’aide et des fonds internationaux et bilatéraux.

Toujours dans le but d’améliorer le financement du développement, le Groupe des pays d’Afrique a appelé à une meilleure coopération internationale en matière fiscale et à l’élimination des paradis fiscaux, compte tenu du fait que l’Afrique perd chaque année plus de 6 milliards de dollars en flux financiers illicites.  Un consensus très clair s’est également dégagé sur l’impératif de la baisse des coûts des capitaux et sur l’importance de l’accès rapide aux liquidités avec moins de conditions à remplir, surtout dans des situations d’urgence et de catastrophes naturelles.  S’agissant des effets des changements climatiques, la création, lors de la COP27, d’un fonds de réparation pour les « pertes et dommages » subis par les pays en développement à cause des changements climatiques a été vue comme un jalon important, même s’il reste encore beaucoup à faire, selon le représentant de la Fondation Ford.

La vulnérabilité multidimensionnelle des pays en développement a été largement invoquée avec des appels à mieux la prendre en compte dans la coopération en faveur du développement, comme l’a dit notamment le Maroc.  C’est aussi une priorité pour l’Australie pour qui on ne peut pas mesurer ce qu’on ne comprend pas.  C’est pourquoi le développement de l’indice de vulnérabilité multidimensionnelle est essentiel pour mieux comprendre ce que signifie la résilience, car il s’appuie sur des éléments de preuve concrets et scientifiques, a fait valoir la délégation australienne.  Elle a soulevé la question de savoir comment le forum politique de haut niveau pourrait intégrer la question de la vulnérabilité dans les discussions sur la mise en œuvre du Programme 2030.

De leur côté, la Colombie, le Brésil et l’Équateur ont mis en avant le potentiel de la coopération Sud-Sud en faveur du développement, tout en insistant sur le fait qu’elle est complémentaire à la coopération Nord-Sud et ne saurait s’y substituer.

Alors que le monde se trouve à un tournant marqué par la tendance générale à réévaluer l’architecture internationale, l’Union européenne a donné rendez-vous au Sommet sur les objectifs de développement durable en septembre, en encourageant les délégations « à venir préparées et à faire preuve de réalisme ».  Le représentant de la Fondation Rockefeller a rebondi sur cette invitation pour souligner que 2023 offre également d’autres opportunités: le G20 se trouve sous présidence indienne et il y aura le sommet sur le financement du développement du Président Macron en juin.  « L’objectif ultime est de parvenir à un financement prévisible, adéquat et suffisant pour le développement. » 

Table ronde 2: Renforcer l’efficacité de la coopération pour le développement en vue de la résilience climatique

Cette table ronde, modérée par Mme BELLA TONKONOGY, Directrice associée pour le financement climatique à la Climate Policy Initiative, a été marquée par des appels insistants à une augmentation des sommes consacrées à la résilience climatique, celles-ci étant, de l’avis de tous les intervenants, notoirement insuffisantes.

Mme RANIA AL-MASHAT, Ministre de la coopération internationale pour le développement de l’Égypte, a rappelé que les besoins en financement augmentent alors que les investissements ne sont pas à la hauteur et ce, dans un contexte de catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes.  Elle a déclaré que les dommages causés par ces catastrophes se sont élevés à 1 300 milliards de dollars en 2018.  Or, selon elle, les sommes consacrées à la résilience climatique sont largement insuffisantes puisqu’elles ne représentent que 5% du financement climatique.  Elle a indiqué qu’un manuel pour un financement juste au profit des pays en développement a été lancé lors de la COP de Charm el-Cheikh.  Les pays en développement doivent devenir maîtres de leur trajectoire climatique, a aussi estimé la Ministre.  « Ensemble, ouvrons nos cœurs et faisons en plus pour nos peuples et pour la planète. »

Comment faire face aux défis de la prévention des risques et de l’action climatique?  C’est-ce qu’a demandé M. KANTUTA DIANA CONDE CHOQUE, membre du Réseau de la jeunesse autochtone pour l’Amérique latine et les Caraïbes, en soulignant le rôle capital que jouent les territoires autochtones dans la prévention et la propagation de certaines maladies, grâce à une meilleure biodiversité.  L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a d’ailleurs mis en avant l’importance d’une approche plurisectorielle dans le cadre de l’ODD relatif à la santé et au bien-être, a-t-il fait observer.  Dans cette perspective, il a appelé à protéger les territoires autochtones et leur système de gouvernance.  Il a aussi demandé de garantir l’accès à l’autodétermination des populations autochtones.  Il faut également, a-t-il ajouté, respecter le consentement libre, éclairé et préalable de ces peuples.  L’intervenant a ensuite recommandé de promouvoir les connaissances traditionnelles des autochtones.  S’il s’est félicité des annonces de contribution faites en faveur de la protection des forêts, le panéliste a toutefois regretté que 7% seulement des financements aient été octroyés directement aux populations autochtones, demandant que cette situation change.

Mme ELEONORA BETANCUR GONZALEZ, Directrice de l’Agence présidentielle pour la coopération internationale de la Colombie, a rappelé que son pays est le deuxième au monde en termes de biodiversité, avec 311 types d’écosystèmes continentaux et marins et dont 53% du territoire sont couverts par des forêts.  Elle a cependant souligné que la Colombie est le deuxième pays le plus inégalitaire d’Amérique latine, avec un conflit interne qui a duré plus de 50 ans et qui a fait plus de 800 000 victimes.  Le nouveau Gouvernement Petro a adopté un programme politique ancré dans un nouveau plan de développement réformiste, qui incarne une vision du développement plaçant les êtres humains et la nature au centre des politiques publiques, a-t-elle informé.  Elle a précisé que ce plan propose la paix totale, la lutte contre les changements climatiques et une transition énergétique équitable comme catalyseurs de la transformation sociale du pays.  La coopération au développement, les banques multilatérales, le secteur privé, l’État et la société civile sont essentiels selon elle pour répondre en temps opportun au défi posé par les changements climatiques, qui affecte particulièrement les plus défavorisés, exacerbe les inégalités et compromet la sécurité et la souveraineté alimentaires.  Alors que la mobilisation de financements concessionnels et non remboursables en faveur du climat et de la nature est une priorité pour la Colombie, il est important de souligner, selon elle, que les biens publics mondiaux, tels que ceux des pays du Sud, relèvent de la responsabilité commune de tous les pays.  Elle a ajouté que les pays les plus développés doivent assumer leurs engagements financiers. 

La panéliste a martelé que les pays en développement ont besoin d’énormes ressources financières, qui ne compromettent pas leur espace fiscal limité et ne représentent pas un risque pour la viabilité de leur dette.  C’est d’autant plus vrai pour les pays à revenu intermédiaire, comme la Colombie, qui sont punis en termes d’accès au financement malgré les inégalités sociales qui persistent, a-t-elle fait valoir.  En tant que poumons du monde, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes attendent des solutions de financement innovantes, qui mettent l’accent sur des alternatives telles que la conversion de la dette en action climatique afin de libérer des ressources.  Pour l’intervenante, il est urgent de repenser l’architecture financière internationale pour mieux financer l’adaptation climatique, afin que les actions des États soient complétées par des soutiens des banques privées et multilatérales. 

M. MUNIR AKRAM, (Pakistan) est revenu sur la catastrophe endurée l’an dernier par son pays, touché par des inondations massives.  Le facteur de résilience a été inclus dans le plan de relèvement du Pakistan, a-t-il dit.  Il a chiffré à 17 milliards de dollars la somme nécessaire pour reconstruire ce qui a été détruit, tandis que 13 milliards sont nécessaires pour renforcer la résilience climatique.  Les sommes pour l’atténuation des conséquences des changements climatiques ne sont pas suffisantes, selon lui.  « Il faut changer de cap. »  Il a appelé à la mise en place d’infrastructures durables, en rappelant les sommes qu’il faut consentir pour cela et qui se chiffrent en mille milliards de dollars.  Il a enfin plaidé pour une réforme des droits de tirage spéciaux (DTS) au profit des pays en développement et pour une augmentation de l’APD.

M. FACINET SYLLA, Directeur exécutif du Fonds monétaire international (FMI), a reconnu l’importance particulière que le sujet à l’ordre du jour a pour les pays en développement, en particulier les pays africains, qui de façon disproportionnée sont pénalisés par les changements climatiques, avec des sécheresses fréquentes et catastrophiques et des inondations de zones côtières, alors même qu’ils n’ont contribué que de façon marginale aux émissions de gaz à effet de serre.  Compte tenu des conséquences de plus en plus grandes qu’ont les changements climatiques sur le financement public, qui dépend avant tout de la balance des paiements, le FMI doit trouver d’autres formes de financement, a-t-il reconnu.  C’est la raison pour laquelle a été récemment créé un fonds pour aider les pays à revenu intermédiaire et à faible revenu à surmonter des difficultés structurelles dans une optique de long terme.  C’est la première fois que le FMI crée un instrument financier à long terme, étalé sur 20 ans, avec des taux d’intérêt très bas, a observé le Directeur.  Le Rwanda est jusqu’à présent le seul pays africain à en avoir profité, avec l’Équateur et la Barbade pour le reste du monde, a-t-il précisé.

Mme LUZ KEILA VIRGINIA GRAMAJO VILCHEZ, Secrétaire chargée de la planification et de la programmation à la Présidence du Guatemala, a appelé à répondre à la crise climatique, en exhortant les pays développés à honorer leurs engagements à ce titre, notamment la mobilisation de 100 milliards de dollars par an pour le climat au profit des pays en développement.  Le Guatemala est le deuxième pays de l’Amérique latine à s’être doté d’une loi-cadre sur les changements climatiques, a-t-elle ensuite fait valoir.  Elle a aussi évoqué le système de planification et de gestion des risques mis en place par son pays.  L’intervenante a souligné la nécessité que les pays à revenu intermédiaire bénéficient également de l’APD.  Nous ne pouvons pas nous en remettre uniquement à la coopération internationale et il faut davantage d’investissements au niveau national, a-t-elle conclu, en rappelant que les récentes inondations ont coûté 6 milliards de dollars au Guatemala.

Mme JENNIFER DEL ROSARIO-MALONZO, Directrice exécutive de IBON International, a insisté sur le besoin d’une coopération internationale pour remédier aux vulnérabilités des pays en développement face aux changements climatiques.  Notant que la cible des financements climatiques n’a pas encore été atteinte, elle a également dénoncé le fait que l’aide en la matière soit souvent sous forme d’emprunts alors même que les pays en développement sont déjà surendettés.  Une coopération efficace suppose en outre que les pays du Sud puissent eux-mêmes fixer leurs priorités de développement, a-t-elle souligné, en recommandant qu’ils s’attaquent aux causes profondes de leurs vulnérabilités.  En dernier lieu, l’intervenante a insisté sur le respect des droits des individus, en saluant, à cet égard, la mise en place du fonds « pertes et dommages » créé par la COP27.

Enfin, c’est le sujet du financement durable qui a été traité par M. JONATHAN GLENNIE, Cofondateur de Global Nations, qui a parlé d’une analyse qu’il a faite il y a huit ans avec Jose Antonio Alonso, un des principaux experts mondiaux de la question.  Il a énoncé les critères à remplir pour une bonne coopération au développement: viser à soutenir les priorités du développement, ne pas être guidé par le profit, aider les pays en développement en se reposant sur une relation de coopération pour que ces pays s’approprient pleinement les projets.  Avec son coauteur, ils ont identifié les types de coopération: transferts financiers, transferts en nature, renforcement des capacités et changements politiques.  M. Glennie a aussi cité des obstacles qui entravent la coopération au développement en matière de changements climatiques: manque de conscience du sentiment d’urgence, dominance de la perspective un peu étriquée du Nord sur la façon de procéder, séparation entre le climat et le développement qui n’aide pas à lever les fonds (il vaut mieux parler de financement durable plutôt que de financement climatique selon lui). 

Les solutions qu’a proposées M. Glennie sont notamment de mobiliser davantage d’investissements publics, d’élargir l’accès aux financements concessionnels pour les pays vulnérables aux changements climatiques, et de faire en sorte que l’architecture financière internationale tienne compte des risques climatiques.  Deux pays à revenu faible sur trois sont confrontés à une crise de l’endettement, a-t-il indiqué en faisant remarquer que 80% du financement climatique prend la forme de prêts, même pas à taux préférentiels, ce qui est aussi un problème pour les pays à revenu intermédiaire.  L’expert a aussi appelé à améliorer l’efficacité de la gouvernance des grands fonds, car ces systèmes ont été créés il y a 60 ans et ne se sont pas adaptés à la situation actuelle.  Il a encore proposé de mener à bien des campagnes sur l’adaptation, pour bénéficier du soutien du public qui est important en la matière.

Lors de la discussion interactive qui a suivi, les enjeux financiers ont été abondamment évoqués par les délégations, à commencer par la Côte d’Ivoire qui a reconnu que les pays en développement peinent à renforcer leur résilience climatique. Le délégué a rappelé que la COP27 à Charm el-Cheikh a souligné l’importance du financement de la réparation pour les pertes et dommages subis par les pays en développement. De son côté, le Panama a indiqué que la résilience climatique est une priorité de son pays, qui a organisé début mars un sommet « notre océan, notre lien ». Près de 21 milliards de dollars ont été annoncés en vue de la protection des océans, a dit la déléguée de ce pays, en rappelant la décarbonation en cours du canal de Panama, pays qui devrait parvenir à la neutralité en 2030.  « Nous avons besoin de financements supplémentaires pour tenir les accords pris en vue de remédier au défi climatique », a-t-elle toutefois prévenu.

Les Maldives ont aussi insisté sur l’importance de préserver les océans, avant de qualifier le financement des mesures d’atténuation et d’adaptation climatique de « défi colossal » pour son pays.  « L’érosion côtière a une incidence très forte sur les réserves en eau potable et sur la sécurité alimentaire des Maldives », a dit le délégué, en demandant un doublement des sommes affectées auxdites mesures.

Même son de cloche du côté de l’Équateur et de la République dominicaine, ce pays plaidant pour un financement non-discriminatoire. Les pays concernés ne doivent pas s’endetter pour renforcer leur résilience climatique, a plaidé la déléguée équatorienne qui a insisté sur le besoin de coopération internationale pour parvenir à son objectif de résilience climatique.

L’Angola a, lui, insisté sur les progrès accomplis par les pays africains dans le financement des mesures de résilience climatique, avant de rappeler, comme la Côte d’Ivoire avant lui, l’importance « historique » de la dernière COP27 et de son financement prévu pour combler les pertes et dommages. Le Bélarus a attiré l’attention sur la situation particulière des pays en transition et à revenu intermédiaire. « Mon pays a pour objectif la neutralité carbone mais a besoin, pour cela, de l’appui international », a déclaré la déléguée de ce pays, avant d’ajouter que les sanctions sont un obstacle au développement durable.  Enfin, à l’instar de son homologue du Brésil, elle a exhorté les pays développés à honorer leurs engagements financiers en matière climatique.

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