En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-huitième session,
36e et 37e séances plénières – matin & après-midi
AG/SHC/4391

Troisième Commission: de la Corne de l’Afrique à la Fédération de Russie, inquiétudes quant aux répercussions des conflits sur les droits humains 

Poursuivant son examen de la situation des droits humains dans des pays spécifiques, la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, s’est intéressée aujourd’hui aux cas de l’Éthiopie, de l’Érythrée, du Burundi, du Bélarus, de la Fédération de Russie et de l’Ukraine.  Les six titulaires de mandat venus présenter leur rapport et dialoguer avec les États Membres ont souligné le lien entre les violations des droits humains et les conflits, tout en déplorant, pour la majorité d’entre eux, le manque de coopération des pays concernés. 

Le Président de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie a ouvert ce bal des présentations en regrettant la récente décision du Conseil des droits de l’homme de mettre fin au mandat de son organe.  Ajoutée à la fin de la commission d’enquête de l’Union africaine, cette décision signifie qu’« il n’y a plus de mécanisme indépendant qui enquête sur les atrocités commises en Éthiopie », a alerté M. Mohamed Chande Othman.  Une situation d’autant plus grave, selon lui, qu’après les crimes commis par toutes les parties au conflit en Éthiopie depuis 2020, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, le risque existe que de nouvelles atrocités soient perpétrées à grande échelle. 

En effet, a expliqué le Président de la Commission, malgré la signature de l’accord de cessation des hostilités en 2022, les troupes érythréennes et les milices Amhara restent présentes au Tigré et s’y livrent à des violences contre les civils.  Et alors que ces mêmes populations ont déjà subi des violations « à une échelle stupéfiante » de la part des forces de défense éthiopiennes et érythréennes, mais aussi de forces régionales et de milices affiliées, les perspectives de responsabilisation sont minces, le Gouvernement éthiopien s’employant à échapper à tout contrôle via la création de mécanismes défectueux et l’instrumentalisation des institutions, a dénoncé M. Othman, non sans regretter de n’avoir pu retourner en Éthiopie après sa première visite en juillet 2022, et ce, malgré ses demandes répétées. 

Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée a, pour sa part, constaté que l’accord de cessation des hostilités entre le Gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré n’a pas non plus amélioré la situation interne de ce pays. Évoquant un recul des droits humains en Érythrée, M. Mohamed Abdelsalam Babiker a rappelé que, depuis plus de 30 ans, le Président Afwerki dirige le pays sans élections ni séparation des pouvoirs, et sans que les citoyens aient voix au chapitre.  Selon lui, cette détérioration est en grande partie due au système de service militaire national à durée indéterminée, qui s’accompagne de punitions collectives imposées aux familles et aux communautés pour les forcer à rejoindre les forces de défense érythréennes. 

Si le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi, a, lui, fait état de potentiels progrès, il a aussi fustigé la faiblesse des institutions nationales, qui fait d’elles « des instruments de violation des droits humains ».  M. Fortuné Gaetan Zongo a également dénoncé les lacunes du système judiciaire burundais, liées à l’insuffisance des ressources humaines et à la vétusté des infrastructures, mais aussi à l’ingérence de l’exécutif, à la corruption et à la méfiance du public.  En outre, il a noté le recours à des infractions aux contours imprécis, comme les soupçons d’atteinte à la sûreté de l’État, souvent utilisées contre des personnes menant des activités politiques et sociales licites.  Il a enfin regretté que ses demandes de visite soient restées sans réponse.

De son côté, reconnaissant travailler à distance pour ne pas risquer l’emprisonnement, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus a mis l’accent sur la prolifération des lois antiterroristes « dans un pays pourtant épargné par le phénomène du terrorisme ».  La propagande terroriste ou sa justification publique y est sanctionnée par une peine de sept ans d’emprisonnement, conduisant des individus qui cherchaient à documenter ou à entraver le transit de troupes russes et d’équipements militaires destinés à la guerre en Ukraine à être reconnus coupables de terrorisme, a expliqué Mme Anaïs Marin.  Alors que près de 3 500 personnes sont répertoriées comme extrémistes au Bélarus et que des sites et des comptes sociaux de défenseurs des droits humains sont soumis à la censure, le champ d’application de la peine de mort a été étendu pour inclure des crimes de terrorisme vaguement définis, a-t-elle ajouté, soulignant l’absence de garanties d’un procès équitable. 

Décrivant elle aussi un climat de peur et d’impunité, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans la Fédération de Russie a dénoncé les tentatives d’obstruction des autorités russes, qui tentent de dissuader d’autres mécanismes des droits humains de l’ONU de collaborer avec son mandat.  L’espace civique indépendant n’existe plus en Russie, a déploré Mme Mariana Katzarova, qui a rappelé que plusieurs organisations russes de défense des droits humains ont été fermées au motif qu’elles seraient des « agents étrangers ».  Après avoir constaté une nette augmentation des détentions arbitraires pour raisons politiques, elle a constaté que la répression actuelle des droits humains en Russie et la guerre externe que mène ce pays contre l’Ukraine « vont de pair ». 

En conclusion de ce tour d’horizon, le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine a salué la coopération du Gouvernement ukrainien, alors que ses demandes de visite dans les zones occupées par la Fédération de Russie sont restées lettre morte.  Précisant que son rapport ne relève que trois cas dans lesquels les autorités ukrainiennes ont commis des violations des droits humains à l’encontre de personnes qu’elles accusaient de collaborer avec les autorités russes, M. Erik Mose s’est, en revanche, alarmé de l’étendue, de la fréquence et de la gravité de certains types de violations commises du côté russe.  Il a ainsi énuméré des cas de torture, d’homicide volontaire, de viol et de déportation d’enfants, susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité. Face à ces atrocités, il a jugé primordial que les auteurs de ces violations répondent de leurs actes. 

La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, jeudi 26 octobre, à partir de 10 heures.  

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS - (A/78/198)

Déclarations liminaires des titulaires de mandat au titre d’une procédure spéciale et d’autres experts, suivies d’un dialogue interactif

Exposé

M. MOHAMED CHANDE OTHMAN, Président de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie, a commencé son exposé en exprimant son inquiétude face à l’absence de mise en œuvre complète de l’accord de cessation des hostilités entre le Gouvernement fédéral et le Front populaire de libération du Tigré, qui a mis fin voilà un an à l’un des conflits les plus meurtriers du XXIe siècle.  De ce fait, le pays semble aujourd’hui sombrer dans une spirale d’instabilité, a-t-il dit, avant d’évoquer son rapport, présenté en septembre au Conseil des droits de l’homme, qui décrit les atrocités de grande ampleur commises par toutes les parties au conflit en Éthiopie depuis le 3 novembre 2020, y compris les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. 

Précisant que la Commission internationale d’experts a mené ses investigations en suivant la méthodologie d’autres commissions d’enquête de l’ONU, guidée par les principes d’indépendance, d’impartialité et de confidentialité, M. Othman a regretté qu’elle n’ait pas eu accès à l’Éthiopie après sa première visite à Addis-Abeba en juillet 2022, et ce, malgré les demandes répétées de coopération adressées au Gouvernement. 

En dépit de cet obstacle, a-t-il expliqué, la Commission a trouvé des preuves d’atrocités de grande ampleur.  Au Tigré, les Forces éthiopiennes de défense nationale, les Forces de défense érythréennes, les forces régionales et les milices affiliées ont perpétré des violations et des abus « à une échelle stupéfiante », notamment des massacres, des viols et des violences sexuelles généralisés et systématiques à l’encontre des femmes et des filles, des famines délibérées, des déplacements forcés et des détentions arbitraires, a-t-il souligné. Ces actes constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, a affirmé le Président de la Commission, avant d’insister sur la nécessité d’établir la responsabilité du commandement par le biais d’une enquête. 

Malgré la signature de l’accord de cessation des hostilités, a-t-il relevé, les troupes érythréennes et les milices amhara restent présentes au Tigré et s’y livrent à des atrocités contre les civils, tandis que les minorités Irob et Kunama, près de la frontière érythréenne, sont particulièrement menacées. Il s’est également inquiété de l’expulsion des Tigréens du Tigré occidental, qui occasionne le déplacement interne de dizaines de milliers de personnes.  Dans les régions d’Amhara et d’Afar, les forces du Tigré et les milices ont également commis de graves violations, dont beaucoup sont constitutives de crimes de guerre, a ajouté M. Othman.  Selon lui, la situation dans la région d’Amhara s’est considérablement détériorée ces derniers mois, l’annonce de l’état d’urgence en août 2023 ayant donné lieu à des violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires et des arrestations à grande échelle. 

Dans la région d’Oromia, a-t-il poursuivi, la Commission a découvert des pratiques persistantes d’arrestations arbitraires et de torture de civils accusés d’avoir des liens avec le groupe Armée de libération oromo (OLA).  Elle a aussi établi que, dans l’Ouest d’Oromia, des frappes de drones utilisées dans le cadre de la stratégie anti-insurrectionnelle ont tué ou blessé des dizaines de civils l’an dernier.  Alors que de telles frappes sont encore menées aujourd’hui, les attaques de l’Armée de libération oromo, de ses groupes dissidents et de milices fano se poursuivent contre les civils Amhara et Oromo dans les régions d’Oromia et d’Amhara, a-t-il rapporté, constatant que la prolifération des groupes armés non étatiques ont conduit à une insécurité accrue et à des violences à grande échelle.

Dans ce contexte, M. Othman a averti que la situation en Éthiopie présente la plupart des indicateurs de crimes d’atrocités futures.  En effet, a-t-il expliqué, le Gouvernement éthiopien et les forces qu’il contrôle, de même que les forces érythréennes présentes en Éthiopie, les groupes armés régionaux, étatiques et non étatiques, et les milices, sont en mesure de poursuivre les violations commises.  Par ailleurs, alors que les perspectives nationales de responsabilisation sont minces, il a noté l’absence de facteurs atténuants susceptibles de prévenir ces futurs crimes.  . 

Considérant que les actions du Gouvernement éthiopien, notamment son processus de justice transitionnelle « gravement déficient », présentent toutes les caractéristiques d’une stratégie de « quasi-conformité », M. Othman a dénoncé une volonté d’échapper au contrôle régional et international via la création de mécanismes défectueux et l’instrumentalisation des institutions au détriment des droits des victimes et du système international des droits de l’homme.  Compte tenu de la gravité des crimes commis et du risque de nouvelles atrocités, il a jugé essentiel de poursuivre une surveillance internationale rigoureuse de la situation.  À ses yeux, la décision du Conseil des droits de l’homme de mettre fin au mandat de la Commission et la fin de la Commission d’enquête de l’Union africaine signifient que, dans l’état actuel des choses, « il n’y a plus de mécanisme indépendant qui enquête sur les atrocités commises en Éthiopie ».  Il a donc appelé les organisations et institutions des Nations Unies à renforcer leurs activités de rapport et de défense de la situation des droits humains en Éthiopie.  Enfin, il a invité les États Membres à assumer leur responsabilité, laquelle pourrait, selon lui, comprendre le recours à la juridiction universelle. 

Dialogue interactif 

À la suite de cet exposé, l’Éthiopie a appelé à respecter le fait que les États ont la responsabilité principale en matière de droits humains.  Elle a souligné qu’elle est partie aux principaux traités sur les droits humains et qu’elle présente régulièrement son rapport au titre de l’Examen périodique universel (EPU).  Elle a souligné que, depuis la signature de l’accord de cessation des hostilités en novembre 2022 à Pretoria, elle met tout en œuvre pour prévoir des recours pour les violations des droits humains. La délégation a regretté que les progrès réalisés ne soient pas pris en compte dans le rapport et a rejeté les conclusions de la Commission comme « lacunaires, partisanes et motivées politiquement ». 

Elle a aussi exprimé son opposition aux conclusions du rapport conjoint de sa commission nationale sur les droits humains et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).  Elle a cependant indiqué qu’une équipe spéciale interministérielle a été créée pour mettre en œuvre certaines des recommandations du rapport conjoint; ce qui a permis des poursuites de la part des victimes.  Elle a aussi indiqué qu’un cadre de réhabilitation et de reconstruction a été mis en place et qu’un processus de consultation concernant le cadre de justice transitionnel a été mené à bien.  Enfin, après s’être félicitée du fait que le Conseil des droits de l’homme, lors de sa cinquante-quatrième session, ait mis fin au mandat de la Commission, elle a assuré que l’Éthiopie continuera de travailler avec les institutions internationales et régionales pour renforcer ses capacités en matière de promotion et de protection des droits humains. 

Souscrivant au principe des « solutions africaines aux problèmes africains », le Cameroun s’est opposé à tous les travaux « non-coopératifs et politisés » dans le domaine des droits humains, lesquels entraînent, selon lui, une « division manichéenne artificielle » entre les États.  À cet égard, il a salué le non-renouvellement du mandat de la Commission.  La Zambie, qui s’exprimait au nom du Groupe des États d’Afrique, a rappelé que les États ont la responsabilité principale en matière de droits humains.  Elle a jugé que l’EPU est le seul mécanisme inclusif pour examiner la situation des droits humains dans les pays et s’est opposée à tout « deux poids, deux mesures » et toute tentative de politisation de ces questions.  Elle a en outre salué les efforts du Gouvernement éthiopien pour la justice transitionnelle et sa collaboration avec le HCDH.  Le Zimbabwe s’est, lui aussi, opposé aux rapports sur les situations spécifiques des pays, notamment en Éthiopie, au Burundi et en Érythrée.  Le Mali a estimé que les rapports ne mettent pas assez en valeur les efforts faits par les gouvernements.  Il a demandé d’éviter toute politisation des questions de droits humains et plaidé en faveur du développement économique pour progresser dans ce domaine. 

Saluant la position constructive du Gouvernement éthiopien et sa collaboration avec le HCDH et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples établie par l’Union africaine, la Fédération de Russie s’est également félicitée du caractère impartial et professionnel des travaux de la commission éthiopienne des droits de l’homme.  Se réjouissant de la mise en place d’un dialogue politique national, elle a appelé à des négociations constructives entre toutes les parties sur la base du principe des « solutions africaines aux problèmes africains ».  Le Bélarus a regretté que la Commission n’ait pas présenté de rapport écrit à l’Assemblée générale et demandé où trouver ce rapport.  Relevant par ailleurs que la Commission a fait état d’un besoin de financement de 3 millions de dollars, il s’est dit conforté dans sa position d’opposition aux mandats dédiés à des pays. 

Cuba a dénoncé les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme comme des « outils de pression à visée hégémonique » qui n’améliorent pas la situation des droits humains sur le terrain. Dans la même veine, le Nicaragua a rejeté l’utilisation des droits humains comme prétexte pour s’ingérer dans les affaires internes d’États indépendants et exercer des pressions politiques sur les pays en développement.  La Chine s’est déclarée favorable au principe des « solutions africaines aux problèmes africains », avant d’appeler la communauté internationale à la suivre dans son effort d’assistance humanitaire à l’Éthiopie.  Elle a également redit son rejet des mécanismes dédiés à des pays, surtout quand les pays concernés s’y opposent, comme c’est le cas de l’Éthiopie.  Le Venezuela a dénoncé, à son tour, la création de mécanismes de droits humains dédiés à un pays spécifique, insistant sur la primauté de l’EPU. 

L’Union européenne a, pour sa part, salué l’accord de cessation des hostilités tigré-éthiopien de 2022 et les travaux de la commission éthiopienne des droits de l’homme en collaboration avec le HCDH.  Elle a demandé que cessent toutes les violations du droit international des droits humains, du droit international humanitaire et du droit international des réfugiés, réclamant des enquêtes transparentes, indépendantes et impartiales.  Elle s’est inquiétée des informations faisant état de la persistance de violations des droits humains dans les États d’Afar, d’Oromia et d’Amhara, avant de demander comment mettre en œuvre la politique de justice transitionnelle en temps voulu. Les États-Unis se sont préoccupés de la persistance de violations des droits humains après la signature de l’accord de novembre 2022.  Ils ont appelé l’Éthiopie à s’assurer que les auteurs des violations rendent des comptes, y compris au sein du Gouvernement.  Saluant la collaboration avec le HCDH, ils se sont déclarés déçus de l’absence de coopération pour la mise en œuvre du mandat de la Commission. Ils ont souhaité savoir quelles sont les mesures prises pour rétablir la confiance auprès des victimes et garantir un processus inclusif. 

La Suisse a salué les développements positifs qui ont suivi la signature de l’accord de paix et des mesures prises pour lancer un processus de justice transitionnel, tout en s’inquiétant des violations persistantes des droits humains.  Elle a souhaité que des investigations indépendantes se poursuivent malgré le non-renouvellement du mandat de la Commission.  Quelles mesures devraient être prises pour garantir la protection des droits humains après la fin de ce mandat, a-t-elle demandé.  Par la voix de sa déléguée de la jeunesse, le Luxembourg a regretté à son tour le non-renouvellement du mandat de la Commission malgré la persistance des violations des droits humains et le risque de répétition.  Il a exhorté l’Éthiopie à suivre les recommandations du rapport de la Commission et à solliciter l’appui du HCDH pour désamorcer les facteurs de risque structurels, notamment en Amhara, en Oromia et au Tigré, et demandé à l’Érythrée de retirer toutes ses troupes de la région.  Au regard de ces facteurs de risque, à quoi faut-il s’attendre dans les mois à venir, s’est-il enquis. 

Le Royaume-Uni s’est préoccupé du risque de violations futures des droits humains, notamment dans les régions du Tigré et d’Amhara. Saluant les efforts de l’Éthiopie en matière de justice transitionnelle, il s’est interrogé sur les moyens dont dispose la communauté internationale pour soutenir ce processus.  L’Islande a estimé que la fin du mandat de la Commission est prématurée et a invité l’Éthiopie à mettre en œuvre des mécanismes de reddition de comptes efficaces, avant de demander comment la communauté internationale peut épauler la mise en place d’une justice transitionnelle.  Les Pays-Bas ont salué les signataires de l’Accord de Pretoria et appelé à poursuivre les auteurs de violations de droits humains quels qu’ils soient.  Ils ont aussi voulu savoir comment la communauté internationale pourra soutenir la promotion et la protection des droits humains en Éthiopie après la fin du mandat de la Commission. 

Reprenant la parole, l’Éthiopie a salué l’Accord de Pretoria et rappelé l’importance de trouver des « solutions africaines aux problèmes africains ».  Concernant la justice transitionnelle, elle a dit s’appuyer sur le cadre de l’Union africaine et a indiqué qu’elle compte renforcer ses capacités nationales en la matière, notamment grâce à l’appui de la communauté internationale et des bureaux des agences des Nations Unies. 

Répondant aux questions et remarques des délégations en tant que membre de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie, M. STEVEN RATNER a précisé que le rapport de la Commission mentionne les meurtres de grande ampleur commis avant la fin du conflit tigré-éthiopien. Toutefois, a-t-il dit, un certain nombre d’éléments montrent que le conflit n’est pas terminé.  Il a ainsi fait état de la présence persistante de forces d’occupation érythréennes, d’un taux de violence sexuelle et sexiste effarant et d’une situation humanitaire déplorable.  S’agissant des risques de nouvelles atrocités de masse, M. Ratner a jugé essentiel de maintenir des efforts de contrôle et de prévention en Éthiopie, compte tenu de la capacité des différents acteurs à commettre de telles violations. 

Pour ce qui est de la réponse du Gouvernement fédéral éthiopien en matière de justice transitionnelle, M. Ratner a indiqué que la Commission a pris note de certaines mesures positives.  Il a cependant reconnu qu’il s’agit d’un processus complexe et multidimensionnel, et que des divergences de points de vue se sont faites jour avec le Gouvernement, notamment suite à l’atelier organisé à Nairobi, qui a mis en évidence les réserves de plusieurs groupes ethniques quant à la crédibilité et l’inclusivité de ce processus.  En clair, la Commission doute de la sincérité du processus, a-t-il expliqué, ajoutant que le rapport mentionne plusieurs mesures à prendre dans ce sens: cessation des violations, établissement de mécanismes crédibles de reddition de comptes, coopération avec les institutions internationales, ajustement du calendrier de justice transitionnelle et mise en place de justice de réparation.  Ce sont les critères de référence minimaux pour réaliser des progrès à l’avenir, a souligné le responsable. 

De l’avis de M. Ratner, la communauté internationale a un rôle à jouer dans ce processus.  Elle peut en effet examiner les pratiques de l’Éthiopie et fournir au pays une assistance technique et des conseils, conformément aux normes internationales, a-t-il plaidé, saluant à cet égard l’action menée par l’Union africaine, en particulier pour la surveillance de l’accord de cessation des hostilités.  Il a estimé qu’en l’absence de la Commission, dont le mandat n’a pas été renouvelé par le Conseil des droits de l’homme, il revient au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme d’assurer le suivi de la situation.  Avant de conclure, il a une nouvelle fois exprimé sa préoccupation concernant la « conformité partielle » de l’Éthiopie au processus de justice transitionnelle et a souhaité que cette question suscite une réflexion au sein de la Troisième Commission. 

Exposé

M. FORTUNÉ GAETAN ZONGO, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi s’est dit profondément convaincu que la situation des droits humains au Burundi pouvait être améliorée, soulignant que la nomination du pays au Conseil des droits de l’homme (CDH) ne l’exonérait pas de ses obligations en matière de droits fondamentaux de la personne et souhaitant le voir s’engager dans un dialogue constructif avec les organes de traités et le CDH. 

Le Rapporteur spécial s’est félicité de la réouverture des frontières avec le Rwanda, qui favorise la libre circulation des personnes et des biens. Il a aussi rappelé que le Burundi avait pris part au quatrième cycle de l’Examen périodique universel (EPU) le 4 mai 2023, avant de prendre note de l’annulation par la Cour suprême de la condamnation à cinq ans de prison, de l’avocat Tony Germain Nkina et de son client Apollinaire Hitimana, libérés le 27 décembre 2022.

« Les défis restent énormes et les progrès timides », a-t-il toutefois tempéré, affirmant que la faiblesse des institutions restait criante et faisait d’elles des instruments de violation des droits humains.  Il s’est notamment inquiété de l’absence d’un contrôle strict du Service national de renseignement pour garantir les conditions de détention et la légalité au regard des instruments juridiques internationaux et régionaux ratifiés par le Burundi.  Il a dénoncé le recours à des infractions aux contours imprécis, comme les soupçons d’atteinte à la sûreté de l’État ou de rébellion, qui, s’est-il inquiété, laissent une grande marge d’interprétation et sont utilisées contre des personnes menant des activités politiques et sociales licites, comme Christophe Sahabo, ancien Directeur général de l’hôpital Kira, la journaliste Floriane Irangabiye, ou Christopher Nduwayo, Secrétaire national du Congrès national pour la liberté. 

M. Zongo a aussi dénoncé les faibles performances du système judiciaire, notamment en raison de l’insuffisance des ressources humaines, des outils de travail, de la vétusté des infrastructures, de l’ingérence de l’exécutif, de la corruption et de la méfiance à son égard.  Il a regretté que les rapports de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme se limite à reproduire les discours officiels alors que les partis politiques, les médias et la société civile sont menacés. En conséquence, il a recommandé à l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme de réévaluer le statut « A » de la Commission, afin de l’encourager à se conformer aux Principes de Paris. 

Le Rapporteur spécial a regretté que ses demandes de visite soient restées sans réponse, en dépit de l’invitation permanente adressée par le Burundi depuis juin 2013 aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales.  Avant de conclure, il a attiré l’attention de la communauté internationale sur l’échéance des élections de 2025, avertissant qu’il fallait prévenir de potentielles violences.  

Dialogue interactif 

À l’issue de cet exposé, le Burundi a rejeté l’intégralité du rapport du Rapporteur spécial qui, a ajouté la délégation, vient renforcer sa conviction quant au caractère inutile et inadapté de ce mécanisme.  Ce dernier est imposé et voté par tous les pays occidentaux et rejeté par tous les pays africains et prouve la tendance à la politisation des droits humains et à la manipulation de l’opinion.  Ce document « petit et bas » contient des éléments « diffamatoire à l’encontre du peuple burundais », s’est insurgée la délégation. 

Mettant en cause le paragraphe 32, la délégation a appelé le Rapporteur spécial à cesser d’employer des termes injurieux et dégradant quand il parle du Gouvernement burundais.  Elle a rappelé qu’en 2015, l’opposition radicale menait des activités terroristes visant à renverser des institutions démocratiquement élues, évoquant des fusillades et un coup d’État raté.  Partout dans le monde, les gouvernements utilisent les moyens légaux pour les combattre et cela ne s’appelle pas un crime contre l’humanité, a-t-elle tranché.

Elle a également pointé les paragraphes 37 à 46 qui critiquent, selon elle, l’intégrité de la nomination et des personnes à la tête de la Commission nationale des droits l’homme et de la Commission Vérité et réconciliation.  Ces mensonges, ces accusations fallacieuses et ces calomnies ne resteront pas éternellement impunis, a mis en garde la délégation, qui a rappelé que le Burundi a été élu au Conseil des droits de l’homme avec plus de 87% des voix.

La Fédération de Russie a, elle aussi, estimé que les critiques adressées aux autorités burundaises étaient « totalement infondées », saluant leurs efforts pour prévenir la discrimination à l’encontre des minorités nationales et religieuses et faciliter le retour des réfugiés.  Les États occidentaux devraient renoncer à faire pression sur les autorités burundaises sous prétexte de respect des droits humains.  Le Nicaragua, la République populaire démocratique de Corée, la Zambie et le Cameroun ont mis cause l’instrumentalisation et la politisation des droits humains; le Venezuela et l’Érythrée estimant de surcroît que l’Examen périodique universel (EPU) est l’instrument idoine pour aborder la question des droits humains avec l’État intéressé. 

À ce sujet, comment la communauté internationale peut-elle soutenir au mieux la mise en œuvre par le Burundi des recommandations de l’EPU, a souhaité savoir l’Union Européenne, les États-Unis, appelant pour leur part à la reddition de comptes pour les violations les plus graves des droits humains et à promouvoir l’indépendance de la justice au Burundi. 

Cessons la politisation des droits humains, a exhorté Cuba, qui a réitéré son opposition à des exercices dont l’objectif est de faire pression sur le pays de façon hégémonique, sans améliorer la situation des droits humains sur le terrain.  L’Égypte a, elle aussi, déploré une instrumentalisation des droits humains, tout comme le Bélarus qui s’est prononcé en faveur d’un dialogue sur un pied d’égalité avec tous les pays.  La Chine a fustigé la diffusion d’informations erronées dans le but de vilipender injustement le pays, notant que le Gouvernement burundais a travaillé de façon positive et parcouru un très long chemin.  L’objectif doit être de renforcer les capacités des États, dans la coopération sincère, a souligné le Mali.

Reprenant la parole, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi a considéré que les critiques formulées au sujet des procédures spéciales ne le concernaient pas directement mais relevaient d’un débat entre États et le Conseil des droits de l’homme (CDH).  Il a regretté l’absence d’interaction avec le Burundi, qui a systématiquement rejeté les demandes de contacts, et a fait savoir que ce dernier avait reçu le rapport afin qu’il puisse y réagir, conformément à la procédure établie.  En outre, le rapport étant limité à 10 600 mots, cela ne permettait pas d’étayer en profondeur chaque analyse avancée avec des exemples précis, a indiqué le Rapporteur qui a assuré qu’il était ouvert à un débat constructif sur l’ensemble des points contentieux et à corriger le rapport si nécessaire.  Au chapitre de la politisation, il a rappelé que les membres du Conseil des droits de l’homme étaient élus par les États, donc le produit de leur volonté.  Sur la question de savoir comment la communauté internationale pourrait venir en aide au Burundi, le Rapporteur spécial a souligné l’importance pour ce dernier de manifester une volonté politique de solliciter une assistance technique, notamment en vue de renforcer son système judiciaire. 

Exposé

M. MOHAMED ABDELSALAM BABIKER, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, a présenté un bilan alarmant de la situation des droits humains dans ce pays, relevant qu’aucun progrès n’a été réalisé depuis sa dernière présentation en octobre 2022.  Il a noté que la signature de l’accord de cessation des hostilités entre le Gouvernement éthiopien et le Front populaire de libération du Tigré, en novembre 2022, n’a pas amélioré la situation interne en Érythrée, qui s’est au contraire détériorée.

Cette détérioration est notamment due au système du service militaire national à durée indéterminée, a expliqué le Rapporteur spécial, précisant que les troupes érythréennes n’ont pas été démobilisées et que la conscription militaire se poursuit sans relâche.  Il a également documenté des pratiques coercitives, notamment l’imposition de punitions collectives sur des familles et des communautés entières pour les forcer à rejoindre les forces de défense érythréennes.  Il a enfin relevé que des milliers d’Érythréens ont perdu la vie dans le conflit au Tigré, sans que des informations officielles sur les victimes ne soient fournies.

Sur le plan religieux, M. Babiker a signalé une répression accrue de la liberté de religion, avec des vagues renouvelées d’arrestations massives. En septembre, environ 400 chrétiens ont ainsi été arbitrairement emprisonnés, parmi lesquels des prêtres catholiques et orthodoxes, notamment le docteur Futsum Gebrenegus, unique psychiatre en Érythrée au moment de son arrestation, et le Patriarche Abune Antonios, détenu à domicile et persécuté pendant 16 ans.  L’espace civique demeure en outre complètement fermé dans le pays, s’est alarmé le Rapporteur spécial.  Le Président Afwerki dirige le pays depuis plus de 30 ans sans élections ni séparation des pouvoirs, et les Érythréens n’ont aucun moyen de participer à la prise de décisions dans leur propre pays, s’est-il lamenté. Selon lui, des centaines de journalistes, d’opposants politiques et de personnes de foi sont soumis à de graves violations de leurs droits humains.  Il a appelé les autorités érythréennes à les libérer rapidement et à informer les familles des disparus de leur sort.

Enfin, le Rapporteur spécial a mis en avant la situation critique des réfugiés et des demandeurs d’asile érythréens, dont le nombre s’élevait, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), à plus de 577 000 à la fin de 2022.  Il a dit avoir reçu plusieurs rapports sur la disparition de réfugiés érythréens, qui font craindre qu’ils n’aient été enlevés par des trafiquants ou par les autorités.  Il a donc appelé tous les pays concernés à les protéger de leur mieux. 

Dialogue interactif 

Prenant la parole à la suite de l’exposé du Rapporteur spécial, l’Érythrée a assuré promouvoir et protéger les droits humains et a exprimé son rejet de toute politisation de ces questions.  Rappelant que la résolution initiale de l’Assemblée générale sur l’Érythrée avait été appuyée par les États africains pour lui donner un « visage africain », elle a relevé que beaucoup de ces États ont depuis constaté la nature biaisée de cet effort.  Du reste, aucun d’eux n’a par la suite appuyé le renouvellement du mandat, a-t-elle observé, estimant que les pays occidentaux, qui se cachaient derrière cette approche injuste, ont ainsi été « démasqués ».  Elle a ajouté que l’Érythrée n’a pas reconnu et ne reconnaîtra jamais ledit mandat. Selon elle, ce rapport « biaisé » reprend de nombreuses allégations infondées, comme elles le sont toutes depuis 2012, et ce, dans le but de vilipender et de déstabiliser l’Érythrée, victime d’une véritable « chasse aux sorcières ».  En outre, le rapport fait fi des efforts déployés par le pays sur le chemin des droits humains, a déploré la délégation, selon laquelle ces droits sont pourtant le fondement de la justice sociale qui sous-tend le développement du pays. 

Dénonçant l’absence de données fiables et vérifiables dans le rapport, ainsi que les allégations inacceptables qu’il contient, la délégation a rappelé que les principes d’objectivité et de non-sélectivité s’appliquent à tous les rapporteurs spéciaux des Nations Unies.  Or, a-t-elle noté, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée a, par exemple, signalé que des soldats somaliens avaient été déployés par l’Érythrée lors du conflit contre l’Éthiopie, une information mensongère que la Somalie elle-même a niée.  Le Rapporteur spécial n’a pourtant pas retiré cette allégation, s’est indignée l’Érythrée, lui demandant d’assumer ses responsabilités après avoir présenté un rapport fallacieux au Conseil des droits de l’homme.  De même, le programme érythréen de service militaire national a été injustement critiqué par le Rapporteur spécial, alors que ce dispositif introduit après l’indépendance promeut l’unité nationale et la citoyenneté et contribue à la stabilité de la nation.  Au vu de ces pratiques déplorables, elle a demandé l’arrêt de cet « outil inutile de harcèlement », le renvoi du Rapporteur spécial, qui a manqué à ses devoirs, et le retrait de son rapport. 

Le Venezuela, Cuba et le Nicaragua se sont également opposés à de tels « outils de pression » qui, selon eux, répondent à des intérêts hégémoniques et dont les motivations sont politiques.  Ces outils « sélectifs et punitifs », dirigés systématiquement contre des pays du Sud, ne contribuent en rien à améliorer la situation des droits humains sur le terrain et ne génèrent au contraire qu’affrontements et défiance, ont-ils fait valoir.  Il est peu crédible de se préoccuper des droits humains dans tel ou tel pays, tout en exerçant contre ce même pays des mesures coercitives unilatérales, a ajouté Cuba.  La République populaire démocratique de Corée (RPDC) a elle aussi rejeté tous les rapports spécifiques à un pays, dénonçant une tendance alarmante à ne viser que les pays en développement. 

De son côté, le Nigéria a réitéré son appel à ce que toutes les préoccupations relatives aux droits humains soient abordées dans le cadre du processus d’Examen périodique universel (EPU), se disant convaincu que ce mécanisme est la seule plateforme garantissant l’égalité de traitement des États Membres et leur respect des obligations internationales en matière de droits humains.  S’exprimant au nom du Groupe des États d’Afrique, la Zambie s’est quant à elle réjouie des avancées réalisées par l’Érythrée dans ce domaine, un avis appuyé par le Soudan, selon lequel il faut saluer les engagements positifs pris par l’Érythrée et lever les mesures coercitives contre ce pays. Pour le Cameroun, toutes les parties intéressées ne peuvent travailler sans la coopération du pays concerné et cela vaut particulièrement pour les droits humains.  Aux problèmes nationaux doivent correspondre des réponses nationales, a plaidé la délégation.  À son tour, la Chine a fermement appuyé l’Érythrée et l’a félicitée pour ses progrès face à la pauvreté et l’exclusion, réalisés en dépit des mesures coercitives unilatérales.  La République islamique d’Iran a ensuite déploré l’approche sélective du Rapporteur spécial, qui selon elle mine la coopération et le dialogue, avant de rejeter plus largement tout mandat spécifique à un pays.

Félicitant, tout au contraire, le Rapporteur spécial pour son travail, l’Union européenne s’est déclarée préoccupée par la situation des droits humains en Érythrée, notamment les détentions arbitraires et la conscription d’enfants.  Elle a notamment demandé à l’Érythrée de mettre fin au service militaire national à durée indéfinie, tout en se réjouissant de la participation du pays à l’EPU.  Sur la même ligne les États-Unis se sont alarmés des nombreuses violations des droits humains que subit la population érythréenne et ont sommé les autorités nationales à y mettre un terme.  Ils ont par ailleurs voulu savoir comment l’ONU pourrait faciliter la libération des 16 journalistes arbitrairement détenus par l’Érythrée.

La République arabe syrienne a ensuite rejeté le paragraphe 4 du rapport, qui affirme que la non-coopération de l’Érythrée remet en cause l’intégrité du Conseil des droits de l’homme et de l’ensemble du système des droits humains des Nations Unies, alors que ce pays est membre élu du Conseil. Elle a aussi estimé que, malgré les affirmations du paragraphe 7, le code de conduite n’a pas été respecté comme le prouvent « les paragraphes 21, 25, 28, 33 et de nombreux autres ».  Jugeant, dans ces conditions, qu’il n’y a aucune obligation de rendre compte au Rapporteur spécial, elle a rappelé que son mandat n’est pas au-dessus du droit souverain des États Membres, lesquels sont les premiers chargés de faire respecter les droits humains.  La Fédération de Russie a, elle, réitéré son rejet de la pratique des résolutions unilatérales politisées par pays.  Selon elle, la mise en place d’un mécanisme qui ne bénéficient pas du soutien de l’Érythrée n’a aucun sens et n’aura aucun impact positif sur la situation des droits humains.  Elle a en revanche évalué positivement les accords entre l’Érythrée et l’Éthiopie sur le retrait progressif du territoire éthiopien des unités érythréennes impliquées dans l’opération de rétablissement de l’ordre constitutionnel dans la région du Tigré.  La délégation a d’autre part condamné les sanctions américaines contre-productives prises à l’encontre d’un certain nombre de responsables érythréens et éthiopiens, précisant que la Fédération de Russie entend élargir ses liens commerciaux avec l’Érythrée. 

Le Pakistan a rejeté les examens par pays et la prolifération de mandats spécifiques « qui ne s’adressent jamais aux pays du Nord ou aux pays où ces derniers ont des intérêts », comme c’est le cas avec l’Inde concernant le Jammu-et-Cachemire.  Dénonçant elle aussi les mandats ciblant spécifiquement des pays comme des mesures sélectives et arbitraires, l’Algérie a estimé que l’EPU est l’instrument idoine en matière d’examen de la situation des droits humains.  Du même avis, le Bélarus a considéré le rapport comme sélectif et s’est élevé contre toutes les mesures coercitives unilatérales.  Il a aussi dénoncé l’utilisation de critères vagues et ambigus par les titulaires de mandat et s’est prononcé en faveur d’un traitement de ces questions par le biais de l’EPU.  Le Mali aurait souhaité que l’impact des mesures coercitives unilatérales sur les populations ressortent du rapport.  Il a appelé à respecter la souveraineté des États et à éviter de les blâmer.  Le Burundi a, lui aussi, regretté la tendance croissante à la politisation des droits humains et à l’utilisation de ces derniers pour s’ingérer dans les affaires internes des États.  Enfin, le Soudan du Sud a appuyé l’EPU comme un « système équitable », notant que l’Érythrée collabore avec ce mécanisme du Conseil des droits de l’homme.

Reprenant la parole après ces questions et remarques, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée a d’abord déploré le niveau inacceptable d’hostilité vis-à-vis de son mandat.  Puis, il a exprimé sa déception face au manque de coopération de l’Érythrée, déplorant que ses tentatives répétées d’engager un dialogue constructif, que ce soit à New York ou à Genève, soient restées lettre morte. M. Babiker a ensuite contesté les accusations érythréennes selon lesquelles son rapport serait biaisé et infondé, rappelant que sa méthodologie a été partagée deux semaines avant sa publication, ce qui offrait à l’Érythrée une occasion de réagir.  Il a également relevé des cas spécifiques de détention et de disparitions jamais justifiées, comme celle d’une jeune fille érythréenne-américaine âgée de 12 ans, disparue depuis près de 11 ans.  Ce ne sont pas des informations biaisées, mais bien des faits, a-t-il dit. 

Après avoir adressé un appel direct aux membres du Groupe des États d’Afrique pour qu’ils encouragent la coopération de l’Érythrée, il a rappelé que ce pays a déjà été jugé coupable de violations des droits humains par l’Union africaine.  Or, il s’agit là d’un mécanisme africain, a-t-il souligné, rejetant les allégations de partialité portée à son mandat.  Aux accusations de la Syrie, il a rétorqué qu’il s’acquitte bel et bien de son mandat en tant que Rapporteur spécial et qu’il s’en tient à son code de conduite et à sa méthodologie, validés par les instances internationales. Ce qui hypothèque le système, c’est sa politisation par les États Membres, pas par les Rapporteurs, a-t-il tranché.

Enfin, répondant à la question de l’Union européenne sur ce qu’il est possible de faire, M. Babiker s’est référé aux 11 recommandations formulées depuis 2011 par plusieurs de ses rapports, et a réitéré son appel à la communauté internationale pour qu’elle exerce davantage de pression sur l’Érythrée.

Exerçant son droit de réponse, en tant que pays concerné, l’Érythrée a de nouveau fermement réfuté les allégations contenues dans le rapport, notamment le fait qu’elle utiliserait des mesures coercitives contre les familles qui ne coopéreraient pas.  Réaffirmant son engagement envers les droits humains, la délégation érythréenne a ainsi indiqué que son pays a soumis des rapports à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et s’emploie à mettre en œuvre la Charte africaine sur les droits et du bien-être de l’enfant, dont 80% des recommandations sont appliquées, selon elle.  Pour conclure, la délégation a reproché au Rapporteur spécial d’être « sorti de son mandat » en évoquant le rôle de l’Érythrée dans le conflit en Éthiopie.  Ce qui ressort des relations bilatérales ne le regarde pas, a-t-elle conclu. 

Exposé

Mme ANAÏS MARIN, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus, a indiqué que dans ce pays qui a été épargné par le terrorisme jusqu’à présent, les lois antiterroristes prolifèrent et les autorités poursuivent comme terroristes ou extrémistes tous ceux qui osent dénoncer le Gouvernement et ses violations des droits humains.  Le champ d’application de la peine de mort a été étendu pour inclure des crimes de terrorisme vaguement définis et la peine capitale peut désormais être appliquée aux responsables de l’État et aux militaires reconnus coupables de haute trahison.  En outre, la propagande terroriste ou sa justification publique est sanctionnée par une peine de sept ans d’emprisonnement.  Des dizaines d’individus, qui cherchaient à documenter ou à entraver le transit à travers le territoire biélarussien de troupes russes et d’équipements militaires destinés à la guerre en Ukraine, ont notamment été reconnus coupables de terrorisme. L’espace public a été fermé à la libre expression de toute opinion dissidente, permettant aux autorités de poursuivre pour extrémisme des militants de la société civile et des membres de l’opposition politique, ainsi que des défenseurs des droits humains, des avocats, des journalistes indépendants, des universitaires et des travailleurs culturels.  Elle a expliqué que l’absence de garanties d’un procès équitable favorise la militarisation de la loi, alertant en outre que la présomption d’innocence des accusés n’est jamais respectée.  De même, les personnes accusées de crimes résidant à l’étranger peuvent désormais être jugées par contumace en ligne, même si elles ont déclaré se voir systématiquement refuser la possibilité d’y participer.  Et s’ils sont reconnus coupables d’activités extrémistes ou d’atteinte aux intérêts du Bélarus, ces exilés peuvent désormais être déchus de leur citoyenneté.

Poursuivant, la Rapporteuse spéciale a signalé que les médias progouvernementaux qualifient systématiquement d’extrémistes toute personne ayant participé aux manifestations organisées faisant suite aux élections contestées de 2020, notamment les journalistes, et les défenseurs des droits humains qui offrent une assistance juridique aux manifestants détenus ou qui ont collecté des fonds pour soutenir leur famille.  À l’heure actuelle, a-t-elle précisé, 3 429 personnes sont répertoriées comme extrémistes.  Et le ministère de l’information tient une liste de documents extrémistes soumis à la censure qui s’est allongée de façon exponentielle pour inclure les sites Web, les comptes de réseaux sociaux et les chaînes YouTube ou Telegram des organisations de défense des droits humains. Rien qu’en 2021, 426 documents de ce type ont été reconnus comme extrémistes, et depuis 2022, plus de 1 000 nouvelles entrées ont été ajoutées, y compris des livres de fiction, de poésie et d’histoire.  En 2021, un nouveau code des infractions administratives est entré en vigueur, augmentant les amendes et les durées de détention administrative en cas de violation de la procédure d’organisation ou de tenue d’événements de masse.  Les personnes reconnues coupables d’extrémisme sont interdites d’activités pédagogiques, de publier et d’occuper des postes gouvernementaux ou élus, et dans certains cas, les tribunaux auraient ordonné un traitement obligatoire dans un hôpital psychiatrique.  Les autorités pénitentiaires, en outre, se montrent très dures envers les personnes figurant sur les listes noires, et plusieurs demandes de preuve de vie d’individus sont restées sans réponse; ce qui laisse présager des disparitions forcées, s’est alarmée la Rapporteuse spéciale qui a demandé la libération immédiate et sans conditions de tous les individus détenus illégalement. 

Dialogue interactif 

L’Ukraine a indiqué qu’elle enquêtait sur la déportation d’enfants ukrainiens au Bélarus et demandé à la Rapporteuse spéciale d’y accorder une attention particulière, s’inquiétant par ailleurs de la récente décision de ne pas renouveler les passeports des citoyens bélarussiens exilés.  La Pologne s’est inquiétée du sort des prisonniers politiques, notamment Maria Kalesnikava qui purge une peine de sept ans, ainsi que des attaques contre la minorité polonaise, notamment dans l’éducation.  Comment obtenir la libération des prisonniers politiques, notamment ceux qui appartiennent à des minorités nationales, a voulu savoir la délégation qui a par ailleurs demandé au Bélarus de cesser d’instrumentaliser les migrants à des fins politiques.

Comment s’assurer que les auteurs de violation soient traduits en justice, a demandé la Lituanie au nom des pays baltes et nordiques, qui s’est également inquiétée de la déportation d’enfants ukrainiens vers le territoire bélarussien. La République tchèque s’est préoccupée de l’abus de la législation anti-terroriste, suivie de l’Union européenne qui a dénoncé l’assaut de grande ampleur lancé contre la société civile, exigeant la libération de tous les prisonniers politiques et un moratoire sur la peine de mort.  De quels outils dispose l’ONU pour pousser le Bélarus à mettre ses lois anti-terroristes et anti-extrémistes en conformité avec la législation internationale? Le Luxembourg a relevé que l’absence de définitions exhaustives du terrorisme et de l’extrémisme violent dans les résolutions contraignantes du Conseil de sécurité avait créé un vide qui permettait à des États autocratiques, tels que le Bélarus, d’adopter des définitions vagues de l’extrémisme et du terrorisme dans leurs légations nationales.  Comment préciser ces définitions pour qu’elles ne puissent être utilisées contre la liberté d’expression des populations?

Que faire pour soutenir les habitants du Bélarus, ont demandé les Pays-Bas qui ont notamment dénoncé le ciblage des citoyens ayant fui à l’étranger, menacés d’être déchus de leur citoyenneté et privés de passeport.  Le Liechtenstein a appelé pour sa part à renforcer les efforts en vue d’une reddition de comptes internationale pour les citoyens du Bélarus détenus ou condamnés arbitrairement. 

Les États-Unis ont demandé aux autorisés bélarussiennes d’ouvrir leurs portes à la Rapporteuse spéciale et à l’équipe d’enquête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme.  Par ailleurs, comment assurer la reddition de comptes concernant le transfert d’enfants ukrainiens dans des soi-disant colonies de vacances au Bélarus?  Le Royaume-Uni a condamné les détentions arbitraires et illégales de 1 500 prisonniers politiques, déplorant les décès en détention d’Ales Pushkin et exigeant la libération d’Ales Bialiatski et de Maria Kalesnikava.  Comment soutenir ce qui reste des représentants de la société civile sur place sans les mettre en danger, s’est enquise la Suisse.

Réagissant aux remarques des délégations, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus a indiqué qu’un décret limitant les services consulaires à l’étranger est récemment entrée en vigueur et vise les Bélarussiens en exil ainsi que les enfants, déplorant une forme de discrimination à l’égard des personnes qui n’ont pas les moyens de revenir au Bélarus pour refaire leur passeport.  Aussi, elle a exhorté les pays hôtes à faire preuve de flexibilité, notamment en reconnaissant la viabilité de pièces d’identité qui auraient éventuellement expiré, ou en émettant des documents de voyage alternatifs.  Elle a également signalé que des personnes rentrées au Bélarus pour régler leurs questions administratives y auraient subi des violations des droits humains.

La Rapporteuse spéciale a ensuite souligné que la reddition de comptes est primordiale, notamment pour les auteurs de torture et de disparitions forcées. Ces derniers n’étant nullement inquiétés au Bélarus, il revient au pays reconnaissant la juridiction universelle d’assumer cette responsabilité, a-t-elle plaidé, signalant en outre, que la Cour pénale internationale (CPI) a été saisie pour qualifier l’acte d’expulsion de crime de guerre.

Notant que le militantisme est une activité très dangereuse au Bélarus, elle a appelé la communauté internationale à faire confiance aux défenseurs des droits humains sur le terrain et à ne pas violer leur confidentialité pour éviter de les exposer aux représailles.  Elle a également alerté qu’elle encoure elle-même un risque d’emprisonnement si elle se rendait sur place.  Il faut donc se faire à l’idée que certaines activités de protection des droits humains doivent se faire à distance, a-t-elle dit.  La Rapporteuse spéciale a également déploré que cette année, le Bélarus ait privé ses citoyens du droit de faire appel devant le Conseil des droits de l’homme, limitant encore plus leurs possibilités de recours.  Elle a par ailleurs indiqué ne pas être en mesure d’évaluer la situation des enfants déportés, faute de pouvoir se rendre sur place.

Exposé

Mme MARIANA KATZAROVA, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans la Fédération de Russie, a d’emblée déploré le manque de coopération des autorités russes et même leurs tentatives actives d’obstruction, qui consistent notamment à essayer de dissuader d’autres mécanismes de droits humains de l’ONU de collaborer avec son mandat.  Constatant une détérioration rapide de la situation depuis l’attaque de la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, elle a mis en lumière une série de violations systématiques et ciblées, qui ont pour but de museler la dissidence et les voix indépendantes.  La répression actuelle des droits humains en Russie et la guerre externe que mène ce pays contre l’Ukraine vont de pair, a-t-elle observé. 

Mme Katzarova a ensuite constaté que l’espace civique indépendant n’existe plus en Russie.  Décrivant un climat de peur et d’impunité, elle a mentionné plusieurs organisations de droits humains, comme le Groupe Helsinki de Moscou, le Centre Sakharov ou l’ONG Memorial, lauréate en 2022 du prix Nobel de la paix, qui ont été fermées après avoir été étiquetées comme « agents étrangers ».  La Rapporteuse spéciale a également noté une nette augmentation des détentions arbitraires pour motifs politiques, avec plus de 500 personnes détenues juste pour l’année dernière.  Les conditions de détention de figures politiques comme Alexei Navalny et Vladimir Kara-Murza relèvent de la torture délibérée et des mauvais traitements, a-t-elle dénoncé.  Elle a enfin signalé que 82 accusations d’espionnage ont été lancées contre des journalistes d’investigation au cours des sept premiers mois de cette année.  De même, les avocats ne sont pas épargnés, comme le prouve l’arrestation à Moscou, le 13 octobre dernier, de trois avocats d’Alexei Navalny pour « extrémisme »

S’agissant de l’invasion de l’Ukraine, la Rapporteuse spéciale a fait état d’une saturation de l’espace informationnel avec de la propagande en faveur de la guerre et des incitations à la haine contre les Ukrainiens, y compris dans les écoles primaires et secondaires.  Elle a également noté que plus de 20 000 personnes ont été détenues entre février et juin de cette année pour avoir participé à des manifestations pacifiques antiguerre. Elle a, en outre, exprimé sa préoccupation face aux rapports de torture et de mauvais traitements contre les manifestants, y compris des allégations de viol et autres violences sexuelles.  Elle a mentionné le cas d’Anatoly Berezikov, un militant antiguerre décédé en détention, et a relevé l’absence de mesures prises pour garantir la sécurité de la journaliste Yelena Milashina et de l’avocat des droits humains Alexander Nemov, récemment attaqués.

En conclusion, la Rapporteuse spéciale a appelé la Fédération de Russie à reconsidérer son approche et à s’engager dans un dialogue constructif avec son mandat. Mme Katzarova a également exhorté les États Membres à user de leurs bons offices pour rechercher un dialogue constructif avec les autorités russes afin de mettre fin aux violations des droits humains et de sécuriser la libération immédiate de toutes les personnes détenues pour des motifs politiques en Russie.  Elle a enfin appelé de ses vœux des politiques de protection des défenseurs des droits humains à l’intérieur et à l’extérieur du pays. 

Dialogue interactif 

Intervenant après l’exposé de la Rapporteuse spéciale, le Venezuela, le Burundi, Sri Lanka et la République populaire démocratique de Corée (RPDC) ont exprimé leur opposition à la politisation des droits humains qui, selon eux, caractérise les mandats de pays.  Très critique à l’égard du rapport de Mme Katzarova, la RPDC a déclaré soutenir les efforts du peuple russe pour « créer un État puissant », tandis que le Nicaragua affirmait n’appuyer aucun rapport ni résolution ciblant la Fédération de Russie.  De tels documents s’appuient sur des allégations mal intentionnées et à motivations politiques, a fait valoir la délégation. 

Aux antipodes de ces prises de position, l’Irlande, la Suède, s’exprimant au nom des pays nordiques et baltes, et les Pays-Bas se sont dits très préoccupés par la situation des droits humains en Fédération de Russie, la guerre d’agression contre l’Ukraine ayant intensifié la répression intérieure et les mesures restrictives dirigées contre les médias indépendants.  Les Pays-Bas ont appelé les autorités russes à respecter leurs obligations de protéger la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté des médias, et à protéger l’égalité des droits pour les personnes LGBTQI+.  Dans le climat répressif actuel, comment la communauté internationale peut-elle continuer à soutenir les médias indépendants, les défenseurs des droits humains, les avocats, les personnalités culturelles et les organisations de la société civile russes, a demandé la délégation à la Rapporteuse spéciale. 

Condamnant elle aussi la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie, l’Union européenne a estimé que celle-ci a prouvé son total mépris du droit international et des droits humains.  Considérant que les auteurs de crimes de guerre doivent être poursuivis de manière individuelle, l’Allemagne a demandé des précisions quant au rôle que peut jouer la Cour pénale internationale (CPI) en matière de reddition de comptes dans le cadre de la guerre en Ukraine, le Royaume-Uni s’interrogeant quant à lui sur les leviers à disposition de la communauté internationale pour obliger les autorités russes à rendre des comptes. 

Listant les violations des droits humains commises par la Fédération de Russie sur son territoire, l’Ukraine s’est dite vivement préoccupée par la propagande russe qui appelle à la déshumanisation des Ukrainiens et au rejet de l’existence même de l’Ukraine.  Elle a tout particulièrement dénoncé la déportation de nombreux enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, invitant la Rapporteuse spéciale à prêter une attention particulière à cette question.  La Géorgie a ensuite fustigé les violations commises par la Fédération de Russie dans les deux régions géorgiennes qu’elle occupe, condamnant le nettoyage ethnique qui s’y déroule.  La République tchèque s’est, pour sa part, enquise de mesures concrètes pour appuyer les journalistes russes indépendants, tandis que la Pologne demandait comment appuyer le mandat de la Rapporteuse spéciale compte tenu des conditions politiques restrictives en Fédération de Russie.  Les États-Unis ont rappelé que tous les médias russes indépendants ont dû fermer ou s’exiler et que des centaines de prisonniers sont détenus pour avoir exercé leur liberté de conviction.  Comment la communauté internationale peut-elle amplifier la voix opprimée de la société civile russe, ont-ils demandé, cette question étant aussi posée par la Suisse.  Le Luxembourg s’est alarmé d’un espace civique totalement anéanti en Fédération de Russie.  Étant donné le contrôle total des médias, comment pouvons-nous faire passer le message que nous ne faisons nullement l’amalgame entre les autorités et la population russes, s’est-il interrogé.  À sa suite, le Liechtenstein a demandé des détails au sujet des violations commises à l’encontre de ceux qui refusent de rejoindre les forces armées russes. 

La Bulgarie a mis en exergue deux aspects du rapport, auxquels elle apporte son soutien.  D’abord, elle s’est inquiétée du manque de respect des droits de l’enfant, évoquant tout particulièrement la déportation d’enfants ukrainiens en Fédération de Russie et la propagande de haine en direction des écoliers.  Ensuite, elle s’est alarmée des limitations à la liberté d’expression et des assassinats de journalistes.  Le Monténégro, rejoint sur cette position par l’Albanie, a appelé la Fédération de Russie à annuler sa législation répressive contre les médias, à libérer tous les prisonniers politiques et à cesser de faire obstacle aux travaux de la Rapporteuse spéciale.

Centrant son intervention sur l’oppression des personnes LGBTQI+, notamment en Tchétchénie, l’Australie s’est demandé comment la communauté internationale peut leur apporter davantage de soutien, notamment via les organismes de droits humains qui les défendent en Russie.  De son côté, la France a noté que plus de la moitié des personnes arrêtées en Russie lors des manifestations contre la guerre en Ukraine sont des femmes.  Après avoir dénoncé à son tour la détention de journalistes et de militants des droits humains, elle a demandé à la Rapporteuse spéciale son évaluation de la coopération de la Fédération de Russie avec les comités conventionnels et ses attentes quant à l’Examen périodique universel auquel elle se soumettra à Genève.

La Chine, ainsi que la République islamique d’Iran, le Bélarus et l’Érythrée ont réitéré leur position de principe consistant à rejeter les mandats ciblant un pays spécifique sans son consentement, au mépris des principes d’universalité, d’impartialité, d’objectivité et de non-sélectivité.  Les rapports qui en découlent donnent une vision déformée de la situation et de la dynamique des processus relatifs aux droits humains dans ces États, rendant impossible l’évaluation des progrès réels, ont-ils ajouté.  Pour eux, le seul mécanisme interétatique permettant d’examiner les questions relatives aux droits humains dans tous les pays sans exception est l’EPU du Conseil des droits de l’homme.  Tout en adoptant la même position de principe, la République arabe syrienne a ajouté une critique au rapport de Mme Katzarova, l’accusant de biaiser la définition, parfaitement légitime selon elle, « d’agent d’influence étranger ». 

Après ces questions et commentaires, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans la Fédération de Russie a invité la délégation syrienne à la rejoindre pour converser de la complexité de la loi russe sur les agents étrangers, qui s’applique aux individus comme aux organisations.  Elle a ensuite regretté l’absence de la délégation russe dans la salle, tout en louant le rôle des défenseurs des droits humains et des journalistes indépendants qui, eux, « sont venus ici pour écouter et témoigner ».  Elle a souligné les difficultés qu’éprouve la société civile russe, « en exil dans son propre pays ». 

Mme Katzarova est revenue sur les défis spécifiques aux minorités ethniques et aux objecteurs de conscience en Russie.  Selon ses estimations, plus d’un million d’hommes ont ainsi quitté le pays pour éviter la conscription et les persécutions, a-t-elle souligné.  Elle a par ailleurs abordé le sujet sensible des tortures et des mauvais traitements, en particulier ceux survenus pendant et après les deux guerres de Tchétchénie, et a de nouveau dénoncé l’impunité omniprésente. Elle a enfin mis en lumière l’augmentation de la violence domestique en Russie, notamment chez les hommes revenant de la guerre en Ukraine.  « Il ne faut pas isoler le peuple russe », a-t-elle plaidé en conclusion, non sans appeler aussi à « soutenir les voix des braves défenseurs des droits humains ». 

Exposé

M. ERIK MØSE, Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine, intervenant pour la première fois devant la Troisième Commission, a rappelé que dans ses rapports précédents, la Commission avait constaté que les autorités russes avaient commis un large éventail de violations du droit international, des droits de l’homme et du droit international humanitaire en Ukraine comme en Russie.  Il a précisé que nombre d’entre elles, notamment les actes de torture, les homicides volontaires, les viols et la déportation d’enfants, constituaient des crimes de guerre, et que les vagues d’attaques contre les infrastructures énergétiques et le recours systématique à la torture pourraient constituer des crimes contre l’humanité, sous réserve d’enquêtes plus approfondies. 

Le Président a aussi indiqué que les rapports de la Commission avaient documenté « un petit nombre » de violations commises par les forces armées ukrainiennes, y compris des attaques probablement indiscriminées, et deux incidents pouvant être qualifiés de crimes de guerre.  Dans le dernier rapport, nous avons relevé trois cas dans lesquels les autorités ukrainiennes ont commis des violations des droits humains à l’encontre de personnes qu’elles accusaient de collaborer avec les autorités russes, a-t-il ajouté.  Regrettant que les demandes et prises de contact de la Commission auprès des autorités russes soient restées lettre morte, il s’est plaint du manque d’accès aux zones occupées.  A contrario, il a salué la coopération du gouvernement ukrainien. 

Se disant profondément préoccupé par l’étendue, la fréquence et la gravité de certains types de violations commises par les autorités russes, M. Møse a notamment déploré les attaques à l’arme explosive, comme celle du 28 avril 2023 dans la ville d’Ouman, où un missile russe a frappé un immeuble résidentiel tuant 24 civils.  Rapportant également avoir interrogé de nombreuses personnes torturées par les autorités russes, il a souligné le caractère généralisé et systématique de ces pratiques.  Il a aussi évoqué les cas de viol commis par des soldats russes qui s’introduisaient dans les maisons des villages où ils étaient déployés, les victimes recensées étant âgées de 16 ans à 83 ans.  De même, la Commission a conclu que la déportation vers la Russie de 31 enfants lors d’un incident survenu en mai 2022 constituait un crime de guerre, a-t-il ajouté, appelant au retour rapide en Ukraine de tous les enfants déportés.  Il est primordial que des enquêtes approfondies soient menées et que les auteurs des crimes et violations répondent de leurs actes, a-t-il souligné. 

Dialogue interactif 

L’Ukraine a exprimé sa gratitude envers la Commission d’enquête pour son travail inestimable dans le maintien de la responsabilité et de la justice, avant de condamner l’attaque perpétrée le 5 octobre 2023 contre un café à Hroza, qui a fait 59 morts.  Ces personnes étaient des civils, a-t-elle insisté, contrairement à ce qu’a prétendue la propagande russe qui, lors d’une réunion du Conseil de sécurité, a faussement assimilé les victimes à des « accompagnateurs néonazis ». 

La délégation ukrainienne a également dénoncé les « crimes odieux », tels que des meurtres délibérés, des actes de torture et des violences sexuelles, perpétrés par les forces militaires russes.  Elle a aussi fait état des conséquences écologiques catastrophiques du sabotage du barrage de Kakhovka par la Russie.  Selon elle, « le plus grand désastre industriel et écologique en Europe » aura un impact à long terme dépassant largement les frontières ukrainiennes.  Enfin, l’Ukraine a réaffirmé son engagement à poursuivre la Russie pour tous les crimes commis. 

Le Canada, jugeant l’impunité inacceptable, a demandé à la Rapporteuse spéciale si les autorités russes ont pris des mesures pour que tous les auteurs de crime soient tenus responsables de leurs actes.  La Pologne a fait le même constat et exigé que la Russie retire immédiatement son armée d’Ukraine.  Les États-Unis ont, pour leur part, dénoncé la déportation d’enfants vers la Russie, avant de se demander, eux aussi, comment la communauté internationale peut forcer la Russie à rendre des comptes pour ses crimes de guerre. 

« Déterminée à ce que la Russie rende des comptes », l’Union européenne a voulu savoir comment la Commission coopérait avec d’autres mécanismes de reddition de comptes internationaux et nationaux.  Et que faire pour aider à faire respecter les droits de victimes, s’est enquise la Finlande, au nom des pays baltes et nordiques. La République tchèque s’est inquiétée des conséquences humanitaire et environnementales de la rupture du barrage deNova Kakhovka, demandant à la Commission de donner des détails sur les impacts économiques et écologiques subis par cette région.  La Roumanie a déploré l’absence de réponse de la Russie aux demandes d’informations. 

Notant que des milliers d’enfants avaient été déportés en Russie et au Bélarus, les Pays-Bas ont voulu savoir comment la communauté internationale pouvait aider l’Ukraine à identifier et retrouver ces enfants et à les réunir avec leur famille.  Cette question a également préoccupé l’Allemagne, la France dénonçant, pour sa part, la « stratégie de la terreur » de la Russie.  Que faire pour que la voix des survivants soit prise en compte? a demandé à son tour l’Irlande

La Géorgie a condamné les attaques aveugles contre certains villages et appelé à ce que justice soit faite, suivie du Monténégro qui a insisté sur l’importance de la reddition de comptes pour le crime d’agression, et de l’Albanie, qui a dénoncé les violences sexuelles et les attaques contre des écoles et des hôpitaux.  De son côté, le Royaume-Uni a voulu savoir comment la Commission surveillait les attaques contre les infrastructures civiles à l’approche de l’hiver. 

La Suisse s’est inquiétée du caractère systématique et généralisé de la torture dans les zones occupées avant de s’intéresser aux démarches de la Commission en vue d’obtenir de la clarté sur l’étendue et les circonstances des transferts illégaux d’enfants.  Le Liechtenstein a demandé si des preuves concernant le crime d’agression avaient été recueillies par la Commission et si elle comptait coopérer avec le centre international chargé des poursuites pour le crime d’agression commis par la Russie contre l’Ukraine.   

Après Israël qui a affirmé qu’il continuerait à soutenir l’Ukraine, l’Australie, appuyée par le Japon, a enjoint le Conseil de sécurité à continuer de faire pression pour que la Russie cesse cette guerre.  La Chine a rappelé, quant à elle, qu’elle s’était opposée à la création de la Commission qui peut « aggraver le conflit et la confrontation ».  Elle a estimé que les préoccupations légitimes de sécurité de tous les pays devaient être prises au sérieux, appelant la communauté internationale à faire plus d’efforts pour atteindre le dialogue et la paix. 

Régissant aux nombreuses remarques des délégations, le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine a indiqué que nombres d’affaires font déjà l’objet d’enquêtes en Ukraine même, mais que leur nombre –plus de 100 000– nécessite une coordination pour appuyer ce processus.  La communauté internationale peut aider en ce sens, a-t-il dit.  Il a indiqué que la Commission est en contact avec la CPI, ainsi qu’avec d’autres entités sur le terrain.  Les démarches multilatérales se sont déjà avérées utiles car elles permettent de comprendre comment doit se dérouler la coopération, a-t-il assuré. 

Après avoir indiqué ne pas avoir connaissance d’une quelconque application du principe de responsabilité par la Russie, le Président a indiqué que la question des violations des droits des enfants est très délicate, du fait de l’absence d’informations exactes sur le nombre d’enfants déportés ou sur leur sort une fois en Russie.  « Nous avons besoin de plus d’informations, car les chiffres avancés varient selon que la source est ukrainienne ou russe », a-t-il expliqué.  Il a ensuite assuré que l’enquête liée à la destruction du barrage de Kakhovka suit son cours, posant question tant sur les causes que sur son impact environnemental notamment.  Il s’est félicité de l’aide reçue de la part de gouvernements qui reçoivent favorablement les demandes de la Commission d’enquête.  Cependant, il est difficile d’élaborer une stratégie en l’absence de coopération des autorités russes, a-t-il regretté. 

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