Soixante-dix-huitième session,
28e et 29e séances plénières – matin & après-midi
AG/SHC/4387

La Troisième Commission passe au crible les problématiques liant les droits humains et les périls environnementaux

La Troisième Commission, chargée des affaires sociales, humanitaires et culturelles, a dialogué aujourd’hui avec six titulaires de mandat et poursuivi sa discussion générale sur la promotion et la protection des droits humains.  Si les problématiques de gouvernance mondiale et l’impact des mesures coercitives unilatérales sur les droits humains ont donné lieu à des débats nourris, il a surtout été question des préoccupations environnementales de la communauté mondiale. 

Le partage de « l’or bleu » a ainsi été problématisé par le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, qui a rappelé que 2 milliards de personnes sur Terre n’ont pas un accès garanti à une eau potable saine.  Une situation aggravée par les conséquences des changements climatiques, telles que les sécheresses et les inondations.  Préconisant une réponse fondée sur les droits humains et le respect des écosystèmes, M. Pedro Arrojo-Agudo y a vu une nécessité planétaire pour assurer la survie de centaines de millions de personnes. 

En écho au blocus de Gaza, le Rapporteur spécial a dénoncé la « logique de haine » qui transforme l’eau en arme. Appelant le Conseil de sécurité à accorder une attention particulière à la gestion transfrontalière de l’eau comme « élément clef de la paix et de la sécurité », il a également souligné l’importance d’une adaptation aux changements climatiques qui garantisse la bonne santé des écosystèmes et des populations. 

Soulevant d’autres inquiétudes en lien avec la crise climatique, le Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable a mis en garde contre un possible blocage des lois et politiques plus strictes que sont tenus de mettre en œuvre les États en matière de climat et d’environnement.  Selon M. David Boyd, ce risque tient au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), qui confère aux premiers un immense pouvoir sur les seconds. 

Trois sociétés minières australiennes ont ainsi poursuivi la République du Congo pour un montant total de plus de 35 milliards de dollars, alors que le PIB annuel de ce pays est de 13 milliards de dollars, a relevé M. Boyd, entre autres exemples de cette « folie du système ».  « Au lieu de faire payer les pollueurs, les États paient les pollueurs », s’est-il ému, avant de constater que les pays les plus riches refusent désormais de se soumettre au RDIE au motif qu’il rend l’action climatique trop coûteuse.

Le manque de riposte écologique des États nourrit une frustration grandissante parmi les communautés, a observé pour sa part le Rapporteurspécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques.  S’alarmant du sort réservé aux défenseurs des droits de l’environnement dans le monde, M. Ian Fry a aussi déploré que trop d’États négligent l’adaptation des communautés aux changements climatiques et que très peu se penchent sur les déplacements liés à ces phénomènes. 

Bouclant cet état des lieux des problématiques environnementales, le Rapporteur spécial sur les substances toxiques et les droits de l’homme, a exposé le lien entre ces droits et le transport maritime, responsable du transit de 90% des biens commerciaux mondiaux.  M. Marcos Orellana a relevé que la pollution de l’air associée à la navigation contribue à environ 60 000 décès chaque année.  Incriminant l’insuffisance des conventions de l’Organisation maritime internationale (OMI) en la matière, il a plaidé pour que les droits humains soient davantage pris en compte par l’industrie maritime, insistant sur la nécessité de transparence.

Ce besoin a également été au cœur de l’exposé de l’Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, qui s’est fait l’avocat d’une participation accrue du public dans la gouvernance mondiale.  Déplorant que cette participation soit encore trop symbolique dans des espaces de décision comme le G7, le G20, les BRICS et le G77, M. Livingstone Sewanyana a appelé ces instances à prendre au sérieux la consultation des différentes sections de la société, par souci de crédibilité mais aussi d’efficacité.  Il a d’autre part noté que les institutions financières internationales sont des acteurs majeurs du financement du développement et de la réalisation des objectifs de développement durable et ont donc une influence directe sur la mise en place d’un ordre international démocratique et équitable. 

Cet ordre est toutefois empêché par les effets indésirables des sanctions, a de son côté expliqué la Rapporteuse spéciale sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme.  Centrant son exposé sur le respect excessif des sanctions par les entreprises, dérive qui contribue à élargir des mesures présentées comme « ciblées », Mme Alena Douhan a constaté que ces pratiques conduisent à atteindre des cibles ne faisant pas l’objet de sanctions et entravent l’action humanitaire. 

Le dialogue interactif qui a suivi la présentation de Mme Douhan a fait apparaître une ligne de fracture très nette sur cette question.  Seule Malte a pris la parole côté occidental, alors qu’une dizaine de pays du Sud se sont succédé pour dénoncer des pratiques contraires au droit international et à la Charte des Nations Unies.  Le Venezuela a condamné les visions « néocoloniales et suprémacistes » des États qui les imposent, la République arabe syrienne percevant dans le silence des pays occidentaux la preuve de leur « complicité coupable ». 

La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, vendredi 20 octobre, à partir de 10 heures.  

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS(A/78/198)

Déclarations liminaires des titulaires de mandat au titre d’une procédure spéciale et d’autres experts, suivies d’un dialogue interactif

Exposé

M. LIVINGSTONE SEWANYANA, Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, a présenté son sixième et dernier rapport, dans lequel il rassemble ses principales observations et recommandations faites à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme au cours des six dernières années.  Il a ainsi rappelé avoir mis l’accent en 2019 sur la question de la participation du public dans les espaces de gouvernance mondiale et son impact sur un ordre international démocratique et équitable.  Dans ces espaces, qui comprennent le G7, le G20, le groupe BRICS et le Groupe des 77, des efforts ont été déployés pour accroître les consultations avec les différentes sections de la société qui sont affectées par les décisions prises, a-t-il observé.  Toutefois, cette participation semble parfois symbolique, tandis que d’autres espaces restent inaccessibles, a regretté l’Expert indépendant.  Selon lui, la participation du public doit être prise au sérieux, non seulement parce qu’elle renforce la transparence, la légitimité et la crédibilité de ces espaces, mais aussi parce qu’elle contribue à la réalisation de leurs objectifs d’une manière efficace, durable et inclusive. 

M. Sewanyana a ensuite expliqué s’être intéressé à l’interaction entre les politiques économiques et la bonne gouvernance au niveau local.  Dans ce cadre, il a noté que les institutions financières internationales sont des acteurs majeurs du financement du développement et de la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Par les différentes politiques qu’elles mènent, elles ont, en effet, une influence directe sur la manière dont la bonne gouvernance est mise en œuvre au niveau local et, en fin de compte, sur la mise en place d’un ordre international démocratique et équitable, a relevé l’Expert indépendant.  Ces institutions, a-t-il ajouté, doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer qu’elles n’entraînent pas de violations des droits humains, y compris celles commises par leurs clients, que ce soit dans le secteur public ou privé. De même, elles doivent user de leur influence pour garantir que ces clients respectent les droits humains et le principe de bonne gouvernance. 

Par ailleurs, M. Sewanyana a dit avoir examiné en 2021 le test qu’a représenté la pandémie de COVID-19 pour le multilatéralisme.  Alors que l’action multilatérale était mise à l’épreuve et que le virus ne cessait de muter, il s’est révélé essentiel d’adopter un multilatéralisme plus efficace, plus inclusif, recentré sur les droits humains. Un tel dessein nécessitait notamment la coordination d’une ONU solide et dotée d’un financement adéquat et, surtout, l’engagement de la société civile, a analysé l’Expert indépendant. 

Évoquant ses rapports de 2022, consacrés aux défis et enjeux liés à la paix et à la sécurité internationales au niveau mondial dans la perspective de son mandat, M. Sewanyana a estimé que le multilatéralisme, par le dialogue, la diplomatie, la négociation et l’inclusion, reste la seule voie pour résoudre les conflits et maintenir la paix et la sécurité internationales, et plus généralement, pour surmonter tous les défis mondiaux auxquels l’humanité est confrontée.  Il a dit espérer que la gravité de la situation en Ukraine donnera une impulsion en ce sens. 

S’agissant enfin de son rapport de 2023 au Conseil des droits de l’homme, il a dit s’être concentré sur le rôle que les jeunes peuvent jouer dans les forums intergouvernementaux, via leur participation à divers programmes et conférences mondiales, y voyant un aspect essentiel de l’avancement de la démocratie.  À ses yeux, la création d’espaces accessibles et inclusifs pour l’expression et l’engagement des jeunes auprès des entités intergouvernementales au niveau mondial, y compris les jeunes du Sud et issus de communautés marginalisées, devrait être une priorité.  En conclusion, l’Expert indépendant a regretté le désengagement de certains États Membres depuis la création du mandat, avant d’appeler l’ensemble de la communauté internationale à coopérer avec son successeur. 

Dialogue interactif

À la suite de cet exposé, l’Ordre souverain de Malte a souhaité savoir s’il est possible de créer des mécanismes plus solides en matière de droits humains.  La Chine a appuyé la nécessité d’inclure les jeunes aux processus de décision, rejointe par la Malaisie, qui s’est enquise des moyens de mieux appréhender les défis des jeunes pour intégrer leur perspective dans les processus de décision à tous les niveaux. 

Le Cameroun s’est dit préoccupé par la séparation entre l’Assemblée générale et les institutions financières internationales, estimant que ce fossé empêche de traiter des questions liées à la réforme de l’architecture financière.  La délégation a souhaité savoir comment améliorer la démocratie et la transparence au sein de ces institutions.  Elle a, d’autre part, demandé à l’Expert indépendant dans quelle mesure il est possible de rendre l’ordre international plus équitable.  Intervenant au nom du Mouvement des pays non alignés, l’Azerbaïdjan a, pour sa part, soutenu que, si toutes les démocraties ont des éléments communs, il n’existe pas de modèle unique. 

Le Venezuela a ensuite demandé à l’Expert indépendant s’il pense qu’il est possible de combler le fossé entre les tenants d’une idéologie qui entraîne une fracture du multilatéralisme et ceux qui promeuvent une vision plus inclusive.  De manière connexe, Cuba et la Fédération de Russie ont dénoncé le recours de certains pays à des mesures coercitives unilatérales.  La République islamique d’Iran a, elle, voulu connaître l’avis de l’Expert indépendant sur les répercussions de ces mesures au niveau humanitaire et pour les droits humains. 

En réponse à ces questions et commentaires, l’Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable a rappelé que la Charte des Nations Unies exhorte les États Membres à coopérer et à travailler de manière solidaire.  Elle demeure le meilleur cadre pour résoudre les défis auxquels nous faisons face, a-t-il affirmé.  Il a ensuite critiqué l’imposition de mesures coercitives unilatérales.  Selon lui, ces mesures pourraient éventuellement avoir un effet positif si elles étaient mieux ciblées, mais, en l’état, « elles ont plutôt tendance à nuire aux populations les plus vulnérables et sont donc contre-productives ».

Évoquant ensuite les nombreuses réformes souhaitables du système international, M. Sewanyana a estimé qu’un Conseil de sécurité plus inclusif et une architecture financière internationale plus juste et plus efficace doivent être des priorités.  Il a par ailleurs invité les États Membres à créer une plateforme permettant d’examiner les nombreuses résolutions adoptées par l’Assemblée générale, et a encouragé les instances internationales à mieux accueillir les jeunes.

Citant les exemples de Sri Lanka, de l’Arménie, du Sahara occidental, du Cameroun ou de la Palestine, l’Expert indépendant a plaidé pour le droit à l’autodétermination des peuples.  Enfin, après avoir constaté que la démocratie est une valeur universelle « sujette à polémiques », il a proposé la création d’un mandat de rapporteur spécial sur la démocratie, invitant les États Membres à réfléchir à cette suggestion. 

Exposé

Mme ALENA DOUHAN, Rapporteuse spéciale sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme, a constaté une expansion rapide du recours à divers types de sanctions unilatérales, ainsi qu’à des sanctions pour contournement présumé ou aide à leur contournement. Ces pratiques ont conduit à atteindre des cibles –des individus, des entités et parfois des populations entières- ne faisant pas l’objet de sanctions, mais dont les droits sont gravement affectés, avec un impact disproportionné sur les plus vulnérables, a-t-elle expliqué.  La Rapporteuse spéciale a précisé que son rapport examine l’impact de ces mesures sur diverses catégories de droits humains et sur la fourniture de l’aide humanitaire, tout en s’intéressant au respect excessif des sanctions.

Comparant cette « sur-conformité » à celle que les entreprises s’imposent à elles-mêmes, au-delà des restrictions réelles prévues, Mme Douhan a noté que les États qui appliquent des sanctions unilatérales les considèrent souvent comme en dehors de leur domaine de responsabilité et comme une conséquence involontaire.  Opposée à cet argument, elle a jugé que les régimes de sanctions unilatérales contemporains créent un environnement qui rend la sur-conformité inévitable, notamment en raison de leur multiplicité, de leur complexité, de leur manque de clarté, de leur évolution rapide et de leur chevauchement.  Pour étayer sa position, elle a évoqué le recours fréquent à des sanctions secondaires, l’extension du champ de la juridiction extraterritoriale, l’incertitude quant à la portée des exclusions humanitaires et l’absence de mécanisme de protection des acteurs humanitaires.

De l’avis de la Rapporteuse spéciale, le respect excessif des sanctions unilatérales par les États, les organisations internationales, les banques et autres entreprises, les donateurs et la société civile, y compris les organisations non gouvernementales (ONG), entraîne la violation de la quasi-totalité des droits civils, économiques, sociaux et culturels, ainsi que du droit au développement des peuples, notamment ceux des pays sanctionnés. Elle a estimé que les politiques de sur-conformité peuvent être qualifiées de pratiques discriminatoires à l’encontre des ressortissants et des résidents des pays soumis à des sanctions en raison de leur nationalité, de leur origine et de leur résidence.  De plus, la crainte de sanctions secondaires, de sanctions civiles et pénales, et d’un coût élevé de l’aide juridique entraîne une violation du droit à la justice, a ajouté Mme Douhan. 

Abordant la question de l’impact sur l’action humanitaire, la Rapporteuse spéciale a constaté que les sanctions unilatérales et la sur-conformité entravent l’acheminement de l’aide, même dans les situations d’urgence, comme le tremblement de terre de février dernier en Syrie, et ce, malgré l’adoption de licences prévoyant un allégement des sanctions pour une durée de six mois. Elle a regretté, à ce sujet, de ne pas avoir reçu de réponse substantielle aux communications qu’elle a émises, notamment concernant l’acheminement de médicaments vitaux, d’équipements médicaux et d’aide humanitaire après des catastrophes naturelles.  Selon elle, les États et les entreprises se rejettent trop souvent la responsabilité des situations.

Observant que l’écrasante majorité des sanctions unilatérales sont illégales et sont condamnées comme telles dans des résolutions du Conseil des droits de l’homme et de l’Assemblée générale, Mme Douhan a estimé qu’en conséquence, l’application de sanctions secondaires, de sanctions civiles et pénales pour contournement présumé et, à travers elles, l’application extraterritoriale de la juridiction constituent indéniablement des violations du droit international.  Si les États peuvent exercer leur autorité sur la base d’une compétence universelle, territoriale ou personnelle, aucun autre lien avec la cible ne justifie l’application extraterritoriale de la juridiction nationale, a-t-elle fait valoir. Toute demande d’extradition dans des affaires pénales liées à des sanctions est donc contraire au droit international, a souligné la Rapporteuse spéciale. 

Pour Mme Douhan, le fait de ne pas s’assurer que la conduite des entreprises ne viole pas les droits consacrés par le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de ne pas mettre en place de mécanismes de prévention, y compris au niveau extraterritorial, constitue une violation du Pacte.  Enfin, elle a recommandé de lever les sanctions unilatérales qui ne répondent pas aux critères de rétorsion, à lever les sanctions secondaires et à veiller à ce que les sanctions unilatérales et la sur-conformité n’aient pas d’impact négatif sur la santé, l’alimentation, l’agriculture, l’électricité, l’approvisionnement en eau et l’assainissement. 

Dialogue interactif

Dans la foulée de cette présentation, le Venezuela a condamné les visions « néocoloniales et suprémacistes » de certains États, avant de demander à la Rapporteuse spéciale si son mandat a progressé dans la sensibilisation des pays du Nord aux effets délétères des mesures coercitives unilatérales.  Après l’Azerbaïdjan, qui a rappelé la condamnation de ces mesures contraires au droit international par le Mouvement des pays non alignés, le Bélarus a estimé l’extraterritorialité, qui élargit l’application des sanctions primaires, est non seulement une violation du droit international mais une pratique criminelle.  La délégation a exigé la levée complète, inconditionnelle et irréversible de ces pratiques, tout comme la République arabe syrienne, selon laquelle le danger que représentent ces mesures a été démontré lors du séisme qui a frappé la Syrie, certains États ayant refusé de fournir une assistance aux populations affectées au nom des mesures coercitives unilatérales.  Le silence des pays occidentaux prouve, selon elle, leur « complicité coupable » avec les États-Unis.  À sa suite, la République islamique d’Iran a présenté les mesures coercitives unilatérales qui lui sont imposées comme des violations de la Charte des Nations Unies et des droits humains, avant de demander à Mme Douhan si elle coopère sur cette question avec d’autres rapporteurs spéciaux.  

Le Nicaragua s’est, lui aussi, présenté comme une victime de premier plan des mesures coercitives unilatérales, déplorant plus généralement leur impact sur le développement des pays du Sud.  Les effets délétères de ces mesures touchent particulièrement les groupes les plus marginalisés, a ajouté le Zimbabwe, regrettant que les États qui imposent les mesures coercitives unilatérales refusent de s’associer au mandat de Mme Douhan.  La Malaisie a ensuite estimé que les effets négatifs des sanctions ont été amplement démontrés lors de la période pandémique, avant de s’interroger sur les moyens de minimiser ces retombées.  Présentant le blocus économique et financier que lui imposent les États-Unis comme le principal obstacle à son développement, Cuba a demandé des informations complémentaires sur la portée extraterritoriale des mesures coercitives unilatérales. 

Jugeant, pour sa part, que la légitimité des sanctions n’appartient qu’au seul Conseil de sécurité, la Fédération de Russie a dénoncé l’exclusion des athlètes russes de toutes les compétitions sportives internationales. L’Afrique du Sud a, quant à elle, décrit les mesures coercitives unilatérales comme un moyen dont usent les États puissants pour influer sur d’autres États.  Elle s’est déclarée particulièrement inquiète des sanctions unilatérales imposées au Zimbabwe et à Cuba.  La Chine s’est alarmée des conséquences des sanctions décidées par les pays occidentaux sur le droit à la santé des populations ciblées, notamment en Syrie et en Iran.  Concluant cette série d’interventions, l’Ordre souverain de Malte a déploré le ralentissement bureaucratique de l’assistance humanitaire, aggravé, selon lui, par des « arrangement fiscaux complexes ».  Il s’est enquis des stratégies préconisées à ce sujet par la Rapporteuse spéciale. 

Répondant aux délégations, la Rapporteuse spéciale sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme a plaidé pour le dialogue, y voyant la meilleure solution pour trouver un compromis au sujet des mesures coercitives unilatérales.  Elle a également prôné une sensibilisation accrue car, a-t-elle expliqué, les mesures coercitives unilatérales sont souvent décrites comme de simples outils, sans se soucier des conséquences humanitaires.  À cet égard, elle a invité les États Membres à lire ses rapports et à ne « pas fermer les yeux sur les faits et les chiffres ». Saluant la création d’une plateforme de recherche servant à nourrir le débat, elle s’est réjouie de constater une utilisation active de cet instrument à travers le monde.  Elle a ajouté qu’elle travaillera, l’an prochain, à l’établissement d’un outil de surveillance des sanctions, invitant tous les États à répondre à son appel afin d’offrir une vue d’ensemble de la situation. 

La Rapporteuse spéciale a par ailleurs relevé que les personnes ou entreprises visées par des sanctions ont du mal à accéder à la justice.  Outre le manque de clarté des législations, elle a mentionné la crainte des avocats de représenter les personnes ou entités visées. Elle a également signalé que les personnes qui ne sont pas touchées directement, qui constituent le groupe principal, n’ont aucune possibilité de saisir les tribunaux ou organes conventionnels. S’agissant par ailleurs de l’assistance humanitaire, Mme Douhan a fait remarquer que les exceptions faites aux sanctions ne fonctionnent pas dans la pratique.  Selon elle, la mise en œuvre des exceptions humanitaires du Conseil de sécurité « n’est pas faisable en raison de l’effet des limitations imposées par les sanctions unilatérales et du respect excessif de la part des entreprises ».  Elle a notamment fait référence aux restrictions financières en matière de transport. 

Pour ce qui est du respect excessif des sanctions unilatérales, la Rapporteuse spéciale a estimé qu’il contribue à élargir les sanctions prétendument ciblées. Au-delà des individus ou des entités qu’elles visent, ces sanctions privent les gouvernements de fonds pouvant être utilisés pour des projets de développement ou pour un soutien social, a-t-elle souligné, ajoutant que le respect excessif des sanctions par les entreprises a un effet sur l’ensemble de la population.  À cet égard, Mme Douhan a souligné l’importance des recommandations fournies dans son rapport et des lois qui existent, notamment en matière de normes coutumières et de diligence raisonnable.  Elle a aussi fait valoir le principe de responsabilité des États et des entreprises, avant d’indiquer qu’elle prépare des « principes directeurs » sur les sanctions, le respect excessif et les droits humains. 

Concernant les défis dans le domaine des sports, la Rapporteuse spéciale a appelé à éviter le respect excessif des sanctions, qui constitue, selon elle, « une discrimination ne se fondant pas sur le droit international ».  Enfin, Mme Douhan a constaté que, dans le contexte actuel, les entreprises sont confrontées à l’incertitude et à la crainte de ne pas être protégées en cas de sanctions civiles ou pénales, ce qui les incitent à opter pour le respect excessif, même au risque de faire faillite. 

Exposé

M. PEDRO ARROJO-AGUDO, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, a indiqué que 2 milliards de personnes réparties dans 153 pays n’ont pas un accès garanti à une eau potable saine. Une situation aggravée par les conséquences des changements climatiques, telles que les sécheresses et les inondations, qui menacent non seulement l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, mais également la sécurité alimentaire et la vie de millions de personnes. Estimant que ces enjeux ne peuvent être abordés à l’échelle nationale, le Rapporteur spécial a préconisé une approche à l’échelle du bassin, fondée sur les droits humains et le respect des écosystèmes.  Il a également critiqué la « logique de haine » qui transforme parfois l’eau en arme de guerre, constituant des crimes de guerre selon le droit international. 

« Il ne s’agit pas seulement d’une exigence éthique et de justice, mais d’une nécessité mondiale si nous voulons lutter contre les changements climatiques et promouvoir la paix, la sécurité et la survie de centaines de millions de personnes », a-t-il insisté, avant de prôner une responsabilité partagée sur les ressources.  Il a salué des initiatives positives en Afrique (au Tchad, au Sénégal et au Niger), en Asie (la Commission du Mékong) et en Europe (la Directive-cadre sur l’eau de l’UE).  Il a également mentionné le Blue Peace Movement, qui encourage les initiatives dans les domaines de l’eau, de la paix, de la sécurité et de la coopération, de l’échelon local à l’échelon mondial. 

« Le Conseil de sécurité devrait accorder de l’attention à la gestion transfrontalière de l’eau comme élément clef de la paix et de la sécurité », a poursuivi le Rapporteur spécial, soulignant les recommandations de son rapport.  Ces dernières incluent l’adaptation aux changements climatiques en garantissant la bonne santé des écosystèmes et des populations au niveau du bassin, de même que l’inclusion du droit humain à l’assainissement dans les accords transfrontaliers, avec une attention particulière à la pollution toxique.  Enfin, le Rapporteur a appelé à clarifier les concepts clefs du droit international de l’eau, et à imposer des obligations contraignantes pour une mise en œuvre efficace de ces concepts par les États. 

Dialogue interactif

L’Iraq a indiqué que la construction des barrages et l’absence de distribution équitable des ressources en eau avait rendu 60% de ses surfaces arables trop salées pour être cultivées, entraînant un exode rural et une pression démographique sur les villes ainsi que des problèmes d’équilibre communautaires.  Que dit le droit international sur le fait de considérer l’eau comme une denrée et non un élément essentiel à la vie?  La Croatie a demandé comment mettre en œuvre les recommandations du rapport.  L’Union européenne a appelé à restaurer les systèmes hydriques tout en fournissant assez d’eau aux populations, s’intéressant en outre à l’aide à apporter aux États et communautés victimes des changements climatiques.  Quels facteurs favoriseraient la coopération transfrontalière, s’est enquise l’Espagne après avoir rappelé qu’elle avait reconnu les droits d’une lagune salée comme entité naturelle.  Le Bangladesh a demandé comment aider les femmes et les filles en la matière, appelant en outre les pays développés à renforcer les capacités des pays en développement sur la question des eaux usées. 

La Türkiye a rejeté les mentions du rapport la concernant, exprimant des réserves importantes sur les paragraphes 28, 30 et 83 qu’elle a qualifié d’accusations infondées.  L’Allemagne a voulu connaître les principaux défis rencontrés par le Rapporteur spécial, suivie de la Chine qui a critiqué le déversement d’eaux contaminées dans l’océan par le Japon, demandant la création d’un mécanisme international incluant les voisins du Japon.  La Fédération de Russie a critiqué le blocus hydrique imposé par les autorités de Kiev en 2014, dénonçant une sanction collective imposée aux habitants de la Crimée. 

Les États-Unis se sont inquiétés des conflits liés à l’eau et ont demandé des exemples de diplomatie efficace relative à l’eau.  L’Égypte a dénoncé la construction de barrage sans l’assentiment des pays concernés, insistant sur l’importance de ne pas nuire aux sources des masses d’eau.  Comment améliorer la coopération entre les pays quand il s’agit de garantir leur accès à l’eau?  Et comment soutenir la coopération internationale en vue de renforcer les capacités des pays en développement, a ajouté le Maroc.  Répondant à la Chine, le Japon a indiqué qu’il avait toujours fourni des informations transparentes et que l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) avait confirmé qu’aucune anomalie en termes de radioactivité n’avait été constatée.  L’Ordre souverain de Malte a insisté, pour sa part, sur l’importance pour les femmes d’avoir accès à une hygiène menstruelle. 

Répondant à ces questions et commentaires, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement a indiqué qu’il lui est fréquemment demandé de faire des recommandations dans le cadre de la situation à Gaza.  « J’essaie de faire en sorte que l’eau soit l’âme bleue de la vie, un argument de paix, et non de mort », a-t-il déclaré, soulignant que l’eau ne saurait être utilisée comme un instrument de sanction.  C’est pourtant ce qui se produit dans la bande de Gaza, où la population vit un blocus depuis 15 ans, a-t-il déploré, dénonçant le blocus « inhumain ».  Exhortant à mettre un terme au conflit, il a jugé temps de mettre en avant le droit à l’eau et à l’assainissement comme argument pour briser cette spirale de haine qui ne sert ni la sécurité d’Israël, ni le droit à la justice du peuple palestinien. 

Discussion générale 

M. FELIPE MACHADO MOURIÑO (Uruguay) a d’abord noté que les cadres normatifs sont insuffisants sans actions nationales concrètes.  Il a estimé que le dialogue et la coopération entre États doivent primer sur la confrontation.  Après avoir rappelé que l’Uruguay avait aboli la peine de mort dès 1907, il a condamné fermement les exécutions extrajudiciaires, prônant plutôt la prévention et la reddition de comptes.  La protection des droits humains et la gestion de la justice sont étroitement liées, a-t-il insisté. 

En cette année marquant le soixante-quinzième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il a exhorté la Commission à prêter une attention particulière aux groupes vulnérables.  Il a souligné que les pays d’origine, de transit et de destination des migrants ont la responsabilité de protéger leurs droits humains, estimant ensuite que la coopération internationale pour répondre à la crise actuelle est insuffisante.  Enfin, il a insisté sur la nécessité de maintenir un système multilatéral fort pour répondre aux multiples défis internationaux. 

M. GODFREY KWOBA (Ouganda) a affirmé que son pays est prêt à promouvoir les droits humains en tant que pilier central de ses politiques, conformément à sa Constitution et aux nombreux instruments des droits humains qu’il a ratifiés.  Le représentant a détaillé les efforts déployés au niveau national, rappelant notamment la création, en 1997, de la Commission des droits de l’homme de l’Ouganda qui, a-t-il précisé, à le pouvoir d’ordonner la libération de détenus. Notre approche en matière de droits humains est de respecter les valeurs d’autrui et nous nous attendons à ce que nos valeurs, qui sont profondément ancrées dans notre culture, soient respectées aussi, a-t-il souligné.  Il a ensuite indiqué que son gouvernement appui la discrimination positive en faveur des groupes les plus vulnérables et accorde une attention particulière à la protection de l’enfance.

Mme VICTORIANA MBASOGO MANGUE (Guinée équatoriale) a insisté sur les outils dont dispose son pays pour lutter contre la corruption et la torture.  La représentante a également évoqué la législation visant à abolir la peine de mort, de même que les efforts déployés par la Guinée équatoriale pour promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomie de la femme.  Cette politique s’illustre notamment par la nomination des femmes à des postes politiques clefs, a-t-elle précisé.  Au niveau international, la représentante a insisté sur la nécessité de promouvoir les droits humains selon les principes d’universalité, d’impartialité, d’objectivité et non de sélectivité, ainsi que les principes de dialogue constructif et authentique.  À cet égard, elle a insisté sur le caractère unique de chaque État. 

Mme ZEBIB GEBREKIDAN (Érythrée) a d’abord évoqué la nécessité de réduire les inégalités mondiales, s’alarmant du fait qu’1% de la population mondiale se soit accaparée la moitié des richesses créées ces 10 dernières années pendant qu’une personne sur 10 dans le monde fait face à la faim, en particulier les femmes et les filles.  Elle a critiqué les mesures coercitives unilatérales, qui démontrent un mépris pour les droits humains des populations dans les pays affectés en les privant de ressources vitales, et qui constituent selon elle une violation flagrante du droit international. 

La représentante a prôné une meilleure coopération internationale, basée sur un multilatéralisme sincère.  « Il est temps d’abandonner l’autosatisfaction et d’adopter une approche plus franche et plus coopérative, favorisant un engagement respectueux entre les États », a-t-elle déclaré, souhaitant que les institutions des droits humains ne soient plus utilisées à des fins politiques. 

Mme LELISA (Lesotho) a noté que la Déclarations universelle des droits de l’homme avait, aujourd’hui, un poids moral et juridique que beaucoup de ses rédacteurs n’auraient pu imaginer en 1948.  Elle a ensuite détaillé les lois promulguées récemment par le Lesotho, notamment en termes d’égalité femmes–hommes.  Elle a également indiqué qu’une invitation permanente aux procédures spéciales des organes de traités du HCDH avait été émise, précisant que la visite de l’Expert indépendant sur le droit au développement avait eu lieu en janvier 2023.  Elle a aussi indiqué qu’un examen du Comité des droits de l’homme concernant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques avait été effectué, en juillet de cette année, et que le Lesotho mettait en œuvre ses observations finales. 

M. ALI MABKHOT SALEM BALOBAID (Yémen) a indiqué que son gouvernement a adopté des mesures pour ramener la paix au Yémen par des voies politiques.  Un Conseil judiciaire suprême a été érigé, et de nouveaux juges ont été nommés au sein de la Cour suprême, a-t-il exemplifié. Abordant la situation au Proche-Orient, il a appelé à lever le blocus imposé à Gaza, qualifiant les actions d’Israël d’agression barbare et de crimes contre l’humanité, condamnant notamment le bombardement d’un hôpital civil.  Que chaque partie renonce aux deux poids, deux mesures et condamne ces violations du droit international, afin qu’un cessez-le-feu permette l’acheminement de l’aide humanitaire, a-t-il exhorté. 

Revenant à son pays, il a dénoncé l’action des milices houthistes qui aggrave la situation humanitaire, et a demandé à la communauté internationale de faire pressions sur ces milices afin qu’elles cessent leurs violations des droits humains, telles que les restrictions des droits des femmes ou le recrutement d’enfants.  Les milices, a-t-il ajouté, doivent respecter la trêve et coopérer avec l’ONU. 

M. MATEUS PEDRO LUEMBA (Angola) a affirmé que son pays dispose d’une législation pour assurer la protection des droits humains et libertés fondamentales. Il est revenu sur les efforts déployés en ce sens au niveau national, citant, entre autres, la création de la Commission nationale pour la mise en œuvre du plan de réconciliation, rappelant la guerre qui a sévi dans son pays de 1975 à 2022.  Il a ensuite réitéré l’attachement de l’Angola envers les instruments internationaux des droits humains. 

Mme COSTANZA LUCI, de l’Ordre souverain de Malte, a évoqué l’appui déployé par l’Ordre en solidarité avec le Maroc, et qui intègre notamment les questions clefs de l’eau et de l’assainissement.  Plus de 250 000 dollars ont été donnés par l’Ordre de Malte pour renforcer les actions humanitaires en court, en tenant compte des besoins grâce à des évaluations réalisées sur place, a-t-il précisé.

De manière plus générale, le représentant à appeler à veiller au respect des droits fondamentaux des personnes vivant en marge ou exclues de la société.  À cet égard, il a appelé à renforcer la collaboration entre toutes les parties prenantes afin d’optimiser la mobilisation des ressources et de partager les compétences.

Mme KALLIE AULTMAN, de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, a abordé la question des droits humains des migrants, estimant que la migration est une expérience humaine fondamentale et complexe, exacerbée par des facteurs tels que la violence, les conflits et les changements climatiques.  Elle a signalé que le nombre de migrants traversant le bouchon du Darién et la Méditerranée avait doublé cette année, relevant en outre que 1 500 personnes avaient été tuées sur les routes qui mènent vers l’Amérique du Nord en 2022, et que 28 000 personnes avaient perdu la vie en voulant traverser la Méditerranée ces 10 dernières années. 

Fustigeant les gouvernements qui ne respectent pas leurs obligations en matière de droits humains, notamment en entravant le travail des organisations humanitaires, la représentante a mis en avant le travail de l’IFRC, qui offre une protection et une assistance humanitaires dans les pays d’origine, de transit et de destination.  Elle a appelé à une collaboration plus étroite avec les gouvernements pour sauver des vies, garantir l’accès à des services essentiels et cesser toute obstruction ou criminalisation des efforts humanitaires.  Elle a également préconisé une évaluation régulière des lois et des politiques nationales pour s’assurer qu’elles sont conformes aux obligations légales internationales. 

M. DANIEL DEL VALLE, de l’Organisation internationale de la jeunesse des pays ibéro-américains, a indiqué que son organisation s’est dotée d’une Charte des droits de la jeunesse pour promouvoir les droits des jeunes et le développement durable à l’échelle régionale, en accordant une attention particulière à leurs contributions aux questions liées au maintien de la paix.  Il a insisté sur l’importance d’appuyer la participation des jeunes dans les processus de prévention et de règlement de conflits. La Charte, a-t-il ajouté, est un instrument important pour intégrer les droits des jeunes dans les cadres juridiques nationaux des pays ibéro-américains. 

Déclarations liminaires des titulaires de mandat au titre d’une procédure spéciale et d’autres experts, suivies d’un dialogue interactif

Exposé

M. DAVID BOYD, Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, a tout d’abord indiqué que son rapport pourrait faire économiser « des millions, voire des milliards de dollars » aux États.  Sur le fond, il a rappelé que l’aggravation de la crise climatique exacerbe la situation de millions de personnes luttant déjà contre la pauvreté et la marginalisation. Cette situation s’inscrit dans le cadre d’une crise environnementale planétaire, couplée à une crise de droits humains, a analysé le Rapporteur spécial.  Mais alors que les États sont contraints de mettre en œuvre et de faire respecter des lois et des politiques plus strictes en matière de climat et d’environnement, ces mesures risquent d’être bloquées, en raison du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) créé par les traités internationaux sur le commerce et l’investissement, lesquels confèrent aux investisseurs étrangers un immense pouvoir, a-t-il mis en garde.

À l’avenir, les investisseurs étrangers demanderont des centaines de milliards de dollars pour compenser la réduction de la valeur de leurs actifs, a averti le Rapporteur spécial.  Citant le litige opposant le Pakistan et un investisseur étranger ayant utilisé le mécanisme RDIE, M. Boyd a rappelé que le pays a été condamné à verser 5,8 milliards de dollars de compensation.  Onze des 12 plus importantes indemnisations accordées à ce jour concernent des investissements dans le secteur des combustibles fossiles et de l’exploitation minière, a-t-il précisé.  Comparant les avocats d’affaires à des « requins », il a brandi le chiffre de 126 affaires RDIE connues visant des mesures prises par les États pour protéger l’environnement au cours de la période 2011-2021. Trois sociétés minières australiennes ont ainsi poursuivi la République du Congo pour un montant total de plus de 35 milliards de dollars, alors que le PIB annuel de ce pays est de 13 milliards de dollars, a-t-il indiqué. 

Les litiges entre investisseurs et États sont tranchés par des arbitres internationaux, qui peuvent être des avocats représentant souvent des investisseurs étrangers dans d’autres affaires, a poursuivi M. Boyd.  En plus de ces conflits d’intérêts manifestes, il a dénoncé des interprétations d’expressions vagues telles que « expropriation indirecte » et « attentes légitimes » pour pénaliser les États prenant des mesures légitimes en matière de climat et d’environnement.  C’est le cas notamment de l’Allemagne, condamnée à verser 4,5 milliards de dollars à des investisseurs étrangers auxquels la loi impose de fermer leurs centrales électriques au charbon d’ici à 2038.

Les investisseurs étrangers gagnent plus souvent qu’ils ne perdent, et il n’y a pas d’appel, a encore constaté le Rapporteur spécial, qui a qualifié ce processus de « fondamentalement défectueux, unilatéral, imprévisible et entaché de conflits d’intérêts ».  Les riches États du Nord l’ont bien compris, a-t-il observé, notant à cet égard que les recours en arbitrage international entre les 27 États membres de l’Union européenne ont été éliminés et que de nombreux États européens se sont retirés du Traité sur la Charte de l’énergie parce que le RDIE rendait l’action climatique trop coûteuse.  Pour des motifs comparables, le Canada et les États-Unis ont convenu de supprimer le mécanisme RDIE de l’Accord de libre-échange nord-américain, a-t-il ajouté, avant de faire état de mesures d’évitement du RDIE prises par l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud. 

Rappelant que les investisseurs étrangers peuvent conserver la même capacité que les investisseurs nationaux à faire valoir leurs droits devant les tribunaux nationaux et bénéficier d’assurance, M. Boyd a appelé à réfléchir à la folie du système qui guette de nombreux pays tentant de lutter contre les crises climatiques et environnementales et de préserver les droits humains.  « Au lieu de faire payer les pollueurs, les États paient les pollueurs », a-t-il regretté, enjoignant à tous les États d’accélérer les actions fondées sur les droits humains. 

Dialogue interactif

Après cette présentation, la République dominicaine s’est interrogée sur l’équilibre à trouver entre la promotion des droits humains, la protection de l’environnement et la nécessité d’attirer des investissements étrangers.  Dans le même ordre d’idées, critiquant l’actuel système d’arbitrage, de nombreux États tels que l’Espagne, le Luxembourg, la Slovénie ou Cuba ont demandé au Rapporteur spécial comment améliorer le système des RDIE.  Le Costa Rica, en particulier, a mentionné sa nécessaire adaptation aux problématiques des peuples autochtones, souvent en première ligne des combats juridiques.  La Colombie, rappelant que la science nous appelle à agir pour éviter un point de non-retour dans la destruction de l’environnement, a souhaité savoir comment assurer un cadre de discussion inclusif, qui permettrait de trouver des réponses immédiates aux problèmes mentionnés dans le rapport, tandis que le Mexique s’est demandé comment organiser des actions afin d’éviter la pollution du sol, de l’air et de la terre.

L’Union européenne, qui dit s’employer à signer des traités d’investissement plus équilibrés, a plaidé pour l’établissement d’une cour multilatérale pour les investissements dotée d’un système à deux niveaux, permettant de faire appel.  Elle a demandé au Rapporteur spécial quelles sont les actions les plus importantes et urgentes que les États Membres doivent prendre ces prochains mois.  Quant aux États-Unis, qui se sont déclarés inquiets pour la sécurité des défenseurs de l’environnement —dont beaucoup, et notamment des autochtones, se font tuer— ils ont demandé à M. Boyd comment accélérer l’application du principe de « démocratie environnementale » de la Déclaration de Rio.  La Croatie, pour sa part, a insisté pour que l’expérience des jeunes, dont l’avenir doit impérativement être sauvegardé, soit prise en compte dans les processus de décisions internationaux.

Le Chili a demandé l’avis du Rapporteur spécial sur les trois processus consultatifs environnementaux actuellement en cours devant la Cour internationale de Justice, le Tribunal international du droit de la mer et la Cour interaméricaine des droits de l’homme.  Il s’est également enquis du rôle que ces tribunaux peuvent et doivent jouer dans la lutte contre l’urgence climatique et la protection de l’environnement. Revenant sur la question des droits de tirage spéciaux, la Malaisie s’est demandé quels mécanismes multilatéraux seraient envisageables pour les améliorer.

De son côté, la Fédération de Russie a jugé que les liens établis entre les droits humains et l’environnement par le Rapporteur spécial sont quelque peu artificiels, et a souhaité que ne soient pas créées de nouvelles catégories juridiques aux contours flous.  De manière connexe, l’Indonésie a mis en avant le lancement, il y a trois semaines, de sa stratégie nationale sur les droits humains et l’environnement, et a mis en garde M. Boyd contre les informations obsolètes.  La Chine a rappelé son exemplarité sur les questions environnementales et de droits humains, avant de demander comment avoir un environnement plus sain dans le Sud, particulièrement touché par les effets des changements climatiques.  Elle a par ailleurs reproché au Japon son « choix irresponsable » de déverser les eaux contaminées de Fukushima dans l’océan Pacifique.  En réponse, le Japon a accusé la Chine de propager des mensonges et a promis qu’il continuera à fournir à la communauté internationale les preuves scientifiques du bien-fondé de ses actes, en toute transparence.

Enfin, après s’être félicitée de l’adoption par l’Assemblée générale de la résolution historique A/76/300, la Suisse a demandé à M. Boyd comment évaluer l’impact de cette résolution sur la réalisation du droit humain à un environnement propre, sain et durable.

Reprenant la parole, le Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, a confirmé que les mécanismes d’arbitrage des différends entre entreprises et États ne fonctionnent pas et ne tiennent pas compte des questions environnementales, citant à ce sujet plusieurs exemples d’échecs flagrants.  Constatant que les 27 États de l’Union européenne, d’un côté, et les États-Unis et le Canada, de l’autre, ont « relégué ce type de mécanismes dans les poubelles de l’histoire », il a invité les pays en développement, notamment ceux du Groupe des 77 et de l’Alliance des petits États insulaires, à dénoncer ensemble les accords commerciaux existants avec les États-Unis, le Canada et l’Union européenne.  Comment les riches nations du Nord pourraient-elles défendre un système de relation avec les États en développement quand elles refusent de l’appliquer pour elles-mêmes? a-t-il résumé, ajoutant que cela peut sembler un peu radical, mais que les recherches de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que l’existence de traités commerciaux ne change rien aux quantités d’investissements directs étrangers reçus pas les pays du Sud. 

Rappelant que l’Assemblée générale a adopté l’an dernier une résolution reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable, par 164 voix pour et aucune contre, M. Boyd s’est félicité d’une série de progrès aux niveaux international, régional et national, citant l’exemple du Canada qui a transposé ces termes dans sa législation.  Le Rapporteur spécial a appelé à faire progresser la reconnaissance de ce droit dans un pacte international ainsi que dans les traités en cours de négociation. Concernant la mise en œuvre nationale, il a insisté sur la qualité de l’air et de l’eau, et sur l’élimination des combustibles fossiles.  Il a également souligné l’importance d’un contrôle par les organes des Nations Unies. Enfin, cette présentation étant sa dernière à ce poste, il a conclu son propos en évoquant des personnes rencontrées autour du monde dans l’exercice de son mandat.  « Derrière les statistiques, il y a des visages humains », a-t-il dit, souhaitant à tous de pouvoir jouir d’un environnement sûr, propre, sain et durable. 

Exposé

M. IAN FRY, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques, a indiqué que de plus en plus de travaux établissent un lien entre les responsabilités en matière de changements climatiques et les obligations des traités relatifs aux droits humains, regrettant toutefois que de nombreux pays n’aient pas encore franchi ce pas.  Il a constaté une montée de la frustration des communautés face au manque d’empressement des gouvernements et des entreprises à prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques, entraînant des protestations publiques de plus en plus réprimées.  Il s’est inquiété du recours aux arrestations, aux emprisonnements et aux assassinats de défenseurs des droits de l’environnement dans diverses parties du monde, tant dans les pays développés que dans les pays en développement, notant que cette réponse tendait à intensifier la dissidence. 

Abordant la question des législations nationales, le Rapporteur spécial a indiqué que l’établissement d’un lien entre les changements climatiques et les droits humains était un phénomène relativement récent.  Il a expliqué que ces législations se concentraient sur la réduction des émissions de carbone, reléguant l’adaptation et la sensibilisation au second plan et les procédures de traitement des pertes et dommages au troisième.  Toutes ses catégories devraient être liées aux droits humains, a-t-il souligné, regrettant que les peuples autochtones, les personnes handicapées et les autres détenteurs de droits mentionnés dans le préambule de l’Accord de Paris ne soient pas bien couverts par les législations nationales.  Il a également indiqué que très peu de pays s’étaient penchés sur la question des déplacements liés aux changements climatiques, à l’exception des Fidji, et que les références aux obligations de protection des droits humains des groupes vulnérables étaient limitées dans les législations sur les changements climatiques.

Estimant que les litiges relatifs aux changements climatiques pouvaient conduire à des changements législatifs et politiques, M. Fry a rappelé que le Secrétaire général avait suggéré qu’ils étaient un moyen de défier les « entreprises qui détruisent le climat », telles que les producteurs de combustibles fossiles.  Il a constaté une tendance croissante à la prise en compte des violations des droits humains dans le cadre de ces litiges, qui concernent surtout des gouvernements, mais aussi, de plus en plus, des entreprises ou des institutions financières. Un certain nombre d’avis consultatifs ont également été demandés pour clarifier les obligations juridiques des États en matière de changements climatiques, notamment au Tribunal international du droit de la mer, à la Cour interaméricaine des droits de l’homme et à la Cour internationale de Justice.  Fermement convaincu que les États ont la responsabilité juridique et morale de veiller à ce que les émissions de gaz à effet de serre produites dans un État ne nuisent pas à un autre État, le Rapporteur spécial a constaté qu’il s’agissait également d’une question de justice intergénérationnelle. 

Au chapitre des recommandations, il a encouragé vivement tous les États à élaborer une nouvelle législation sur les changements climatiques qui intègre les droits humains, une série de principes-clefs étant fournis dans son rapport.  Il a ensuite conseillé l’élaboration de programmes de formation à l’intention des juges sur cette question.  Enfin, il a encouragé l’Assemblée générale à prendre pleinement en considération les Principes de Maastricht sur les droits humains des générations futures et à préparer une résolution reflétant les éléments clefs de ces principes lors de la session en cours. 

Dialogue interactif

À la suite de l’exposé du Rapporteur spécial, la Malaisie s’est enquise des priorités que les États Membres doivent établir pour protéger les droits humains dans le contexte des changements climatiques.  Quel est votre plan pour motiver les États et les entreprises à reconnaître leur impact et s’engager dans un dialogue constructif avec les acteurs locaux, a demandé Malte.  Le Bangladesh a voulu savoir comment encourager les pays les plus responsables des changements climatiques à assumer leurs obligations notamment à l’égard des pays les moins responsables.  Même son de cloche du côté des Maldives, qui ont rappelé que les changements climatiques impactent les populations et touchent particulièrement le secteur agricole.

De son côté, la Chine a affirmé assumer ses obligations à la hauteur de son développement et de ses capacités.  Elle a ajouté que, compte tenu de la responsabilité que portent les pays développés dans le dérèglement climatique, ils devraient s’acquitter d’un financement et d’un renforcement des capacités des pays en développement.  L’Australie a souhaité savoir comment aider au mieux les petits États insulaires en développement (PEID).  Qu’en est-il de la justice intergénérationnelle et faut-il inclure ce principe dans la législation? a demandé la République dominicaine, après avoir fait part de ses préoccupations nationales.  Les Îles Marshall ont, pour leur part, estimé que chacun doit prendre conscience des conséquences de l’action ou de l’inaction climatique.

Comment intégrer une approche des droits humains et de justice environnementale qui garantisse une action cohérente dans la gouvernance globale, s’est interrogée la Colombie, tandis que le Maroc se demandait comment les États Membres peuvent renforcer l’interaction entre les changements climatiques et les droits humains. Se penchant sur la situation des défenseurs des droits humains, la Suisse a souhaité savoir quels moyens permettraient de mieux protéger les défenseurs de l’environnement.  Après avoir appuyé les recommandations du Rapporteur spécial sur cette même question, Malte a voulu connaître les facteurs empêchant la participation à tous les niveaux de la prise de décisions, en dehors de la race et du genre.  La Grèce a, elle, souhaité savoir quelle approche peut être envisagée au niveau législatif pour faire face aux effets de la crise climatique.

Pouvez-vous donner des détails sur les effets des changements climatiques sur les questions de genre? a ensuite demandé le Liechtenstein, l’Union européenne insistant, elle aussi, sur la nécessité d’une approche basée sur le genre. Comment assurer la prise en compte de la perspective genre dans les législations nationales, a demandé la délégation de l’UE.  Les jeunes sont souvent qualifiés de moteurs du changement, mais comment assurer leur prise de participation effective et l’intégration de leur point de vue, s’est interrogée la Croatie.  Par la voix de sa déléguée de la jeunesse, l’Italie a rappelé que le rôle des jeunes est inscrit dans les Principes de Maastricht, avant de s’enquérir des pratiques optimales en la matière.  L’Allemagne et les États-Unis ont ensuite questionné le Rapporteur spécial sur la manière d’inclure les personnes marginalisées ou vulnérables. 

Après le Chili, qui a invité les États Membres à mettre à jour leur législation pour répondre aux recommandations du Rapporteur spécial et agir en conformité avec la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le Costa Rica a voulu savoir comment les avis consultatifs mentionnés dans le rapport peuvent consolider une approche basée sur les droits humains dans la lutte contre les changements climatiques.  Pour sa part, la Fédération de Russie s’est élevée contre les tentatives visant à modifier la Convention-cadre ou risquant de créer des obligations doubles qui représenteront des charges supplémentaires pour les systèmes juridiques nationaux. 

Répondant à ces questions, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques a commencé par rappeler que, dans la mesure où les changements climatiques touchent absolument tout le monde et affectent tous les secteurs de l’activité humaine, ils ne peuvent pas être envisagés indépendamment.  Pour cette raison, il a encouragé les États Membres à intégrer à leurs législations nationales la notion « d’approche holistique ».  Il a ensuite insisté sur l’importance de défendre l’égalité de genre dans la lutte pour le climat, car les femmes se révèlent être les plus innovatrices en la matière. 

En réponse aux interrogations sur l’aspect judiciaire de la question, M. Fry a recommandé d’organiser des ateliers d’apprentissage pour les juges sur les enjeux des changements climatiques, comme il l’a lui-même fait dans le Pacifique.  Encourageant les délégations à s’intéresser aux Principes de Maastricht, qui donnent des directives utiles sur les droits alloués aux générations futures, il a préconisé de faire au maximum participer les jeunes aux travaux, notamment lors des Conférences des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP).

Exposé

M. MARCOS A. ORELLANA, Rapporteur spécial sur les substances toxiques et les droits de l’homme, a d’abord fait le lien entre les droits humains et le transport maritime, relevant plusieurs exemples de dégâts occasionnés à l’environnement et aux communautés humaines par les navires: déversements d’hydrocarbures sur les côtes, pollution atmosphérique et émissions de gaz à effet de serre, démantèlement ou échouage des bateaux en fin de vie et conditions de travail dangereuses pour les marins, voire esclavage.  Soulignant que 90% des biens commerciaux mondiaux sont transportés par voie maritime, le Rapporteur spécial a admis que si l’industrie maritime est essentielle au fonctionnement de l’économie mondiale, le secteur fait l’objet de préoccupations sérieuses en matière de droits humains et d’environnement. 

Parmi les nombreux défis qu’il est urgent de traiter pour progresser dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), le Rapporteur spécial a évoqué la situation des femmes, qui ne représentent que 2% des 1,2 million de marins dans le monde et sont souvent victimes de mauvais traitements, de violences sexuelles et de harcèlement, et celles des démolisseurs de navires, qui sont régulièrement blessées mortellement dans le cadre de leur travail, même dans des installations agréées.  Il a également mentionné la pollution croissante des océans par des produits chimiques qui s’accumulent dans les organismes marins tout au long de la chaîne alimentaire et finissent par affecter les espèces non aquatiques.  Il a rappelé que la pollution de l’air associée à la navigation maritime, qui représente un tiers des émissions globales dues au commerce, contribue à environ 60 000 décès chaque année.  En outre, il a noté qu’en 2022, le secteur a été responsable de 2,89% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Évoquant des lacunes réglementaires, M. Orellana a critiqué la méconnaissance des enjeux par la communauté des droits humains et pointé du doigt l’insuffisance des conventions de l’Organisation maritime internationale (OMI) en la matière. Tout en reconnaissant que l’OMI a adopté plus de 50 traités internationaux, il a prévenu que, sans adhésion et application mondiales, leur impact sera forcément réduit.  Le Rapporteur spécial a donc plaidé pour que les droits humains soient davantage pris en compte par l’industrie maritime, insistant sur la nécessité de transparence, dans « une industrie historiquement caractérisée par l’opacité ».  Pour conclure, il a exhorté les États et les entreprises à la responsabilité, et a appelé à protéger les lanceurs d’alerte pour garantir l’accès à l’information.

Dialogue interactif

À la suite de cet exposé, le Chili a salué l’adoption de l’Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, avant d’indiquer qu’il l’a signé et qu’il a proposé d’accueillir le siège de l’instrument ainsi créé.  Il a souligné la responsabilité des entreprises concernant la protection des droits humains.  Le Maroc a ensuite rappelé que la pollution atmosphérique tue 7 millions de personnes chaque année, et qu’un quart des maladies infantiles sont liées à des facteurs environnementaux.  Il a détaillé les actions de son pays concernant la surveillance de l’environnement aux niveaux régional et national.  Enfin, il a demandé au Rapporteur spécial ce qu’il pense du principe de précaution et s’il préconise l’utilisation de données produites indépendamment et exemptes de tout conflit d’intérêt. 

En réponse aux questions et commentaires des États Membres, le Rapporteur spécial sur les substances toxiques et les droits de l’homme a insisté sur « l’interface entre la science et la politique », y voyant un élément clef pour la réalisation du droit à la science, notamment dans le secteur de la pollution.  Il a, d’autre part, appelé à traiter sérieusement la question des conflits d’intérêt, faute de quoi nous n’obtiendrons pas les résultats escomptés pour « désintoxiquer la planète ».  M. Orellana a également estimé que le principe de précaution peut s’appliquer aux questions abordées dans son rapport sur les droits humains et les transports maritimes. 

Le Rapporteur spécial a ensuite détaillé certaines actions que doivent envisager les États pour mieux lutter contre la pollution marine.  Il a rappelé que la pollution engendrée en 2021 sur les côtes sri-lankaises par l’incendie survenu à bord du cargo porte-conteneur singapourien X-Press Pearl était la conséquence d’une série de dysfonctionnements dans le transport maritime de substances toxiques. Il a ajouté que d’importantes lacunes existent aussi en matière de protection des communautés touchées par la pollution plastique. Par ailleurs, tout en se félicitant que l’Organisation maritime internationale (OMI) ait récemment révisé sa stratégie climatique afin qu’elle soit alignée sur l’Accord de Paris, il a estimé que l’introduction de nouveaux combustibles alternatifs nécessitera d’en évaluer les effets et de ne pas tenir compte uniquement du potentiel de réduction des gaz à effet de serre.   

S’agissant des instruments relatifs à la responsabilité en cas de déversement de pétrole, le Rapporteur spécial a appelé à la mise en place de recours pour les communautés victimes de marées noires, avant de déplorer le fait que de nombreux États ne ratifient pas les amendements les plus récents, ce qui les prive d’une couverture adéquate en cas de déversement.  Évoquant ensuite les taxes sur le carbone dans le contexte des changements climatiques, il a proposé qu’elles soient utilisées pour renforcer les capacités d’installations portuaires. Souvent, a-t-il fait remarquer, les installations de réception sont inadéquates et les communautés locales se retrouvent exposées aux subsistances dangereuses déchargées par les navires.  Pour ce qui est du démantèlement des navires, il s’agit selon lui d’une activité qui a non seulement un impact sur les travailleurs et les communautés locales, mais aussi sur l’environnement en raison des courants et des vents.  Pour finir, M. Orellana a mis l’accent sur l’opacité concernant les propriétaires.  Plaidant pour la divulgation des informations et la protection des lanceurs d’alerte, il a jugé que ces éléments doivent être pris en compte pour adopter une approche basée sur les droits humains dans les transports maritimes.

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