Soixante-dix-huitième session,
18e et 19e séances plénières – matin & après-midi
AG/SHC/4382

Troisième Commission: la torture, la liberté d’expression et la situation des défenseurs des droits humains mobilisent l’attention des délégations

La Troisième Commission chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a dialogué aujourd’hui, avec pas moins de neuf titulaires de mandat et hauts fonctionnaires de l’ONU, abordant différents aspects de la question des droits de la personne, dont la torture, la liberté d’expression et la situation des défenseurs des droits humains. 

Plaidant en faveur d’un accroissement des ressources, les experts sur la question de la torture se sont succédé, à commencer par le Président du Comité contre la torture qui a alerté que le système des organes conventionnels est confronté à une charge de travail croissante et à un arriéré de rapports considérable.  Des réformes sont nécessaires de toute urgence, a-t-il souligné, mettant en avant trois domaines clefs: l’introduction d’un calendrier prévisible d’examen, la simplification et l’harmonisation des méthodes de travail, et une mise à jour numérique des flux de travail obsolètes. 

De son côté la Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a attiré l’attention sur la problématique du commerce mondial « tentaculaire » des équipements de maintien de l’ordre, qui devrait connaître une croissance de 8% par an et représenter 27 milliards de dollars d’ici à 2028.  Pour contrôler le marché de ces « outils de torture modernes », elle a appelé à l’élaboration d’un accord commercial international qui permettrait de mettre hors d’usage des objets intrinsèquement cruels, et de contrôler les équipements ordinaires de maintien de l’ordre présentant un risque accru d’utilisation abusive.  Cette question devient de plus en plus importante à mesure que les gouvernements sous-traitent les fonctions publiques à des entités privées non étatiques, a-t-elle souligné. 

Au préalable, la Présidente du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, s’est félicitée de la portée du premier projet d’observation générale du Sous-Comité qui vient clarifier la définition des lieux de privation de liberté. 

Ciblées par la désinformation, les femmes et les filles ont fait l’objet d’une attention particulière, notamment par la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression qui s’est intéressée à la désinformation genrée, une stratégie qui, a-t-elle expliqué, vise à faire taire les femmes et les personnes non conformes au genre et à les chasser des lieux publics et des espaces en ligne.  En exploitant les divisions sociales et les points de tension, tels que le racisme, l’homophobie et la transphobie, la désinformation genrée approfondit la marginalisation des groupes vulnérables et augmente leur risque de subir des violences, en ligne et hors ligne, a-t-elle alerté.  Face à ces tendances inquiétantes, elle a appelé les États à sécuriser les espaces numériques, sans pour autant restreindre la liberté d’expression. 

De manière connexe, le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a appelé à faire pression sur les acteurs répressifs, étatiques ou non, à travers des sanctions ciblées, afin qu’ils mettent fin à toutes les attaques et actes d’intimidation à l’encontre de la société civile et des manifestants. Il a notamment évoqué les périodes de transition durant lesquelles certaines autorités ont recours à des lois draconiennes et à l’état d’urgence pour restreindre et réprimer indûment la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association, le but étant de faire taire les dissidents et les voix de l’opposition.  Il s’est également préoccupé de la situation des représentants de la société civile qui ont été l’objet de représailles en raison de leur collaboration avec l’ONU. 

La Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains a indiqué, de son côté, que la probabilité qu’un processus de paix soit couronné de succès est très nettement supérieure si les femmes sont impliquées de manière significative dans les négociations, précisant que la probabilité qu’un accord de paix dure au moins deux ans augmente de 20% lorsque les femmes sont correctement impliquées. 

Elle a toutefois relevé que depuis que les femmes participent plus pleinement qu’autrefois aux activités de la société civile, elles sont davantage attaquées, exhortant les États Membres à agir lors d’un vif échange avec les délégations.

« Vous vous présentez tous comme des anges, alors que vous avez en réalité tous vos intérêts stratégiques », s’est exclamée la Rapporteuse spéciale, qui a marqué son agacement en avouant en avoir assez de faire des recommandations. « Je pourrais les faire pendant mon sommeil! Lisez-les! Appliquez-en une ou deux, et vous verrez que la situation s’améliorera », a-t-elle renchéri.

La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, vendredi 13 octobre, à partir de 10 heures.

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS (A/78/198)

Déclarations liminaires des titulaires de mandats au titre d’une procédure spéciale et d’autres experts, suivies d’un dialogue interactif

Exposé

Mme ILZE BRANDS KEHRIS, Sous-Secrétaire générale aux droits de l’homme, a présenté à la Troisième Commission 23 rapports du Secrétaire générale et notes du Secrétariat au titre des points à l’ordre du jour.  Les documents cités sont: 

La note du Secrétariat sur le « Fonds spécial créé par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (A/78/240);

Le rapport du Secrétaire général sur le « Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture » (A/78/263);

Le rapport du Secrétaire général sur le « Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage » (A/78/271);

La note du Secrétariat sur le « Droit au développement » (A/78/125);

Le note du Secrétariat sur la « Coopération avec l’Organisation des Nations Unies, ses représentants et ses mécanismes dans le domaine des droits de l’homme » (A/78/136); 

La note du Secrétariat sur la « Promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales des Africains et des personnes d’ascendance africaine face au recours excessif à la force et aux autres violations des droits de l’homme dont se rendent coupables des responsables de l’application des lois, grâce à une transformation porteuse de justice et d’égalité raciales » (A/78/166);

Le rapport du Secrétaire général sur les « Institutions nationales pour la promotion et la protection des droits humains » (A/78/182);

La note du Secrétariat sur la « Protection des migrants » (A/78/203);

Le rapport du Secrétaire général sur la « Lutte contre l’intolérance, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation, la discrimination, l’incitation à la violence et la violence fondés sur la religion ou la conviction » (A/78/241);

Le rapport du Secrétaire général intitulé « Droits humains et diversité culturelle » (A/78/242);

Le rapport du Secrétaire général intitulé « Terrorisme et droits humains » (A/78/269);

La note du Secrétariat sur la « Prévention du génocide » (A/78/282);

Le rapport du Secrétaire général sur « La sécurité des journalistes et la question de l’impunité » (A/78/270);

Le rapport du Secrétaire général sur le « Renforcement de l’action de l’Organisation des Nations Unies dans le domaine des droits humains par la promotion de la coopération internationale et importance de la non-sélectivité, de l’impartialité et de l’objectivité » (A/78/272);

Le rapport du Secrétaire général sur le « Centre sous-régional des droits de l’homme et de la démocratie en Afrique centrale » (A/78/298);

Le rapport du Secrétaire général sur la « Promotion effective de la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques » (A/78/306);

Le rapport du Secrétaire général sur la « Promotion d’une répartition géographique équitable dans la composition des organes conventionnels des droits humains » (A/78/311);

Le rapport du Secrétaire général sur la « Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées » (A/78/347);

Le rapport du Secrétaire général sur le « Centre de formation et de documentation des Nations Unies sur les droits de l’homme pour l’Asie du Sud-Ouest et la région arabe » (A/78/518);

La note du Secrétaire général sur la « Situation des droits humains au Myanmar depuis le 1er février 2021 » (A/78/316);

Le rapport du Secrétaire général sur la « Situation relative aux droits humains dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol (Ukraine) temporairement occupées » (A/78/340);

Le rapport du Secrétaire général sur la « Situation relative aux droits humains en République populaire démocratique de Corée » (A/78/212);

Et enfin, le rapport du Secrétaire général sur la « Situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran » (A/78/326). 

Dialogue interactif

À la suite de cette présentation, l’Union européenne s’est alarmée de l’augmentation des représailles contre les personnes et les groupes collaborant avec l’ONU, ainsi que de la progression de la censure en ligne et hors ligne et de l’abus des procédures antiterroristes.  Elle a condamné très fermement ces pratiques.  La Lettonie s’est inquiétée du même sujet, dénonçant les mesures d’intimidation qui se produisent jusqu’au Siège de l’ONU à New York. Le Japon a, pour sa part, voulu savoir comment le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) peut aider à résoudre les conflits et à défendre les droits humains.  Le Royaume-Uni s’est dit préoccupé par les menaces exercées contre des personnes collaborant avec l’ONU et a demandé comment améliorer le mécanisme de contrôle des représailles.  La Roumanie a ensuite demandé une évaluation de la situation des droits humains, des femmes et des filles dans le contexte de la prévention des conflits et de la reconstruction post-conflit. 

De son côté, la République islamique d’Iran a critiqué le contenu du rapport la concernant, estimant qu’il est rempli de préjugés et fondé sur des informations non vérifiées.  À sa suite, la République démocratique populaire de Corée a rejeté catégoriquement le rapport la concernant.  Qualifiant ce document « politisé » de « tissu de mensonges », elle y a vu le fruit des « desseins sinistres d’un pays hostile », ajoutant que son pays n’a jamais eu aucun problème de droits humains.  La Chine a, elle, appelé à ne pas politiser les droits humains, avant d’assurer qu’elle les a toujours respectés.  Dénonçant des violations massives des droits humains dans ses territoires occupés par la Fédération de Russie, l’Ukraine a annoncé qu’elle présentera le projet de résolution annuel sur cette situation et a demandé aux États Membres de le soutenir. 

Les États-Unis se sont inquiétés de la situation de la société civile au Bélarus, au Nicaragua, en Fédération de Russie, à Cuba et en Chine, notamment en ce qui concerne Hong Kong, avant de s’interroger sur les moyens susceptibles d’améliorer la situation.  L’Arabie saoudite a regretté qu’une partie des informations figurant dans un des rapports du Secrétaire général soient « fausses » et a demandé comment remédier à cet état de fait.  L’Irlande s’est, elle, inquiétée de l’usage abusif des lois antiterroristes pour poursuivre les personnes collaborant avec l’ONU, tandis que l’Égypte s’inquiétait des discriminations religieuses et s’enquérait des bonnes pratiques pour lutter contre cette tendance. L’Iraq a voulu savoir comment renforcer la participation des femmes au maintien et à la consolidation de la paix.  Enfin, après que Cuba eut rejeté les allégations des États-Unis à son sujet, la Chine a, elle aussi, répondu aux États-Unis, les accusant de répandre des mensonges, notamment concernant Hong Kong. 

Reprenant la parole, la Sous-Secrétaire générale aux droits de l’homme s’est félicitée du fait que de nombreuses délégations aient fait mention de la participation de la société civile et de la lutte contre les représailles visant les personnes coopérant avec l’ONU.  Elle a également défendu la méthodologie très stricte adoptée dans les rapports du Secrétaire général.  La haute fonctionnaire a ensuite cité des mesures concrètes que peuvent adopter les États Membres, évoquant notamment la sensibilisation et le renforcement des cadres légaux nationaux.  Évoquant les femmes en situation de conflit, elle a rappelé la présence du HCDH sur le terrain.  Pour finir, Mme Brands Kehris a encouragé les États Membres à fournir un accès aux experts de l’ONU et à leur fournir des informations. 

Exposé

M. KHALED KHIARI, Sous-Secrétaire général pour les affaires politiques et de consolidation de la paix au Moyen-Orient, en Asie et dans le Pacifique, a présenté le rapport du Secrétaire général sur le « Renforcement du rôle que joue l’Organisation des Nations Unies dans la promotion d’élections périodiques et honnêtes et de la démocratisation » (A/78/260). 

Il a indiqué que l’ONU a fourni une assistance électorale à un peu plus de 60 États et territoires.  Essentiellement technique, fournie dans le respect de la souveraineté et des particularités de chaque État, cette assistance a soutenu des processus électoraux inclusifs, notamment vis-à-vis des femmes, a-t-il précisé.

Il a souligné que des élections crédibles donnent de la légitimité aux dirigeants choisis, et constituent une étape importante dans la résolution des conflits et la consolidation de la paix.  Néanmoins, les élections et leurs fondements institutionnels nécessitent un investissement continu de la part des États Membres, a-t-il noté.  En outre, l’engagement en faveur d’un code de conduite contribue efficacement à l’intégrité d’un processus électoral.  Il a également signalé que les avis divergent sur la meilleure façon de traiter la diffusion de fausses informations, sur les réseaux sociaux notamment, en raison de la crainte que les restrictions sur le contenu n’entravent la liberté d’expression. 

Le Sous-Secrétaire général a par ailleurs jugé insuffisants les progrès réalisés en matière de participation et représentation politiques des femmes qui ne représentent toujours que 26,7% des parlementaires dans le monde. La participation des femmes est au cœur de l’assistance électorale fournie par l’ONU et l’inclusion des jeunes dans les affaires publiques est, elle aussi, cruciale pour cultiver leur confiance dans les institutions politiques. 

L’intervention de M. Khiari n’a pas été suivie d’un dialogue interactif.

Exposé

Mme LARA BLANCO ROTHE, Directrice adjointe du Groupe de l’environnement et du développement durable au Cabinet exécutif du Secrétaire général, qui présentait un rapport d’étape sur la Stratégie des Nations Unies pour l’inclusion du handicap lancée par le Secrétaire général en 2019, s’est félicitée des progrès réalisés en la matière, y voyant une illustration de l’engagement croissant en faveur de l’inclusion du handicap dans l’ensemble du système de l’ONU. L’an dernier, a étayé Mme Blanco Rothe, 77 entités ont mis en œuvre la Stratégie -dont 19 opérations de paix- contre 73 en 2021.  Le rapport montre en outre qu’en 2022, les entités ont respecté et même dépassé les exigences dans 34% des indicateurs, contre 30% en 2021. 

La haute fonctionnaire a également relevé une réduction manifeste du pourcentage d’entités qui ne satisfont pas aux exigences, passé de 23% en 2021 à 15% en 2022.  Selon elle, les entités onusiennes ont réalisé le plus de progrès en 2022 dans le domaine de l’évaluation inclusive du handicap. 

Rendant compte des rapports des équipes de pays, Mme Blanco Rothe a relevé une approche plus éclairée de l’inclusion du handicap, bien qu’à un rythme de progrès global plus lent.  Désormais, s’est-elle félicitée, 90% des pays indiquent qu’ils incluent la situation des personnes handicapées dans leurs documents de planification stratégique, tandis que 43% des équipes de pays intègrent les personnes handicapées dans les résultats de leur cadre de coopération.  Elle a précisé à cet égard que son cabinet fournit une assistance technique ciblée pour soutenir les plans d’action élaborés par les équipes de pays aux fins de mise en œuvre de la Stratégie.

Parmi les autres tendances, la responsable onusienne a fait remarquer que la Stratégie a favorisé des synergies au-delà des actions spécifiques au handicap.  Elle s’est ainsi réjouie que les entités et les équipes de pays intègrent l’inclusion du handicap dans leurs mécanismes et stratégies de coordination en matière de genre et de jeunesse.  Toutefois, a-t-elle nuancé, il demeure des goulots d’étranglement dans des domaines opérationnels comme l’accessibilité, l’emploi et les aménagements raisonnables. Elle a donc appelé à une action collective pour éliminer les obstacles systémiques auxquels sont confrontées les entités et les équipes de pays.  Notant que le Secrétaire général a demandé au Comité de haut niveau sur la gestion d’aborder de toute urgence l’inclusion des personnes handicapées et l’accessibilité, elle a fait savoir qu’une action a été lancée pour aborder et renforcer le caractère inclusif des Nations Unies en tant qu’employeur de choix pour les personnes handicapées.

Enfin, la Directrice adjointe s’est déclarée convaincue que la Stratégie ne réussira que lorsque les personnes handicapées « travailleront avec nous à tous les niveaux ».  D’ores et déjà, la mise en œuvre de la Stratégie commence à apporter des changements structurels et opérationnels au sein de l’Organisation, a-t-elle applaudi, promettant de maintenir cet élan pour réaliser le changement transformateur. Elle a invité les États Membres à soutenir cette dynamique pour servir les 1,3 milliard de personnes handicapées dans le monde. 

Dialogue interactif

Dans la foulée de cette présentation, l’Union européenne a salué le dernier rapport du Secrétaire général sur l’inclusion du handicap dans le système des Nations Unie.  Notant avec satisfaction que des progrès importants ont été faits récemment, elle a aussi constaté que beaucoup reste à faire, notamment en matière d’accessibilité physique ou numérique et de violence à l’égard des femmes et filles handicapées.  Elle a souhaité savoir comment les équipes de pays de l’ONU peuvent procéder de manière conséquente à la collecte de données concernant le handicap, avant de s’interroger sur ce que fait l’ONU pour accélérer la mise en œuvre d’initiatives consacrées à l’inclusion des personnes handicapées, notamment celles qui font face à de nombreuses formes de discrimination. 

De manière connexe, la Nouvelle-Zélande a voulu savoir dans quelle mesure les États Membres peuvent appuyer la Stratégie des Nations Unies et assurer son succès à l’avenir.  Elle s’est par ailleurs déclarée fière de présenter avec le Mexique un projet de résolution sur la promotion des droits des personnes handicapées.  Saluant elle aussi l’élaboration de ce texte, la Pologne s’est félicitée de la collaboration entre l’équipe de la Directrice adjointe, le Secrétariat de l’ONU et les organisations représentant les personnes handicapées.  Elle a cependant plaidé pour davantage d’inclusivité pour que ces actions gagnent en efficacité.  À ce sujet, elle a souhaité savoir comment la Stratégie peut contribuer à la réalisation des objectifs d’inclusion sur le terrain.

En réponse à ces questions et commentaires, la Directrice adjointe du Groupe de l’environnement et du développement durable au Cabinet exécutif du Secrétaire général a relevé qu’au cours des quatre dernières années, des progrès graduels mais constants ont été réalisés en matière d’inclusion du handicap.  Nous devons redoubler d’efforts et adopter une approche collective pour atteindre l’inclusion souhaitée, a-t-elle ajouté. Selon elle, le travail réalisé depuis 2019 a permis d’établir une « ligne de base » pour mesurer les avancées, ce qui n’était pas le cas auparavant.  Elle s’est également réjouie que plusieurs entités aient dépassé les indicateurs en matière d’inclusion du handicap, ce qui va « dans le bon sens ».  Sur le terrain, des efforts doivent être entrepris dans la programmation, notamment en ce qui concerne les questions d’intersectionnalité pour l’inclusion dans le cadre de la coopération, a poursuivi Mme Blanco Rothe, répondant à la préoccupation de la Pologne.  Enfin, elle a dit travailler sur la base de partenariats avec les entités onusiennes, notamment avec l’UNICEF pour la collecte de données. 

Exposé

M. CLAUDE HELLER, Président du Comité contre la torture, a tout d’abord indiqué que, depuis l’adhésion du Suriname, en 2021, à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aucune nouvelle ratification ou adhésion n’avait eu lieu.  Présentant ensuite son rapport annuel (A/78/44), il a précisé que le Comité avait adopté des observations finales sur 16 rapports présentés par les États parties et examiné quatre rapports supplémentaires lors de sa session de juillet 2023. 

Il a rappelé que les autorités nicaraguayennes n’avaient pas envoyé de délégation à la soixante-quatorzième session du Comité, tenue en juillet 2022, au cours de laquelle le deuxième rapport périodique de cet État partie avait été examiné, rejetant fermement les termes de la lettre datée du 29 juin 2022 de son Ministre des affaires étrangères, qui mettait en doute la légitimité et l’intégrité du Comité, ainsi que du HCDH.  Il a précisé que, conformément à son règlement intérieur, le Comité avait procédé à l’examen du rapport périodique du Nicaragua en son absence et adopté des observations finales lors de la soixante-quinzième session en novembre 2022. 

Le Président a rappelé que les États ont la possibilité de soumettre des rapports périodiques selon la procédure simplifiée, c’est-à-dire en réponse à une liste de questions.  De même, une coordination avec le programme de renforcement des capacités des organes conventionnels aide également les États à préparer leurs rapports. 

M. Heller a précisé que 54 rapports sont en attente d’examen en raison des retards entraînés par la pandémie de COVID-19, ajoutant que le Comité manquait de ressources pour faire face à cette charge de travail accrue. Il a précisé que le Comité avait examiné 74 plaintes individuelles au cours de ses quatre dernières sessions, adoptant 36 décisions sur le fond, considérant 14 communications comme irrecevables et interrompant l’examen de 24 autres.  Signalant que là encore le retard est considérable, il a précisé que 197 plaintes individuelles étaient en attente d’examen, arriéré de communications qui ne pouvait être absorbé avec les méthodes de travail et les ressources actuelles.  Il a regretté que certains États n’aient pas mis en œuvre les décisions prises concernant les plaintes individuelles, s’inquiétant également des actes d’intimidation et de représailles à l’encontre d’individus et de groupes qui coopèrent avec le Comité. 

Le système des organes conventionnels est confronté à une charge de travail croissante et à un arriéré de rapports considérable, et des réformes sont nécessaires de toute urgence, a-t-il souligné, relevant que le temps de réunion supplémentaire accordé aux comités pour traiter les arriérés n’avait pas été compensé par les ressources financières, techniques et humaines adéquates. 

Il a rappelé que les présidents des organes conventionnels avaient suggéré des réformes dans trois domaines principaux: l’introduction d’un calendrier prévisible d’examens, la simplification et l’harmonisation des méthodes de travail, et une mise à jour numérique des flux de travail obsolètes. Il a également indiqué qu’ils avaient reconnu que les États et les organes conventionnels avaient des mandats distincts mais interdépendants, invitant les États à exprimer leurs préférences quant aux modalités d’un calendrier prévisible de huit ans, ainsi qu’au sujet d’une numérisation ne pouvant être finalisée qu’avec des ressources financières appropriées. 

Dialogue interactif

Après la Türkiye, qui a fustigé les avis non justifiés du Comité émis sans la consulter, le Mexique s’est intéressé aux meilleures pratiques pour prévenir les cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de personnes qui se trouvent dans des situations de vulnérabilité particulière.  Comment identifier les risques et protéger les groupes les plus vulnérables?, a-t-il questionné.

Le Danemark a demandé que pouvaient faire les États pour améliorer les méthodes de travail du Comité et résorber le retard accumulé.  Notant que 196 plaintes étaient encore en attente d’examen, l’Union européenne a voulu connaître l’origine de ces retards et savoir par quels moyens accélérer le processus. 

La Fédération de Russie s’est inquiétée de la situation dans la prison de Guantanamo, accusant les autorités américaines de s’y livrer à des violations des droits des prisonniers et à des traitements cruels.  De plus, les appels de la communauté internationale, y compris des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, à fermer cette prison spéciale américaine continuent d’être ignorés par Washington, a-t-elle dénoncé.  La Chine a appelé, de son côté, le Comité à continuer de se fonder sur le principe de la non-sélectivité et à tenir compte des particularités de chaque pays.

Les États-Unis ont affirmé que la toute première visite, à Guantanamo, de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, était la preuve de leur souci de transparence.  Par ailleurs, comment couper l’assistance aux États connus pour largement recourir à la torture? ont-ils demandé.

La République arabe syrienne a réclamé des précisions sur la manière dont le Comité a étayé ses affirmations au sujet du Nicaragua.  Le rapport indique que la peur de représailles pousse les victimes à ne pas se plaindre de la torture, donc le Comité accuse un État d’avoir exposé des gens à la torture, sans se baser sur leur témoignage.

Quels sont les nouveaux défis rencontrés en ce qui concerne la présentation des rapports et méthodes de travail, a voulu savoir la République dominicaine qui, reconnaissant un retard dans la présentation de son propre rapport, a assuré faire tout son possible pour qu’il soit prêt avant 2024. 

Réagissant aux remarques et questions des délégations, le Président du Comité contre la torture a d’abord abordé la question des méthodes de travail, expliquant que le Comité invite des États tiers lorsque cela peut s’avérer nécessaire.  Il a ensuite insisté sur l’importance de disposer des financements nécessaires pour absorber la charge de travail qui continue d’augmenter.

En ce qui concerne les pratiques optimales pour prévenir la torture à l’encontre des personnes vulnérables, il a indiqué que l’adoption de mesures juridiques est un pas en avant pour répondre aux situations de crise, telles les crises migratoires, invitant à ratifier le Protocole facultatif.  En outre, il ne suffit pas de ratifier la Convention, il faut l’appliquer et cette application est complexe, a-t-il insisté. 

Il a ensuite expliqué que le Comité contre la torture est en étroite coordination avec des instances similaires au niveau régional, relevant que certaines plaintes sont examinées au mieux dans le contexte régional, notamment dans les Caraïbes par le biais de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. 

Le Président a par ailleurs encouragé les États à envisager un moratoire sur la peine de mort, et à créer des mécanismes nationaux de prévention de la torture.  Enfin, il a remercié la République dominicaine de sa volonté de présenter bientôt son rapport et s’est félicité de la visite du Comité dans ce pays. 

Exposé

Mme SUZANNE JABBOUR, Présidente du Sous-Comité pour la prévention de la torture, a tenu à cadrer la discussion en insistant sur la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par 93 pays et sur les dialogues menés avec les États parties et signataires concernant la désignation ou le fonctionnement de leurs mécanismes nationaux de prévention.  Alors que le chemin vers la ratification universelle est « semé d’embûches », elle a appelé à faire preuve d’engagement collectif et de volonté politique, afin que les États s’acquittent de leur devoir mondial de prévention de la torture. 

Pour ce qui est du Sous-Comité, Mme Jabbour a indiqué que l’année écoulée a été marquée par des changements importants, des élections tenues en 2022 ayant permis l’introduction de nouveaux membres qui apportent des perspectives et des expertises nouvelles.  À l’avenir, il est important, selon elle, de continuer à mettre l’accent sur la sélection d’experts indépendants ayant des expériences professionnelles diverses, en particulier dans le domaine de la santé et de la santé mentale, afin de garantir une approche pluridisciplinaire. 

Évoquant ensuite le premier projet d’observation générale du Sous-Comité relatif à l’article 4 du Protocole facultatif, Mme Jabbour l’a présenté comme « l’un des développements récents les plus importants ». Notant que ce texte clarifie la définition des lieux de privation de liberté, améliorant ainsi la compréhension des implications du Protocole facultatif, elle a indiqué qu’après son adoption, les États seront encouragés à s’y référer pour garantir à tout organe d’évaluation, y compris les mécanismes nationaux de prévention, un accès complet aux lieux de privation de liberté. 

En 2022, a poursuivi la Présidente du Sous-Comité, plus de 730 entretiens individuels et collectifs ont été réalisés avec plus de 2 300 personnes, principalement des détenus, mais aussi des fonctionnaires, des membres des forces de l’ordre et du personnel médical, dans différents pays.  Elle a souligné l’importance de ces interactions dans la collecte d’informations « précieuses » sur diverses questions urgentes, notamment les défis liés à la détention des migrants, les cas de corruption et d’autogestion au sein des centres de détention, les restrictions d’accès à certains lieux et les limitations à l’obtention de données essentielles.  Faisant état de recommandations adaptées aux contextes nationaux, Mme Jabbour a indiqué que son organe s’est déplacé cette année en Afrique du Sud, au Kazakhstan, à Madagascar, en Croatie et, très récemment, dans l’État de Palestine.  En dépit de ressources insuffisantes, le Sous-Comité aspire à augmenter le nombre de ses visites annuelles, en passant de huit actuellement à 12 par an, a-t-elle précisé, avant de saluer l’adoption du cycle de huit ans, qui permettra à l’organe d’effectuer 93 visites au cours de cette période.

Mme Jabbour a, par ailleurs, estimé que la résolution bisannuelle de l’Assemblée générale sur la prévention de la torture devrait consolider la solidarité mondiale et permettre de transformer une question exclusive aux organes conventionnels des droits de l’homme en une question d’intérêt universel. À cet égard, elle a souligné les efforts du Sous-Comité pour resserrer les liens avec d’autres organes conventionnels, notamment le Comité contre la torture, afin d’aborder des questions communes. Elle a enfin appelé les États à contribuer au fonds spécial du Sous-Comité, auquel les organisations non gouvernementales (ONG) font régulièrement appel et qui a permis de soutenir 18 projets dans 16 États pour un montant total de 525 790 dollars. 

Dialogue interactif

Après cet exposé, l’Union européenne s’est félicitée de deux nouvelles accessions à la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture en 2023.  Elle a ensuite voulu connaître les problèmes rencontrés par le Sous-Comité dans sa collaboration avec les États parties et les mécanismes nationaux de prévention.  L’Ordre souverain de Malte s’est réjoui du fait que 165 pays aient signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, bien que son application dépende de la volonté des États parties.  Il a par ailleurs signalé les actions qu’il mène en termes de surveillance des abus, de suivi judiciaire et d’aide directe pour les victimes, avant de rappeler, sur la base d’un rapport d’Amnesty International, que 141 pays ont été impliqués dans des actes de torture au cours des cinq dernières années, soit les trois quarts des États de la planète. 

Reprenant la parole, la Présidente du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a indiqué que des systèmes sont mis en place pour éviter les doublons, notamment avec les organes régionaux comparables, prenant l’exemple du comité de l’Union européenne travaillant sur cette thématique.  Elle a souligné que le principe de confidentialité est central et que les organes conventionnels évitent de se rendre dans le même pays durant la même année pour ne pas surcharger les États.  Mme Jabbour a ajouté que la méthode adoptée par le Sous-Comité repose sur un dialogue constructif avec les États et les mécanismes nationaux, auquel s’ajoute un soutien financier à ces derniers.  Elle a souhaité que les États contribuent aussi à cet effort financier.  Évoquant enfin la surveillance des lieux de détention, question « très complexe » selon elle, la Présidente du Sous-Comité a précisé que son organe se rend sur le terrain, y compris dans les zones de conflit, et vient de rentrer d’une visite de deux semaines en Palestine. 

Exposé

Mme ALICE JILL EDWARDS, Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, présentant son évaluation annuelle de la torture dans le monde, a indiqué qu’au moins 108 pays ont érigé la torture en infraction pénale, dont la Thaïlande et le Pakistan au cours de l’année écoulée.  Un nombre croissant de pays ont ouvert cette année des procédures contre les auteurs d’actes de torture, certains pour la première fois, et de nouvelles lois d’indemnisation ont été adoptées en Macédoine du Nord et en Ouzbékistan, s’est-elle réjouie. 

Mais dans le même temps, les allégations de torture se sont multipliées, notamment dans le cadre de la guerre, s’est inquiétée la Rapporteuse spéciale.  Elle a indiqué que la Fédération de Russie n’avait pas répondu à sa demande concernant des allégations crédibles de torture par ses forces militaires en Ukraine, ajoutant que sa récente visite dans ce pays avait confirmé que la torture fait partie de la politique de l’État russe.  Des traitements cruels ont également été observés en Haïti, au Mali, au Myanmar, au Soudan et au Yémen, a-t-elle regretté. 

Nombreuses aussi sont les allégations de torture sexuelle, a poursuivi Mme Edwards, déplorant une année particulièrement terrible pour de nombreuses femmes et jeunes filles, notamment en Afghanistan, où elles sont exclues de la vie publique, ou en Iran, où elles font l’objet de la brutalité policière.  Elle a également évoqué des allégations de harcèlement et de torture d’opposants et de dissidents politiques au Bélarus, en Türkiye et en Fédération de Russie. La Chine, en outre, n’a pas pleinement répondu aux allégations de torture et de mauvais traitements à l’encontre des Ouïghours dans le Xinjiang.

Passant à son étude thématique, qui porte sur le commerce mondial des équipements de maintien de l’ordre, la Rapporteuse spéciale a signalé qu’aucun accord international ne régit le commerce d’objets destinés ou utilisés pour torturer ou imposer d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Notant que le commerce des instruments de torture est tentaculaire, elle a recommandé l’élaboration d’un accord commercial international « libre de torture » qui compléterait et renforcerait les obligations existantes.  Cet accord serait composé d’une catégorie A, comprenant des objets intrinsèquement cruels, à immédiatement retirer du marché et à mettre hors d’usage, et d’une catégorie B comprenant les équipements ordinaires de maintien de l’ordre à contrôler, car présentent un risque accru d’utilisation abusive. 

Elle a fait savoir que le marché des équipements de maintien de l’ordre devrait atteindre 27 milliards de dollars d’ici à 2028, avec une croissance de 8% par an.  Cette question devient de plus en plus importante à mesure que les gouvernements sous-traitent les fonctions publiques à des entités privées non étatiques, a-t-elle ajouté.  Les forces de l’ordre, certes, doivent être équipées, mais c’est précisément parce que ces armes peuvent causer des dommages pouvant aller jusqu’à des crimes d’atrocité qu’il est nécessaire de mieux les réglementer, a-t-elle fait valoir. 

La Représentante spéciale a ensuite détaillé les divers artefacts utilisés dans ce contexte, notamment des barres munies de pointes, des ceintures à décharge électrique, des fers à entraver ainsi que des fouets et des munitions contenant des projectiles à impact cinétique, les décrivant comme des outils de torture modernes, aussi horribles que les grilles et les vis à oreilles utilisées par les tortionnaires médiévaux.  Elle a appelé les États à dresser un inventaire des équipements fabriqués, achetés ou utilisés par les autorités publiques compétentes et à interdire immédiatement les articles figurant sur sa liste.  Les États doivent également œuvrer à l’élaboration d’un instrument international de commerce sans torture afin que nous soyons tous plus en sécurité et mieux protégés au sein de nos communautés, a-t-elle souligné. 

Dialogue interactif

Comment l’adoption d’un accord international contribuerait-il à empêcher la torture? a demandé l’Argentine.  Et quelles sont les mesures envisagées pour élaborer un tel instrument, a voulu savoir l’Union européenne, suivie du Danemark qui s’est enquis des principaux obstacles à la ratification de la Convention.  Le Canada s’est interrogé sur les mesures que les États peuvent adopter à court terme pour prévenir la torture et assurer la justice pour les victimes.  À ce propos, comment élargir le soutien aux Principes de Méndez, a demandé le Maroc

Le Chili a indiqué qu’il espère profiter de la visite, la semaine prochaine, de la Rapporteuse spéciale pour identifier les pratiques optimales et les lacunes, tandis que la République dominicaine a voulu savoir comment la Rapporteuse spéciale coopère avec les autres procédures spéciales pour parvenir à un monde exempt de torture.  Le Brésil a appelé à accorder la priorité au renforcement des droits humains et des mécanismes nationaux et locaux de prévention, l’Algérie ayant au préalable insisté sur le renforcement des capacités des forces de police.

Comment protéger les jeunes placés dans des institutions de la négligence, la violence et des abus et comment limiter les risques que des instruments de torture tombent entre les mains d’organisations criminelles et d’autres acteurs non étatiques, a demandé le Luxembourg.  Le Myanmar s’est enquis des mesures collectives à prendre pour mettre fin à la torture sur son sol et demander des comptes aux militaires.  À sa suite, la Géorgie s’est inquiétée, qu’à ce jour, aucun progrès n’ait été réalisé dans l’exécution de la justice dans les cas de torture, de traitements inhumains et de privation de la vie de David Basharuli, Giga Otkhozoria, Archil Tatunashvili, et Irakli Kvaratskhelia. 

Le Pakistan a voulu savoir quel rôle peuvent jouer les mécanismes des droits humains pour prévenir la torture dans les régions et zones occupées, citant en particulier le Jammu-et-Cachemire, une allégation réfutée par l’Inde qui a dit que cette région fait partie intégrante de son pays.  L’Égypte a ensuite appelé à placer des obligations sur le secteur privé, tandis que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a estimé qu’un instrument juridiquement contraignant pourrait avoir des impacts pratiques et symboliques positifs. 

Lors de ce dialogue, plusieurs délégations ont rejeté catégoriquement les « allégations » les concernant contenues dans le rapport, à l’instar de la République islamique d’Iran qui a jugé « sans fondement » ces accusations qui sont inspirées par des médias hostiles à son pays. Dans le même ordre d’idées, la Chine a qualifié la partie du rapport qui la concerne « d’ingérence dans les affaires internes », tout en assurant avoir mis en place des mesures préventives pour combattre le terrorisme en conformité avec le droit international.  « Quelles sont vos sources d’information? » a interrogé la République arabe syrienne, doutant de la véracité des faits rapportés par des ONG inconnues.  Le Nicaragua a lui aussi soutenu que la Rapporteuse spéciale n’a pas rédigé son rapport sur la base d’informations vérifiées, affirmant d’ailleurs qu’il n’y a pas de violence policière dans le pays.  Abondant dans le même sens, la Fédération de Russie a estimé que les accusations à son encontre concernant la situation en Ukraine ne correspondent pas à la réalité. 

Les États-Unis ont voulu en savoir plus sur la visite de la Rapporteuse spéciale en Ukraine, tandis que l’Ukraine s’est inquiétée de la situation des prisonniers de guerre en Russie.  De son côté, Israël a voulu savoir quelles mesures la Rapporteuse spéciale compte prendre devant les atrocités commises ces derniers jours par le Hamas. 

Pour finir, l’Arabie saoudite a confirmé que l’application de la peine de mort sur son territoire est constitutionnelle et respecte les différents principes du Code pénal qui a connu de nombreuses réformes. 

Dans ses réponses et observations, la Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a expliqué que la création d’un instrument juridique sur l’interdiction du commerce des équipements de maintien de l’ordre aiderait les États à tenir leurs engagements d’interdire et de prévenir la torture en retirant ces objets de la circulation et en en surveillant l’usage.  Elle a recommandé que le secteur privé participe à la discussion précédant la conception d’un tel instrument. 

Il revient d’abord, a-t-elle expliqué, aux États de réglementer, gérer, et surveiller ce commerce.  Dans un second temps, il s’agit de réglementer les fabricants qui sont maintenant « mis en garde ». 

S’agissant enfin de l’origine de ses sources, la Rapporteuse spéciale a fait part de sa disposition à en discuter avec tous les États Membres, y compris la Fédération de Russie, à qui, d’ailleurs, elle a envoyé de multiples demandes.  À la Chine et au Nicaragua, elle s’est dite prête à effectuer des visites de terrain. 

Exposé

Mme IRENE KHAN, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, a rappelé qu’elle est la première femme à exercer ce mandat.  Elle a également rappelé qu’en 2021, elle avait présenté à la Troisième Commission un rapport inédit consacré à la liberté d’expression sous l’angle du genre.  Estimant à cet égard que la violence en ligne, la désinformation et les discours de haine constituent autant d’obstacles majeurs à la réalisation de l’égalité des sexes, elle a précisé que son rapport de cette année vise à approfondir la question de la désinformation sexiste. 

Mme Khan a indiqué avoir mené ces deux dernières années de vastes consultations auprès d’individus directement concernés par ce phénomène dans toutes les régions du monde.  Son constat: les femmes, les filles et les personnes non conformes au genre constituent une cible majeure de la désinformation.  Regrettant que ce problème soit encore peu appréhendé, elle a décrit la désinformation genrée comme « une stratégie visant à faire taire les femmes et les personnes non conformes au genre et à les chasser des lieux publics et des espaces en ligne ».  Selon elle, le préjudice ne concerne pas seulement l’individu, mais aussi la société, car le but ultime est « de faire reculer l’égalité des sexes, de réduire la diversité des voix et des points de vue dans nos sociétés et de saper la lutte collective pour la justice de genre ». 

La Rapporteuse spéciale a relevé que les risques augmentent en fonction de la visibilité des individus.  Si les attaques en ligne visent de manière disproportionnée les femmes politiques, journalistes et défenseuses des droits humains, les attaques les plus virulentes sont réservées à ceux et celles qui appartiennent à des communautés minoritaires ou marginalisées, a-t-elle fait observer.  En exploitant les divisions sociales et les points de tension, tels que le racisme, l’homophobie et la transphobie, « la désinformation genrée approfondit la marginalisation des groupes vulnérables et augmente leur risque de subir des violences, en ligne et hors ligne », a-t-elle souligné. Mme Khan a, par ailleurs, dénoncé les campagnes de désinformation en ligne menées par des acteurs non étatiques, souvent motivés par des idéologies extrémistes, des convictions religieuses ou des objectifs anti-droits, ainsi que les déclarations misogynes de hauts responsables gouvernementaux, de personnalités politiques et de dirigeants religieux et communautaires, qui créent un environnement toxique pour les femmes. 

Constatant que le risque de préjudice lié à la désinformation est considérablement accru par le pouvoir de l’amplification et de la coordination en ligne, la Rapporteuse spéciale a souligné que les plateformes de médias sociaux sont un « vecteur clef de la désinformation genrée ».  Face à ces tendances inquiétantes, a-t-elle expliqué, la réponse des États a principalement pris la forme de lois sur l’interdiction de la violence en ligne, les fausses nouvelles ou la réglementation des médias sociaux.  Si les premières peuvent jouer un rôle, à condition d’être ciblées et correctement mises en œuvre, les autres « ne font pas grand-chose pour lutter contre la désinformation, alors qu’elles contribuent à limiter les critiques à l’encontre de l’État », a déploré Mme Khan, appelant ces derniers à sécuriser les espaces numériques, sans pour autant restreindre la liberté d’expression au-delà de ce qui est autorisé par le droit international des droits de l’homme. 

Dialogue interactif

À la suite de cet exposé, le Mexique a insisté sur l’importance de l’accès égal des femmes à Internet et la protection des femmes journalistes.  L’Irlande s’est félicitée de ce premier débat sur la désinformation de genre et a demandé comment soutenir au mieux les femmes et les personnes marginalisées.  L’Union européenne s’est inquiétée de l’utilisation de la désinformation pour renforcer les stéréotypes sexistes et patriarcaux.  Au nom des pays nordiques et baltes, la Suède a appelé les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la discrimination en ligne prenne fin. 

La Slovaquie a ensuite rappelé qu’une journaliste slovaque avait été tuée dans l’exercice de ses fonctions il y a quelques années et s’est alarmée des discriminations contre la communauté LGBTQI+.  Constatant que les jeunes du monde entier sont pris pour cible par les discriminations et la désinformation en ligne, la Roumanie a souhaité savoir comment ils peuvent lutter contre ce phénomène et dans quelle mesure l’ONU peut les en protéger.  Les Pays-Bas ont rappelé leur politique étrangère féministe et insisté sur la manière d’agir pour lutter contre les discriminations à court terme. 

La Colombie s’est interrogée sur les moyens d’introduire une approche intersectionnelle pour lutter contre les discriminations, tandis que la France demandait à la Rapporteuse spéciale si elle comptait participer aux négociations sur un pacte numérique mondial.  À sa suite, la Hongrie a détaillé les mesures légales qu’elle avait prises contre les discriminations.  Le Pakistan a, lui, espéré que le prochain rapport de la Rapporteuse spéciale se penche sur l’intolérance religieuse, s’inquiétant par ailleurs de la situation des journalistes travaillant sur ce sujet en Inde.  Le Bangladesh s’est enquis des politiques permettant d’encourager les médias sociaux à lutter contre les discriminations envers les femmes. 

Le Canada a voulu savoir comment la communauté internationale pouvait lutter contre les valeurs nocives qui alimentent les discriminations genrées. À son tour, la Belgique s’est inquiétée du sort des femmes journalistes, avant de plaider en faveur de formations pour lutter contre les discriminations en ligne et de s’enquérir des bonnes pratiques en la matière.  La Norvège a demandé comment orienter les négociations sur un pacte numérique mondial pour tenir compte des discriminations en ligne.  La Pologne a, quant à elle, évoqué la désinformation sexiste dans le cadre du conflit en Ukraine, accusant la Fédération de Russie de diffuser de la propagande de guerre.  La Grèce a demandé comment les États pourraient mieux répondre aux discriminations en ligne basée sur le genre, avant d’indiquer que son gouvernement agi déjà dans ce sens. 

La Suisse a fait valoir qu’aucune femme ne devrait avoir à choisir entre son droit à la sécurité et son droit à la parole.  Elle a demandé comment mettre en place des législations plus efficaces en la matière.  Le Myanmar a regretté que 156 journalistes aient été arrêtés par la junte militaire qui bafoue systématiquement la liberté d’expression dans le pays et a demandé comment la communauté internationale pourrait contribuer à la rétablir.  Le Luxembourg a souhaité savoir si la Rapporteuse travaille avec le secteur privé et comment les États Membres peuvent la soutenir dans cette tâche.  La République tchèque s’est interrogée sur les mesures que peuvent prendre les entreprises et les gouvernements pour lutter contre les discriminations visant les femmes et les personnes LGBTQI+. L’Inde a, pour sa part, affirmé que les terroristes ne devraient pas pouvoir se servir des libertés pour semer un discours de haine, avant de rejeter les allégations du Pakistan.  L’Autriche s’est intéressée aux moyens de protéger les adolescentes face à la violence en ligne fondée sur le genre. 

De son côté, la Fédération de Russie a demandé pourquoi les déclarations des représentants de la communauté LGBTQI+ sont présentées comme des plaidoyers pour la liberté d’expression, alors que celles des défenseurs des valeurs familiales sont décrites comme « patriarcales, sans discernement et mal informées ».  Elle a estimé que les critiques de l’« idéologie LGBTQI+ » ne sont pas la preuve d’une intolérance de la part des sociétés, mais de leur fatigue face à l’imposition généralisée de normes qui ne tiennent pas compte des spécificités du développement historique et socioculturel des différents peuples. Loin de ces considérations, les États-Unis ont averti que la liberté d’expression est menacée au Bélarus, en Russie, en Chine et en République populaire et démocratique de Corée, s’inquiétant aussi de la situation au Viet Nam, au Cambodge et en République démocratique populaire lao.  Ils ont demandé comment lutter de manière plus efficace contre ceux qui remettent en cause cette liberté sous prétexte d’une lutte contre l’extrémisme.

À la suite du Royaume-Uni, qui a dit lutter contre l’utilisation des technologies pour diffuser des discours discriminatoires contre les femmes et les filles, l’Égypte a rejeté le cadre conceptuel du rapport de Mme Khan, ainsi que son approche par le genre, tout en reconnaissant l’importance de protéger les femmes.  La Chine a, elle, réfuté les accusations non provoquées des États-Unis à son encontre, assurant garantir la liberté d’expression dans le cadre du droit. Elle a accusé les États-Unis de se livrer à un « deux poids, deux mesures ».

Dénonçant elle aussi le rapport « politisé » de Mme Khan, la République islamique d’Iran a reconnu l’importance du rôle des journalistes.  La République arabe syrienne a estimé que l’approche adoptée par la Rapporteuse spéciale semait la division en usant de concepts « non consensuels ». Le Brésil a préféré mettre en avant les mesures légales qu’il a prises pour lutter contre les discriminations en ligne et la création, cette année, d’un ministère des femmes.  L’Ukraine a, pour sa part, accusé la Fédération de Russie de recourir à la propagande et à la manipulation systématique de l’information, une pratique devenue systématique depuis le début de sa guerre d’agression.  Le Viet Nam a affirmé respecter la liberté d’expression qui, selon lui, n’est pas « absolue », et a rejeté les accusations infondées des États-Unis à son encontre.  Enfin, l’Ordre souverain de Malte a souligné l’importance de la liberté d’expression pour lutter contre les extrêmes, rappelant que, selon feu le pape Jean-Paul II, ce droit existe même pour ceux qui ne le respectent pas. 

Reprenant la parole, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a expliqué que pour aider les femmes et les personnes non conformes au genre, il convient de les autonomiser. Elle a également estimé que la seule manière de combattre efficacement la désinformation sexiste est d’énoncer des faits et de renforcer les capacités des femmes et leur accès à Internet. Abordant la question législative, Mme Khan a indiqué que les lois ne peuvent jouer qu’un rôle limité car, a-t-elle dit, « on ne peut pas lutter contre les stéréotypes et les préjugés, même si on peut lutter contre les discriminations ».  Concernant les limitations de la liberté d’expression, elle a indiqué que le droit international est « très clair en la matière ».  Elle a, par ailleurs, invité les entreprises à s’investir de manière locale pour comprendre comment la désinformation fonctionne dans chaque contexte. Concernant la réglementation des réseaux sociaux, la Rapporteuse spéciale a appelé les États à adopter des approches nuancées en s’inspirant des lignes directrices mises en avant par l’ONU. Pour finir, après avoir appelé à émanciper les femmes plutôt qu’à les protéger, elle s’est déclarée disponible pour les négociations sur le pacte numérique mondial, des échanges qui, selon elle, devraient soulever des questions « extrêmement épineuses ». 

Exposé

M. CLÉMENT NYALETSOSSI VOULE, Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, a présenté son rapport thématique consacré à l’importance des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association pour la construction d’une paix durable et les transitions démocratiques.

Le Rapporteur spécial a relevé que, pendant les périodes de transition, certaines autorités ont eu recours à des lois draconiennes et à l’état d’urgence pour restreindre et réprimer indûment les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, dans le but de faire taire les dissidents et les voix de l’opposition.  Ces militants ont notamment été victimes de disparitions forcées, d’enlèvements, de détentions arbitraires, d’exécutions extrajudiciaires ou de tortures, a-t-il déploré, notant que des représentants de la société civile ont également été l’objet de représailles en raison de leur collaboration avec l’ONU.  En outre, la société civile et les femmes opérant dans des contextes conservateurs ont été accusées d’avoir une activité contraire à l’éthique ou à la culture et aux valeurs locales.

Les plateformes numériques, certes, ont constitué un espace de partage des points de vue, mais le recours des États à des technologies de surveillance numérique a souvent conduit, parallèlement, à plus de répression, a-t-il relevé, soulignant ensuite que la promotion des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association sont encore plus essentiels en temps de crise et de transition qu’en temps de paix. 

Abordant le volet des mesures concrètes, le Rapporteur spécial a appelé les États à promouvoir l’inclusion de la société civile et des communautés dans les processus de consolidation de la paix et de transition politique, depuis la phase de conception jusqu’à la mise en œuvre, en garantissant leur accès direct à la prise de décision.

Il a également engagé les États à s’abstenir de réprimer la dissidence et d’imposer des restrictions juridiques ou autres, les appelant notamment à veiller à ce que les lois sur la cybercriminalité, la sécurité et la lutte contre le terrorisme ne soient pas utilisées abusivement pour criminaliser et réprimer la société civile.  L’imposition de l’état d’urgence ne peut justifier l’exclusion des acteurs de la société civile des processus de paix et de transition.  Pour faire pression sur les acteurs répressifs, étatiques ou non, il convient par ailleurs d’utiliser tous les leviers disponibles, y compris des sanctions ciblées, afin qu’ils mettent fin aux attaques et actes d’intimidation à l’encontre de la société civile et des manifestants, a-t-il ajouté.

En outre, un soutien technique et financier devrait être fourni pour renforcer les capacités de diverses associations de la société civile, de femmes, de jeunes, de LGBTQI+ et de bâtisseurs de la paix, ainsi que les associations de victimes.  L’ONU doit veiller, pour sa part, à ce que les missions dans les contextes de conflit, d’après-conflit et de transition soient mandatées et dotées des ressources nécessaires pour rendre compte des violations des droits humains liées à l’exercice des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association. 

Dialogue interactif

Au nom des pays nordiques et baltes, la Lettonie a insisté sur l’importance de la liberté de réunion, surtout dans le contexte de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, et demandé comme aider les communautés à en bénéficier.  Quelles sont les bonnes pratiques qui pourraient servir de base à la résolution des conflits, a demandé la Suisse, suivie du Royaume-Uni qui s’est inquiété du risque de monopolisation des espaces de la société civile par ceux qui veulent saper les transitions post-conflit.  Le Pakistan a dénoncé l’usage des lois de lutte contre le terrorisme pour restreindre les droits en question, notamment au Jammu-et-Cachemire. Que peut faire la communauté internationale pour garantir ces droits dans les cas d’occupation étrangère?  L’Union européenne a conseillé pour sa part de créer des mécanismes indépendants d’obligation redditionnelle pour les cas de graves violations contre les défenseurs des droits humains. 

Des sanctions internationales peuvent-elles être envisagées contre les États qui violent les droits envisagés dans le rapport? a questionné la République tchèque, évoquant les violations commises selon elle par la Russie.  La Belgique a voulu savoir comment le Nouvel Agenda pour la paix pourrait intégrer les recommandations du rapport présenté aujourd’hui, le Bangladesh s’intéressent, lui, à l’inclusion des droits à l’étude dans les opérations de maintien de la paix. 

La Fédération de Russie a estimé cependant que les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association pouvaient avoir de lourdes conséquences comme le renversement de gouvernements démocratiquement élus, comme en Ukraine en 2013.  La délégation a également rejeté les références au groupe Wagner en Afrique au paragraphe 61 du rapport, affirmant que les membres de ces services de sécurité aident des pays africains à combattre le terrorisme.  Il est regrettable que le rapport n’évoque pas le travail des groupes de sécurité privés états-uniens et britanniques connus pour leurs crimes, a-t-elle ajouté. 

Les États-Unis se sont inquiétés de la situation au Belarus, où 470 personnes auraient été condamnées en 2023 pour avoir manifesté pacifiquement, ainsi qu’en Russie où quelque 19 000 personnes auraient été arrêtées pour avoir protesté contre la guerre lancée contre l’Ukraine, dont des centaines ont subi des poursuites pénales.  Ils se sont également préoccupés de la loi russe répressive contre les prétendus agents étrangers qui permet de s’en prendre aux groupes marginalisés comme les LGBTQI+ ou les organisations considérées comme indésirables.  De quels outils dispose la communauté internationale pour promouvoir la liberté de réunion et d’association dans les États qui ne souhaitent pas le faire, a ensuite demandé la délégation. 

L’Autriche a réclamé des détails sur le rôle vital de la participation de la société civile à l’instauration d’une paix durable et aux transitions démocratiques.  La Colombie a demandé quelles étaient les suggestions pour assurer la participation véritable des groupes marginalisés dans les processus de paix, ainsi que dans les enceintes internationales comme l’ONU.  La Chine a noté pour sa part que les États-Unis sanctionnaient les pays ayant connu des coups d’États mais avaient eux-mêmes connu récemment un phénomène de ce type. 

Reprenant la parole, le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a affirmé que c’était souvent grâce aux groupes marginalisés que la paix pouvait être atteinte, évoquant le cas « exemplaire » du Soudan.  Regrettant que les bonnes pratiques se fassent de plus en plus rares, il a noté que malgré tous les efforts, beaucoup de processus de paix n’avaient pas avancé, s’inquiétant de l’importance trop grande accordée aux belligérants qui, se sentant renforcés par la reconnaissance internationale, cherchent à établir des alliances pour continuer la guerre.  Le Rapporteur spécial s’est prononcé en faveur des sanctions ciblées contre les chefs belligérants et leurs avoirs à l’étranger, plutôt que des sanctions larges qui atteignent la population.  Il s’est également inquiété de l’absence d’action de la part de la communauté internationale concernant le sort des femmes afghanes qui sont laissées de côté, ce qui ne permettra pas d’atteindre la paix. 

Insistant sur l’importance des violations des droits étudiés comme des signes précurseurs de conflit, il a aussi souligné l’importance de la prise en compte des groupes marginalisés dans des contextes de conflit.  L’ONU doit faire plus d’efforts pour renforcer la participation des groupes marginalisés et ne pas se contenter de blâmer les belligérants pour leur exclusion, a-t-il estimé.  En conclusion, il s’est dit choqué par les propos de la déclaration syrienne à l’encontre de l’un de ses collègues et a estimé que la Troisième Commission ne devait pas accepter de tels propos. 

Exposé

Mme MARY LAWLOR, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains, a commencé par partager une « bonne nouvelle »: la probabilité qu’un processus de paix soit couronné de succès est très nettement supérieure si les femmes sont impliquées de manière significative dans les négociations.  À l’appui de cette affirmation, elle a indiqué que, des nombreuses études qu’elle a consultées, il ressort que la probabilité qu’un accord de paix dure au moins deux ans augmente de 20% lorsque les femmes sont correctement impliquées. 

Évoquant son rapport, qui détaille le travail accompli par les défenseuses des droits humains dans les situations de conflit et la manière dont leur action contribue à l’édification de sociétés justes et pacifiques, Mme Lawlor a souligné l’importance de la présence des femmes à tous les niveaux d’un conflit, que cela soit en début de crise, aux moments les plus sombres ou dans les transitions post-conflit.  Si certaines documentent et surveillent les violations contre les femmes, d’autres recherchent la justice et la responsabilisation, a-t-elle observé, précisant que la valeur de cette démarche a été démontrée en Iraq, où des femmes ont rassemblé des preuves des crimes perpétrés par Daech contre la communauté yézidie.  Leur plaidoyer persistant a conduit à l’adoption, en 2021, en Iraq de la loi sur les survivantes yézidies, qui reconnaît les attaques à l’encontre de ces femmes comme un génocide et un crime contre l’humanité, et prévoit des réparations ainsi qu’une réhabilitation, a-t-elle souligné. 

À la question de savoir pourquoi les femmes et les personnes LGBTI sont si souvent empêchées de participer à la vie publique pendant un conflit, la Rapporteuse spéciale a trouvé un premier élément de réponse en Libye.  Dans ce pays, des avocats lui ont raconté comment les défenseuses des droits humains ont été contraintes de quitter la sphère publique en raison d’attaques en ligne et hors ligne, citant pêle-mêle des menaces, des agressions sexuelles, des enlèvements et des meurtres, sans oublier des campagnes de diffamation sexiste visant à les ostraciser.  Le même procédé est de mise en Afghanistan, où les femmes s’opposent à l’apartheid de genre imposé par les Taliban, a-t-elle relevé. 

En Ukraine, Mme Lawlor a recueilli le témoignage de Lyudmyla Yankina, une infirmière qui lui a narré ses courses à travers Kyiv, dans les semaines qui ont suivi l’invasion de son pays par la Russie, pour livrer de la nourriture et des fournitures médicales essentielles aux handicapés, aux personnes âgées et aux malades en phase terminale.  La Rapporteuse spéciale a aussi mentionné le Groupe des mères des personnes enlevées au Yémen, composé de proches de personnes disparues, qui surveille les disparitions forcées dans le pays et a obtenu la libération de dizaines de disparus en instaurant la confiance avec les deux parties au conflit. À ces deux heureuses issues, elle a opposé l’histoire de Razan Zaitouneh, une activiste syrienne qui a fondé, en 2011, un centre destiné à documenter les violations des droits humains dans son pays et qui, 10 ans plus tard, est toujours portée disparue. 

Trop souvent et dans de trop nombreux endroits, les États manquent à leurs obligations de protéger les défenseuses des droits humains, a dénoncé la titulaire de mandat.  Elle a toutefois reconnu que certains progrès ont été réalisés depuis l’adoption de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, exhortant les États à mieux protéger les défenseuses des droits humains s’ils veulent que ces femmes contribuent à la paix.  « Et, si vous avez besoin de plus d’idées sur ce qu’il faut faire pour mieux les protéger, demandez-leur », a-t-elle conclu. 

Dialogue interactif

À la suite de l’exposé de la Rapporteuse spéciale, la Pologne a rappelé qu’en tant que voisine de l’Ukraine, elle voit les femmes ukrainiennes subir la guerre en première ligne.  Ces femmes doivent non seulement être protégées des violences mais doivent aussi prendre part aux décisions et négociations, a-t-elle plaidé.  Les Émirats arabes unis ont ensuite fait part de leur volonté de se joindre aux efforts des différentes entités de l’ONU et ont assuré de leur plein respect de l’action des défenseuses des droits humains. Le Canada a, quant à lui, demandé des exemples de bonnes pratiques pour garantir la protection des défenseuses des droits humains, surtout face aux représailles en ligne. Mettant en avant sa diplomatie féministe, la France a demandé des exemples de mesures pertinentes pour promouvoir la participation des défenseuses des droits aux processus de paix.

La Slovénie s’est, pour sa part, enquise des bonnes pratiques en matière de coopération entre les réseaux de solidarité féminine, à une échelle transnationale, tandis que les Pays-Bas, s’exprimant au nom des trois pays du Benelux (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) soulignait la contribution que les femmes défenseuses des droits humains apportent à la paix et à la sécurité, malgré l’environnement souvent difficile et hostile dans lequel elles travaillent.  Dans ces conditions, comment les États peuvent-ils être plus efficaces dans leurs réactions face aux attaques contre les défenseuses des droits humains, et ce dans les situations de conflit comme de post-conflit ou de crise? a demandé la délégation.  L’Espagne s’est également interrogée sur les moyens de promouvoir le travail des jeunes défenseuses des droits humains dans les situations de conflit.

À sa suite, la Norvège a voulu savoir comment l’Assemblée générale pourrait s’assurer que les États Membres disposent des outils nécessaires pour défendre cette cause.  Le Myanmar s’est, lui, ému de voir les femmes de son pays rester à l’avant-garde de la lutte contre les crimes commis par la junte militaire au pouvoir, en dépit de risques disproportionnés.  La délégation a demandé ce qui pouvait être réalisé pour que la communauté internationale épaule leur action.  Entre autres remarques, l’Union européenne a insisté sur le fait que les femmes ne peuvent être simplement consultées, mais doivent aussi être actrices des décisions. La République tchèque a préféré attirer l’attention sur la responsabilité très lourde que représentent les enfants pour les femmes, celles-ci en ayant la charge exclusive. Rappelons-nous cet aspect quand nous appuyons les défenseuses des droits humains, a exhorté la délégation.  La Suisse a ensuite demandé à la Rapporteuse spéciale des pistes pour améliorer la collecte de données relatives aux attaques contre les défenseuses des droits humains.

De son côté, le Yémen a dénoncé les violences des milices houthistes à l’encontre des femmes, notamment les défenseuses des droits humains, parfois victimes d’enlèvements et de tortures.  La délégation a demandé comment lutter contre ces milices et les dissuader de recourir à de tels actes.  Le Royaume-Uni a demandé comment les organisations de la société civile peuvent être sensibilisées aux besoins de sécurité des défenseuses des droits humains, notant, comme l’Autriche, que lorsque les femmes participent aux efforts de paix, il y a plus de chance que ces derniers aboutissent.  Sur un plan plus national, la Côte d’Ivoire a insisté sur la nécessité d’adopter des lois qui prennent en compte l’action des femmes en termes de droits humains, à l’image de sa législation sur ce thème adoptée en 2014. 

À son tour, la Géorgie a assuré qu’elle accorde une grande importance à l’engagement des femmes dans les processus de paix.  Elle a par ailleurs alerté sur la situation humanitaire et des droits humains dans les régions d’Abkhazie et de Tskhinvali occupées par la Russie.  Faisant état de graves violations des droits et des libertés fondamentales, elle a indiqué que les représentants de la société civile sont également victimes de discrimination ethnique.  Se référant aux principes du droit international, l’Allemagne a demandé à tous les États d’être à la hauteur de leur responsabilité fondamentale à l’égard des défenseuses des droits humains.  Le Chili a, lui, demandé de ne pas oublier les risques qui pèsent sur les familles des défenseuses des droits humains.  Quelles sont les pratiques optimales en matière de protection du noyau familial, étant donné que ce sont les femmes qui s’occupent généralement des enfants? a-t-il demandé. 

Après s’être alarmé de la situation des otages détenus dans la bande de Gaza, Israël a voulu savoir quelles mesures doivent être prises quand un environnement hostile est instillé par une organisation terroriste comme le Hamas. La délégation a fait mention d’une militante israélienne des droits humains portée disparue depuis le 7 octobre à 11 heures.  Pour sa part, l’Inde a garanti que sa Constitution protège les droits des défenseuses des droits humains et ne tolère aucune attaque contre elles et leur famille. Elle a toutefois précisé que leurs activités doivent respecter la loi.  La délégation s’en est ensuite prise au pays qui « ne cesse de proférer des calomnies » à son sujet.  En réponse, le Pakistan a déploré que, dans les zones occupées par l’Inde, les défenseuses des droits humains soient soumises à la torture et à d’autres traitements dégradants.  Quels mécanismes sont disponibles pour soutenir les défenseuses des droits humains en situation d’occupation et comment peut-on les aider pour qu’elles continuent leur travail? s’est-il enquis. 

À la suite de l’Irlande, qui a demandé comment atténuer les risques qui pèsent sur les défenseuses des droits humains, la Colombie a rappelé la nécessité d’avoir des mesures différenciées qui répondent aux questions de genre, notamment pour les groupes les plus vulnérables qui subissent la stigmatisation.  La Fédération de Russie a, quant à elle, jugé que les accusations partiales portées contre elle sont basées sur des sources ne reflétant pas la réalité. Elle a également regretté que le rapport de Mme Lawlor ne souligne pas la situation déplorable des droits humains en Ukraine.  Après le début de l’opération militaire spéciale, le régime de Kiev s’est employé à « purger » l’espace public et politique des opinions alternatives, a-t-elle argué, accusant en outre les services spéciaux ukrainiens d’enlever des journalistes, des militants de la société civile et des personnalités publiques, y compris des femmes. 

La République islamique d’Iran a, pour sa part, souhaité que les titulaires de mandat de l’ONU utilisent des sources fiables, ajoutant que ce qui est dit dans le rapport sur la situation des femmes en Iran est faux.  Les États-Unis ont ensuite réaffirmé le droit d’Israël à se défendre, accusant le Hamas d’être un groupe terroriste.  Ils ont d’autre part dénoncé les peines de prison infligées à cinq membres d’une ONG ainsi que les persécutions faites à des militantes des droits humains en Chine.  Fustigeant l’attitude des États-Unis consistant à utiliser cette tribune pour l’attaquer, la Chine a indiqué que les défenseuses des droits humains évoquées par la délégation américaine « violent le droit chinois » et seront traduites en justice.  Elle a par ailleurs invité la Rapporteuse à être impartiale.  Enfin, le Brésil a appelé la communauté internationale à prendre des mesures concrètes pour protéger les défenseuses des droits humains, particulièrement contre l’intimidation. 

« Vous vous présentez tous comme des anges, alors que vous avez en réalité tous vos intérêts stratégiques », s’est exclamée la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains en répondant aux délégations.  Regrettant que les États Membres n’adoptent pas une norme indépendante sur ce sujet et s’attaquent les uns les autres au lieu de travailler ensemble, elle a rappelé que des lois injustes sont utilisées partout dans le monde contre les défenseuses des droits humains.  Ces lois, souvent vagues, ne répondent pas aux normes internationales, a observé Mme Lawlor.  « Ne me parlez pas de la manière avec laquelle vous respectez l’état de droit si cette manière n’est pas conforme aux normes internationales » a-t-elle ajouté à l’adresse des États Membres. 

Après avoir relevé que les femmes sont davantage attaquées qu’autrefois parce qu’elles participent plus activement à la vie publique, la Rapporteuse spéciale a regretté que des pays, y compris en Europe, s’en prennent aux défenseuses des droits humains, mais aussi aux migrantes et aux demandeuses d’asile. Elle s’est ensuite adressée à des délégations précises, notamment aux Émirats arabes unies, où trois défenseuses des droits humains, qu’elle a rencontrées, ont été emprisonnées. Répondant à plusieurs pays, dont le Canada, elle a expliqué comment accroître les activités des défenseuses des droits humains sans les mettre en péril.  « Vous devez discuter avec elles pour savoir quels risques elles peuvent encourir, ce n’est pas à vous de décider pour elles », a-t-elle affirmé.

Évoquant les conflits en cours, notamment au Myanmar et au Yémen, Mme Lawlor a alerté sur la situation des défenseuses des droits humains, victimes d’enlèvement perpétré par toutes les parties.  « J’en ai assez de faire des recommandations », a-t-elle lancé aux délégations, les invitant à les lire et à en appliquer au moins « une ou deux ».  « Vous verrez que la situation s’améliorera », a affirmé la Rapporteuse spéciale.  Enfin, après s’être indignée des propos de la République islamique d’Iran, elle a signifié à Israël et aux États-Unis qu’elle « condamne sans équivoque le Hamas ». Elle a toutefois imploré ces pays de ne pas imposer en représailles une « punition collective à une population civile ».  Selon elle, le blocus de Gaza est contraire au droit international et constitue même juridiquement un « crime de guerre ». 

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