L’Assemblée générale fait siennes trois déclarations politiques sur la santé mondiale après un vif débat sur les mesures coercitives unilatérales
La question des mesures coercitives unilatérales s’est imposée lors de l’adoption sans vote, ce matin, par l’Assemblée générale, de trois déclarations politiques relatives à la santé mondiale, et portant respectivement sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies; la couverture sanitaire universelle; et la lutte contre la tuberculose. De vives critiques ont notamment été soulevées, par le Groupe des 77 et la Chine, entre autres, au sujet de l’absence de toute référence à l’impact délétère de ces mesures sur le droit à la santé.
Au préalable, sur recommandation de sa Cinquième Commission, l’Assemblée générale a décidé que les Comores, Sao Tomé-et-Principe et la Somalie seront autorisées à participer à ses votes jusqu’à la fin de sa soixante-dix-huitième session, ayant convenu que le non-paiement par ces trois États de la totalité du montant minimum requis pour éviter l’application de l’Article 19 de la Charte est dû à des circonstances indépendantes de leur volonté. Avant l’adoption par consensus du texte, la Fédération de Russie s’est dissociée des paragraphes 108, 113 et 122 du rapport du Comité des contributions, rejetant la mention selon laquelle la guerre en Ukraine a entravé la contribution des États. Ce sont des problèmes systémiques qui existaient bien avant l’opération militaire spéciale en Ukraine, a soutenu la délégation.
La Déclaration politique sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies appelle à renforcer la coopération internationale en s’appuyant notamment sur l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), et à garantir un accès « rapide, durable et équitable » aux vaccins, aux diagnostics et aux traitements. Les États Membres s’inquiètent d’ailleurs des « inégalités criantes » d’accès aux vaccins contre la COVID-19, notant qu’en décembre 2022, 22% de la population des pays à faible revenu était complètement vaccinée contre 75% dans les pays à revenu élevé.
Ils appellent notamment à promouvoir la distribution équitable de médicaments abordables et de qualité, et à renforcer les capacités de production locale et régionale de vaccins et de médicaments, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, en procédant à des transferts de technologies et en coopérant avec des communautés de brevets volontaires.
En adoptant la Déclaration politique sur la couverture sanitaire universelle, les États Membres reconnaissent que la couverture sanitaire universelle est fondamentale pour réaliser les objectifs de développement durable (ODD), et réaffirment le rôle premier des États dans la mise en place d’une telle couverture. Ils prennent également note des graves lacunes sanitaires révélées par la récente pandémie de COVID-19, aucun progrès n’ayant en effet été enregistré depuis 2019 dans l’expansion de la couverture sanitaire dans le monde, ainsi que de la gravité du sous-financement des systèmes de santé nationaux.
Pour ce qui est de la lutte contre la tuberculose, les États Membres visent à faire progresser la science, les finances et l’innovation, et à tirer parti de leurs bienfaits pour mettre fin d’urgence à l’épidémie mondiale de tuberculose, « en particulier en assurant un accès équitable à la prévention, au dépistage, aux traitements et aux soins ». Ils s’engagent également à mobiliser un financement suffisant, adéquat, prévisible et durable en faveur de l’accès universel à la prévention, au dépistage, au traitement et à la prise en charge de qualité de la tuberculose, et à accorder une attention particulière aux pays fortement touchés.
En vertu des trois textes présentés par le Président de l’Assemblée générale, et préalablement approuvés durant la semaine de haut niveau, il est prévu de tenir une réunion de haut niveau sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies en 2026, une autre sur la couverture sanitaire universelle en 2027, et une troisième sur la tuberculose en 2028.
Avant l’adoption des trois déclarations politiques, de nombreuses délégations ont déploré la présentation de textes « incomplets » auxquels il manque un élément crucial pour la réalisation du droit à la santé: l’appel à l’élimination urgente des mesures coercitives unilatérales, d’aucuns s’inquiétant de leur impact sur l’accès aux médicaments, entre autres.
Au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, le Venezuela a averti qu’avec l’adoption de ces trois résolutions qui ignorent l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur plus d’un tiers de l’humanité, « nous manquerons, une fois de plus, consciemment et volontairement, à notre engagement de ne laisser personne de côté ». Les enseignements de la pandémie de COVID-19 et ses sept millions de vies perdues n’ont-ils pas été retenus? L’Assemblée générale a-t-elle perdu sa « boussole morale », a lancé la délégation, qui a averti que cette question ne peut plus être ignorée ou balayée sous le tapis au regard de ses conséquences non seulement sur les pays ciblés, mais aussi sur l’économie mondiale, les chaînes d’approvisionnement, et la sécurité alimentaire et énergétique, entre autres.
La question a également préoccupé le Zimbabwe qui a relevé que ces mesures sapent la préparation et la riposte aux pandémies, y compris la tuberculose, et freinent les efforts pour la couverture sanitaire universelle, et cela, dans un contexte de crise sanitaire mondiale.
Alertant de la situation des enfants dont la vie dépend de produits dont l’accès a été suspendu par des mesures coercitives unilatérales, l’Iran a regretté que les négociations ont privilégié l’avis d’une « poignée » de pays occidentaux au détriment de grands groupes de pays représentant les deux tiers de la population mondiale, déplorant en outre que des libellés découlant de documents pertinents aient été ignorés.
Les préoccupations des pays en développement ne devraient pas être négligées de manière aussi flagrante, s’est indigné le Groupe des 77 et de la Chine par la voix de Cuba qui a également pointé le libellé insuffisant sur les transferts de technologies. Dans ce contexte, le Nicaragua s’est interrogé sur la capacité à promouvoir la coopération internationale pour appuyer la couverture sanitaire universelle et faire face aux conséquences de la pandémie de COVID-19. Même son de cloche du côté de la Fédération de Russie qui a regretté le manque d’impartialité des négociateurs, et du Bélarus qui a espéré que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) prendra en compte l’impact de ces mesures.
La question des mesures coercitives unilatérales a continué de marquer les esprits après l’adoption sans vote des trois déclarations politiques, l’Afrique du Sud voyant dans leurs incidences sur l’accès à des médicaments d’importance vitale le signe d’un manque d’humanité dans les relations internationales.
Ces mesures punitives sont les principaux obstacles à la réalisation du Programme 2030, a prévenu la Namibie qui a regretté que la déclaration sur les pandémies omette de mentionner l’importance de l’accès équitable à certains produits médicaux. L’Algérie a signalé, pour sa part, que les négociations sur les questions de santé constituaient un défi pour les délégations des pays en développement, en raison des « pressions » qu’elles subissent.
Qualifiant de très inquiétantes les tentatives qui visent à modifier les textes après leur approbation par les chefs d’État et de gouvernement, la Suisse a estimé que la déclaration politique concernant la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies ne devrait pas préjuger les résultats des discussions encore en cours à Genève. Les divergences qui subsistaient encore dans la formulation du paragraphe 43 sur l’accès et le partage des avantages devront être négociées de manière appropriée et légitime dans les processus en cours à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour que la Suisse en soutienne le contenu, a fait savoir la délégation.
L’Argentine a appuyé toute initiative régionale ou internationale visant à faciliter l’accès équitable et gratuit ou à prix réduit aux médicaments, vaccins et traitements à destination des pays à bas revenu, l’Indonésie expliquant, pour sa part, avoir lancé une alliance de pays comprenant la Pologne, le Nigéria et les Philippines pour lutter contre la tuberculose.
Au nom du Conseil de coopération du Golfe (CCG), Oman a déclaré que les traditions et lois nationales doivent l’emporter sur les termes utilisés notamment « services de santé sexuelle et les droits à la santé sexuelle et procréative ». À ce propos, l’Égypte et le Guatemala se sont dissociés du paragraphes 52 du texte sur les pandémies et du paragraphe 62 de la déclaration sur la couverture sanitaire universelle, jugeant ces libellés non conformes ni aux normes et valeurs de la société égyptienne, ni à la politique publique de protection de la vie et de l’institution de la famille du Guatemala.
S’exprimant au nom des délégations du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande (CANZ), l’Australie a en revanche fait part de sa déception eu égard au libellé « affaibli » concernant l’accès aux soins de santé sexuelle et génésique, une préoccupation également partagée par le Royaume-Uni et les États-Unis. La délégation américaine a par ailleurs appelé au rétablissement des services de santé essentiels à des niveaux équivalents à ceux qui prévalaient avant la pandémie, insistant sur l’importance de se préparer à la prochaine crise sanitaire. La préparation aux pandémies devient une exigence essentielle, a renchéri la République dominicaine, qui a apporté son plein soutien à la déclaration politique sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies.
L’Union européenne, par la voix de l’Espagne, a prôné la nécessité de nouveaux diagnostics et schémas thérapeutiques pour la tuberculose pharmacorésistante. Elle a également souligné que le transfert de technologies doit se faire sur une base volontaire, plaidant par ailleurs pour l’adoption d’un accord ambitieux sur la pandémie.
La dignité humaine, la coopération et la solidarité devraient guider les États afin que tout un chacun puisse accéder à des services de santé de qualité, a déclaré le Japon, qui a appelé à ne pas oublier les enseignements de la pandémie.
Enfin, la Hongrie a estimé que le rôle des gouvernements devrait être réaffirmé dans plusieurs articles des déclarations politiques, notamment s’agissant des migrants, pour permettre de rester en conformité avec les engagements pris au niveau international.
L’Assemblée générale se réunira de nouveau le mardi 10 octobre à partir de 10 heures.