Réduction des risques de catastrophe: l’Assemblée générale adopte une Déclaration politique pour accélérer la réalisation du Cadre de Sendai d’ici à 2030
« À 04 h 17, ce 6 février si sombre, j’ai cru que le sol allait m’engloutir. » Au témoignage poignant de Mustafa Kemal Kilinç, un étudiant turc rescapé du séisme qui a frappé en plein hiver la zone frontalière turco-syrienne et fait plus de 50 000 morts, le Président de l’Assemblée générale a réagi en demandant solennellement aux États Membres de réfléchir pour dessiner ensemble un monde plus sûr et résilient. Donnant le coup d’envoi de la réunion de haut niveau sur l’examen à mi-parcours du Cadre de Sendai sur la réduction des risques de catastrophe (2015-2030), M. Csaba Kőrösi a déclaré que même si les tremblements de terre, les inondations et les cyclones se jouent des frontières, s’ils sont liés entre eux et intensifiés par les changements climatiques, le Cadre de Sendai adopté en 2015 continue de faire le pari que ces phénomènes n’ont rien d’inéluctable.
Tout dépend de notre action ou inaction, a-t-il averti, reconnaissant que depuis cette date, et en dépit de progrès réels, le nombre de personnes touchées par les catastrophes naturelles a été multiplié par 80, essentiellement dans les pays en développement. Le Président de l’Assemblée générale a appuyé son propos sur les priorités énumérées dans la Déclaration politique issue de ladite réunion de haut niveau. Celle-ci a été adoptée sans vote en début de séance et sous les applaudissements, avant le débat plénier auquel ont participé plus de 130 délégations.
« Si nous considérons que l’application du Cadre de Sendai donne des résultats positifs, nous constatons avec une vive préoccupation qu’elle progresse trop lentement et se fait de manière inégale », peut-on lire à l’entame de ce document, négocié sous l’égide de l’Australie et de l’Indonésie. « La progression de la mise en œuvre du Cadre de Sendai continue d’être entravée par un accès insuffisant aux données sur les catastrophes, à la connaissance des risques, à la technologie et au financement, ainsi que par le fait que la priorité n’est pas suffisamment accordée à la réduction des risques de catastrophe et aux mesures y relatives, y compris dans le cadre de l’action climatique. »
La Déclaration politique, longue de 13 pages et composée de 50 paragraphes, formule, avec un sentiment d’urgence renouvelé, une série d’appels à l’action, centrés autour de quatre priorités: comprendre les risques de catastrophe; renforcer la gouvernance des risques de catastrophe pour mieux les gérer; investir dans la réduction des risques de catastrophe aux fins de la résilience; et renforcer l’état de préparation aux catastrophes pour intervenir de manière efficace et pour « reconstruire en mieux » durant la phase de relèvement, de remise en état et de reconstruction.
M. Kőrösi a été clair: « D’ici à 2030, nous devons corriger le tir collectivement en intégrant de manière inclusive et solidaire la gestion des risques dans l’ensemble de nos décisions, car il en va de la réalisation du développement durable pour tous ». Prendre en compte la planète et les populations, mobiliser d’autres outils que ceux qui mesurent le produit intérieur brut (PIB), tirer les enseignements de la pandémie de COVID-19, changer les comportements pour faire évoluer la gouvernance et la gestion des risques de façon proportionnée aux défis, investir massivement dans la prévention et les réponses rapides et impliquer dans la recherche de solutions les personnes directement touchées par les catastrophes, tels ont été ses mots d’ordre. Tout dépend de nos décisions en matière de consommation, de production, de planification, lesquelles doivent une fois pour toutes prendre en compte cette réalité que nos ressources sont limitées, a-t-il résumé.
Dans la Déclaration, les États Membres se déclarent « vivement préoccupés par la fréquence et l’intensité croissantes des catastrophes, ainsi que par leur nombre et leur ampleur et par leurs conséquences dévastatrices, ce qui occasionne d’immenses pertes en vies humaines, une insécurité alimentaire et des famines, une perte de biodiversité, des problèmes liés à l’eau, des déplacements de population accrus, des besoins humanitaires, des besoins en matière de développement et un préjudice économique, social et environnemental à long terme, en particulier pour les personnes qui sont en situation de vulnérabilité dans le monde entier ».
Le document souligne les effets de synergie existant entre l’application du Cadre de Sendai, celle du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et celle de l’Accord de Paris, et prône, face aux risques de catastrophe, d’adopter « une approche préventive plus vaste, privilégiant davantage la dimension humaine », conformément au Programme 2030. Il note également que, pour être efficaces, « les politiques et mesures de réduction de ces risques doivent être conçues pour gérer des aléas multiples dans divers secteurs, être accessibles et n’exclure personne ».
« Nous nous engageons à donner suite aux appels à l’action formulés dans la présente Déclaration politique et à favoriser une approche du développement durable qui tienne compte des risques de catastrophe aux niveaux local, national, régional et mondial et à accélérer les progrès en matière d’intégration de la réduction des risques de catastrophe dans les politiques, programmes et investissements à tous les niveaux, sachant que certains de ces appels à l’action nécessiteront un renforcement des capacités et une assistance technique et financière pour que les pays en développement puissent y donner véritablement suite », promettent en conclusion les États Membres.
Le Président de l’Assemblée générale a assuré que l’esprit solidaire qui souffle sur la Déclaration politique est celui de la Charte des Nations Unies. Toutefois, le Venezuela, en tant que Président du Groupe des Amis pour la défense de la Charte, une coalition de pays créée en 2021 à l’initiative de la République islamique d’Iran, a jugé le document incomplet puisqu’il ne mentionne nulle part les « mesures coercitives unilatérales qui entravent la bonne mise en œuvre du Cadre de Sendai ». Ces sanctions infligées par une poignée d’États Membres, a lancé la représentante, entravent le développement de pays et de régions entiers -« environ les deux tiers de l’humanité »- lesquels sont de surcroît les plus exposés aux risques de catastrophe.
Le financement de la résilience et de la gestion des risques de catastrophe a été au centre des interventions, tant des hauts fonctionnaires de l’Organisation que des représentants de groupes de pays. Mme Amina Mohamed, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, s’est voulue catégorique en appelant à renoncer à la vision à court terme du marché. « Nous devons orienter les mesures budgétaires pour renforcer la résilience en concrétisant l’appel du Secrétaire général de parvenir à une couverture mondiale des systèmes d’alerte précoce et en alignant l’action collective sur les données de la science et les connaissances locales et autochtones », a-t-elle dit. Mme Mami Mizutori, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU chargée de la réduction des risques de catastrophe, a demandé au « Parlement de l’humanité réuni aujourd’hui » de bâtir un avenir durable en liant gestion des risques et aide publique au développement (APD). Dans leur déclaration, les États Membres reconnaissent que l’APD destinée à la réduction des risques de catastrophe n’ayant pratiquement pas augmenté, « le fait de combler ce déficit de financement » contribuerait à les atténuer.
Les pays en développement, par la voix de plusieurs chefs de gouvernement et de ministres, ont concentré leurs déclarations sur leurs besoins financiers. Les Premiers Ministres des Tonga et du Guyana, MM. Hu’akavameiliku et Mark Phillips, ont indiqué que leurs stratégies nationales bas carbone pour renforcer à l’horizon 2030 la résilience aux changements climatiques, les mesures d’adaptation prises au sein des communautés les plus vulnérables ainsi que les dispositifs régionaux, ne suffisent pas pour répondre à l’ampleur des défis, le premier d’entre eux étant les ressources financières et techniques limitées dont ils disposent pour mettre en œuvre les mesures de réduction des risques de catastrophe. M. Philipps a rappelé qu’entre 1997 et 2017, 50% des pertes économiques liées aux changements climatiques et aux événements extrêmes avaient été enregistrées dans les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. « Or nombre de nos pays sont à revenu intermédiaire et n’ont donc pas accès aux financements à des conditions favorables pour renforcer leurs systèmes d’alerte rapide et leur résilience », a-t-il dit.
Le Ministre du développement durable de Sainte-Lucie, qui s’exprimait au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et présentait les travaux de l’Agence caraïbe pour les secours d’urgence en cas de catastrophe naturelle, a complété ces propos, appelant, comme l’a fait M. Hu’akavameiliku, à accélérer la mise en place agréée à la COP27 du fonds « pertes et dommages » pour les pays vulnérables. La Vice-Présidente de la Zambie, Mme Mutale Nalumango, leur a emboîté le pas en exhortant les États à honorer leurs engagements de mobiliser 100 millions de dollars par an pour la justice climatique, dont fait partie selon elle le Cadre de Sendai. M. Sakiasi Raisevu Ditoka, le Ministre de la gestion des risques des Fidji, en tant que Président du Forum des îles du Pacifique, a plaidé pour l’instauration de l’indicateur de vulnérabilité multidimensionnelle des Nations Unies « pour aller au-delà de la vision étriquée du PIB et élargir la mobilisation du soutien financier aux pays en développement ».
De son côté, le Commissaire européen chargé de l’aide humanitaire et de la gestion des crises a rappelé le soutien des États membres de l’Union européenne (UE) à l’initiative du Secrétaire général de l’ONU visant à atteindre une couverture universelle par les systèmes d’alerte précoce d’ici à 2027. C’est tout le sens de l’initiative CREWS (Initiative sur les systèmes d’alerte précoce aux risques climatiques), qui soutient actuellement 78 pays vulnérables, a expliqué M. Janez Lenarčič. Il a aussi, sans donner de chiffres, réaffirmé l’engagement de l’UE à continuer d’augmenter le financement pour l’adaptation et la résilience climatique « en mettant l’accent sur les pays les plus vulnérables et sur la reconstruction ». La Présidente de la Hongrie a donné comme exemple d’initiative nationale le programme Hungary Helps, qui, depuis 2017, a appuyé 300 projets de réhabilitation dans 54 pays. Mme Katalin Novák a en outre indiqué qu’elle s’était rendue en Türkiye au lendemain du séisme de février dernier, accompagnée de près de 200 spécialistes des interventions d’urgence et pour y fournir 100 tonnes de médicaments.
Le jeune rescapé turc a remercié l’ONU, les ONG et les pays ayant apporté une aide cruciale aux autorités et aux populations de la Türkiye. « Il est difficile de prévoir les catastrophes, ce qui rend d’autant plus important de s’y préparer », a-t-il témoigné, expliquant que si son immeuble ne s’est pas effondré c’est parce que son propriétaire avait respecté les règles de construction antisismiques. M. Kilinç a néanmoins rappelé que le tremblement de terre avait provoqué la destruction de 14 000 bâtiments dans les 11 provinces touchées, soit plus de 50 000 appartements, rendant titanesque l’effort de reconstruction.
Au titre de la priorité « reconstruire en mieux », la Déclaration politique souligne que les phases de relèvement, de remise en état et de reconstruction doivent permettre de réduire les risques de catastrophe et de progresser vers le développement durable. « Nous demandons instamment la poursuite des efforts visant à renforcer l’inclusion et la participation de sorte que personne ne soit laissé de côté dans la conception et la mise en œuvre des mécanismes de préparation, de riposte et de relèvement en cas de catastrophe », indiquent encore les États Membres.
À cet égard, la société civile, par la voix de Mme Mwanahamisi Singano, de l’organisation Women’s Environment & Development Organization (WEDO), a exhorté les pays à appliquer une approche prenant en compte toutes les composantes des sociétés. « Soyez aussi courageux, inclusifs et solidaires que la société civile, à pied d’œuvre sur le terrain depuis des années pour rendre à la planète sa bonne santé », a lancé Mme Singano.
La réunion de haut niveau, organisée sur deux jours, conclura ses travaux demain, vendredi 19 mai, après la tenue de quatre tables rondes multipartites interactives.