COP15: le Secrétaire général n’attend rien de moins qu’un cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 « radical », pacte de paix avec la nature
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors de la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité (COP15), à Montréal, aujourd’hui:
La nature est le meilleur ami de l’humanité. Sans elle, nous n’avons rien. Sans elle, nous ne sommes rien. La nature est ce qui nous maintient en vie. C’est elle qui nous prodigue l’air que nous respirons, la nourriture que nous mangeons, l’énergie que nous utilisons, les emplois et l’activité économique sur lesquels nous comptons, les espèces qui enrichissent la vie humaine, ainsi que les paysages terrestres et aquatiques que nous habitons.
Et pourtant, l’humanité semble vouloir à tout prix sa destruction. Nous faisons la guerre à la nature. Et si cette conférence a lieu, c’est parce qu’il est urgent de faire la paix. Parce qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas en harmonie avec la nature. On peut même dire que nous jouons une partition complètement différente.
Dans le monde entier, pendant des centaines d’années, nous avons orchestré une cacophonie du chaos, jouée avec des instruments de destruction. La déforestation et la désertification transforment des écosystèmes jadis florissants en déserts. Nos terres, nos eaux et notre air sont empoisonnés par les produits chimiques et les pesticides, et étouffés par les plastiques.
Notre dépendance aux combustibles fossiles a plongé notre climat dans un chaos qui se traduit par des canicules et des incendies de forêt, et des populations privées d’eau à cause de la chaleur et de la sécheresse ou submergées et détruites par des inondations terrifiantes.
Les modes de production et de consommation non durables font grimper en flèche les émissions et causent la dégradation de nos terres, de nos mers et de notre air. Aujourd’hui, un tiers de toutes les terres sont dégradées, ce qui rend plus difficile de nourrir une humanité en expansion. Plantes, mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons et invertébrés – ils sont tous en danger. Un million d’espèces sont au bord de l’extinction. La dégradation des océans accélère la destruction des récifs coralliens et d’autres écosystèmes marins indispensables à la vie, et a une incidence directe sur les populations dont les moyens de subsistance sont intimement liés aux océans.
Les sociétés multinationales se remplissent les poches en vidant notre monde des dons de la nature. Les écosystèmes sont devenus des jouets de profit. À cause de notre appétit sans borne pour une croissance économique effrénée et inégale, l’humanité est devenue une arme d’extinction massive. Nous jetons la nature à l’égout. Et, au bout du compte, nous nous suicidons par procuration.
Parce que la disparition de la nature et de la biodiversité a un coût humain élevé. Un coût que nous mesurons en emplois perdus, en faim, en maladies et en décès. Un coût que nous évaluons à environ 3 000 milliards de dollars de pertes annuelles à l’horizon 2030 à cause de la dégradation des écosystèmes. Un coût qui se traduit par une hausse des prix de l’eau, de la nourriture et de l’énergie. Et un coût que nous mesurons en pertes profondément injustes et incalculables pour les pays les plus pauvres, les populations autochtones, les femmes et les jeunes.
Celles et ceux qui sont les moins responsables de cette destruction sont toujours les premiers à en ressentir les effets. Mais ils ne sont jamais les derniers. Cette conférence est notre chance de mettre fin à cette orgie de destruction. De passer de la discordance à l’harmonie. Et d’agir avec une ambition à la hauteur de l’enjeu.
De cette réunion, nous n’attendons rien de moins qu’un cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 qui soit radical. Il s’agit de repousser l’apocalypse de la biodiversité en cherchant d’urgence des solutions à ses causes : les changements d’affectation des terres et des espaces maritimes, la surexploitation des espèces, les changements climatiques, la pollution et les espèces non indigènes envahissantes. Il s’agit de s’attaquer aux causes profondes de cette destruction : les subventions préjudiciables, les investissements néfastes, les systèmes alimentaires non durables et, de manière générale, les modes de consommation et de production.
Il s’agit d’étayer les autres accords mondiaux qui ont pour but de protéger notre planète : de l’Accord de Paris sur les changements climatiques aux accords sur la dégradation des terres, les forêts, les océans, les produits chimiques et la pollution qui peuvent nous rapprocher des objectifs de développement durable. Et il s’agit de définir clairement les cibles, les niveaux de référence et les responsabilités. Aucune excuse. Finis les atermoiements. Les promesses doivent être tenues. Il est temps de conclure un pacte de paix avec la nature. Il faut pour cela agir concrètement sur trois axes.
Premièrement, les gouvernements doivent élaborer des plans d’action nationaux audacieux dans tous les ministères, qu’ils soient chargés des finances, de l’alimentation, de l’énergie ou des infrastructures. Des plans visant à réorienter les subventions et les allègements fiscaux destinés aux activités qui détruisent la nature au profit de solutions vertes, comme les énergies renouvelables, la réduction des matières plastiques, la production alimentaire respectueuse de la nature et l’extraction durable des ressources. Des plans qui reconnaissent et protègent les droits des populations autochtones et des populations locales, qui ont toujours été les meilleures gardiennes de la biodiversité. Et des plans nationaux de financement en faveur de la biodiversité, pour aider à lever les fonds manquants.
Deuxièmement, le secteur privé doit admettre que le profit et la protection doivent aller de pair. Dans nos économies mondialisées, les entreprises et les investisseurs comptent sur les richesses de la nature des quatre coins du monde. Il en va de leur intérêt de protéger la nature – avant tout le reste. Cela implique que l’industrie agro-alimentaire s’oriente vers des modes de production durables et des moyens naturels de pollinisation, de lutte antiparasitaire et de fertilisation. Cela implique que les secteurs du bois, de la chimie, du bâtiment et de la construction tiennent compte de l’impact sur la nature dans leurs modèles économiques.
Cela implique que les industries biotechnologiques, pharmaceutiques et autres qui exploitent la biodiversité, partagent les bénéfices de manière juste et équitable. Cela implique des cadres réglementaires stricts et des mesures de divulgation de l’information qui mettent fin au greenwashing et tiennent le secteur privé responsable de ses actions, tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Et cela implique de s’élever contre l’incessante concentration des richesses et du pouvoir entre les mains de quelques-uns, ce qui va à l’encontre de la nature et des véritables intérêts de la majorité. Les entreprises et les investisseurs doivent être les alliés de la nature, et non des ennemis.
Et troisièmement, les pays développés doivent apporter un soutien financier aux pays du Sud, qui sont les gardiens des richesses naturelles de notre planète. Nous ne pouvons pas attendre des pays en développement qu’ils assument ce fardeau seuls. Il nous faut garantir aux pays en développement un accès plus direct, plus simple et plus rapide aux financements dont ils ont besoin. Nous ne connaissons que trop bien les obstacles bureaucratiques qui existent aujourd’hui.
Les institutions financières internationales et les banques multilatérales de développement doivent faire en sorte que leurs placements favorisent la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. La communauté mondiale que nous formons doit aider tous les pays à protéger et restaurer leurs écosystèmes après des décennies et des siècles de dégradation et de ravages.
Ces milieux naturels nous ont tant donné. L’heure est venue de rendre la pareille. La leçon la plus importante que l’on transmet aux enfants, c’est d’assumer la responsabilité de leurs actes. Quel exemple donnons-nous lorsque nous échouons à cette simple épreuve?
Je suis toujours profondément inspiré par les jeunes militants écologistes qui, partout dans le monde, appellent au changement et à l’action. Mais je suis parfaitement conscient que nous ne pouvons pas leur faire payer les pots cassés.
C’est à nous d’assumer la responsabilité des dommages que nous avons causés, et de prendre les mesures nécessaires pour les réparer. Oublions les rêveries de certains milliardaires – il n’y a pas de planète B.
C’est à nous de réparer le monde que nous avons. À nous de chérir ce merveilleux cadeau. À nous de faire la paix avec la nature. Je vous en conjure: faites ce qu’il faut. Agissez pour la nature. Agissez pour la biodiversité. Agissez pour l’humanité. Ensemble, adoptons et mettons en œuvre un cadre ambitieux – un pacte de paix avec la nature – et transmettons à nos enfants un monde meilleur: plus vert, plus bleu et plus durable.