La coopération entre l’ONU et l’Union africaine n’a jamais été aussi forte mais des défis majeurs persistent, prévient le Secrétaire général
On trouvera ci-après le discours que le Secrétaire général, M. António Guterres, a prononcé à la réunion du Conseil de sécurité sur la coopération entre l’ONU et l’Union africaine, aujourd’hui, à New York:
Merci d’organiser cette importante réunion sur la coopération entre les Nations Unies et l’Union africaine. Je souhaite également la bienvenue à mon cher ami, Monsieur Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union africaine. Je suis heureux que nous puissions saisir cette occasion pour célébrer le vingtième anniversaire de l’Union africaine.
En 2002, les dirigeants africains se sont engagés à œuvrer ensemble afin de prévenir les conflits et de promouvoir la paix, le développement, les droits humains et l’État de droit. Ils ont souhaité permettre à l’Afrique de jouer le rôle qui lui revient sur la scène internationale, et aboutir ainsi à un système de gouvernance mondiale plus juste et plus efficace.
Depuis, l’Union africaine a démontré toute sa détermination pour l’intégration, la paix et la prospérité. L’Agenda 2063 et ses initiatives phares, l’Accord de libre-échange continental et « Faire taire les armes en Afrique », ou encore le CDC Afrique, en sont les derniers exemples.
Vingt années durant lesquelles l’ONU et l’Union africaine ont développé un partenariat unique, ancré dans les principes de complémentarité, de respect et de prise en charge africaine – jusqu’à devenir une pierre angulaire du multilatéralisme.
Mon rapport annuel présente les derniers développements de cette coopération, parmi lesquels l’on compte notamment:
- Le lancement conjoint, avec la CEDEAO et le G5 Sahel, de l’Évaluation indépendante pilotée par Son Excellence Mahamadou Issoufou, afin d’améliorer l’action globale menée en matière de sécurité, de gouvernance et de développement à travers le Sahel;
- Des initiatives communes avec la CEDEAO pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel au Burkina Faso, en Guinée et au Mali;
- Un engagement soutenu en faveur d’un règlement négocié du conflit en Éthiopie, dans le cadre d’un processus de l’Union africaine;
- Une coopération étroite au Soudan, avec également l’Autorité intergouvernementale pour le développement – l’IGAD, afin de rétablir une gouvernance démocratique menée par des civils;
- Des efforts conjoints en Somalie, avec l’IGAD et d’autres partenaires, qui ont contribué au bon déroulement des élections présidentielles, au soutien des Forces de sécurité somaliennes ainsi que de la « Mission de transition de l’Union africaine en Somalie » nouvellement créée;
- Un appui continu au processus de transition au Tchad, en coopération avec l’Union africaine;
- Des campagnes conjointes de collecte d’armes à Madagascar, au Niger et en Ouganda.
Nous le voyons, notre coopération n’a jamais été aussi forte. Mais des défis tout aussi majeurs persistent. Ils ne pourront être relevés que par une approche locale et adaptée, ainsi qu’une grande détermination de la communauté internationale – y compris au sein de ce Conseil.
Premièrement – le recours à la force est trop souvent considéré comme la seule méthode de résolution de différends. Les changements inconstitutionnels de gouvernement se multiplient. Au Sahel, Daech et les affiliés d’Al-Qaida perpétuent leurs funestes attaques et cherchent à étendre leur emprise.
Dans la Corne de l’Afrique, en Éthiopie, dans l’est de la République démocratique du Congo, au Mali, au Soudan et en Libye, des conflits prolongés et une situation humanitaire désastreuse plongent les populations dans le désespoir.
La violence envers les femmes, et notamment les défenseuses des droits humains, est en hausse. Nous voyons également une augmentation de la désinformation et des discours de haine – souvent utilisées comme armes de guerre.
Conformément à la Charte des Nations Unies, à l’Acte constitutif de l’Union africaine et à l’initiative « Faire taire les armes », les États doivent développer leurs capacités à détecter et éteindre les conflits dès les premiers signes. Il est tout aussi important de s’attaquer aux déficits de gouvernance, y compris les restrictions des libertés et droits humains, qui compromettent la stabilité et le développement durable.
S’agissant des missions de paix et de sécurité, nos deux organisations ont travaillé main dans la main sur le cadre de conformité des opérations de l’Union africaine, afin de s’assurer qu’elles respectent les normes internationales de droits humains et humanitaire. Dans le même temps, le Conseil de sécurité doit garantir un financement prévisible des opérations de l’Union africaine autorisées par ce Conseil.
Comme demandé par le Conseil, nous préparons un rapport d’étape conjoint sur le financement de ces opérations qui doit être remis en avril 2023. À nous de mettre en place une architecture innovante, qui appuie les opérations de paix africaines de manière efficace et pérenne.
Deuxièmement – nous continuons de foncer tout droit vers le précipice climatique. Pour de nombreux africains, il ne s’agit pas d’une menace lointaine, mais d’une réalité quotidienne. L’Afrique contribue à peine aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pourtant, elle en subit les conséquences de plein fouet. C’est un cas d’école d’injustice morale et économique.
Dans la Corne de l’Afrique par exemple, des populations voient la famine se profiler à l’horizon, après quatre saisons des pluies consécutives ratées – du jamais vu depuis plus de 40 ans. Au Sahel, la sécheresse et la dégradation des sols exacerbent les tensions entre fermiers et éleveurs. Dans le même temps, des communautés en Afrique australe font face à des ouragans et des crues soudaines.
Je salue les États, régions et villes d’Afrique qui, malgré des conditions difficiles, prennent des mesures audacieuses pour lutter contre le dérèglement climatique. À l’approche de la COP27 qui se tiendra en Égypte le mois prochain, j’exhorte tous les dirigeants –notamment les pays du G20, qui émettent 80% des émissions de gaz à effet de serre– à enfin prendre les mesures urgentes qui s’imposent.
Les pays développés doivent aussi concrétiser les engagements déjà pris, à commencer par les promesses de fournir 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement et de doubler les montants alloués à l’adaptation. Mais la COP27 doit également aboutir à des actes concrets sur la question des pertes et dommages. Il en va non seulement de la confiance entre pays développés et en développement, mais de la survie-même de nombreux pays, particulièrement en Afrique.
Troisièmement enfin – les conditions sociales et économiques dans le monde sont une source de préoccupation majeure. La pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine, parmi d’autres facteurs, ont alimenté une crise du coût de la vie unique en son genre.
Malgré le répit apporté par l’initiative « Black Sea Grain », des millions de personnes sont confrontées à une flambée des prix alimentaires et de l’énergie, au fardeau écrasant de la dette, à l’inflation galopante et au manque d’accès aux financements. Ceci affecte le continent africain de manière particulière.
Et sans une solution à la crise de disponibilité des engrais, la récolte de l’année prochaine pourrait ne pas suffire à nourrir le monde. Nous avons travaillé sans relâche pour garantir un accès sans obstacles des engrais russes au marché international.
Une fois de plus, les plus vulnérables sont les premiers touchés. C’est inacceptable. C’est pourquoi, il y a trois semaines, j’ai appelé à un plan de relance des objectifs de développement durable, sous l’égide du G20, afin de stimuler massivement l’aide au développement.
Les institutions financières internationales et les banques multilatérales doivent faire tomber les barrières qui empêchent les pays en développement d’accéder aux financements dont ils ont besoin. Nous avons aussi besoin d’un mécanisme mondial efficace d’allégement de la dette. Plusieurs pays africains ont un urgent besoin de ce mécanisme. Un développement durable, avec le Programme 2030 et l’Agenda 2063 comme feuilles de routes, est indispensable pour s’attaquer aux causes profondes des conflits et ne laisser personne de côté.
Nelson Mandela a dit un jour: « le ressentiment, c’est comme boire du poison et espérer qu’il tuera vos ennemis ». Il y a vingt ans, les dirigeants africains ont décidé de tirer les leçons du passé et ont inspiré le monde en créant l’Union africaine: une union basée sur la coopération et la solidarité entre les peuples africains – et avec l’ambition de devenir un acteur encore plus important sur la scène internationale.
Je salue le dévouement de l’Union africaine et la persévérance de toutes celles et ceux qui œuvrent chaque jour pour un continent intégré, pacifique et prospère. J’appelle tous les dirigeants, au sein de ce Conseil, sur le continent africain et au-delà, à ne ménager aucun effort pour soutenir l’Union africaine dans la réalisation de ces objectifs.