5e séance - matin
ECOSOC/7109

L’ECOSOC révoque l’Iran de la Commission de la condition de la femme

Le Conseil économique et social (ECOSOC) a décidé, ce matin, de révoquer, avec effet immédiat, la qualité de membre de la Commission de la condition de la femme de la République islamique d’Iran pour le reste de son mandat (2022-2026).

Cette décision a été prise suite à l’adoption par 29 voix pour, 8 contre (Bolivie, Chine, Kazakhstan, Nicaragua, Nigéria, Oman, Fédération de Russie et Zimbabwe) et 16 abstentions d’une résolution (E/2023/L.4) par laquelle l’ECOSOC se déclare gravement préoccupé par les mesures prises depuis septembre 2022 par le Gouvernement de la République islamique d’Iran, qui ne cesse de porter atteinte aux droits humains des femmes et des filles, « souvent au moyen d’une force excessive et de politiques manifestement contraires aux droits humains des femmes et des filles et au mandat de la Commission de la condition de la femme ».

Au préalable, la Fédération de Russie a demandé à l’ECOSOC de consulter le Conseiller juridique des Nations Unies pour s’assurer de la conformité du projet avec les normes des Nations Unies et le règlement de l’ECOSOC.

Présentant la résolution, les États-Unis ont rappelé le sort de Mahsa Amini, décédée en détention trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs, accusée de mal porter son voile, déplorant l’inscription d’un nouveau nom sur la liste des femmes dont les droits ont été violés en Iran.  Mais cette fois-ci, les choses ne se sont pas déroulées comme par le passé.  Son histoire a été relayée dans la presse et hommes et femmes se sont soulevés pour dénoncer l’oppression de leurs droits, a indiqué la représentante qui a dénoncé les milliers de blessés et nombreux morts, notant en outre que les hommes qui manifestent dans la rue encourent la peine de mort.  Jugeant que le statut de membre de l’Iran entache la crédibilité de la Commission, et affirmant que ce pays interfèrerait avec ses travaux, rendant les votes difficiles, la représentante a exhorté à agir pour « les femmes, la vie et la liberté ».

La République islamique d’Iran a alors rappelé qu’elle avait été élue à la Commission avec 43 voix pour, qualifiant d’illégale la démarche des États-Unis et mettant en garde contre le risque de créer un précédent dangereux.  Les États-Unis ont coutume de galvauder des concepts précieux tels que les droits humains pour poursuivre des objectifs politiques illégitimes, a dénoncé la délégation iranienne, décriant le deux poids, deux mesures d’un pays qui ferme les yeux sur la violation des droits des femmes palestiniennes par Israël, ainsi que la « pression maximale » exercées à l’encontre de ceux qui refusent de s’agenouiller devant leur politique d’oppression.

Ne prenez pas l’habitude de démanteler un système qui fonctionne, a lancé la Fédération de Russie à l’intention de « nos collègues occidentaux ».

Précisant avoir demandé la mise aux voix du texte, le représentant a rappelé que l’Iran était le seul candidat du Groupe des États d’Asie-Pacifique à un siège de la Commission et qu’un nombre écrasant de membres de l’ECOSOC avait voté en sa faveur.  Fustigeant lui aussi une tentative d’exercer une pression sur un opposant politique, il a également relevé que l’ECOSOC ne s’était pas réuni pour débattre du statut des États-Unis après le meurtre de George Floyd, ni après la mort d’Ashli Babbitt, abattue à bout portant par un garde du Capitole le 6 janvier 2021.

Suite à la demande d’avis consultatif juridique de la Russie, la Présidente de l’ECOSOC a indiqué qu’une telle demande ne peut provenir que de l’ECOSOC, les États Membres pouvant en revanche formuler leur requête dans le cadre d’un projet de décision ou de résolution, précisant qu’un communiqué doit être alors adressé par écrit aux délégations au moins 24 heures à l’avance.

Soulignant que le libellé de sa demande est très simple et n’a pas besoin d’être formulé par écrit, la Fédération de Russie en a fait l’énoncé: « Le projet de décision L.4 est-il conforme au règlement intérieur des Nations Unies et notamment de l’ECOSOC? »  Le Canada a ensuite rappelé que les motions doivent être mises aux voix, suivi de la Nouvelle-Zélande qui a, elle aussi, souligné que les délégations doivent recevoir de telles demandes d’avis juridiques 24 heures à l’avance.  Il ne sera donc pas possible de voter aujourd’hui, a-t-elle constaté, tout en notant que rien n’empêche les délégations de se prononcer aujourd’hui sur la résolution L.4.

Précisant que l’article 54 du règlement intérieur de l’ECOSOC stipule qu’un délai de 24 heures doit être respecté pour l’examen de toute demande d’avis à moins que l’ECOSOC n’en décide autrement, la Présidente de l’ECOSOC a mis aux voix la demande de levée de ce préavis.  Celle-ci a été rejetée par 26 voix contre, 12 pour et 11 abstentions.

Avant la mise aux voix de la résolution L.4, l’Australie, qui a lu le nom de plusieurs femmes iraniennes « qui ont payé de leur vie le courage de réclamer le respect de leurs droits », a jugé inacceptable que l’Iran, « pays qui méprise les droits des femmes et jeunes filles », puisse continuer de siéger à la Commission, tout en reconnaissant la nature inédite de la résolution.  Une position appuyée par le Guatemala ainsi que le Panama pour qui les actions de l’Iran ne sont pas compatibles avec le mandat de cet organe.

Voter oui permettra de demander à l’Iran de rendre des comptes et de se tenir aux côtés des femmes et jeunes filles iraniennes, a renchéri le Libéria, le Royaume-Uni notant pour sa part que cette semaine, l’Iran a intensifié son oppression contre les femmes et les filles, dénonçant en outre l’exécution de personnes qui exerçaient leurs droits de réunion pacifique.  Les femmes iraniennes se battent non seulement pour leurs droits mais aussi pour la libération de la société iranienne dans son ensemble, a abondé la Macédoine du Nord, déplorant une « plongée dans les ténèbres politiques » en Iran.

Le régime iranien est l’incarnation du mal, tout comme le régime hitlérien dans le passé, a déclaré à son tour Israël.  Ce régime ne doit plus faire partie de la communauté internationale et l’Iran n’aurait jamais dû accéder à cette Commission, a estimé la délégation qui a par ailleurs appelé à ne pas établir d’accord nucléaire avec des États voyous.

Les femmes d’Iran méritent notre réponse en leur faveur et non pas en faveur de la discrimination, de la cruauté et de l’abus des droits humains, a souligné le Canada qui s’est aligné avec ceux qui estiment que la présence de l’Iran sape la crédibilité de la Commission, tout comme la Nouvelle-Zélande pour qui la détérioration des droits des femmes et des filles justifie cette action extraordinaire.  L’Albanie a appelé pour sa part à mettre immédiatement fin à la répression, relevant que plus de 400 manifestants pacifiques ont été tués en Iran.

Le Venezuela s’est toutefois inquiété du risque de précédent dangereux que la résolution crée en politisant le mandat de la Commission.  Empêcher les États de participer aux instances de l’ONU sur un pied d’égalité risque de provoquer un effondrement du système, a averti la délégation.  Le Brésil a également jugé préférable de maintenir l’Iran dans la Commission afin de laisser la place au dialogue et lui demander des comptes.

La Chine a regretté la présentation d’un texte mal intentionné, sans aucun fondement juridique, et qui a été imposé aux membres de l’ECOSOC, son auteur s’étant opposé à toute négociation.  Outre la création d’un précédent dangereux, ce texte risque d’intensifier les griefs et l’escalade en Iran, a mis en garde la délégation, décriant une politisation et une tentative d’ingérence.

Rappelant que 43 membres ont voté en faveur de l’adhésion de l’Iran à la Commission, le Pakistan a dénoncé une politique à géométrie variable notant que dans sa région, certains pays considérés comme des partenaires stratégiques ne sont jamais inquiétés malgré les violations qu’ils commettent.  L’agenda des droits humains serait mieux servi par des échanges et le dialogue, a-t-il soutenu.  La République arabe syrienne a souligné que l’Iran a été élue de manière démocratique avec l’appui du groupe géographique concerné, tandis que le Bélarus s’est interrogé sur l’objectif d’une résolution qui attise la confrontation.

À l’issue de l’adoption du projet de résolution, plusieurs des États abstentionnistes sont intervenus pour expliquer leur position, à l’instar de l’Indonésie qui a déploré l’impossibilité d’avoir pu discuter au préalable de cette résolution « manichéenne ».  Au lieu de renforcer le système, nous avons affaibli le multilatéralisme, a regretté la délégation.  Une telle révocation n’encourage pas le dialogue, ni la coopération, a renchéri le Mexique selon qui un siège vide au sein de la Commission ne contribuera pas à améliorer la situation des femmes dans le monde.

De son côté, le Nigéria a expliqué avoir voté contre la résolution en raison de manquements procéduraux, qualifiant en outre de contre-productive la révocation de l’Iran.  Voter contre le texte ne revient pas à voter pour le mal, a appuyé la délégation qui s’est opposée à la manipulation politique et au chantage, tout en appelant l’Iran à prendre des mesures pour mettre un terme à la répression et à la brutalité.

Le Chili a estimé au contraire que le maintien de l’Iran au sein de la Commission serait un « contre-sens » et a affirmé que le vote ne crée pas de précédent, évoquant lui aussi une situation exceptionnelle.  Dans des circonstances normales, une résolution de ce genre ferait l’objet d’un débat au sein de la Commission, mais vu la situation exceptionnelle actuelle, nous avons voté pour, a fait savoir la Colombie qui a espéré que l’adoption du texte servira de coup de semonce.  L’Argentine a salué l’importance du message envoyé à l’adresse des autorités iraniennes.

Abondant dans ce sens, l’Union européenne, par la voix de la République tchèque, a dénoncé dans les termes les plus vifs les actions de l’Iran, notamment les exécutions de deux manifestants, et a appelé à ce que les responsables de la mort de Mahsa Amini répondent de leurs actes, exhortant en outre les autorités à mettre un terme à la peine de mort et aux détentions préventives qui servent à bâillonner les défenseurs des droits humains.

Les principes et règles de l’ONU ont été la cible d’une attaque des États-Unis, a dénoncé la République islamique d’Iran qui est intervenue de nouveau avant la levée de la séance.  Assurant défendre les droits des femmes et des jeunes filles, elle a rejeté toutes les accusations formulées par les États-Unis et l’Union européenne, pointant les crimes racistes qui y sont commis, et dénonçant le sort réservé aux peuples autochtones du Canada, de même que l’assassinat d’une journaliste par Israël.

La prochaine réunion de l’ECOSOC sera annoncée dans le Journal des Nations Unies.

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