Conseil de sécurité: Les technologies numériques présentent autant de défis que d’opportunités en matière de paix et de sécurité
Les technologies numériques ont profondément transformé toutes les facettes de nos sociétés, présentant autant de défis que d’opportunités, y compris en matière de paix et de sécurité, ont convenu, ce matin, les membres du Conseil de sécurité lors d’une séance organisée par les États-Unis, qui en assurent la présidence pour le mois de mai. À cette occasion, la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques a mis en exergue le potentiel que de telles technologies recèlent dans le cadre des opérations de paix de l’ONU, dans un contexte où les acteurs non étatiques s’en servent aussi pour porter atteinte à la sûreté des personnels déployés sur le terrain.
Mme Rosemary DiCarlo a ainsi fait valoir le lancement de la Stratégie pour la transformation numérique du maintien de la paix des Nations Unies, qui représente une étape essentielle vers une mise en œuvre plus efficace des mandats que leur confie le Conseil, en renforçant notamment les capacités d’alerte précoce. La haute fonctionnaire a fait également valoir qu’au Yémen, la Mission des Nations Unies en appui à l’Accord sur Hodeïda (MINUAAH), a utilisé divers outils de cartographie, d’information géographique et de technologie satellitaire pour améliorer sa surveillance du cessez-le-feu dans cette province.
En outre, dans le cadre de diverses négociations de paix, l’ONU a recouru à des dialogues numériques assistés par intelligence artificielle pour toucher des milliers d’interlocuteurs, afin d’entendre leurs points de vue et priorités, a encore relevé Mme DiCarlo, en citant notamment des groupes traditionnellement exclus, comme les femmes. Conscients de la nécessité de libérer le potentiel de la technologie pour faire progresser la paix et la sécurité, les États-Unis ont rappelé qu’ils ont, le 28 avril dernier, rendu public la Déclaration pour le futur de l’Internet, conjointement signée par 60 pays, pour revitaliser une « vision démocratique » de l’Internet dans le monde.
Cependant, a reconnu la Secrétaire générale adjointe, les progrès technologiques peuvent aussi altérer la dynamique des conflits pour le pire, le nombre d’incidents impliquant leur utilisation malveillante à des fins politiques ou militaires, parrainés par des États ou non, ayant presque quadruplé depuis 2015. Professeur au Centre d’études sur la paix et la sécurité internationales de l’Université McGill, M. Dirk Druet a indiqué qu’au Myanmar par exemple, l’incitation incontrôlée à la violence sur Facebook et l’existence d’algorithmes qui « élèvent le profil » d’idées extrêmes ont contribué à la violence génocidaire contre les Rohingya. De même en Éthiopie, où une rhétorique incendiaire sur les réseaux sociaux est allée jusqu’à inciter à la violence ethnique, a précisé de son côté Mme DiCarlo.
La Directrice d’Advox, Mme Nanjala Nyabola, pour qui les droits numériques sont des « droits humains », a considéré que tout effort pour relever ces défis doit commencer par la protection de chacun contre les excès de pouvoir de l’État et des entreprises privées. Aussi s’est-elle alarmée de voir que les entités étatiques et non étatiques utilisent de plus en plus de mégadonnées, dont des données biométriques de demandeurs d’asile. « En 2021, 182 fermetures d’Internet ont été documentées dans 34 pays, dont la plus longue dure depuis plus de trois ans », a-t-elle fait observer, en dénonçant aussi la multiplication à travers le monde de législations interdisant aux personnes de participer aux débats publics sur Internet, pour museler journalistes et voix dissidentes.
« Nulle part, cela n’est plus évident que dans la guerre de choix que mène la Russie contre l’Ukraine », ont accusé les États-Unis, rejoints par l’Albanie, la France et le Royaume-Uni. « Le Gouvernement russe continue de couper, de restreindre et de détériorer la connectivité Internet, de censurer des contenus, de diffuser de la désinformation en ligne, d’intimider et d’arrêter des journalistes pour avoir fait la lumière sur son invasion », a poursuivi la représentante américaine.
Des propos rejetés en bloc par la Fédération de Russie, qui a livré sa version des faits: ces dernières années, toute une « armée de pseudo-enquêteurs » est apparue parmi les ONG internationales qui mènent des enquêtes biaisées, générant et reproduisant de nombreuses informations « fausses » et non confirmées provenant de sources ouvertes pour dénigrer les États répréhensibles « aux yeux de l’Occident », désireux d’imposer un « cybertotalitarisme » conforme à sa vision du monde.
Exemple emblématique d’un travestissement de la vérité selon la délégation russe: l’incident meurtrier de Boutcha, en Ukraine, prêté à l’armée russe et promu par les médias occidentaux « sur ordre » de leurs gouvernements. Le Royaume-Uni a rétorqué que l’imagerie satellite avait prouvé que les corps étaient là depuis plus de trois semaines, période pendant laquelle précisément les forces russes occupaient toujours la ville.
S’inquiétant en outre des liens entre les technologies numériques et le terrorisme, l’Inde a estimé que l’utilisation abusive de l’intelligence artificielle (IA) et de l’impression 3D à diverses fins terroristes exige l’attention immédiate du Conseil de sécurité, relevant en outre que l’émergence de nouvelles technologies financières telles que les monnaies virtuelles, les méthodes de collecte de fonds en ligne, les jetons non fongibles et les plateformes de financement participatif ont permis aux entités terroristes de collecter et transférer des fonds en échappant aux systèmes de surveillance.
« Nous sommes dans un état hobbesien en ce qui concerne l’utilisation de la technologie par des acteurs non étatiques surpuissants. L’inaction n’est pas une option: car en l’absence de réglementation, nous ne faisons qu’encourager la prolifération », ont prévenu les Émirats arabes unis.
MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES
Technologie et sécurité
Déclarations
Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, a rappelé que les technologies numériques ont profondément transformé toutes les facettes de nos sociétés, en offrant des opportunités illimitées pour le développement durable, ou l’inclusion. Les réseaux sociaux, par exemple, ont transformé la défense des droits humains et l’action humanitaire en permettant de mobiliser rapidement et efficacement des personnes du monde entier autour de questions nécessitant une action urgente. Ils ont également ouvert de nouvelles possibilités en matière de paix et de sécurité, les progrès technologiques ayant amélioré notre capacité à détecter les crises, à mieux prépositionner les stocks humanitaires de l’ONU et à concevoir des programmes de consolidation de la paix fondés sur des données.
Illustrant son propos, elle a notamment indiqué qu’au Yémen, la Mission des Nations Unies en appui à l’Accord sur Hodeïda (MINUAAH) a utilisé divers outils de cartographie, d’information géographique et de technologie satellitaire pour améliorer sa surveillance du cessez-le-feu dans la province. Les nouvelles technologies peuvent en outre être bénéfiques pour soutenir les processus politiques, notamment pour promouvoir l’inclusion. « Dans le cadre de diverses négociations de paix, nous avons utilisé des dialogues numériques assistés par intelligence artificielle pour atteindre des milliers d’interlocuteurs, afin d’entendre leurs points de vue et leurs priorités », a relevé la haute fonctionnaire, en citant notamment des groupes traditionnellement exclus, comme les femmes.
L’utilisation des technologies numériques peut également améliorer la sûreté et la sécurité des soldats de la paix et du personnel civil de l’ONU sur le terrain. Le lancement de la Stratégie pour la transformation numérique du maintien de la paix des Nations Unies représente une étape essentielle vers cet objectif, et vers une mise en œuvre plus efficace des mandats, en augmentant les capacités d’alerte précoce, s’est encore félicitée la Secrétaire générale adjointe.
Cependant, les progrès technologiques ont également créé de nouveaux risques importants et peuvent affecter la dynamique des conflits pour le pire. Selon certaines estimations, le nombre d’incidents d’utilisation malveillante des technologies numériques à des fins politiques ou militaires, parrainés par des États ou non, a presque quadruplé depuis 2015. L’activité ciblant les infrastructures qui fournissent des services publics essentiels, comme les organismes de santé et humanitaires, est particulièrement préoccupante, s’est alarmée Mme DiCarlo. Parallèlement, les armes autonomes létales soulèvent des questions morales concernant la responsabilité humaine dans l’utilisation de la force.
En outre, les acteurs non étatiques sont de plus en plus habiles dans le recours aux technologies numériques peu coûteuses et largement répandues pour poursuivre leurs objectifs. Des groupes comme Daech et Al-Qaida restent actifs sur les réseaux sociaux et recourent à des plateformes et à des applications de messagerie pour diffuser des informations et communiquer avec leurs adeptes à des fins de recrutement, de planification et de collecte de fonds. Et la disponibilité croissante des méthodes de paiement numériques telles que les cryptomonnaies présente des défis supplémentaires. En outre, les technologies numériques ont soulevé des préoccupations majeures en matière de droits de la personne, avec des systèmes d’intelligence artificielle qui peuvent être discriminatoires et cibler des communautés ou des individus.
La Secrétaire générale adjointe s’est dite également préoccupée par le recours croissant aux coupures d’Internet, y compris dans les situations de conflit actif. Au Myanmar, par exemple, le nombre et la durée des coupures d’Internet et de téléphonie mobile ont augmenté depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, en particulier dans les zones d’opérations militaires. Les réseaux sociaux peuvent également alimenter la polarisation et, parfois, la violence. L’utilisation abusive des réseaux sociaux et la réponse parfois limitée ou inadéquate des plateformes facilite la propagation de la désinformation, de la radicalisation, du racisme et de la misogynie, a dénoncé Mme DiCarlo. Ainsi, en Éthiopie, alors que les combats s’intensifiaient, on a constaté une hausse alarmante des messages sur les réseaux sociaux diffusant une rhétorique incendiaire, certains allant jusqu’à inciter à la violence ethnique, comme l’a reconnu le Conseil de sécurité le 5 novembre 2021 dans une déclaration à la presse.
Dans ce contexte, l’ONU prend un certain nombre de mesures pour atténuer ces risques, sous l’impulsion de la Stratégie et du Plan d’action des Nations Unies pour la lutte contre les discours de haine et d’initiatives telles que Verified. Et par l’intermédiaire de l’Assemblée générale, les États Membres ont réalisé des progrès importants dans l’élaboration d’un cadre normatif visant à garantir des comportements responsables sur Internet. Dans son rapport intitulé Notre programme commun, le Secrétaire général a appelé à l’élaboration d’un Pacte numérique mondial qui définirait des principes communs pour un « avenir numérique ouvert, libre et sûr pour tous ». Mais l’action collective des États Membres reste essentielle pour atteindre cet objectif, a exhorté Mme DiCarlo en conclusion.
Mme NANJALA NYABOLA, Directrice d’Advox, le projet des droits numériques de Global Voices, a déclaré que l’expansion du numérique ne s’est pas accompagnée de mesures et d’engagements à protéger des risques liés à ces technologies. Elle a mis l’accent sur les principaux défis posés par la numérisation, tout en mettant en garde contre toute velléité à militariser la sécurité de l’Internet. L’Internet est une innovation très importance et doit être préservé comme un bien public mondial, a souligné Mme Nyabola, tout en reconnaissant que des menaces que l’on ignorait jusqu’à maintenant ont commencé à se concrétiser. À ses yeux, les droits numériques sont des droits humains, et tout effort pour relever ces défis doit d’abord commencer par la protection de chacun contre les excès de pouvoir de l’État et des entreprises privées.
Poursuivant, la panéliste a indiqué que les entités étatiques et non étatiques utilisent de plus en plus de mégadonnées, y compris des données biométriques de demandeurs d’asile. En 2021, l’Organisation Access Now a documenté 182 fermetures d’Internet dans 34 pays, dont la plus longue dure depuis plus de trois ans. Elle a également fait état d’une augmentation des fermetures de réseaux sociaux, notamment en période pré-électorale. En outre, les femmes ont toujours plus de problèmes d’accès à Internet, y compris les filles pendant la pandémie lorsque que l’éducation se faisait principalement en ligne. De même, Mme Nyabola a regretté l’insuffisance des investissements dans certains pays, y compris dans des pays riches, pour rendre l’Internet accessible aux personnes handicapées ou dans les langues autochtones.
Mme Nyabola s’est également inquiétée de l’augmentation des législations interdisant aux personnes de participer aux débats publics sur Internet. Ces lois ont des définitions très larges et sont souvent utilisées en premier lieu contre des journalistes et des critiques de l’État, a relevé l’intervenante qui s’est également préoccupée de la propagation de la désinformation sur les réseaux sociaux notamment en raison de la prépondérance de la publicité sur Internet. Toutes ces pratiques font qu’il est difficile de parvenir à la paix parce que les personnes ne sont pas d’accord sur les causes des conflits en fonction des informations qu’elles reçoivent. L’intervenante a également mis en garde contre l’exportation de technologies qui permettent de renforcer l’autoritarisme. Les défis auxquels est confronté l’Internet ne sont pas uniquement d’ordre national, a-t-elle souligné, mais aussi transnationaux précisément en raison des transferts de technologies.
La Directrice d’Advox a ensuite appelé le Conseil de sécurité à souligner que les droits numériques sont des droits humains et à insister sur l’impératif de veiller à ce que l’Internet demeure un bien public pour tous. « Il faut protéger les futures générations », a-t-elle déclaré en appelant à se poser la question de savoir si nous voulons plus ou moins de gouvernance de l’Internet. Quel rôle les sociétés privées devraient-elles jouer? Comment équilibrer notre volonté de progrès technique avec notre volonté d’un usage holistique et équitable? Pour Mme Nyabola, l’ONU peut utiliser son pouvoir de mobilisation inégalé pour favoriser le soutien à la préservation de l’Internet en tant que bien public mondial, discuter de stratégies pour réaliser cette ambition, et veiller à l’intégration « rétroactive et proactive » des droits humains dans les technologies numériques. Ella a aussi appelé à l’élaboration d’un accord sur les normes relatives aux droits humains pour assurer un avenir numérique libre, sûr et juste, pour les générations présentes et futures. Alors que nous nous dirigeons vers un avenir numérique injuste, il est encore temps d’ajuster la trajectoire et pour le Conseil d’agir, a conclu la représentante de la société civile.
M. DIRK DRUET, professeur au Centre d’études sur la paix et la sécurité internationales de l’Université McGill et chercheur invité de l’Institut international pour la paix, a indiqué qu’au Myanmar, il a été bien documenté que l’incitation incontrôlée à la violence sur Facebook et l’existence d’algorithmes qui « élèvent le profil » d’idées extrêmes ont contribué à la violence génocidaire perpétrée contre les Rohingya. Il a aussi expliqué que dans certains contextes, les populations sont particulièrement vulnérables à la mésinformation et à la désinformation, notamment en République centrafricaine, où l’absence d’une culture professionnelle journalistique traditionnelle et d’une infrastructure médiatique laisse la population presque exclusivement dépendante des médias sociaux pour s’informer.
L’intervenant a également indiqué que lors de la crise des migrants provoquée par le conflit en Syrie, et plus récemment lors du conflit en Ukraine, il y a eu de sérieuses préoccupations concernant le consentement éclairé pour la collecte et la gestion des données biométriques, y compris par l’ONU. Il s’est aussi inquiété des campagnes de désinformation à l’encontre des missions de l’ONU en République centrafricaine et au Mali, avertissant de leurs répercussions sur la capacité de l’ONU d’atteindre les populations dans le besoin et les relations avec les parties au processus de paix. Mais les technologies numériques permettent également d’améliorer la mise en œuvre des mandats, notamment en Somalie où les opérations de paix utilisent des technologies de traitement du langage naturel pour acquérir une compréhension nuancée des perceptions locales et du discours politique national.
Pour M. Druet, l’accès à des informations précises peut de plus en plus être considéré comme un droit humain dans les situations de guerre de l’information. Notant que l’ONU a un rôle à jouer comme vecteur d’informations fiables, il a jugé pertinent d’examiner comment les bonnes pratiques pourraient être mises à profit pour informer plus largement les sociétés. Il a aussi invité les opérations de paix de l’ONU à renforcer considérablement leurs capacités de suivi et d’analyse des informations, de réagir et d’anticiper les communications malveillantes.
En outre, il a estimé que l’ONU a besoin de nouvelles capacités dans les domaines de la sensibilisation, du renseignement et de l’analyse des données pour la planification stratégique des OMP, ainsi que pour faciliter les dialogues et la médiation. Il a souligné que le recours à ces outils est corrélé à des éléments éthiques et juridiques complexes avant d’inviter le Conseil de sécurité à reconnaître que les opérations de l’ONU sont distinctes de celles des États Membres dans leurs intérêts et leurs responsabilités en ce qui concerne l’utilisation de technologies dans les situations de conflit.
Il a exhorté le Secrétariat à développer ses propres outils, politiques et procédures qui tiennent compte de la nature distincte de l’ONU en tant qu’utilisateur de ces technologies. Il a salué les travaux en cours au Département des opérations de paix pour enrichir ses politiques sur le suivi et la surveillance, ainsi que l’initiative Global Pulse pour déployer une politique de confidentialité des données dans tout le système. Il a aussi appelé à un examen des limites de la capacité de l’ONU à protéger les informations individuelles sensibles contre les intrusions des acteurs étatiques et non étatiques, notamment en marge de récoltes de données biométriques effectuées dans le cadre d’opérations humanitaires. De même, il a suggéré l’élaboration d’orientations supplémentaires sur la manière dont l’ONU partage des informations avec des forces armées, y compris les forces militaires parallèles, les autorités hôtes et les acteurs du droit international, conformément à la politique de diligence raisonnable en matière de droits humains.
Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a estimé que le Conseil de sécurité a la possibilité d’exploiter la puissance et l’immense potentiel de la technologie numérique pour faire progresser la paix et la sécurité. Mais il doit également relever un défi urgent, à savoir la manière dont les technologies numériques sont utilisées à mauvais escient pour restreindre les droits humains et alimenter les conflits. Entre les mains d’acteurs étatiques, et dans certains cas d’acteurs non étatiques, ces technologies sont utilisées pour couper l’accès à l’information, réprimer la liberté d’expression et désinformer, avec pour effet d’intensifier les conflits et de fragiliser les valeurs fondamentales de la Charte des Nations Unies.
« Cela n’est nulle part plus évident que dans la guerre de choix que mène la Russie contre l’Ukraine », a accusé la représentante américaine. Le Gouvernement russe continue de couper, de restreindre et de détériorer la connectivité Internet, de censurer des contenus, de diffuser de la désinformation en ligne, d’intimider et d’arrêter des journalistes pour avoir fait la lumière sur son invasion, a ajouté Mme Thomas-Greenfield. Parallèlement, des acteurs non étatiques, notamment des terroristes et des extrémistes violents, utilisent des plateformes de communication en ligne pour recruter, radicaliser et mobiliser en faveur de la violence. C’est la raison pour laquelle les États-Unis œuvrent avec la société civile, le secteur privé et d’autres parties prenantes pour promouvoir l’effort international destiné à faire de la technologie numérique une « force positive du changement ».
Elle a dénoncé le recours à des fermetures partielles ou totales d’Internet, à la censure et à d’autres tactiques visant à empêcher l’exercice de la liberté d’expression en ligne. Conscient que les outils de surveillance et autres technologies à double usage peuvent être utilisés pour menacer les défenseurs des droits humains et d’autres personnes, elle a fait savoir que Washington recourt aux contrôles à l’exportation pour tenir pour responsables les entreprises qui développent, se livrent au commerce illicite ou utilisent des logiciels espions et autres technologies qui permettent cette activité malveillante. Nous devons également saisir les occasions de libérer le potentiel latent de la technologie pour faire progresser la paix et la sécurité, a-t-elle plaidé. Ainsi, le mois dernier, un groupe de 60 partenaires mondiaux a lancé la Déclaration pour le futur de l’Internet afin de revitaliser une vision démocratique de l’Internet mondial.
M. FERIT HOXHA (Albanie) a indiqué qu’Internet ne devrait pas être une arme mais un bien public mondial. Il a insisté sur les menaces que posent les nouvelles technologies telles que la surveillance de masse ou leur utilisation malveillante par certains États qui continuent de déformer la réalité et de s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres États au moyen de ces technologies. Le droit international doit s’appliquer dans le cyberespace, a insisté le représentant. Il a dénoncé les actions malveillantes de la Russie, telles que des attaques cybernétiques commises en Ukraine mais aussi dans les Balkans occidentaux. La République populaire démocratique de Corée use aussi de ces moyens, a-t-il noté. En conclusion, le délégué a plaidé pour une coopération internationale responsable dans le domaine des nouvelles technologies afin qu’elles puissent bénéficier à tous.
M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) a déclaré que les technologies numériques sont d’abord une opportunité pour la paix et la sécurité internationales et contribuent en outre à la sécurité des Casques bleus et à la performance des opérations, notamment pour améliorer la protection des civils. En facilitant la circulation de l’information, les technologies contribuent aussi à la lutte contre l’impunité, comme l’illustrent la couverture médiatique et le renseignement en source ouverte dans le contexte du conflit en Ukraine, a-t-il observé.
Le représentant s’est cependant inquiété de la prolifération des usages malveillants des technologies, avant de condamner en particulier la cyberattaque conduite par la Russie contre un réseau de satellites une heure avant l’invasion de l’Ukraine dans l’objectif de faciliter son agression. Il a aussi condamné les activités cyber malveillantes de la « Corée du Nord » consistant à voler des informations sensibles et des cryptomonnaies pour contribuer à leurs programmes nucléaire et balistique, ainsi que l’usage croissant des cryptomonnaies pour le financement du terrorisme. De même, le délégué a condamné les campagnes de désinformation massive en cours en République centrafricaine et au Mali, indiquant que la France a récemment déjoué une tentative de manipulation de l’information par les mercenaires du groupe Wagner. Il a expliqué que cet exemple montre la menace que représentent les stratégies hybrides qui cherchent à brouiller la frontière entre acteur étatique et non étatique. Il a ensuite fait savoir qu’avec un groupe de 60 pays, la France promeut l’établissement au sein des Nations Unies d’un programme d’action visant à augmenter la capacité des États de mettre en œuvre les normes agréés dans le domaine cyber et à renforcer la résilience des réseaux.
M. T. S. TIRUMURTI (Inde) a insisté sur la nécessité de lutter contre l’utilisation abusive des technologies numériques par les groupes terroristes pour diffuser leurs idéologies, inciter à la violence et recruter la prochaine génération d’acteurs terroristes en profitant de la présence accrue des jeunes en ligne. L’habilité des groupes terroristes à utiliser des salles de chat, le dark Web et d’autres sites à accès restreint et non réglementé ne fait que souligner le besoin croissant de réglementer les contenus incendiaires en ligne. Il a également exigé que les instigateurs soient tenus pour responsables des actes terroristes au même titre que ceux qui les commettent. C’est essentiel lorsque l’on considère le terrorisme dans le domaine cybernétique, a-t-il tranché. Le représentant a aussi relevé que l’émergence de nouvelles technologies financières telles que les monnaies virtuelles, les méthodes de collecte de fonds en ligne, les jetons non fongibles et les plateformes de financement participatif, ainsi que l’anonymat qu’elles offrent, ont permis aux entités terroristes de collecter et transférer des fonds en échappant aux systèmes de surveillance. L’utilisation abusive de l’intelligence artificielle (IA) et de l’impression 3D à diverses fins terroristes exige également l’attention immédiate du Conseil de sécurité et de la communauté internationale, a-t-il estimé.
M. Tirumurti a également reproché à « certains États » de tirer parti de leur expertise dans le domaine numérique pour atteindre leurs objectifs politiques et sécuritaires et se livrer à des formes contemporaines de terrorisme transfrontalier, notamment en attaquant des infrastructures nationales critiques, y compris des installations de santé et d’énergie. Les sociétés ouvertes, « y compris les démocraties comme la nôtre », ont été particulièrement vulnérables à ces menaces et campagnes de désinformation. En outre, l’utilisation de l’apprentissage automatique et des mégadonnées a le potentiel d’accroître la létalité de tels actes, constituant ainsi une menace considérable pour la paix et la sécurité internationales. La communauté internationale doit éviter le deux poids, deux mesures lorsqu’il s’agit de faire face à ces menaces, a-t-il exigé. Enfin, le représentant a souligné le besoin d’adopter une approche collaborative fondée sur des règles pour assurer l’ouverture, la stabilité et la sécurité de l’espace numérique, y compris en promouvant un accès équitable aux technologies numériques et à ses avantages. La dépendance numérique croissante dans l’ère post-COVID-19 a exacerbé les risques et exposé les inégalités numériques, a relevé M. Tirumurti. Celles-ci doivent être comblées par le renforcement des capacités et les transferts de technologie.
M. ZHANG JUN (Chine) a déclaré que l’innovation est fondamentale pour l’économie mondiale et le progrès social. La technologie est le bien commun de l’humanité, a-t-il ajouté, en dénonçant la fracture numérique. Il a invité le Conseil à user de nouvelles technologies notamment pour appuyer la prévention des crises et les systèmes d’alerte précoce. La communauté internationale doit défendre le concept de technologie pour le bien commun de l’humanité et refuser toute course aux armements dans le cyberespace, a-t-il insisté.
Poursuivant, le représentant a affirmé que certains pays ont politisé la question des nouvelles technologies. Ils ont en effet imposé des blocus technologiques contre certains États et font obstacle à la coopération dans ce domaine, a déclaré le délégué, en y voyant là une « mentalité de guerre froide ». Ces pays doivent cesser leurs attaques infondées contre les entreprises technologiques d’autres pays et cesser de nourrir les tensions dans certaines zones géographiques. Il a dit son opposition à l’utilisation des nouvelles technologies pour détruire des infrastructures critiques avant de faire part de l’engagement de son pays à protéger le droit d’accès des pays en développement à ces technologies aux fins de développement pacifique.
M. MICHAEL KAPKIAI KIBOINO (Kenya) a déclaré qu’il revient au Conseil de sécurité de veiller à ce que l’ONU dispose de la capacité et l’expertise nécessaires pour aider les pays à faire face aux conséquences de la révolution numérique sur leurs citoyens et leur stabilité nationale, citant notamment l’utilisation abusive de l’intelligence artificielle (IA), des mégadonnées et des médias sociaux. Il a jugé important d’« apprécier » le lien entre les technologies numériques et la paix, notamment durant les transitions politiques et des processus électoraux. Il faut appuyer davantage les gouvernements pour leur permettre de répondre au lien entre la cybersécurité et la sécurité de leur systèmes électoraux, notamment dans les situations de conflit.
Le représentant a également insisté sur l’importance des partenariats entre le secteur privé et les législateurs, conseillant notamment aux entreprises technologiques d’ouvrir des pôles régionaux pour mieux aider les gouvernements à faire face aux désinformations et aux algorithmes nuisibles. S’inquiétant en outre des liens entre les technologies numériques et le terrorisme, le délégué a jugé nécessaire de veiller à ce que les États disposent des capacités nécessaires pour atténuer la menace terroriste en ligne, renforcer les compétences d’enquête, collaborer à la réduction du taux de radicalisation en ligne et des flux financiers illicites et supprimer des contenus extrémistes en ligne. Enfin, il a estimé que la responsabilité gouvernementale en matière d’accessibilité à Internet doit inclure la protection de ceux qui utilisent les médias sociaux.
M. JUAN GÓMEZ ROBLEDO VERDUZCO (Mexique) a convenu de la nécessité de rechercher des solutions innovantes aux défis actuels du maintien de la paix, notamment par le renforcement des capacités en matière de technologie numérique, notant que son utilisation peut contribuer à l’alerte précoce, à la détection des menaces émergentes, à la prévention des crises humanitaires et des violations des droits humains, ainsi qu’au renforcement des mesures nécessaires à la protection et à l’assistance de la population et des infrastructures civiles. Il a estimé que les nouvelles technologies sont particulièrement prometteuses dans des domaines tels que l’assistance médicale, notamment la fourniture de soins de santé mentale et de soins psychosociaux.
Le représentant a ensuite relevé que la mise en œuvre complète de la Stratégie pour la transformation numérique du maintien de la paix des Nations Unies, nécessitera une plus grande coordination entre le système des Nations Unies et les acteurs sur le terrain, ainsi qu’une coopération avec les organisations régionales, le secteur privé, la société civile et le monde universitaire. Il a fait savoir que lors de la dernière conférence ministérielle sur les opérations de paix, le Mexique a souscrit à l’initiative promue par la République de Corée sur le renforcement des capacités technologiques et médicales dans le domaine du maintien de la paix. Il a également jugé nécessaire de travailler dans une perspective de genre dans les domaines de la technologie et de la sécurité afin de continuer à promouvoir la participation pleine, égale et effective des femmes au maintien de la paix.
M. HAROLD ADLAI AGYEMAN (Ghana) a souligné l’apport des technologies numériques aux efforts de consolidation de la paix, avant de détailler les menaces qu’elles peuvent aussi représenter pour l’unité des sociétés notamment. Il a dénoncé les utilisations malveillantes de ces technologies par des groupes terroristes et appelé au renforcement des capacités des pays les plus vulnérables pour y faire face. Le délégué a aussi souhaité la mise en place de politiques nationales pour contrer de telles menaces. Les États doivent respecter le droit international dans la collecte et l’utilisation des données numériques, a-t-il poursuivi, avant d’appeler à la pleine mise en œuvre de la Convention de Budapest. Enfin, le représentant du Ghana a appelé à la pleine mobilisation des femmes et des jeunes pour maximiser les incidences positives des nouvelles technologies dans le domaine du maintien de la paix.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a remarqué que pendant l’épidémie de COVID-19, c’est grâce aux technologies de l’information et des communications (TIC) qu’il a été possible de sauver des emplois et que les services que l’État fournit à la population ont presque tous été numérisés, y compris le fonctionnement des hôpitaux, du secteur financier, des écoles et d’autres institutions critiques pour la société. Mais, a reconnu le représentant, l’utilisation des TIC comme une « force inconditionnelle pour le bien » ne s’est pas réalisée car elles ont commencé à être utilisées pour atteindre des objectifs géopolitiques et imposer l’hégémonie. Ces dernières années, la manipulation de l’information a pris des proportions alarmantes: toute une armée de pseudo-enquêteurs est apparue parmi les ONG qui, à la demande des gouvernements occidentaux, mènent des enquêtes biaisées, générant et reproduisant de nombreuses informations « fausses » et non confirmées provenant de sources ouvertes pour dénigrer les États répréhensibles aux yeux de l’Occident, a accusé le représentant en citant notamment les Casques blancs et le site Bellingcat.
La vérité est supplantée par un flux intense de « spams » informatifs et idéologiquement chargés afin de ne pas donner au public la moindre chance de se faire une idée objective de ce qui se passe. Un exemple flagrant est, selon lui, l’incident relatif à la mort de civils à Boutcha, en Ukraine, qui a été imputé à l’armée russe et promu par les médias occidentaux sur ordre de leurs gouvernements. Tous les faits et preuves objectifs ont été étouffés par eux; à la place, des « faux » purs et simples ont été promus, a dénoncé le représentant russe. Mais sous la pression des faits, même les médias occidentaux ont été contraints d’admettre que les civils de Boutcha n’étaient pas morts de blessures par balle, mais d’obus d’artillerie d’un type obsolète, qui ont été utilisés par les forces armées ukrainiennes lors du bombardement de cette ville. Dommage que les délégations occidentales, qui ont tant crié au « massacre de Boutcha », préfèrent désormais timidement éviter cet épisode, a-t-il ironisé.
Ces derniers mois, le travail du collectif occidental « Ministère de la vérité » a atteint son paroxysme. Une campagne de désinformation et de manipulation de l’opinion publique sans précédent a été lancée contre la Russie, a poursuivi le représentant. Les médias occidentaux, qui brillaient autrefois d’objectivité, se sont finalement transformés en porte-parole d’une grossière propagande étatique. Les plateformes numériques ne cachent plus leur partisanerie politique, bloquant tout compte dont le contenu ne rentre pas dans l’agenda dicté par les élites occidentales. La société Meta a même explicitement autorisé les discours de haine et les appels à la violence contre les Russes, a affirmé le délégué. Les États qui se disent « communauté des démocraties » construisent en réalité un véritable cybertotalitarisme et veulent créer un monde dans lequel eux seuls contrôleront complètement le flux d’informations, détermineront ce qui est vrai et ce que le public devrait lire et voir. Tout point de vue alternatif est immédiatement qualifié de « désinformation et de propagande », et les faits gênants sont balayés d’un revers de main. Les chaînes de télévision russes sont interdites d’émission, les journalistes russes sont expulsés, l’accès aux sites Web russes est bloqué. C’est ce que vous appelez la liberté d’accès à l’information? s’est-il indigné.
Accusant « Kiev » d’avoir ouvertement annoncé la création d’une cyberarmée qui a admis avoir commis des cyberattaques contre des cibles russes et bélarusses, le représentant a reproché aux « sponsors occidentaux du régime de Kiev » d’avoir délibérément nourri cette armée de hackers, sans penser aux conséquences. Dans le même temps, en avril, Washington a annoncé une récompense de 10 millions de dollars pour quiconque pourrait aider à justifier la théorie selon laquelle les services de renseignement russes auraient été impliqués dans des cyberattaques contre les États-Unis. Nos appels répétés à résoudre les problèmes via les services compétents ont été ignorés, a regretté le représentant. Il a fait état d’une distribution incontrôlée d’armes cybernétiques et de leurs méthodes d’utilisation par l’Occident en Ukraine. Selon Zelenskyy, il y a plus de 300 000 « combattants » dans sa « cyberarmée », a souligné le représentant. Ce n’est pas une armée régulière, et les experts sont bien conscients de la difficulté de traquer l’activité des hackers qui vont se propager partout dans le monde, créant une menace pour les citoyens des pays occidentaux également, a mis en garde le représentant, alertant que les cyberattaques contre des infrastructures critiques peuvent engendrer une cyberconfrontation qui impliquera également d’autres pays.
Il a ensuite rappelé que la Russie, en 1998, a été la première à soulever le sujet de la sécurité internationale de l’information à l’ONU et qu’elle a proposé depuis des projets spécifiques pour un ensemble de règles pour un comportement responsable dans ce domaine, reprochant aux pays occidentaux de refuser d’y donner suite tout en élaborant le « cynique » Manuel de Tallinn sur l’application du droit international dans l’espace de l’information, qui réglemente en détail comment mener « humainement » une « cyberguerre ».
Alors, lequel d’entre nous s’est-il préparé à la cyberguerre pendant toutes ces années? a-t-il demandé: la Russie, qui a appelé à l’interdiction de l’utilisation des TIC à des fins militaro-politiques, ou les pays occidentaux, qui ont rejeté à maintes reprises toutes ces initiatives afin de se laisser une « marge de manœuvre » complète dans l’espace de l'information? Aujourd’hui plus que jamais, il existe une demande de conversation professionnelle visant à développer des solutions pratiques spécifiques. Notre devoir est de soutenir cette volonté, quel que soit le « climat » politique, a-t-il dit en souhaitant une discussion dépolitisée sur tous les aspects de la fourniture d’information sur une plateforme spécialisée sous les auspices de l’Assemblée générale.
Mme LANA ZAKI NUSSEIBEH (Émirats arabes unis) a souligné que les groupes terroristes et extrémistes ne doivent pas être autorisés à utiliser Internet pour disséminer leurs agendas et manipuler les réseaux sociaux et leurs milliards d’utilisateurs. Elle a notamment appelé à accélérer les efforts de renforcement des cadres réglementaires et législatifs visant à protéger les internautes des contenus terroristes et extrémistes, et à s’attaquer en outre aux effets pernicieux des campagnes de désinformation en ligne, qui mettent en danger les Casques bleus et les travailleurs humanitaires. Elle a recommandé de réfléchir à la possibilité de créer un « emblème numérique » pour signaler clairement que les acteurs médicaux et humanitaires ne doivent jamais être pris pour cible, en ligne comme hors ligne.
La représentante a ensuite fait savoir que le 3 mars 2020, le « groupe terroriste houthiste » a utilisé un « bateau-drone » télécommandé chargé d’explosifs pour attaquer un pétrolier au large des côtes du Yémen. Si elle avait réussi, l’attaque aurait eu des effets dévastateurs non seulement sur le pétrolier et son équipage, mais aussi sur l’environnement, sur les voies d’approvisionnement mondiales et sur les communautés locales le long de la côte yéménite qui dépendent de la mer pour leur subsistance. « Nous sommes dans un état hobbesien en ce qui concerne l’utilisation de la technologie par des acteurs non étatiques surpuissants. L’inaction n’est pas une option: car en l’absence de réglementation, nous ne faisons qu’encourager la prolifération », a prévenu la représentante.
M. GEORGE DE OLIVEIRA MARQUES (Brésil) a souligné la nécessité de combler le fossé numérique et déploré l’utilisation malveillante des technologies du numérique par certains États et acteurs non étatiques. La Charte des Nations Unies s’applique dans le cyberespace, a dit le délégué, en appelant aussi au respect du droit international humanitaire. Il a aussi plaidé pour un comportement responsable des États dans le cyberespace. Face à la menace de la désinformation, le délégué a plaidé pour une coopération entre les États et les entreprises du numérique et pour une sensibilisation du grand public. La coopération internationale a permis d’identifier les menaces posées par les acteurs non étatiques. Enfin, le délégué a invité les opérations de paix onusiennes à user des nouvelles technologies pour une meilleure application de leurs mandats et pour une lutte renforcée contre la désinformation.
M. MICHEL XAVIER BIANG (Gabon) a jugé crucial que les forces de maintien de la paix puissent disposer des outils technologiques à la hauteur des nouveaux défis. Il a jugé nécessaire d’encourager l’innovation et le progrès technologiques sur le terrain et de maximiser le potentiel des technologies en vue d’améliorer la capacité des missions de paix à s’acquitter efficacement de leurs mandats. Il faut aussi permettre aux opérations de paix de détecter, d’analyser et de traiter les menaces contre les civils, les soldats de la paix et les missions humanitaires et politiques de manière opportune. Il a appuyé la Stratégie des Nations Unies pour la transformation numérique des opérations de maintien de la paix ainsi que la Stratégie et le Plan d’action des Nations Unies contre le discours de haine. Il a appelé au renforcement de la coopération triangulaire qui est essentielle, entre autres, à la mise en œuvre de la résolution 2518 (2020) relative à la sureté et à la sécurité des soldats de la paix. Enfin, le représentant du Gabon a souligné l’importance d’une mobilisation à l’échelle internationale, régionale et nationale en vue de parvenir à une gouvernance optimale de l’espace numérique et du progrès technologique, pour en faire un réel catalyseur des mandats des missions de paix de l’ONU et des instruments d’envergure au service de la paix et de la sécurité internationales.
Mme MONA JUUL (Norvège) a estimé que les technologies numériques émergentes présentent autant d’opportunités que de défis. Et lorsqu’elles sont utilisées à des fins malveillantes, il ne fait aucun doute qu’elles peuvent constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales, a-t-elle reconnu. Aussi devons-nous coopérer avec tous ceux qui développent et utilisent ces technologies, y compris avec le monde universitaire et les organisations non gouvernementales, car elles peuvent contribuer à promouvoir l’inclusion dans les processus de prise de décision en permettant l’accès de groupes traditionnellement exclus, tels que les femmes et les minorités. Mais la désinformation reste également un défi dans de nombreux domaines, notamment pour les missions de maintien de la paix de l’ONU. Par exemple, lorsque de fausses informations sont diffusées pour créer un environnement plus hostile au sein des communautés que les soldats de la paix de l’ONU ont pour mission d’aider, a relevé la représentante. Pour sa délégation, la meilleure défense contre la désinformation reste cependant un secteur des médias libre, indépendant et professionnel. Soutenir des médias indépendants et pluralistes, et garantir la sécurité des journalistes, peut donc également contribuer à réduire les tensions et à prévenir les conflits, a-t-elle ajouté.
M. JAMES PAUL ROSCOE (Royaume-Uni) a indiqué que la technologie peut jouer un rôle dans la prévention de l’éclatement d’un conflit, raison pour laquelle le Royaume-Uni coopère avec l’industrie pour développer des modèles de prévention des conflits basés sur l’intelligence artificielle. Il a également mis en exergue le fait que pendant un conflit, une connaissance précise de la situation est essentielle pour les missions de maintien de la paix de l’ONU. Le Royaume-Uni a aidé l’ONU à développer et à intégrer le renseignement dans le maintien de la paix et, aux côtés de partenaires tels que l’Inde, à mettre en œuvre les plateformes technologiques comme SAGE et UNITE Aware pour renforcer la sûreté et la sécurité des soldats de la paix.
Il a constaté que les médias sociaux permettent aux gens de dire au reste du monde ce qu’ils vivent dans les zones de conflit. Cela signifie que la vérité –y compris les preuves d’atrocités de masse ou de violations du droit international humanitaire– ne peut plus être cachée. Malheureusement, certains États tentent de cacher la vérité en bloquant l’accès aux médias sociaux ou aux sites de médias indépendants, a-t-il déploré, en rappelant que l’année dernière la junte militaire a bloqué l’accès à Internet au Myanmar. Les régimes autoritaires utilisent également la technologie de surveillance pour persécuter leurs citoyens, et la technologie peut aussi être utilisée par ceux qui cherchent à déstabiliser, a-t-il poursuivi, arguant que cela est particulièrement vrai dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il a accusé la Russie d’avoir mené des cyberattaques et diffusé de la désinformation sur leur guerre illégale. Mais, « heureusement », la technologie peut aussi nous aider à lutter contre la désinformation, puisque lorsque la Russie a tenté d’affirmer que les corps des victimes gisant dans les rues de Boutcha étaient une « provocation mise en scène » par l’Ukraine, l’imagerie satellite a prouvé que les corps étaient là depuis plus de trois semaines, période pendant laquelle les forces russes tenaient toujours la ville. Le représentant a ensuite appelé à travailler avec les organisations de la société civile, le secteur privé et les communautés, pour réaliser les avantages et contrer les risques associés aux technologies numériques. Il faut également que le Conseil veille à ce que les cadres existants et le droit international restent les principes directeurs.
M. BRIAN PATRICK FLYNN (Irlande) a dénoncé les cyberattaques, la cybercriminalité et les abus de la technologie qui visent à propager la désinformation. Il a déclaré que les médias contrôlés par l’État russe ont cultivé la désinformation dans le but de créer un prétexte à sa guerre injustifiée en Ukraine, avant de citer aussi le recours abusif des nouvelles technologies pour opprimer les défenseurs des droits humains au Myanmar ou propager la haine en Éthiopie. Dans de nombreux autres cas, les nouvelles technologies sont utilisées à mauvais escient pour menacer la sécurité et l’intégrité des États, cibler des infrastructures, s’ingérer dans les processus démocratiques et entraver les droits humains, mettant ainsi en danger la paix et la sécurité internationales, a-t-il prévenu.
Néanmoins, le représentant a reconnu le potentiel des médias pour encourager des processus de paix, notamment en Colombie et en Libye, en facilitant la participation des femmes, des jeunes et des minorités. Il a aussi salué le potentiel de ces technologies en termes de renforcement des capacités et de la confiance. Il a estimé que la mise en œuvre de la Stratégie pour la transformation numérique du maintien de la paix des Nations Unies est un élément essentiel pour garantir la liberté d’expression et l’accès à l’information, qui sont des piliers essentiels à la promotion d’une paix durable. Il a vivement encouragé la Commission de consolidation de la paix à prendre en compte l’impact des technologies numériques, à la fois positif et négatif, dans ses discussions et ses conseils.
Reprenant la parole, la représentante des États-Unis a regretté les attaques sans fondement propagées par la Russie dans le but d’alimenter la désinformation. Elle a indiqué qu’elle ne s’aventurerait pas sur le terrain des théories du complot de la Russie, faisant part de son intention de travailler avec d’autres membres du Conseil pour poursuivre ces conversations importantes.