Dixième Conférence d’examen du TNP,
13e séance – après-midi
CD/3850

La dixième Conférence d’examen du TNP s’est achevée sans adopter de document final substantiel, faute de consensus

Après quatre semaines de travaux, la dixième Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) s’est achevée vendredi soir sans parvenir à s’accorder sur des conclusions et recommandations de fond, du fait de l’opposition de la Russie à un document de synthèse présenté par la présidence, dont l’adoption requérait un consensus.  C’est la deuxième conférence d’examen de suite, après celle de 2015, qui ne parvient pas à produire un document final substantiel et de nombreuses délégations ont déploré cet échec, tout en affirmant qu’il ne remettait pas en cause le contenu du traité lui-même, ni les acquis des précédentes conférences d’examen.  La prochaine conférence d’examen se tiendra en 2026.

Entamée tardivement après plusieurs reports et une suspension, la séance de clôture a été marquée par l’opposition de la Fédération de Russie au projet de rapport final* présenté par le Président de la Conférence, M. Gustavo Zlauvinel (Argentine).  Le texte, a expliqué ce dernier, représentait « le meilleur effort que j’ai pu accomplir pour répondre aux divergences entre États parties qui m’ont été communiquées, notamment lors des consultations, au cours de cette conférence d’examen », avant d’ajouter: « Malheureusement, je n’ai été informé que des objections spécifiques d’un État partie aujourd’hui à la mi-journée.  Par conséquent, à ce stade avancé de la procédure, elles n’ont pas pu être prises en compte dans le cadre de ce projet ». 

Défendant son texte, M. Zlauvinel a expliqué qu’il s’était « efforcé de concilier les positions exprimées de manière équitable et équilibrée, afin d’aboutir à un résultat qui, selon moi, devrait faire consensus ».  Il a reconnu qu’il ne « s’agit pas d’un document parfait, ou qui contient tout ce que souhaitaient toutes les délégations », mais s’est justifié par le fait que « nous nous trouvons à un moment de l’histoire où notre monde est de plus en plus déchiré par des conflits et, plus alarmant encore, par la perspective toujours plus grande de l’impensable - la guerre nucléaire.  Dans un tel moment, il est impératif que nous cherchions à amplifier ce qui nous unit, et non ce qui nous divise.  Nous voulons tous parvenir à un monde sans armes, éviter les conflits régionaux dangereux et voir la réalisation des objectifs de développement durable.  J’espère sincèrement que le projet de document et, ce qui est peut-être plus important, la mise en œuvre complète et rapide des engagements qu’il contient, pourront nous aider à nous rapprocher de tous les objectifs que je viens de mentionner ».

Le représentant de la Fédération de Russie a alors demandé la parole pour expliquer qu’il n’y avait « pas de consensus » et que son pays avait des « objections sur des points clefs qui ont une dimension politique et sont connus de tous ».  Il a expliqué que ces objections portaient sur « cinq paragraphes » d’un texte qui en contenait plus de 140 et proposé « non de les supprimer, mais de les amender ».  Le représentant n’a pas cité les paragraphes.  Sans citer la Fédération de Russie, cinq des paragraphes du projet de document faisaient mention de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia.

S’il a été le seul à se prononcer ouvertement contre le projet de document final, empêchant ainsi son adoption, le représentant de la Fédération de Russie, dans sa déclaration finale, a insisté à plusieurs reprises sur le fait que son pays n’était pas le seul à critiquer le texte.  « Personne n’est satisfait de la teneur du document », a-t-il affirmé, le jugeant « faible sur le fond ».  Il n’aurait pas été réaliste de s’attendre à un document ambitieux et tournée vers l’avenir, a poursuivi le représentant, mais le texte « aurait pu, a minima, refléter la réaction des États parties face aux facteurs et événements survenus lors du cycle d’examen et qui ont eu une incidence importante sur les trois piliers du TNP.  Or, a ajouté le représentant, « ces sept dernières années, il y a eu beaucoup d’événements de ce type, qui auront de incidences lors du prochain cycle d’examen ».  Il a notamment cité « la coopération plus étroite sur les plans militaire et technique entre des pays non dotés et leurs partenaires stratégiques dotés de l’arme nucléaire », le fait que « des pays non dotés participent à des missions nucléaires conjointes », ainsi que « le fait que les membres de l’OTAN soient d’accord pour utiliser l’arme nucléaire » et que des armes nucléaires soient aujourd’hui déployées dans des pays non dotés de l’Alliance.  

Pour la Fédération de Russie, le rapport ne pouvait être adopté en raison de « divergences irréconciliables » entre les positions des différents États.  Le consensus n’est pas une fin en soi, a affirmé le représentant, pour qui un « document qui ne satisfait aucun des États parties » était « susceptible d’avoir des effets encore plus négatifs » que l’absence de tout document.  Le représentant a dénoncé par ailleurs une « prise en otage » de la Conférence « par l’Ukraine et ses parrains », qu’il a accusés d’avoir multiplié tout au long de la Conférence les « déclarations anti-russes, politisées, engagées, injustifiées et mensongères sur la situation en Ukraine » et qu’il a rendus « entièrement responsables de l’absence de résultats positifs ». 

De fait, parmi la trentaine de délégations qui ont pris la parole pour des déclarations de clôture, certaines s’en sont vivement pris à la Fédération de Russie pour son invasion de l’Ukraine.  Dans une déclaration conjointe lue par le représentant de la France, une quarantaine de pays, dont ceux de l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Norvège, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la République de Corée, l’Ukraine et la Türkiye, ont de nouveau condamné « la guerre d’agression injustifiable et ne faisant suite à aucune provocation ». 

Ces pays, qui rappellent « leur attachement au TNP », déplorent « la rhétorique nucléaire dangereuse de la Fédération de Russie, ses actions ainsi que ses déclarations provocatrices sur le relèvement de ses niveaux d’alerte nucléaire », jugées « incompatibles » avec la Déclaration conjointe des chefs d’État et de gouvernement des cinq États dotés au sens du TNP publiée début janvier.  Ils condamnent les actions de la Russie « menées au mépris total de ses obligations et de ses engagements internationaux et en violation des garanties de sécurité qu’elle a accordées à l’Ukraine au titre du Mémorandum de Budapest de 1994, dans le contexte de l’adhésion de l’Ukraine au TNP en tant qu’État non doté ».  Ils se disent en outre vivement préoccupés par la menace grave qui pèse sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires ukrainiennes « du fait de leur saisie ou d’autres actions menées par les forces armées russes, qui augmentent de manière significative le risque d’accident ou d’incident nucléaire » et « exigent de la Russie qu’elle retire immédiatement ses forces armées de l’Ukraine et rende le contrôle total de la centrale nucléaire de Zaporijia et de toutes les installations nucléaires situées à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de l’Ukraine aux autorité ukrainiennes.

Individuellement, plusieurs de ces même pays ont insisté sur le fait qu’« un seul État, la Russie », s’est opposé au consensus.  La représentante de l’Ukraine y a vu la démonstration de « l’isolement » de la Fédération de Russie, ajoutant: « Nous ne sommes pas seuls dans notre combat pour la survie. » 

La Fédération de Russie avait insisté sur le désaccord d’autres pays à l’encontre du projet de document final.  Dans leurs déclarations finales, plusieurs pays ou groupes se sont effectivement montrés critiques. 

Le représentant de Cuba a ainsi déploré un manque de volonté politique pour progresser dans différents domaines, notamment celui du désarmement nucléaire, comme le demandaient l’ensemble des États membres du Mouvement des pays non alignés qui sont parties au TNP.  Dénonçant la faiblesse de contenu du projet de document final relative à ce pilier du Traité, il a estimé que son adoption n’aurait pas permis de réduire la menace des armes nucléaires.  

La même critique a été formulée par le représentant du Saint-Siège, qui a appelé à « ne pas surestimer ce qu’aurait donné un consensus » sur le projet de document final.  À ses yeux, celui -ci comportait de « graves faiblesses », ne contenait pas d’engagements significatifs en faveur du désarmement nucléaire, « rien d’ambitieux ou de nouveau pour réduire la dépendance à la dissuasion nucléaire », ni rien d’ambitieux non plus pour traiter les conséquences humanitaires et environnementales d’une détonation nucléaire.

Au nom des sept États membres de la Coalition pour un nouvel ordre du jour (NAC), le représentant de l’Égypte a expliqué que le groupe se serait joint au consensus « quoiqu’avec réticence », en reprochant, comme d’autres, au projet de document final de ne pas rétablir l’équilibre prévu à l’article VI du Traité, qualifié de « grand compromis entre désarmement nucléaire et obligations de non-prolifération ».  Le NAC rappelle que l’article VI du TNP prévoit une obligation positive de poursuivre, quelles que soient les circonstances, les négociations de désarmement nucléaire, ce dernier étant « une obligation juridique en plus d’un impératif moral ».  

De manière générale, et tout en prenant en compte un « environnement sécuritaire marqué par une méfiance très profonde entre puissances nucléaires », les États non dotés ont été nombreux à reprocher aux États dotés un manque de volonté pour progresser vers le désarmement, y compris pour offrir aux États non dotés des garanties de non-utilisation, que les seconds voudraient voir inscrites dans un traité juridiquement contraignant.  « Nous allons continuer à vivre dans la peur de l’utilisation des armes nucléaires », a ainsi dénoncé le représentant de la Sierra Leone, qui a constaté que ces armes restaient partie de la politique et stratégie de défense des État nucléaires.  « Mais pourquoi en ont-ils besoin?  Pourquoi? » s’est interrogée la représentante de l’Afrique du Sud, reprenant une formule de Nelson Mandela.

De nombreux intervenants se sont aussi interrogés sur les conséquences de ce nouvel échec des États parties au TNP à adopter un document final substantiel, sept ans après la première déconvenue de 2015.  Peu de délégations ont toutefois utilisé le terme d’« échec » et celles qui l’ont fait –Fédération de Russie, Suisse, Afrique du Sud– l’ont fait pour rejeter le mot ou en amoindrir la portée. 

Ainsi, le représentant russe a dit ne pas partager l’avis de ceux pour qui l’absence de document final représenterait un échec de l’ensemble du cycle d’examen, avec potentiellement des effets sur la viabilité du Traité.  Le rapport n’a pas été adopté mais tout le monde a discuté, a-t-il fait valoir, rappelant que les délégations avaient « discuté en profondeur de toute une gamme de questions » sur lesquelles des compromis sont aujourd’hui nécessaires, comme la création de la zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient ou le renforcement de la coopération nucléaire pacifique.  Cet ensemble de discussion forme, pour la Russie, un « travail extrêmement précieux qui constitue une base solide pour continuer de travailler après la Conférence ». 

L’opposition de la seule Russie, « qui tente de blâmer tout le monde sauf elle-même » pour l’absence de document final, ne réduit pas à rien les quatre semaines écoulées, a commenté le représentant du Royaume-Uni, pour qui il « reste plus d’unité que de division » même si « beaucoup de désaccords existants ont été exacerbés par la guerre illégale de la Russie ».  Document final ou pas, le TNP restera la « pierre angulaire » du système international de désarmement et de non-prolifération nucléaires, a-t-il ajouté.  

Les États-Unis, qui « entendent appliquer pleinement leurs obligations au titre de l’article VI », ont fait le même constat: « Nous avons plus de points d’accord que de zones de désaccord ».  Ils ont incité à travailler dans d’autres domaines, comme la condamnation des essais nucléaires de la RPDC, la garantie d’accès aux installations nucléaires civiles et le soutien au travail de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).  « Nous avons tous besoins du TNP », a conclu le représentant américain. 

L’Union européenne s’est elle aussi voulu rassurante, rappelant que les mesures contraignantes contenues dans le TNP ou adoptées lors des conférences d’examen successives restent valables, « y compris le système de garanties généralisées de l’AIEA, qui continuera d’être un élément fondamental du régime de non-prolifération ».  L’Union européenne s’est engagée à « ne pas lésiner sur les moyens pour continuer de promouvoir l’application du TNP et d’œuvrer à son universalisation ». 

Le représentant du Saint-Siège a rappelé que, sans document nouveau, le régime international de désarmement nucléaire et de non-prolifération n’était « pourtant pas sans direction », citant la déclaration du P5 de janvier par laquelle les dirigeants des cinq États dotés répétaient qu’une guerre nucléaire « ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée ».  Il a toutefois jugé qu’il « était temps de prendre des mesures en ce sens ».  À l’origine de plusieurs initiatives de désarmement nucléaire, la Suède a jugé « plus important que jamais » de protéger l’intégrité du traité dans un environnement jugé « difficile ».

Quant à la Chine, qui a « profondément regretté » l’absence d’accord, elle a estimé que la Conférence d’examen avait permis de « mieux comprendre les changements survenus dans la situation internationale depuis sept ans » et y a vu un « exercice très utile du multilatéralisme ».  Constatant le début d’un nouveau cycle, le représentant a appelé à travailler pour défendre le régime de non-prolifération avec le TNP comme pierre angulaire.

Le Président de la Conférence d’examen a résumé ces propos dans sa déclaration finale.  Parlant de « l’impact très négatif du contexte international », M. Zlauvinel a néanmoins mis en avant la « volonté politique de négocier dans un esprit de bonne foi ».  S’il a dit son « profond regret de ne pas être parvenu à un consensus », il a estimé que, « malgré les grandes différences de position qui étaient évidentes », les délégations avaient, durant quatre semaines, « réitéré l’importance du TNP et la nécessité de conserver sa crédibilité ».  Mais, a-t-il toutefois averti, pour conserver cette crédibilité, les États parties doivent respecter les obligations du Traité et les engagements pris lors des conférences d’examen antérieures.

Les États parties au TNP se sont entendus pour que la prochaine conférence d’examen se tienne en 2026, après trois sessions du Comité préparatoire, respectivement en 2023 à Vienne, en 2024 à Genève et en 2025 à New York.  Les conférences d’examen se tiennent en principe tous les cinq ans.  En raison de la pandémie de COVID-19, la dixième Conférence, initialement prévue au printemps 2020, avait dû être reportée à plusieurs reprises.  La tenue dans quatre ans de la onzième Conférence d’examen permettra de compenser en partie le retard de calendrier accusé lors de la dixième Conférence.  Comme l’a fait remarquer le Président de la Conférence, Il n’y aura donc pas de césure entre la fin de cycle actuel et le début du prochain. 

Les États parties sont également convenus de mettre en place un groupe de travail sur le renforcement du processus d’examen, ouvert à tous les États parties, qui sera chargé « d’examiner et de faire des recommandations au Comité préparatoire de la onzième Conférence d’examen sur les mesures qui amélioreraient l’efficacité, l’efficience, la transparence, la responsabilité, la coordination et la continuité du processus d’examen du Traité »

* NPT/CONF.2020/CRP.1/Revision.2, en anglais seulement

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