La Troisième Commission clôture son examen des droits humains en se penchant sur des violations telles que le « pauvrisme » et le « domicide »
La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a clôturé aujourd’hui son examen de la promotion et de la protection des droits humains en dialoguant avec six titulaires de mandat. Les délégations ont pu débattre avec eux des violations que subissent des droits fondamentaux, relatifs entre autres à l’alimentation, au logement, à l’expression et à l’orientation sexuelle, et se pencher sur de nouveaux concepts comme le « pauvrisme », discrimination frappant les personnes pauvres, et le « domicide », pratique consistant à détruire délibérément des habitations dans le but de causer des souffrances humaines.
Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a donné le ton de cette séance en avertissant que la hausse mondiale des prix de l’énergie et de l’alimentation, combinée aux impacts de la pandémie de COVID-19, précipiteront 75 à 95 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté en 2022. Dans ce contexte, M. Olivier de Schutter a dénoncé une montée du « pauvrisme », ces attitudes et comportements négatifs à l’égard des personnes vivant dans la pauvreté, estimant que s’il n’est pas combattu, ce fléau limitera considérablement l’accès des personnes en situation de pauvreté à l’emploi, au logement, aux soins de santé, à l’éducation et à la protection sociale.
Le pauvrisme est tellement ancré dans les esprits et les institutions que la seule façon d’avancer est de le rendre illégal, à l’instar du racisme ou du sexisme, a recommandé le Rapporteur spécial. Tout en se félicitant qu’un nombre croissant de pays identifient désormais l’origine sociale ou la propriété parmi les causes possibles de traitement différentiel, M. de Schutter a regretté que cette approche antidiscriminatoire soit encore rarement utilisée par les tribunaux ou les avocats qui conseillent les victimes. Il a donc pressé les législateurs à aller plus loin, encourageant des politiques de discrimination positive fondée sur la classe sociale.
Présentant son rapport dédié aux situations de conflit, le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard a, de son côté, défini le concept de « domicide ». M. Balakrishnan Rajagopal s’est pour cela appuyé sur l’exemple de la Syrie, où un tiers des maisons ont été partiellement ou totalement détruites au cours du conflit en cours, évoquant aussi les 200 villages rohingya incendiés ou détruits au bulldozer au Myanmar et la ville ukrainienne de Marioupol, rasée à 90% par les frappes russes.
M. Rajagopal a rappelé que le droit international humanitaire et le droit international pénal permettent de poursuivre la destruction de logements et les expulsions forcées en tant que crime de guerre, crime contre l’humanité ou génocide. Pourtant, l’impunité reste la norme plutôt que l’exception, a-t-il déploré, soulignant que le domicide est bien plus qu’une simple atteinte aux droits au domicile ou à la propriété « car il déclenche un effet domino sur d'autres droits humains ». Le Rapporteur a, par conséquent, appelé à reconnaître le domicide comme un crime international ou un crime contre l’humanité à part entière. « Combien d’Alep, de Sanaa et de Marioupol allons-nous continuer à accepter ? », s’est-il écrié.
Plaçant lui aussi son rapport dans le contexte des situations de conflit, l’expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre a plaidé pour l’inclusion des personnes LGBT dans le programme pour les femmes et la paix et la sécurité des Nations Unies. De l’avis de M. Victor Madrigal-Borloz, les « imaginaires sociaux et culturels » alimentent les agressions, rendant le recours à la violence contre les communautés LGBT utile pour faire avancer les intérêts des acteurs de conflits armés. Il s’est réjoui que cette « instrumentalisation des préjugés » ait été examinée par la Commission de la vérité en Colombie pour répertorier les différents types de violence dirigés contre des personnes LGBT pendant le conflit long d’un demi-siècle.
Le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation a, pour sa part, centré son rapport sur l’impact de la pandémie sur la sécurité alimentaire. Regrettant l’absence d’un plan d’action mondial piloté par les gouvernements pour faire face à la crise alimentaire, M. Michael Fakhri a appelé à la rédaction d’une résolution robuste s’appuyant sur ses recommandations à cet égard. Il a d’autre part demandé aux États de ne pas mettre fin aux programmes d’aide adoptés pendant la pandémie, qui ont démontré qu’il était possible de réaliser le droit à l’alimentation.
Le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a, lui, exhorté les États à traiter les mouvements sociaux comme des partenaires. M. Clement Nyaletsossi Voule leur a ainsi demandé de s’abstenir d’imposer des restrictions aux associations, qu’elles soient enregistrées ou non. Au lieu d’attaquer les membres des mouvements sociaux, les États devraient plutôt les impliquer dans l’élaboration de lois, promouvoir leur travail en faveur des droits et garantir leur droit d’accès aux financements, a-t-il soutenu, plaidant en outre pour une liberté de mouvement maximale.
Pour finir, la Rapporteuse spéciale sur l'élimination de la discrimination à l'égard des personnes touchées par la lèpre et des membres de leur famille a souhaité que les individus atteints de cette maladie infectieuse soient officiellement considérés comme des personnes handicapées. À cette fin, Mme Alice Cruz a enjoint les États Membres à reconnaître que ces personnes peuvent prétendre aux droits prévus par la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
La Troisième Commission reprendra ses travaux lundi 31 octobre, à partir de 10 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS
Déclarations liminaires suivies de dialogues interactifs
Exposé
M. BALAKRISHNAN RAJAGOPAL, Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard, a présenté son rapport porte sur la prévention des violations du droit à un logement convenable pendant les conflits. Il a indiqué que des violations massives du droit à un logement convenable se produisent durant et après un conflit violent, dénonçant le bombardement et les attaques lancés contre les domiciles, la destruction de villes et de villages entiers et le déplacement de millions de personnes. Il a également relevé que l’urbanisation de la guerre avait intensifié la destruction des maisons liée aux conflits.
Il a défini le concept de « domicide »: la destruction massive et délibérée d’habitations dans le but de causer des souffrances humaines. Un tiers des maisons en République arabe syrienne auraient été ainsi partiellement ou totalement détruites au cours des années de conflit, a indiqué le Rapporteur qui a ajouté que 200 villages rohynga avaient été incendiés ou détruits au bulldozer au Myanmar et que 90% des immeubles de Marioupol, en Ukraine avaient été détruits ou endommagés. Mais ces violations se produisent aussi par l’intermédiaire de la bureaucratie, par exemple lorsque certaines autorités obligent une population vivant sous occupation à démolir ses propres maisons, a-t-il précisé.
Le Rapporteur a souligné que le droit international humanitaire interdit clairement d’attaquer et de détruire toute habitation civile tant qu'elle n’est pas devenue un objectif militaire légitime. Il a également appelé tous les États membres à signer la déclaration politique sur le renforcement de la protection des civils contre les conséquences humanitaires de l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées, qui sera officiellement adoptée le 18 novembre 2022 à Dublin, en Irlande. Il est possible d’interdire les mines terrestres et les munitions à fragmentation par le biais d’accords internationaux, d’autant qu’il n'y a aucune excuse pour que les États n’interdisent pas l’utilisation d’armes explosives qui tuent et mutilent chaque année des centaines de milliers de civils dans nos villes, a-t-il ajouté.
Poursuivant, le Rapporteur spécial a indiqué que le domicide peut être étroitement lié au génocide, lorsque la destruction d’habitation vise à détruire une population précise, comme en Bosnie-Herzégovine ou au Rwanda, et également constituer un crime contre l'humanité. Le droit international humanitaire et pénal actuel offre d’ailleurs déjà plusieurs possibilités de poursuivre la destruction de logements et les expulsions forcées, soit en tant que crime de guerre, soit en tant crime contre l’humanité, de même qu’en tant que crime de génocide. Pourtant dans les faits, l’impunité est la norme plutôt que l’exception, a-t-il déploré, soulignant que le domicide est bien plus qu’une simple intrusion dans le droit au domicile ou dans les droits de propriété d’une personne, car il déclenche un effet domino sur d'autres droits humains. Le Rapporteur a ensuite appelé à reconnaître le domicide comme un crime international ou un crime contre l’humanité à part entière. « Combien d’Alep, de Sanaa et de Marioupol allons-nous continuer à accepter? », s’est ému M. Rajagopal en concluant.
Dialogue interactif
Réagissant les premiers à cet exposé, les États-Unis se sont émus des violations du droit au logement que subissent les Ukrainiens dans la guerre menée par la Russie, et à ce titre ont demandé ce que peut entreprendre la communauté internationale pour répondre aux besoins des personnes déplacées. Quelles options permettraient d’inscrire le domicide comme un crime distinct dans le droit international, s’est enquise l’Union européenne.
La Fédération de Russie a fustigé le rapport pour ses allégations concernant l’Ukraine, rappelant d’abord que la région du Donbass, suite « au coup d’État de 2014 » fut bombardée pendant huit ans à l’artillerie lourde par les forces ukrainiennes, rasant des quartiers entiers. En 2014, 300 domiciles ont été détruits à Donetsk. Et à Marioupol, le bataillon Azov s’est lui aussi prêté à de multiples expropriations, a accusé la délégation. Les États-Unis et leurs alliés ont fermé les yeux sur ces faits, mais le Rapporteur spécial devrait, lui au moins, décrire la réalité du terrain, a-t-elle souligné.
Rappelant qu’un million de réfugiés rohingya ont été recueillis sur son territoire, le Bangladesh a demandé comment mieux gérer les déplacements de masse de ce type, notant par ailleurs que l’urbanisation combinée aux changements climatiques va accroître les flux massifs vers les villes, surtout dans les pays en développement. La République dominicaine a rappelé de son côté le lien délétère entre les changements climatiques et le droit au logement, et a demandé au Rapporteur des détails sur l’inclusion de cette réalité dans ses travaux.
Comment s’assurer pendant les conflits que les logements n’ont pas été transformés en base arrière militaire, a demandé le Cameroun. La Chine a mis en avant ses politiques visant à améliorer le droit au logement sur son territoire, tout comme l’Inde qui a en outre demandé des détails sur l’utilisation des satellites dans la collecte d’informations relatives au droit à un logement convenable.
La République islamique d’Iran, qui a déploré les violations au droit au logement subies par le peuple palestinien, a voulu savoir ce que le Rapporteur compte mettre en œuvre pour coopérer avec d’autres titulaires de mandat. La République arabe syrienne a indiqué que le gouvernorat de Raqqa a été intégralement détruit par la coalition contre Daech, déplorant que le rapport n’en fasse pas mention, ce qui remet en doute son objectivité. Le Mali a ensuite demandé au Rapporteur ce qu’il conseillait à la communauté internationale de faire afin que la satisfaction des droits essentiels des populations les plus pauvres devienne une réalité.
Réagissant à ces questions et remarques, le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard a d’abord abordé la question du relogement des flux de réfugiés, saluant la réaction européenne à l’afflux de réfugiés ukrainiens et celle du Bangladesh dans la crise des Rohingya. Notant que ces mouvements massifs de population deviendront la norme sous l’effet des changements climatiques, il a appelé la communauté internationale à s’engager dans une compréhension plus large, et plus durable de ces défis. Il a ensuite annoncé que, son prochain rapport portera sur les répercussions de la crise climatique sur le droit au logement et examinera la question de l’empreinte carbone de la reconstruction de logements.
Répondant à la question sur l’utilisation de logements à des fins militaires, il a expliqué qu’il incombait d’exclure catégoriquement de la catégorie du logement civil toute habitation suspectée d’être utilisée dans le cadre de combats, notant qu’il s’agit toutefois là d’une question politique et de stratégie militaire. Certains édifices culturels et religieux bénéficient d’une protection améliorée du droit international, mais pas les logements « ordinaires », ce qui, au vu de l’interconnexion du droit au logement avec les autres droits humains, n’est pas logique, a aussi analysé le Rapporteur. Il faut aussi garder à l’esprit que le domicide n’est pas le fait exclusif d’acteurs étatiques officiels, a-t-il ajouté, notant que les acteurs non étatiques devraient avoir la même responsabilité au regard du droit international.
L’imagerie satellite peut entrer dans le cadre de la prévention, a poursuivi le Rapporteur, expliquant que les satellites permettent d’identifier où et quand les violations du droit au logement risquent de se produire. Là encore, il a estimé que l’utilisation de ces technologies ne saurait être le seul fait des autorités, plaidant pour une circulation plus libre des informations délivrées par ces technologies, notamment à l’intention des victimes de violation du droit au logement. Après avoir fait part de son empressement à travailler avec d’autres titulaires de mandat, le Rapporteur a promis d’étudier les « mises à jour » apportées par la délégation syrienne au sujet de la destruction de logements dans le gouvernorat de Raqqa.
Exposé
M. MICHAEL FAKHRI, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, a centré son rapport sur l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la sécurité alimentaire. Il a mis en exergue le fait que quatre groupes de personnes ont été particulièrement affectés: les femmes, victimes de discriminations; les enfants, dont 160 millions travaillent aujourd’hui, un chiffre qui a connu sa première augmentation en 20 ans; les travailleurs, qui ont été traités comme s’ils étaient jetables; et les peuples autochtones qui ont vu leurs terres volées, occupées et détruites à un « rythme génocidaire ».
Si la crise alimentaire s’est aggravée depuis l’adoption de la résolution sur le droit à l’alimentation l’année dernière, ce droit est de mieux en mieux reconnu, a-t-il constaté, notamment par le Groupe d’intervention mondiale face aux crises alimentaire, énergétique et financière et la plateforme du Sommet sur les systèmes alimentaires. Il a aussi expliqué avoir informé de manière informelle le Conseil de sécurité sur son mandat, salué une récente déclaration du G7 sur l’importance du droit à l’alimentation et souligné que la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) avait proposé à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de prendre en compte la question du droit à l’alimentation.
Regrettant l’absence d’un plan d’action mondial piloté par les gouvernements pour faire face à la crise alimentaire, M. Fakhri a appelé à rédiger une déclaration sur le droit à l’alimentation dans les termes décrits dans ses recommandations. Il a notamment appelé à ne pas mettre fin aux programmes d’aide adoptés pendant la pandémie qui ont su démontrer qu’il était possible de réaliser le droit à l’alimentation. Il a également insisté sur ses recommandations en vue d’une transition vers l’agroécologie en respectant le droit des travailleurs, en engageant des réformes agraires et dans le domaine des droits fonciers, et en obligeant les entreprises à rendre des comptes.
Le Rapporteur spécial a estimé que le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) devrait renforcer son rôle de plateforme de coordination, regrettant qu’au début du mois, lors de la plénière annuelle du CSA, les gouvernements n’aient pas pu se mettre d’accord sur une réponse coordonnée à la crise. Une formulation venant de l’Assemblée générale aiderait à débloquer la situation, a-t-il estimé. Concluant son propos, il a espéré que la Troisième Commission renouvèlerait sa demande de le voir se concentrer à nouveau sur l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la sécurité alimentaire dans son prochain rapport.
Dialogue interactif
Prenant la parole au nom du Mouvement des pays non alignés, l’Azerbaïdjan a rappelé que lors de son sommet de Bakou en 2019 le Mouvement avait considéré que la faim représentait une atteinte à la dignité humaine et appelé de ses vœux le renforcement des systèmes d’alerte et de la collaboration Sud-Sud en vue de lutter contre la faim. De son côté, le Portugal a regretté que peu de pays prennent réellement en compte le droit à l’alimentation dans leur système juridique.
La Fédération de Russie a dénoncé les « interprétations » du rapport, affirmant qu’elle n’avait pas bloqué les ports ukrainiens mais qu’ils avaient été minés par l’armée ukrainienne. Elle a regretté que les corridors humanitaires qu’elle avait ouverts pour les navires commerciaux n’aient pas été utilisés, accusant en outre les pays soutenant l’Ukraine de bloquer 80% des exportations d’engrais russes. De même, la délégation a estimé que l’Initiative céréalière de la mer Noire profitait surtout aux pays riches, affirmant que selon le Centre conjoint de coordination d’Istanbul, la moitié des exportations venues des ports ukrainiens partaient vers l’Union européenne, le Royaume-Uni et Israël et seulement 3% vers les pays qui en avaient le plus besoin. L’Union européenne a affirmé pour sa part que l’agression russe en Ukraine avait créé un risque de famine imminente.
La République dominicaine a voulu savoir comment la déclaration de l’Assemblée générale que le Rapporteur appelait de ses vœux permettrait de faire face à la crise alimentaire et comment l’adapter aux différents contextes. L’Indonésie a insisté sur l’importance de l’autonomisation des petits agriculteurs, tandis que la République islamique d’Iran a appelé à interdire aux spéculateurs de jouer sur les prix de l’alimentation, s’inquiétant par ailleurs des répercussions des mesures coercitives unilatérales sur le droit à l’alimentation. De son côté, le Cameroun a appelé à affronter les effets conjugués de la pandémie de COVID-19 et de l’inflation sur le droit à l’alimentation, regrettant que le Sommet sur les systèmes alimentaires de 2021 n’ait pas examiné les effets de la pandémie de COVID-19.
Le Bélarus a estimé que le rapport ne mettait pas assez en lumière l’impact des mesures coercitives unilatérales sur la sécurité alimentaire et a souhaité que le prochain rapport soit consacré à ce sujet. Le Japon s’est alarmé du risque de famine en Ukraine et a demandé des éclaircissements sur les effets de la réponse du G7 à la crise alimentaire mondiale actuelle. L’Angola s’est inquiété de l’impact de la spéculation financière sur les prix alimentaires et a souligné l’importance des programmes d’alimentation scolaire, appelant en outre à la transformation des systèmes alimentaires mondiaux. Il faut mettre en place un ordre international plus juste défendant la vie plutôt que les dividendes, a plaidé Cuba qui a dénoncé les impacts du blocus des États-Unis sur le droit à l’alimentation du peuple cubain.
La Chine a rappelé qu’avec 6,6% de l’eau potable et 10% des terres arables de la planète elle réussissait à nourrir 20% de l’humanité et fournissait une assistance alimentaire à 50 pays, profitant à 20 millions de personnes. Le Nigéria a voulu en savoir plus sur les efforts déployés par le Rapporteur pour s’assurer que le système alimentaire mondial profite à tous sans distinction. La Syrie a demandé pourquoi le Rapporteur parlait « d’invasion illégale » dans le cas de la Russie en Ukraine et non dans celui des États-Unis sur son territoire qui l’empêche d’accéder à ses récoltes dans le nord-est. La Somalie s’est inquiétée des problèmes posés par la pêche illicite non déclarée et non réglementée, suivi du Maroc qui s’est interrogé sur le besoin de créer une convention internationale sur le droit à l’alimentation. Quels seraient les bénéfices d’un nouveau traité contraignant?
Répondant à ces questions et commentaires, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation a estimé qu’un nouveau traité n’était pas à l’ordre du jour mais qu’une nouvelle résolution de l’Assemblée générale serait utile. Il a qualifié « d’absurde » le fait que le Sommet sur les systèmes alimentaires de 2021 n’ait pas tenu compte de la pandémie de COVID-19 ni du droit à l’alimentation. Il a noté que 110 pays avaient demandé des orientations en matière d’alimentation mais que les débats s’étaient focalisés sur des questions essentiellement nationales, ne permettant pas l’émergence de solutions globales coordonnées. Énumérant les initiatives diverses du Groupe d’intervention mondiale face aux crises alimentaire, énergétique et financière et du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, ainsi que la déclaration du G7, il a estimé qu’une résolution robuste s’appuyant sur les lignes principales de son rapport permettrait de pousser les gouvernements à mettre au point un plan coordonné qui tienne compte des besoins des populations.
Concernant les mesures coercitives unilatérales, il a rappelé qu’un Rapporteur spécial travaillait sur cette question et qu’un appel à contribution avait été lancé à Genève. M. Fakhri a toutefois prévenu que même si les conflits, les mesures unilatérales coercitives et la pandémie disparaissaient aujourd’hui, les choses ne s’amélioraient pas nécessairement car la crise climatique et les dysfonctionnements du système financier international perdureraient. Évoquant les questions commerciales, le Rapporteur spécial a considéré que l’Accord sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) était obsolète et a déploré le peu d’avancées concernant la crise alimentaire au sein de cette organisation.
Exposé
M. OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, a expliqué que son rapport est un appel à faire davantage pour protéger les personnes en situation de pauvreté des diverses formes de discrimination auxquelles elles sont confrontées, évoquant les « attaques » sans précédent contre le pouvoir d’achat des ménages à faible revenu, qui sont les plus touchés par l’inflation mondiale.
Que ce soit en Europe, où l’inflation a atteint un niveau record de 10%, ou en Afrique subsaharienne, où les prix des denrées alimentaires ont bondi de près de 24%, les budgets des ménages du monde entier sont mis à rude épreuve, ce qui signifie, a averti M. de Schutter, qu’un nombre encore plus grand de personnes en situation de pauvreté mourront de faim ou de froid cet hiver si aucune mesure n’est prise immédiatement pour augmenter leurs revenus. Combinée aux impacts de la pandémie de COVID-19, la hausse mondiale des prix de l’énergie et des denrées alimentaires précipitera 75 à 95 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté en 2022, par rapport aux prévisions de 2019, a-t-il prédit.
Pourtant, le « pauvrisme », c’est-à-dire les attitudes et comportements négatifs à l’égard des personnes vivant dans la pauvreté, reste très répandu, a-t-il relevé, estimant que s’il n’est pas combattu, il limitera considérablement l’accès des personnes en situation de pauvreté à l’emploi, au logement, aux soins de santé, à l’éducation et à la protection sociale. Il a dénoncé la situation d’écoliers victimes d’intimidation parce qu’ils sont issus de familles à faibles revenus, découragés par leurs enseignants de poursuivre un enseignement secondaire de qualité, malgré des résultats de tests montrant qu’ils en sont plus que capables, ou se voyant refuser l’accès à certaines écoles. Il s’est également ému du cas d’un enfant en Belgique qui a été exclu de la photo de classe annuelle parce que ses parents n’avaient pas été en mesure de payer les repas scolaires.
De même, M. de Schutter a regretté que des propriétaires refusaient de louer des appartements à des locataires bénéficiant de prestations sociales. Dans le cadre d’une expérience conçue par l’organisation ATD Quart Monde, des candidats en France avaient moins de chances d’être sélectionnés si leur candidature indiquait qu’ils avaient vécu dans un logement temporaire ou travaillé dans une entreprise sociale, deux expériences qui suggèrent un passé de pauvreté. Et aux États-Unis, les employeurs refusent souvent de prendre en considération les candidats qui vivent dans des foyers pour sans-abri, a-t-il témoigné. Le Rapporteur spécial a également fait observer que même les juges prononçaient des peines plus sévères sur la base de stéréotypes anti-pauvres, ce qui explique en partie pourquoi les personnes en situation de pauvreté sont représentées de manière disproportionnée dans le système de justice pénale.
Le « pauvrisme » est tellement ancré dans les esprits et les institutions que la seule façon d’avancer est de le rendre illégal, à l’instar d’autres formes de discrimination telles que le racisme ou le sexisme, a recommandé le Rapporteur spécial. Il a cité en exemple la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, au Canada, qui inclut la « condition sociale » parmi les motifs de discrimination interdits. En France, la discrimination fondée sur la pauvreté est interdite par le Code du travail. Et des mouvements populaires ont lieu en Irlande pour demander que le statut socioéconomique soit couvert par la loi irlandaise sur l’égalité, tandis que le Gouvernement britannique a été exhorté à plusieurs reprises à étendre sa loi sur l’égalité pour y inclure les inégalités économiques. Cependant, malgré le nombre croissant de pays qui mentionnent « l’origine sociale » ou la « propriété » parmi les motifs suspects de traitement différentiel, cet outil est rarement utilisé par les tribunaux ou les avocats qui conseillent les victimes même lorsque cela serait justifié, a-t-il déploré.
C’est pourquoi, il a pressé les législateurs à aller plus loin, encourageant des politiques d’action positive. La discrimination positive fondée sur la classe sociale soutiendra les personnes issues de milieux à faibles revenus, quels que soient leur race et leur sexe, a-t-il expliqué, faisant observer qu’en Inde, les opinions négatives à l’égard des enfants pauvres ont diminué après que les écoles d’élite de New Delhi ont été contraintes de réserver davantage de places aux enfants issus de familles à faibles revenus. D’ailleurs, a-t-il confirmé, une série d’études ont montré que le contact entre les groupes réduisait les préjugés.
L’action positive a également, à ses yeux, une valeur symbolique importante: elle reconnaît les obstacles spécifiques auxquels les personnes en situation de pauvreté sont confrontées en raison de la persistance du « pauvrisme », remettant en question le discours dominant selon lequel la société distribue les résultats sur la base du « mérite ». Malgré leur persistance, le sexisme, le racisme, l’âgisme, la transphobie et l’homophobie sont vus pour ce qu’ils sont: des préjugés inacceptables qui n’ont pas leur place dans notre monde. Le « pauvrisme » doit être combattu avec la même vigueur et la même persistance, a-t-il tranché.
Dialogue interactif
À l’issue de cet exposé, la France, au nom du groupe des coauteurs de la résolution sur l’extrême pauvreté et les droits humains, a voulu savoir quelles premières mesures les États doivent adopter afin de briser le cycle de la pauvreté. Que faire pour mieux tenir compte et lutter contre le phénomène du « pauvretéisme » au niveau national, mais aussi dans le contexte de l’aide publique au développement, a demandé le Luxembourg. À sa suite, le Cameroun s’est intéressé aux moyens de lutter contre la discrimination fondée sur l’appartenance à un milieu défavorisé dans un contexte culturellement et socialement diversifié. Comment parvenir à assurer une meilleure représentation politique des personnes les plus défavorisées, s’est enquise à son tour l’Union européenne.
Après l’Angola qui a proposé de détricoter les stéréotypes négatifs sur la pauvreté, la Fédération de Russie s’est félicitée du fait que la proportion de la population russe souffrant de l’extrême pauvreté est inférieure à 1%. De son côté, la Chine s’est enorgueillie d’avoir contribué à la réduction de 70% de la population pauvre au niveau mondiale. L’Ordre souverain de Malte a préconisé une redistribution équitable des ressources, tandis que la République arabe syrienne s’est enquise de la méthodologie sur laquelle s’est appuyé le Rapporteur spécial pour élaborer son rapport.
Répondant aux questions et observations des États Membres, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, a rappelé que le droit international des droits de l’homme interdit la discrimination sur la base de l’origine sociale, précisant que son rapport passe en revue les avancées à cet égard, identifie les bonnes pratiques et incite les États à faire davantage pour que les personnes pauvres puissent exercer leur droit d’accès au logement, à l’emploi et à la sécurité sociale. Ce rapport de droit comparé veut donc accélérer un mouvement, en s’inspirant des meilleurs pratiques disponibles.
S’agissant des mesures prioritaires à prendre à cet égard, il a préconisé de faire figurer dans la législation de chaque État, la protection contre les discriminations fondées sur le désavantage socioéconomique. Citant quelques exemples de bonnes pratiques, il a mentionné la France dont le droit interdit de discriminer sur la base de la vulnérabilité économique ou encore la Belgique, où les administrations recrutent des « experts du vécu », à savoir des personnes qui ont connu la pauvreté.
Si la pauvreté n’est pas une caractéristique immuable, en revanche, elle enferme l’individu dans une situation dont il est parfois très difficile de sortir, a-t-il fait observer, renvoyant les États Membres à son rapport de l’an dernier sur la perpétuation de la pauvreté. Pour briser ce cycle, il faut un accès effectif à la justice, a-t-il souligné, citant le cas de l’Afrique du Sud qui a mis en place des juridictions spécialisées en matière de lutte contre les discriminations et d’égalité des traitements. Le Rapporteur spécial a aussi préconisé une approche fondée sur les droits en matière d’accès aux biens et services sociaux dans les projets et programmes de développement afin de protéger les personnes en pauvreté du risque de discrimination et éviter que les stéréotypes négatifs n’affectent leur droit.
Le Rapporteur a ensuite indiqué que l’année prochaine, il compte s’atteler à la pauvreté chez les travailleurs, informant, à cet égard, que l’Union européenne compte, à elle seule, quelque 20 millions de travailleurs pauvres. Il s’agit pour lui de s’interroger sur la manière de renforcer la capacité pour les syndicats de protéger le pouvoir d’achat de cette catégorie et le risque que représente la précarisation du travail, en relation notamment avec les contrats précaires. Abordant, pour finir, la représentation politique de ces personnes, il a expliqué qu’il ne s’agit pas uniquement du droit d’être consulté, ou de prendre part à des élections, mais, du droit de coconstruire des solutions et de prendre part à la décision.
Exposé
M. CLEMENT NYALETSOSSI VOULE, Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, a présenté un rapport consacré au rôle des mouvements sociaux dans la construction d’un monde meilleur. Il a relevé que les mouvements sociaux sont souvent des groupes peu organisés, de nature informelle, ce qui leur permet d’offrir une plateforme inclusive à des individus de tous horizons pour la défense de causes communes. Ces mouvements sociaux jouent un rôle essentiel pour l’engagement social, la participation démocratique et une gouvernance réactive, a-t-il souligné.
M. Voule a ensuite brossé un tableau des avancées politiques, économiques, sociales et environnementales que les mouvements sociaux ont obtenues, citant notamment l’égalité d’accès au droit de vote, le renversement des régimes coloniaux ou autoritaires, et la lutte contre les discriminations raciales. À titre d’exemples, il a cité le mouvement qui a contribué à faire tomber le régime d’apartheid sud-africain dans les années 1990, les mouvements contre les coups d’État militaires, actifs actuellement au Soudan et au Myanmar, mais aussi Occupy, #MeToo, Black Lives Matter, Extinction Rebellion et Fridays for Future.
Le Rapporteur spécial a constaté que ces mouvements, qui ont contribué au bien-être individuel, collectif et société grâce à l’exercice de leur droit d’association et de réunion pacifique, continuent de faire face à de graves menaces. Il a dénoncé les lois accordant à l’État des pouvoirs discrétionnaires permettant d’interdire certaines associations et d’imposer des restrictions à celles qu’il autorise. M. Voule s’est aussi inquiété des représailles contre les acteurs de ces mouvements, dirigeants et participants, exercées par des acteurs étatiques et non étatiques sous la forme d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires et d’agressions. Il a dénoncé les intimidations dont ces acteurs font l’objet au prétexte qu’ils représenteraient une menace pour la sécurité nationale ou qu’ils seraient des terroristes ou des agents de l’étranger.
En cas de manifestations de grande ampleur, les États adoptent fréquemment des réponses restrictives, notamment en déclarant l’état d'urgence ou la loi martiale, et en faisant un usage excessif de la force pour disperser les rassemblements, a-t-il déploré, ajoutant que les responsables des abus commis dans de tels contextes n’ont souvent que peu de comptes à rendre. Il a aussi déploré l’usage de lois « trop larges et trop vagues » qui sont souvent des « objectifs illégitimes », tels que la violation des droits des individus et des groupes à la liberté de réunion pacifique, d’association, d’expression et de participation aux affaires publiques.
Appelant les États à traiter les mouvements sociaux comme des partenaires, M. Voule a proposé des mesures concrètes. Il a demandé aux États de s’abstenir d’imposer des restrictions aux associations, qu’elles soient enregistrées ou non, et de ne pas attaquer les membres des mouvements sociaux. Il a suggéré aux États d’impliquer les mouvements sociaux dans l’élaboration des lois, de promouvoir leur travail en faveur des droits et de garantir leur droit d’accès aux financements, qu’il soit public ou privé, national ou étranger. Enfin, il les a incités à favoriser une liberté de mouvement maximale afin de permettre aux membres des mouvements sociaux de plaider efficacement en faveur du changement aux niveaux local, provincial, national, régional et international.
Dialogue interactif
À l’issue de cet exposé, le Qatar a mis en avant ses lois, législations et programmes adoptés conformément à ses obligations internationales en matière de libertés individuelles et de respect des droits humains. Se disant préoccupés par les restrictions imposées aux libertés fondamentales dans de nombreux pays, les États-Unis, se sont enquis des moyens de créer un environnement facilitateur pour les mouvements sociaux et les membres de la société civile. L’Union européenne a souhaité avoir plus d’informations sur les effets qu’ont les restrictions des mouvements sociaux et la criminalisation des associations non enregistrées sur la mise en œuvre complète du Programme 2030. Quels partenariats efficaces entre gouvernements et mouvements sociaux peuvent être considérés comme des modèles, a voulu savoir le Royaume Uni, tandis que la République tchèque s’interrogeait sur les indicateurs à surveiller pour mesurer la réduction des libertés des mouvements sociaux. Comment lutter plus efficacement contre les technologies susceptibles d’être utilisées pour des violations généralisées ou systématiques des droits humains ou pour la répression de mouvements sociaux, a demandé la Suisse.
Au nom des pays nordiques et des États baltes, la Lituanie s’est alarmée de la situation des défenseurs des droits humains et des journalistes, souvent ciblés par les États. Quelles mesures peuvent être prises pour les aider à travailler dans les conditions les plus sûres possibles, a-t-elle souhaité savoir. Quelles sont alors les bonnes pratiques pour des sociétés plus équitables, a ensuite demandé la Belgique, au nom des pays du Benelux. L’Arabie saoudite a assuré que les libertés d’expression et d’opinion sont protégées et préservées pour tous ses citoyens ainsi que pour tous les résidents, conformément à sa Constitution et au droit international. La Constitution chinoise garantit la liberté d’expression et d’assemblée et elle accorde le droit de manifester à condition que cela ne trouble pas l’ordre public, a précisé la Chine. À sa suite, la République islamique d’Iran a réfuté catégoriquement les « allégations infondées » contenues à son sujet dans le rapport de M. Voule, avant de demander à ce dernier de préciser sa définition juridique des mouvements sociaux dans des États souverains. Et comment s’assurer que ces mouvements ne troublent pas l’ordre public?
Le Pakistan a quant à lui appelé M. Voule à se pencher sur la situation dans le Jammu-et-Cachemire occupé, où sévit une violente répression, estimant que cette situation doit faire l’objet d’une attention urgente de la communauté internationale. Dénonçant ces « accusations infondées », l’Inde a fait état de violations graves des droits humains au Pakistan, avant de souligner que la région évoquée par la délégation pakistanaise « fera toujours partie de l’Inde, indépendamment de ce que pense le Pakistan ». Enfin, reprochant au Rapporteur spécial de faire preuve d’impartialité, la Fédération de Russie l’a en outre accusé de se livrer à de la « politisation » et aux « deux poids, deux mesures ». Elle lui a reproché de ne pas prêter attention à la répression violente, dans les pays de l’Union européenne, de manifestations dénonçant les actions des gouvernements et exigeant la suppression des restrictions économiques imposées à la Russie.
Réagissant à ces questions et observations, le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association s’est d’abord adressé aux États en désaccord avec son rapport, indiquant qu’il tient bien compte de toutes les opinions et de l’ensemble des pays impliqués. Il a ensuite jugé important que les États puissent réviser leurs lois quand elles criminalisent la liberté d’association et les mouvements sociaux. Les gouvernements doivent s’abstenir de toute attaque contre ceux qui exercent leur liberté de réunion pacifique, a-t-il souligné. Dans certains pays, a poursuivi M. Voule, « à chaque fois que les gens veulent exprimer leur désapprobation dans la rue, ils sont accusés d’être manipulés par l’Occident ». Un fait « préoccupant », qu’il a dit avoir relevé à maintes reprises lors de ses travaux.
Le Rapporteur spécial a d’autre part mis en garde contre les effets délétères de la technologie en ce qu’elle facilite la surveillance de la société civile. Il est important selon lui, que les États observent un moratoire sur la vente d’un certain nombre de technologies qui limitent les libertés. Il a cité à cet égard le logiciel espion Pegasus ou encore les systèmes de reconnaissance faciale utilisés sous couvert de lutte contre la criminalité. S’agissant de la criminalisation des ONG non enregistrées, il a plaidé pour que ces associations nées de mouvements spontanés opèrent librement. Selon lui, les gouvernements doivent non seulement les autoriser mais aussi échanger avec elles. À ce propos, M. Voule a de nouveau exhorté l’Iran à respecter les manifestations organisées au nom de la liberté des femmes de porter ou non le voile.
Nous faisons également face aux répercussions socioéconomiques liées à la pandémie de COVID-19, a poursuivi le Rapporteur spécial. Face aux manifestations qui expriment l’amertume résultant d’inégalités accrues, les États doivent comprendre que ces mouvements ne sont pas strictement politiques, mais constituent des marches pour la dignité. Évoquant à cet égard l’instabilité que traverse le Sri Lanka, il a exhorté les gouvernements écouter le message des manifestants et à se demander comment y répondre, « »avant qu’il ne soit trop tard ». Enfin, après avoir salué les avancées permises par les associations pro-avortement ou par le mouvement Black Lives Matter, M. Voule a lancé un dernier appel à divers pays, parmi lesquelles l’Iran, le Tchad et le Myanmar : ? engagez-vous dès aujourd’hui dans un processus de désescalade, car la répression ne saurait et ne peut se pérenniser ».
Exposé
Mme ALICE CRUZ, Rapporteuse spéciale sur l’élimination de la discrimination à l'égard des personnes touchées par la lèpre et des membres de leur famille, a expliqué que son rapport examine comment la reconnaissance des personnes touchées par la lèpre en tant que personnes pouvant prétendre aux droits prévus par la Convention relative aux droits des personnes handicapées permettrait de protéger leurs droits et constitue une étape importante vers l’élimination de la discrimination systémique à leur égard. Empêchées physiquement, mais aussi socialement discriminées par la lèpre, les personnes concernées devraient être pleinement reconnues comme des personnes handicapées, conformément à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, a souligné Mme Cruz.
Pourtant, a-t-elle déploré, les personnes touchées par la lèpre et les membres de leur famille ont été largement exclus du débat mondial sur le handicap. Si le cadre légal et politique à même de protéger les personnes touchées par la lèpre a beau exister dans nombre de pays, son exécution pose problème, a constaté la Rapporteuse. Elle a mentionné, entre autres, la difficile évaluation des déficiences psychosociales, l’élimination des cadres juridiques et réglementaires discriminatoires, la persistance de stéréotypes erronés sur la lèpre, ou encore les barrières géographiques enfermant les personnes vivant dans des zones éloignées et rurales. En outre, la protection des personnes vivant dans d’anciennes colonies de lépreux n’est toujours pas abordée, et les personnes touchées par la lèpre fréquentent peu les organisations qui les représentent quand celles-ci existent, du fait, entre multiples freins, d’une discrimination institutionnalisée, ou du faible niveau d’instruction. De plus, elle a indiqué que les défis découlant des différentes formes de handicap varient, d’où l’importance de consulter tous les groupes de personnes handicapées.
Poursuivant, la Rapporteuse a relevé que des progrès ont été accomplis dans l’élaboration de normes nationales, mais que leur application souffre d’approches paternalistes, qui font parfois fi de l’indispensable promotion d’environnements garantissant le droit des personnes handicapées à bénéficier des mêmes opportunités que les autres. Elle a appelé à un changement systémique capable de dépasser les cadres juridiques et réglementaires nationaux existants, déplorant le refus systémique d’accès aux opportunités pour les personnes touchées par la lèpre dans des domaines essentiels, y compris l’éducation, le travail, la protection sociale, et l’accès à la justice. Elle a également alerté que ces personnes, en premier lieu les femmes et les enfants, sont l’objet de violences en tous genres qui vont jusqu’au meurtre. Elle a ensuite appelé les États Membres à reconnaître les personnes touchées par la lèpre comme ayant droit aux droits liés au handicap et de veiller à ce que leur voix soit entendue et prise en compte dans l’élaboration des politiques.
Dialogue interactif
Réagissant à l’exposé de la Rapporteuse spéciale, l’Union Européenne a demandé comment encourager la participation des personnes touchées par la lèpre au sein des organisations qui les représentent. Comment promouvoir la participation à la vie sociétale chez les plus vulnérables parmi ces personnes, s’est enquise à son tour la Colombie. Le Bangladesh a voulu savoir comment la Rapporteuse entendait aider les États qui font face à cette maladie, et lui a demandé de partager son opinion au sujet d’un mécanisme international robuste pour lutter contre la lèpre et soutenir les victimes.
Le Japon a espéré qu’une reconnaissance du lien entre handicap et lèpre permettra d’amoindrir la souffrance des personnes touchées, et a demandé à la Rapporteuse de faire le bilan de ses priorités passées et celles auxquelles elle compte s’atteler l’année prochaine. Le Portugal a regretté que les mesures prises par l’Organisation mondiale de la Santé ne portent que sur les aspects physiologiques de la lèpre, et s’est interrogé au sujet d’une prise en compte de la dimension psycho-sociale de la maladie. Notant en outre que beaucoup de voix s’élèvent en faveur de l’abandon de la dénomination de « lèpre » au profit de « maladie de Hansen », la délégation s’est enquise des enjeux liés à cette question lexicographique.
L’Angola s’est demandé comment les États peuvent garantir une assistance complète aux personnes touchées par la lèpre sans qu’elles fassent l’objet d’examen approfondis par les organismes médicaux, le rapport déplorant que leur protection demeure souvent surtout sociale. Préoccupé par la recrudescence de la lèpre sur son territoire, le Népal a demandé comment promouvoir les droits des personnes touchées par la lèpre et éliminer la maladie d’ici à 2030. La Chine a ensuite passé en revue les mesures mises en œuvre en faveur des personnes touchées par cette maladie au sein de sa société.
Répondant à ces observations et remarques, la Rapporteuse spéciale sur l’élimination de la discrimination à l’égard des personnes touchées par la lèpre et des membres de leur famille a indiqué que sa principale priorité première au cours de ses cinq années de mandat portait sur l’autonomisation des personnes touchées par la lèpre sans laquelle, a-t-elle affirmé, aucun changement n’est possible. Une autre priorité fut d’aider les États à supprimer les discriminations juridiques, a-t-elle poursuivi, déplorant qu’il reste 100 lois qui marginalisent activement les personnes touchées par la lèpre et des membres de leurs familles.
Face à la vulnérabilité de ces personnes, la coopération internationale est essentielle, a-t-elle ajouté. Elle a également appelé les États à renforcer la recherche médicale contre la lèpre, notant qu’il n’existe toujours pas de traitement adapté pour les enfants. Les personnes touchées par la lèpre souffrent aussi d’un manque d’information, un défi qui rejoint l’épine dorsale de son travail, l’autonomisation. Elle a fait savoir qu’elle avait remis un rapport au Conseil des droits de l’homme détaillant l’impact disproportionné de la COVID-19 sur les personnes touchées par la lèpre. À ce sujet « nous ne sommes toujours pas sur la voie du mieux-faire » a déploré la Rapporteuse, qui a par ailleurs recommandé à l’OMS d’adopter un nouveau paradigme incluant les aspects psycho-sociaux, dits « invisibles », de la lèpre.
La Rapporteuse s’est ensuite réjouie de ce que certains pays aient abandonné la dénomination de « lèpre » au profit de celle de « maladie de Hansen », un virage lexicographique de très grande importance car, a-t-elle estimé, il s’agit de plus qu’une maladie, mais d’une étiquette ternie par des millénaires d’histoire. Préfériez-vous annoncer à votre famille que vous avez contracté la lèpre, ou la maladie de Hansen? , a-t-elle demandé à son auditoire.
Exposé
M. VICTOR MADRIGAL-BORLOZ, expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, a présenté son rapport en affirmant être arrivé à la conclusion que l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont des facteurs à l’origine de la violence et de la discrimination liées aux conflits dans le cas des personnes LGBT. Sur cette base, il a plaidé pour l’inclusion de ces catégories dans la formulation, l’exécution et l’évaluation du programme pour lesfemmes et la paix et la sécurité des Nations Unies. Il a ensuite indiqué que son rapport se décompose en cinq axes d’analyse, le premier concernant les conflits qui exacerbent les dynamiques discriminatoires et violentes sur le genre et la sexualité sous toutes les latitudes. Dans le cas des personnes LGBT, ces dynamiques reposent sur une stigmatisation profondément ancrée, a-t-il observé, constatant par ailleurs l’absence de référence à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans les cadres mondiaux de paix et de sécurité, y compris dans le programme pour les femmes et la paix et la sécurité.
Troisième axe d’analyse, la violence liée aux conflits et fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est souvent de nature structurelle, a-t-il noté, relevant que certains actes sont liés à des schémas discriminatoires plus larges résultant de la criminalisation et/ou de normes sociales d’exclusion, dans lesquels les acteurs du conflit armé voient des « opportunités stratégiques et tactiques » d’infliger des dommages aux forces ennemies ou de soumettre des communautés ou des populations.
Le Rapporteur spécial a ensuite relevé en quatrième axe que les « imaginaires sociaux et culturels » profondément ancrés alimentent les agressions, rendant le recours à la violence contre les communautés et les populations LGBT utile pour faire avancer les intérêts de ceux qui prennent part aux hostilités, dans les conflits armés, qu’ils soient internationaux ou pas. Cette relation a donné naissance à un concept émergent, celui de l’ « instrumentalisation des préjugés », également connu sous le nom de « violence par les préjugés », a expliqué M. Madrigal-Borloz, avant de se féliciter qu’en Colombie, la Commission de la vérité ait recouru à ce concept pour résumer les différents types de violence dirigés contre des personnes LGBT pendant le conflit qui a duré plus de 50 ans dans le pays.
Enfin, son dernier axe d’analyse se penche sur les dynamiques qui ont conduit à l’identification de catalogues spécifiques de la violence, qui décrivent les formes de violence auxquelles les personnes LGBT sont soumises pendant les conflits armés. Ces catalogues, a-t-il indiqué, incluent le viol et d’autres formes de violence sexuelle, ainsi que la torture, les homicides illégaux, la persécution et d’autres atteintes à l’intégrité physique et mentale des personnes LGBT. Selon le Rapporteur spécial, la manière dont ces formes de violence sont mises en œuvre révèle souvent leur « intention normalisatrice », comme c’est le cas des viols contre les femmes lesbiennes et bisexuelles, honteusement appelés « correctifs ».
Pour finir, M. Madrigal-Borloz a précisé que son rapport comprend aussi une analyse du cadre juridique. Il a rappelé à ce sujet qu’à l’intersection du droit international humanitaire, du droit international des droits de l’homme, du droit pénal international, du droit des réfugiés et du programme pour lesfemmeset la paix et la sécurité, il existe une myriade d’obligations pour les acteurs étatiques et non étatiques dans les situations de conflit armé. Ces obligations, a-t-il fait valoir, ne vont pas au-delà des normes juridiques existantes en matière de prévention des conflits, de protection, de participation, de réparation, de paix durable et de cadres relatifs au genre. Dans le cadre d’une approche intersectionnelle du genre, a souligné le Rapporteur spécial en conclusion, les obligations juridiques existantes doivent être interprétées comme s’appliquant à la situation des personnes LGBT et de genre différent dans les conflits.
Dialogue interactif
Après l’exposé de l’expert indépendant, Israël a voulu savoir comment mieux protéger les personnes persécutées pour leur orientation sexuelle qui fuient leur pays. Le Mexique, où le mariage pour tous est devenu une réalité la semaine dernière, s’est demandé pour sa part comment appliquer le droit international des droits humains lors des conflits armés.
Malte et le Canada ont tous deux proposé d’intégrer la dimension de genre au programme des Nations Unies pour les femmes et la paix et la sécurité. Comment faire en sorte que la diversité des genres soit considérée comme un atout pour renforcer la culture de la paix, a voulu savoir le Luxembourg. Alors que l’Australie, la Belgique et la Colombie s’alarmaient de la situation des personnes et communautés discriminées pour leur orientation sexuelle et leur identité de genre, l’Uruguay qui a voulu connaître des exemples d’implication de la société civile dans la lutte contre ces discriminations en période de transition politique. Dans quels espaces des Nations Unies les États et la société civile pourraient-ils mieux plaider en faveur de ces communautés, se sont quant à eux interrogés les Pays-Bas.
L’Union européenne s’est enquise des bonnes pratiques en matière de données ventilées dans ce domaine, les États-Unis se demandant plutôt comment aider les bailleurs de fonds dans leur soutien aux communautés victimes de discrimination sexuelle. Les États pourraient-ils aborder cette violence dans le cadre d’une approche plus uniformisée, a voulu savoir le Royaume-Uni.
L’Espagne s’est, elle, penchée sur les mécanismes de recherche de la vérité, de justice transitionnelle et de consolidation de la paix, réclamant des éclaircissements sur leur portée et sur la manière dont les réparations sont conçues pour indemniser les victimes pour le préjudice subi. De son côté, l’Albanie a demandé si des mécanismes peuvent être élaborés pour mieux protéger ces personnes discriminées en temps de conflit. Comment protéger ces personnes en l’absence d’accès à de tels mécanismes, ont enchaîné la Géorgie puis l’Allemagne, celle-ci s’exprimant en sa qualité de coprésidente de la Coalition des droits égaux. Quelles actions concrètes les États peuvent-ils entreprendre à ce sujet et comment s’assurer que les préjudices de genre sont interdits en situation de conflit, a souhaité savoir l’Irlande.
À la suite de l’Angola, qui a demandé à l’expert indépendant s’il notait une différence de tendance sur ces questions entre les conflits d’aujourd’hui et d’avant, la République tchèque s’est interrogée sur les façons d’aider les réfugiés et déplacés internes issus de ces communautés discriminées. Le Portugal a rappelé son opposition à toute forme de violence fondée sur le genre, tandis que le Japon s’intéressait aux manières de signaler et répertorier ces violences. La Slovénie s’est, pour sa part, enquise des modes d’inclusion des personnes LGBTQI dans les processus d’intervention d’urgence des Nations Unies. Les droits consacrés dans le droit international humanitaire s’appliquent-ils de façon égalitaire pour les personnes LGBTQI, a ensuite demandé le Chili, tandis que l’Argentine se posait la question de savoir si les mécanismes de réparation prennent en compte les formes multiples et intersectionnelles de discrimination auxquelles sont confrontées les personnes LGBTQI et de genre différent. Au nom des États baltes, l’Islande a souhaité savoir quelles mesures devraient prendre les États pour garantir l’égalité des sexes et la protection des personnes LGBTQI, y compris les personnes déplacées et les réfugiés. La France a quant à elle annoncé la nomination d’un ambassadeur chargé de ces questions.
En réponse aux délégations, l’expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre a tout d’abord fait valoir que, grâce à une approche centrée sur les droits humains, il est possible d’aboutir à plus d’inclusivité. C’est le principe même de la non-discrimination, a-t-il souligné. Dans ce contexte, il importe selon lui de veiller à la création de mécanismes qui suscitent et instaurent la confiance auprès des communautés LGBTQI. À ses yeux, l’obligation redditionnelle est un préalable important qui devrait figurer dans les pratiques optimales. De même, a-t-il ajouté, il est essentiel que l’identité de genre et l’orientation sexuelle soient prises en compte pour traiter les différentes formes de discrimination.
M. Madrigal-Borloz a ensuite rappelé que les mécanismes de protection et de réparation ont été élaborés en fonction des types de violence, indiquant à cet égard que les femmes lesbiennes sont victimes d’une violence spécifique, appelée « violence corrective ». La reconnaissance de la violence et de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle peut, à son avis, passer par des politiques publiques. Il a ainsi cité le cas de la France, qui vient de nommer un ambassadeur chargé de ces questions. Elle peut aussi passer par l’élaboration de cadres juridiques ou être inscrite dans le programme pour les femmeset la paix et la sécurité, a-t-il ajouté. Si des cadres exhaustifs et inclusifs sont adoptés, les États trouveront des solutions à ces problématiques, a assuré l’expert indépendant, selon lequel la création de coalitions et de groupes est aussi une approche à envisager. Pour ce faire, il convient de trouver un objectif commun et de mettre sur pied une stratégie conjointe, a-t-il plaidé.