En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-septième session
35e & 36e séances plénières – matin & après-midi
AG/SHC/4360

Troisième Commission: accusés de sélectivité, les experts des droits humains défendent leurs travaux sur la Palestine, la Somalie, l’Éthiopie, le Burundi et l’Érythrée

La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a poursuivi aujourd’hui son examen de la situation des droits humains dans plusieurs pays, à l’occasion de dialogues avec des titulaire de mandat venus alerter sur les violations de ces droits dans les territoires palestiniens occupés, en Somalie, en Éthiopie, au Burundi et en Érythrée, tout en avançant des recommandations pour y remédier.  Comme de coutume, les travaux de ces experts ont été critiqués par de nombreuses délégations, à commencer par les pays concernés, qui ont dénoncé leur sélectivité et leur manque d’impartialité.   

Dès le début de la séance, les travaux de la récente Commission d’enquête internationale indépendante sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, ont été fortement décriés.  Plusieurs délégations, dont l’Autriche et la Hongrie, ont dénoncé un mandat trop large et sans date de fin, ainsi qu’une attention trop marquée sur Israël.  L’État de Palestine et la Présidente de la Commission d’enquête ont, eux, appelé à se concentrer sur l’objet du rapport et la réalité décrite: l’occupation illégale et la politique d’annexion d’Israël, avec leurs conséquences négatives pour la population palestinienne. 

Certaines des politiques et mesures prises par les différents gouvernements israéliens peuvent être constitutives de crimes de guerre et de crime contre l’humanité, a du reste averti Mme Navi Pillay.  Selon la Présidente de la Commission d’enquête, l’environnement coercitif dans lequel vivent les Palestiniens de Cisjordanie n’a pour but que de les forcer à quitter leurs maisons pour laisser la place à davantage de colonies.  Relevant à cet égard que « la sécurité est souvent utilisée comme un prétexte par Israël pour justifier son expansion territoriale », elle a dit ne pas avoir identifié d’actions significatives de cet État pour mettre fin à son occupation, laquelle devient donc « permanente ».  Israël a décrié la présentation d’un rapport qui passe sous silence toutes les actions du Hamas, dénonçant dans la foulée la politique du « deux poids, deux mesures » du Conseil des droits de l’homme, illustrée par la création l’an dernier de ladite commission d’enquête dont les membres seraient désignés « pour leur haine bien connue d’Israël ». 

En écho à Mme Pillay, qui a réclamé des mesures urgentes pour contraindre Israël à respecter ses obligations, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a appelé la communauté internationale à modifier ses délibérations « en tenant compte de la nature coloniale de l’occupation israélienne ».  Obliger Israël à respecter le droit des Palestiniens à l’autodétermination doit être une condition préalable aux négociations de paix, a soutenu Mme Francesca Albanese, non sans dénoncer un « régime d’apartheid » et une politique de « dépalestanisation ». 

Notant pour sa part des efforts de la part du Gouvernement du pays concerné, l’experte indépendante chargée d’examiner la situation des droits de l’homme en Somalie a cependant fait état d’une situation sécuritaire très préoccupante, marquée par une intensification des attaques commises par les Chabab et par un grand nombre de victimes civiles.  Mme Isha Dyfan a exhorté le Gouvernement fédéral somalien à intensifier la protection des droits fondamentaux des civils, en saluant l’approche adoptée par Addis-Abeba à ce sujet.  Elle a également profité de son intervention pour alerter sur la crise humanitaire engendrée par le conflit et signaler une augmentation des violations des droits humains, notamment des violences sexuelles. 

Autre situation humanitaire extrêmement inquiétante, celle dans la région du Tigré, en Éthiopie, où des combats opposent à nouveau depuis août le Gouvernement fédéral et ses alliés aux forces armées tigréennes.  La Présidente de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie a dressé un sévère constat: le Gouvernement fédéral refuse à quelque six millions de personnes l’accès à la nourriture, aux médicaments et aux services de base depuis plus d’un an.  Mme Betty Murungi a également pointé du doigt les cas de viols et de violences sexuelles commises par les forces éthiopiennes mais aussi érythréennes, ainsi que par des milices régionales.  Le travail de la Commission est indépendant et impartiale, a-t-elle assuré, anticipant les critiques de plusieurs délégations, dont celle de l’Éthiopie qui a dénoncé les « allégations infondées » de la Commission, tout en rappelant qu’aucun pays africain n’avait voté en faveur de sa création. 

À son tour, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée s’est lui aussi alarmé des conséquences du conflit dans la région du Tigré.  M. Mohamed Abdelsalam Babiker a dit avoir observé une détérioration des droits humains dans plusieurs domaines.  L’implication de l’Érythrée à ce conflit armé a mis en évidence les violations persistantes liées au système de service national à durée indéterminée et a aggravé la situation interne des droits humains déjà catastrophique dans le pays, a-t-il souligné.  Autre constat accablant: le manque de progrès dans la mise en place d’une infrastructure institutionnelle minimale pour protéger les droits humains.  Il s’est d’autre part alarmé de la situation de centaines d’Érythréens arbitrairement détenus, dont certains ont disparu dans des prisons secrètes. 

En outre, M. Babiker a déploré l’opposition du Gouvernement érythréen à son mandat et l’absence de réponse à ses demandes de visite.  Un refus qu’a maintenu la délégation de l’Érythrée, selon laquelle la crise dans le nord de l’Éthiopie a été inventée de toute pièce pour ternir l’apaisement entre les deux pays voisins.  Une autre passe d’armes a opposé le Burundi au Rapporteur spécial sur le pays, dont le rapport a été qualifié de « non-événement » par la délégation.  M. Fortune Gaetan Zongo a rappelé que la situation des droits humains au Burundi n’a pas changé de manière substantielle et pérenne, en dépit d’avancées en matière de lutte contre la traite.  Il a constaté, entre autres violations des droits humains, une impunité sélective, la poursuite des crimes de droit commun étant préférée à celle des crimes les plus graves. 

La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, vendredi 28 octobre, à partir de 10 heures. 

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS

Déclarations liminaires suivies de dialogues interactifs

Exposé

Mme NAVI PILLAY, Présidente de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, a présenté le premier rapport de cette commission chargée d’enquêter sur toutes les violations présumées du droit international humanitaire et des droits de l’homme commises depuis le 13 avril 2021.  Elle a dressé le constat qu’« après 55 ans d’occupation, Israël traite cette situation comme un fait accompli et, à toutes fins utiles, a procédé à l’annexion de parties de la Cisjordanie tout en cherchant à se cacher derrière la fiction que cela ne serait que temporaire ».  Cette permanence et cette annexion ont amené la Commission d’enquête à conclure que l’occupation israélienne est désormais illégale, a-t-elle souligné.  De plus, elle a pointé le fait que certaines des politiques et mesures prises par les gouvernements israéliens peuvent constituer des éléments de crimes internationaux, notamment le crime de guerre consistant à transférer, directement ou indirectement, une partie de sa propre population civile dans un territoire occupé, et le crime contre l’humanité consistant en la déportation ou le transfert forcé.

La Présidente de la Commission a ensuite indiqué que son mandat lui impose de découvrir les causes profondes de ce conflit prolongé.  En examinant les justifications d’Israël pour ses politiques d’occupation permanente et d’annexion de facto, « nous avons observé que ces actions sont une cause profonde d’instabilité et de conflit prolongé », a-t-elle fait remarquer.  Affirmant avoir pris bonne note de la situation sécuritaire d’Israël et des motifs de sécurité invoqués pour certaines de ses actions, elle a cependant constaté qu’un nombre important de politiques et d’actions d’Israël en Cisjordanie ne sont pas destinées à répondre à ces préoccupations.  « La sécurité est souvent utilisée comme un prétexte par Israël pour justifier son expansion territoriale », a relevé Mme Pillay, ajoutant ne pas avoir identifié des actions significatives entreprises par Israël pour mettre fin à l’occupation.  Au contraire, les déclarations faites par les officiels israéliens prouvent très bien « l'intention d’Israël de rendre l’occupation permanente ».

Dans ces conditions, les Palestiniens de toute la Cisjordanie sont soumis à un environnement coercitif, a-t-elle constaté, citant la démolition de maisons ou encore l’usage excessif de la force par les forces de sécurité israéliennes.  Ceci a, selon elle, pour but d’entraîner des changements démographiques, de réduire l’espace palestinien et de forcer les Palestiniens à quitter leurs maisons pour laisser la place à davantage de colonies israéliennes.  Mme Pillay a noté en particulier l’impact particulièrement destructeur sur les enfants de cet environnement coercitif, ainsi que l’effet discriminatoire omniprésent des politiques d’annexion sur les femmes palestiniennes.  « Notre rapport actuel indique clairement qu’Israël n’a pas l’intention de mettre fin à cette occupation et que, si la communauté internationale ne s’en préoccupe pas, le conflit risque de se poursuive interminablement », a-t-elle averti.  À ses yeux, l’Assemblée générale, qui a été la première à poser les bases du droit à l’autodétermination des deux peuples, a donc « la responsabilité d’aborder la réalité actuelle, à savoir qu’Israël est indépendant et que la Palestine est occupée ».

Rappelant que, le mois prochain, cela fera 55 ans que le Conseil de sécurité a adopté la résolution 242 (1967) demandant à Israël de se retirer des territoires qu’il a occupés lors de la guerre de 1967, elle a déploré qu’Israël continue d’occuper ces territoires « sans aucune conséquence ».  Ainsi, elle a exhorté les Nations Unies et ses États Membres à envisager des mesures urgentes pour qu’Israël commence à respecter ses obligations et agisse pour mettre fin à l’occupation.  Enfin, elle a recommandé vivement à l’Assemblée générale de demander un avis consultatif urgent à la Cour internationale de justice (CIJ) sur les conséquences juridiques de l’occupation permanente par Israël du Territoire palestinien occupé, des politiques employées pour y parvenir et du refus d’Israël de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.

Dialogue interactif

À la suite de cet exposé, Israël a pris la parole en évoquant le sort d’un petit garçon israélien, tué par des missiles palestiniens le 12 mai 2021.  Son histoire, comme celle de toutes les victimes israéliennes de la terreur, « n’a pas de sens pour cette commissaire remplie de haine », a-t-il déploré en s’adressant à la Présidente de la Commission d’enquête.  Selon la délégation israélienne, le rapport de Mme Pillay passe sous silence tout ce que fait le Hamas et se concentre uniquement sur Israël, qui est pourtant une démocratie libérale et éprise de justice.  Brandissant une photo du garçon et faisant état de la présence de ses parents dans la salle, la délégation a demandé à Mme Pillay pourquoi elle « ignore la mort de leur fils ». 

La délégation israélienne a jugé que le rapport présenté n’est pas légitime, tout comme la Commission qui l’a rédigé, avant de dénoncer la politique du « deux poids, deux mesures » du Conseil des droits de l’homme, illustrée par la création l’an dernier de cette commission d’enquête.  « Comment choisissez-vous les membres de cette commission? », a-t-elle demandé, répondant elle-même que ces derniers ne sont pas désignés pour leurs compétences « mais plutôt pour leur haine bien connue d’Israël ».  Après avoir brandi d’autres pancartes sur lesquelles étaient inscrites des déclarations de membres de la Commission d’enquête présentées comme hostiles à Israël, la délégation a estimé que « la seule décision qui devrait être prise aujourd’hui, c’est le démantèlement séance tenante de la Commission ». 

À sa suite, l’État de Palestine a dit vouloir se concentrer sur le rapport de la Commission d’enquête, « contrairement aux accusations toxiques qui viennent d’être prononcées ».  Il est impératif de ne pas oublier les faits contenus dans ce rapport, a insisté la délégation observatrice permanente, rappelant en outre qu’Israël refuse toute entrée sur son sol de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967.  Si certains pensent que le mandat de la Commission d’enquête est un problème, nous pensons, nous, que l’occupation d’Israël est un problème, a-t-elle martelé.  Citant ensuite les différentes résolutions pertinentes adoptées par le Conseil de sécurité ou encore le Conseil des droits de l’homme, elle a déploré que rien ne soit fait pour les mettre en œuvre.  Le refus d’Israël d’appliquer les résolutions des Nations Unies « signifie davantage de traumatismes, de pertes et de souffrances pour les civils palestiniens », a-t-elle averti, avant de demander à la Présidente de la Commission d’enquête de l’éclairer sur les implications en matière de droits humains des politiques d’annexion israéliennes sur les civils, particulièrement les femmes et les enfants. 

Plusieurs délégations se sont ensuite montrées critiques à l’égard de la Commission d’enquête.  Son mandat est trop large et sans date de fin, ont déploré par exemple les Pays-Bas, rejoints par l’Union européenne, l’Uruguay ou encore la Hongrie, cette dernière dénonçant la trop grande attention reçue par Israël au sein des Nations Unies.  La Commission d’enquête doit rester impartiale, a souligné l’Allemagne, elle aussi très critique du mandat ouvert confié à cette structure.  De son côté, l’Australie a dit ne pas avoir bien compris ce qui, dans le rapport, peut permettre de s’éloigner d’une approche unilatérale, déplorant en outre qu’Israël soit le seul pays qui figure de façon permanente à l’ordre du jour du Conseil des droits de l’homme.  Ce rapport ne fait rien pour la paix, ont jugé pour leur part les États-Unis, tandis que l’Autriche regrettait qu’aucune recommandation ne soit adressée à la partie palestinienne.  Toutes les situations doivent faire l’objet d’un examen, ont plaidé les Îles Marshall, appuyées par d’autres pays.  Une approche partiale n’est pas acceptable, a soutenu l’Albanie.  Comment la Commission d’enquête peut-elle garantir à l’avenir une approche plus fine et impartiale, s’est également interrogé le Canada.  À l’instar d’autres délégations, la République tchèque s’est, elle, déclarée choquée par les propos de certains membres de la Commission, parlant notamment de « lobby juif ». 

Au contraire, la Türkiye a salué la création de cette commission d’enquête internationale et indépendante, avant d’exhorter Israël à cesser sa politique de colonisation.  Nous n’avons pas d’objection à son mandat, a également déclaré la Namibie, appelant cependant à y prévoir une fin.  Rien n’est étrange ou anodin dans ce rapport, a estimé la République arabe syrienne.  Pour sa part, l’Afrique du Sud a indiqué que les agissements d’Israël lui rappellent quelque chose: les techniques utilisées sont comparables à celles dont usait le régime d’apartheid sud-africain, a asséné la délégation, accusant Israël de perpétuer cette politique à l’encontre les Palestiniens.  Des accusations d’apartheid également énoncées par la République islamique d’Iran, qui s’est par ailleurs interrogée sur le rôle de la société civile dans la résolution de ce conflit.  Cuba a dénoncé le fait qu’Israël bafoue les résolutions de l’ONU, soulignant sa solidarité avec le peuple palestinien, tandis que la Chine appelait les parties concernées, notamment Israël, à faire preuve de retenue. 

Il faut que les recommandations du rapport soient suivies d’effets, a insisté la Malaisie, demandant à Israël de respecter ce rapport.  L’Égypte a également invité la communauté internationale à se pencher sur ce rapport.  La Fédération de Russie a quant à elle déploré qu’il n’y ait pas de mesures réelles pour améliorer la situation humanitaire dans les territoires palestiniens occupés, avant d’appeler les parties à s’abstenir de toute mesure provocatrice.  La Tunisie a ensuite déploré que les droits humains soient systématiquement bafoués par la Puissance occupante.  « Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face pour ce rapport étant donné que la Puissance occupante ne coopère pas avec vous », s’est enquise l’Indonésie, le Sénégal préférant appeler la communauté internationale à intensifier sa mobilisation pour promouvoir la solution des deux États.  

Reprenant la parole, l’État de Palestine s’est dit préoccupé par les critiques formulées sur la nature ouverte du mandat de la Commission d’enquête et sur l’absence de condamnation des agissements d’Israël.

En réponse à ces questions et observations, la Présidente de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël s’est réjouie qu’un grand nombre de pays aient reconnu la pertinence du mandat de la Commission d’enquête.  Elle a par ailleurs souhaité clarifier la position de la structure qu’elle préside: « nous ne sommes pas antisémites, loin de là », a-t-elle affirmé, avant de préciser que les propos d’un des membres de la Commission ont été « gérés » par la présidence du Conseil des droits de l’homme avec les autorités compétentes pour « laver » le nom de la Commission et la réputation du commissaire incriminé.  Se disant « stupéfaite » par les accusations d’antisémitisme portées contre le travail de la Commission d’enquête, Mme Pillay a tenu à rappeler que son rapport est basé sur le droit et qu’Israël, comme tout autre État, est doté d’obligations internationales.  Nous agirions de la même façon, en tant que commission d’enquête, si des violations commises par d’autres États nous étaient signalées, a-t-elle souligné. 

Elle a ensuite rappelé que le mandat ouvert de la Commission d’enquête a été décidé par le Conseil des droits de l’homme afin d’examiner les nombreuses questions mises en avant par les États Membres, y compris les agissements des groupes armés palestiniens, les répercussions du conflit sur les civils et la situation des enfants.  Appelant les délégations à faire preuve de patience, elle a affirmé que la Commission d’enquête est « là pour longtemps » et qu’elle accordera une grande attention aux droits des peuples palestinien et israélien.  Nous condamnons également tout acte de violence de part et d’autre, a-t-elle ajouté, exprimant sa tristesse pour la petite victime évoquée par Israël.  Sur la question de la temporalité du mandat de la Commission d’enquête, Mme Pillay a rappelé que l’objectif est d’examiner « sous toutes ses coutures » une occupation qui « ne semble pas se terminer », comme l’attestent les faits.  Elle a enfin assuré que la Commission d’enquête se penchera sur toute allégation de violation ou d’atteinte aux droits humains. 

Exposé

Mme FRANCESCA P. ALBANESE, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a présenté son premier rapport à la Troisième Commission en constatant que les territoires palestiniens occupés connaissent une nouvelle flambée de violence.  Les forces israéliennes et les colons se rendent coupables d’exécutions extrajudiciaires et d’une kyrielle de violences à l’encontre de la population palestinienne, s’est alarmée la Rapporteuse spéciale.  Cette situation est, selon elle, « le fruit d’une injustice profonde et prolongée, où deux peuples, l’un colonisateur, l’autre colonisé, sont piégés par une entreprise anachronique et illégale de colonisation ».  Les preuves montrant qu’Israël pratique un « régime d’apartheid » sont légion, a-t-elle affirmé, avant de déplorer qu’Israël s’emploie à saper un droit des Palestiniens qui constitue pourtant une norme impérative du droit international, celui à l’autodétermination.

Selon Mme Albanese, la violation intentionnelle et persistante de ce droit par Israël se produit à travers la négation par Israël des quatre éléments constitutifs de ce droit: la souveraineté territoriale qu’Israël viole en s’emparant de territoires; la souveraineté sur les ressources naturelles palestiniennes qu’Israël exploite illégalement; l’identité culturelle palestinienne qu’Israël entend effacer; et l’expression politique des Palestiniens que l’État hébreu réprime.  Un ensemble de violations du droit à l’autodétermination qu’elle résume en parlant de « dépalestinisation ».

Cette politique est la marque du colonialisme, « intrinsèquement incompatible avec le droit international et l’ordre multilatéral », a martelé la Rapporteuse spéciale.  Si, dès les années 1950, Israël a été autorisé à poursuivre sa colonisation, à contre-courant du mouvement mondial de décolonisation et sous couvert d’une occupation maintenue pour des raisons de sécurité, l’usage illégal de la force pour y parvenir ne peut être justifié par des revendications de légitime défense, a fait valoir Mme Albanese, soulignant que « la sécurité d’un peuple ne peut légitimer l’assujettissement total d’un autre”.  Ces violations graves entraînent des conséquences, en vertu de la Charte des Nations Unies, du droit international des droits de l’homme, du droit humanitaire et pénal et du droit de la responsabilité de l’État, a-t-elle insisté.

Au cours des 55 dernières années, Israël n’a pas respecté ses obligations juridiques internationales, et cet « exceptionnalisme » sapant l’état de droit international ternit l’image des Nations Unies, a déploré la Rapporteuse spéciale, avant d’appeler à un changement de paradigme dans la manière d'aborder la « question Israël/Palestine », dont l’épine dorsale serait le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.  Son rapport recommande au Gouvernement d’Israël de se conformer à ses obligations internationales en cessant d’entraver l'autodétermination des Palestiniens et en mettant fin immédiatement et sans condition à l'occupation et aux pratiques d'apartheid qui y sont liées, en commençant par le retrait de ses troupes militaires.

La communauté internationale, a ajouté Mme Albanese, doit modifier ses délibérations en tenant compte de la nature coloniale de l’occupation israélienne et en exigeant qu’Israël se conforme aux obligations susmentionnées comme condition préalable aux négociations entre Israël et la Palestine.  Enfin, a-t-elle conclu, les États tiers ne doivent pas doivent pas reconnaître comme légale « la situation illégale créée par les actes internationalement illicites d’Israël ».

Dialogue interactif

Réagissant à l’exposé de Mme Albanese, l’État de Palestine a rappelé qu’en vertu du droit international, tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes.  Constatant qu’Israël viole ce droit depuis des décennies et entend continuer à le faire, la délégation a également observé que certains conditionnent la reconnaissance d’un État palestinien indépendant à l’aboutissement des négociations de paix avec Israël, ce qui revient à laisser celui-ci poursuivre sa politique d’occupation.  Alors que 700 000 colons juifs sont désormais implantés dans des territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est, elle a demandé à la Rapporteuse spéciale quel rôle peuvent jouer l’Assemblée générale et les États tiers pour dénoncer cette réalité.

Quelles mesures peuvent être prises pour aider à rétablir la confiance, nécessaire à l’amélioration la vie des Palestiniens et préalable à une résolution du conflit, a ensuite voulu savoir le Royaume-Uni en dénonçant les violations des droits humains commises par Israël.  Dans quelle mesure le changement de paradigme en faveur du droit à l’autodétermination du peuple palestinien permettrait-il de mettre fin aux violations du droit international et des droits humains dans les territoires palestiniens, s’est enquis le Luxembourg.  L’Union européenne a quant à elle réaffirmé son engagement en faveur d’un règlement juste et global du conflit israélo-palestinien et s’est félicitée de l’engagement récent d’Israël et de la Palestine en faveur de la solution des deux États.  L’UE a également condamné la violence des colons et a demandé à Israël de mette un terme à l’expansion des colonies ainsi qu’aux expulsions, démolitions et transferts forcés.  Elle a d’autre part condamné les tirs aveugles de roquettes sur Israël par le Hamas, le Jihad islamique palestinien et d’autres groupes terroristes.

La Micronésie a, pour sa part, estimé qu’Israël est devenu une « cible obsessionnelle » du Conseil des droits de l’homme, regrettant l’absence d’impartialité dans les enquêtes menées au sujet de cet État.  De son côté, la Fédération de Russie s’est opposée aux actions unilatérales d’Israël, avant de se dire préoccupée par les restrictions aux activités des organisations de défense des droits humains et à la liberté de la presse, y compris le meurtre de reporters.  Le Venezuela a, lui, réaffirmé son entière solidarité avec « la juste cause du peuple et de l'État de Palestine occupée », relevant une contradiction politique et morale dans « le ton des grands champions de la défense des droits de l’homme », lequel « s'estompe » lorsqu’ils parlent de la situation dans les territoires palestiniens.  Au nom du Mouvement des pays non alignés, l’Azerbaïdjan a condamné Israël pour sa poursuite de l’occupation militaire du Territoire palestinien, son utilisation d’une force excessive et indiscriminée, et son blocus illégal sur Gaza.  Il a aussi appelé à des efforts urgents pour soutenir le développement et le renforcement des institutions nationales palestiniennes.

Cuba a ensuite estimé que les droits des Palestiniens resteront une « chimère » tant qu’ils ne vivront pas dans un État souverain.  Laisser Israël continuer d’occuper le Territoire palestinien constitue une menace pour la paix et la sécurité mondiales, a averti la délégation, avant de réitérer son soutien à l’autodétermination du peuple palestinien et son appel à la reconnaissance d’un État palestinien dans les frontières de 1967.  Un grand nombre de délégations ont tenu des propos semblables, parmi lesquelles la République populaire démocratique de Corée (RPDC), la Malaisie, la Tunisie, le Chili, et l’Égypte, celle-ci voulant savoir comment la Rapporteuse spéciale entend mettre en œuvre pratiquement ses recommandations.

Sur cette même lignée, l’Afrique du Sud qui a estimé que l’occupation « néocoloniale » d’Israël remet en cause la raison d’être de la communauté internationale, avant de s’interroger sur la mise en œuvre, dans ces conditions, du droit des peuples à l’autodétermination.  La République arabe syrienne, a ajouté qu’Israël viole aussi les droits des Syriens sur le plateau du Golan occupé, tandis que le Qatar a insistait sur les violations des droits humains commises par Israël contre des journalistes, réclamant à cet égard à une enquête impartiale sur la mort de Shireen Abu Akleh.  L’Indonésie a, elle, estimé que les entreprises œuvrant dans des territoires illégalement occupés devraient être identifiées et dénoncées par le Conseil des droits de l’homme, l’Arabie Saoudite rappelant pour sa part son versement, la semaine dernière, de 27 millions de dollars à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).

Après la Türkiye, selon laquelle la communauté internationale semble se désintéresser de la question palestinienne au point de ne plus chercher de solution au conflit, la République islamique d’Iran a souhaité savoir que peuvent faire la société civile et les États tiers pour aider la Rapporteuse spéciale dans son travail.  Après sept décennies de conflit, l’action des Nations Unies ne paraît-elle pas insuffisante, a constaté le Niger, tandis que le Mali appelait à trouver un « véritable début de solution » à un « conflit qui impacte tous les États, de près ou de loin ».  La Norvège a, elle, souhaité que la Rapporteuse spéciale soit enfin autorisée à accéder aux territoires palestiniens occupés par Israël.

La Chine a plus particulièrement déploré le sort des plus vulnérables parmi les Palestiniens, notamment les femmes, les enfants et les personnes âgées.  Notant d’autre part l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les conditions de vie des Palestiniens, elle a promis de continuer à leur apporter une aide humanitaire et sanitaire, via les Nations Unies.  Enfin, la Namibie a regretté qu’Israël refuse de coopérer avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, au motif qu’ils seraient partiaux.  La Namibie a bénéficié des efforts des Nations Unies pour sa propre décolonisation et soutient les Palestiniens en ce sens, a-t-elle ajouté.

Répondant à ces observations, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a tout d’abord répété que l’impartialité est au cœur de son travail.  L’asymétrie entre Israéliens et Palestiniens en termes de puissance n’est toutefois pas ignorée, a-t-elle assuré, rappelant que « des occupants font face à des occupés » et que le dire n’est « aucunement biaisé ».  De même, le fait que 22 Israéliens et 183 Palestiniens aient récemment été tués, relève de la responsabilité de la puissance occupante, a estimé Mme Albanese.  Elle a ensuite regretté que, le Gouvernement israélien refuse catégoriquement de la rencontrer, ignore ses courriers et rejette tout dialogue constructif avec les organes des droits de l’homme, les accusant d’antisémitisme.

Israël n’a aucune souveraineté sur les territoires qu’il occupe, a poursuivi la Rapporteuse spéciale, avant de déplorer que peu de délégations aient pris la parole pour parler du fond de son travail.  À cet égard, elle rejeté avec force les accusations de partialité émises à l’encontre de son rapport ou de la Commission d’enquête.  Assurant que la question palestinienne est « en haut des priorités » du Conseil des droits de l’homme, elle a regretté que le Conseil de sécurité demeure paralysé.  Selon elle, Israël cherche à détourner l’attention de la réalité de la situation sur le terrain, mais le rapport est clair dans ses conclusions: les résolutions, les lois et les normes existent déjà, il convient de les appliquer.  Pour cela, il importe de changer de paradigme, notamment au sujet du droit à la légitime défense, a-t-elle avancé, estimant que les colons ne peuvent revendiquer ce droit.

La Rapporteuse spéciale a d’autre part critiqué l’approche politique selon laquelle les négociations seraient la « solution miracle ».  Auriez-vous accepté qu’on vous impose des conditions préalables à votre indépendance, a-t-elle demandé aux États passés jadis par un processus de décolonisation.  « Décolonisons d’abord, puis négocions ensuite », a-t-elle plaidé.  Mme Albanese s’est également élevée contre l’idée consistant à promouvoir le développement économique des Palestiniens avant leur autodétermination.  Comment parler de développement économique à des individus qui ne jouissent même pas de leurs droits fondamentaux, comme celui à la justice ou à l’éducation, s’est-elle interrogée?

La Rapporteuse a aussi fustigé les visions reléguant la question politique au second plan pour des motifs humanitaires.  Ceux-ci ont leur importance mais ils ne peuvent être pris en compte en dehors du respect du droit international, a-t-elle fait valoir.  Enfin, Mme Albanese a appelé les États Membres à « plus d’honnêteté intellectuelle » face à la situation des deux parties car, e-t-elle dit, « on ne peut déshumaniser l’autre sans se déshumaniser soi-même ».

Exposé

Mme ISHA DYFAN, experte indépendante chargée d’examiner la situation des droits de l’homme en Somalie, a présenté son rapport en évoquant une situation sécuritaire très préoccupante, malgré les efforts déployés par le Gouvernement fédéral de Somalie et la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS).  Au cours de la période à l’examen, et depuis la nomination du nouveau gouvernement il y a quelques mois, les Chabab et d’autres groupes armés ont intensifié leurs attaques dans tout le pays, faisant un grand nombre de victimes civiles, a-t-elle indiqué, avant de mentionner plusieurs incidents meurtriers survenus ces dernières semaines, notamment la prise d’assaut par les Chabab d’un hôtel à Kismayo et l’explosion d’engins improvisés à Beletweyne, dans la région de Hiran.  Selon l’experte indépendante, les parties au conflit continuent en outre de perpétuer les six violations graves contre les enfants à un rythme alarmant, les Nations Unies ayant vérifié plus de 4 400 de ces violations entre janvier 2021 et juin 2022.  Elle a donc appelé le Gouvernement somalien à intensifier ses efforts pour protéger les droits fondamentaux des civils, et singulièrement des enfants.  

Mme Dyfan a cependant salué l’approche adoptée par les autorités fédérales somaliennes en matière de protection des civils.  Cette approche, soutenue par la communauté internationale, est axée sur le transfert des responsabilités en matière de sécurité de la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) aux forces et institutions de sécurité somaliennes, a-t-elle rappelé.  Elle prévoit également le renforcement d’un processus de réconciliation inclusif et de collaboration avec la société civile et la communauté internationale pour minimiser l’impact du conflit armé et de l’insécurité, a précisé l’expert indépendante, non sans rappeler que, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), on recensait 366 000 personnes déplacées par le conflit et l'insécurité en 2022, dont 99 000 pour le seul mois d'août.

Pour Mme Dyfan, l’élection du Président Hassan Sheikh Mohamud et la mise en place du cadre de gouvernance, avec la nomination d’un nouveau Premier Ministre et d’un nouveau cabinet, offrent l’occasion d’accélérer la mise en œuvre du programme des droits humains.  Aussi encourageantes qu’elles soient, ces avancées ne respectent toutefois pas le principe d’une personne, une voix », stipulé dans la Constitution provisoire de la République fédérale de Somalie de 2012, a-t—elle relevé, déplorant également la sous- représentation des femmes, qui ne détiennent que 54 des 275 sièges de la Chambre du peuple, un niveau inférieur au quota minimum de 30%.

L’experte indépendante s’est aussi inquiétée des violations du droit à la liberté d’opinion et d’expression.  Au Somaliland, notamment, le personnel de sécurité continue de s’attaquer aux libertés des médias en harcelant, intimidant et arrêtant arbitrairement un nombre croissant de journalistes, a- t-elle dénoncé, citant des faits récents rapportés par l’Union nationale des journalistes somaliens (NUSOJ).  Mme Dyfan a, par conséquent, pressé le gouvernement de cet État de mettre sa législation sur les médias en conformité avec la Constitution fédérale provisoire de la Somalie.

Évoquant les multiples défis auxquels est confronté le Gouvernement fédéral, Mme Dyfan a cité en tête de liste la situation complexe en matière de sécurité, la mise en place d’institutions politiques plus justes au service de la population et enfin la réponse à une crise humanitaire causée par le conflit et exacerbée par les effets des changements climatiques.  Tous ces éléments entraînent, à ses yeux, une augmentation des violations des droits humains, notamment des violences sexuelles, ainsi qu’un accès limité aux services de base tels que la nourriture, l’eau et l’assainissement, l’éducation et les soins de santé.  Alors que 7,8 millions de personnes ont besoin d’assistance et que plus d’un million de personnes ont été déplacées par la sécheresse, le pays fait face à une catastrophe humanitaire et à une famine imminentes si la prochaine saison des pluies n’est pas au rendez-vous ou si elle s’avère inférieure à la moyenne, a averti l’experte indépendante.

Enfin, tout en se réjouissant de travailler en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes pour faire progresser la mise en œuvre des repères et indicateurs énoncés dans son rapport, Mme Dyfan a appelé le Gouvernement fédéral à donner la priorité à la création d’une commission nationale des droits humains, de finaliser l'examen complet de tous les projets de loi en suspens relatifs à la promotion et à la protection des droits des femmes et des enfants, et de mettre ces textes en conformité avec le droit et les normes internationales.

Dialogue interactif

À l’issue de cet exposé, la Somalie a mis en avant les réalisations de son gouvernement après seulement trois mois de mandat.  Elle a notamment cité la libération de zones qui échappaient à tout contrôle gouvernemental depuis des années, grâce à la mobilisation du peuple et des autorités contre le groupe terroriste des Chabab.  La délégation a également vanté la politique d’inclusivité du Gouvernement fédéral somalien ainsi que son programme stratégique visant à utiliser les ressources du pays, avant de se féliciter de l’amélioration des relations entre la Somalie et ses voisins, de même qu’avec la communauté internationale.  Elle a toutefois reconnu que des défis immenses subsistent, assurant que son gouvernement fait de son mieux pour passer de près de deux décennies de conflits et de sécheresse à une nouvelle ère de stabilité et de progrès.  Dans ce cadre, il entend continuer à mettre en œuvre le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a-t-elle assuré.

Le Gouvernement somalien a par ailleurs entamé un processus de réévaluation de certaines politiques, notamment en matière de droits des femmes, a poursuivi la délégation, faisant état d’une réflexion en vue de la création d’un comité pour la promotion et la protection des femmes.  Elle a ajouté que la participation des femmes à toutes les instances nationales est inscrite dans la Constitution du pays.  Le Gouvernement fédéral a déjà établi des jalons à atteindre dans la promotion des droits humains, notamment la réévaluation du cadre d’évaluation périodique et l’amendement des secteurs de la justice et de la sécurité, a encore indiqué la délégation, notant que ces derniers bénéficient de formations spécialisées sur des questions comme l’extrémisme culturel, le blanchiment d’argent et les violences fondées sur le genre.  Il s’agit également de protéger les enfants contre les six violations les plus graves, a-t-elle précisé, avant d’assurer que la Somalie entend honorer ses obligations internationales dans le domaine des droits humains.

À sa suite, le Luxembourg a voulu en savoir plus sur l’impact des changements climatiques sur les droits humains en Somalie.  Comment la Somalie peut-elle créer de nouveaux organismes qui permettront un meilleur respect des droits humains sur le terrain, se sont enquis les États-Unis.  Que peuvent faire les États Membres de l’ONU pour aider davantage la Somalie à mettre en œuvre les critères et indicateurs d’amélioration de la situation des droits de l’homme figurant dans le rapport, s’est interrogée l’Union européenne.

Le Royaume-Uni a, pour sa part, encouragé le Gouvernement somalien à donner la priorité à l’adoption de textes législatifs essentiels, notamment aux projets de loi sur les infractions sexuelles et sur les droits de l’enfant.  La délégation a en outre salué les positions de principe adoptées par la Somalie lors de récents votes aux Nations Unies, notamment en ce qui concerne la région chinoise du Xinjiang.  Cette déclaration a été dénoncée par la Chine, qui a souligné que la résolution ayant trait à la « région chinoise du Xinjiang » n’a pas été adoptée au Conseil des droits de l’homme à Genève, ce qui montre bien, selon elle, que la communauté internationale rejette ce « type d’insinuation ».  Par conséquent, la délégation a demandé au Royaume- Uni de cesser toute mention à cette résolution « avortée ».

Enfin, le Mexique a demandé à Mme Dyfan si des organisations de femmes participent aux commissions d’enquêtes sur les violations sexuelles et sexistes commises par les forces de police et de sécurité somaliennes.

Réagissant aux questions et observations des délégations, L’experte indépendante chargée d’examiner la situation des droits de l’homme en Somalie a estimé qu’à ce moment décisif de l’histoire du pays, la spirale de la violence due aux activités des Chabab et d’autres milices armées doit « impérativement cesser ». Ce cycle entrave la paix et la sécurité, et a des répercussions catastrophiques sur les populations civiles, a-t-elle alerté, en réitérant son appel à toutes les parties pour qu’elles respectent les droits humains. 

Après avoir invité les délégations à consulter ses rapports et les chiffres qu’ils contiennent, Mme Dyfan a relevé l’augmentation du nombre des décès comparé aux années précédentes. Lors du processus électoral de cette année, elle a constaté un accroissement des attaques visant Mogadiscio et d’autres régions de Somalie, craignant, si cette tendance se maintient, que le nombre de morts dépasse de loin ceux enregistrés pendant la période 2020-2021. “ce sera malheureusement le cas si nous restons là, les bras ballants, a averti l’Experte indépendante. Si l’action du Gouvernement somalien est réelle, les attaques des groupes armés se poursuivent et les populations civiles en pâtissent, a-t-elle déploré, pressant les autorités à mener des réformes dans le domaine sécuritaire tout en veillant au respect de l’état de droit.

Mme Dyfan a ensuite plaidé pour que le bureau du procureur spécial chargé des enquêtes sur les crimes visant des journalistes soit enfin opérationnel, insistant plus largement sur l’importance du renforcement institutionnel pour parvenir à des procès justes et équitables. Cette piste de réforme est prioritaire, a-t-elle souligné, avant de reconnaître que le chemin à parcourir est encore long. Elle s’est par ailleurs félicitée de l’adoption prochaine de deux projets de loi sur la délinquance juvénile et sur les droits de l’enfants, formant le vœu que d’autres actuellement en suspens seront aussi entérinés. Quant à la question des violences sexuelles et sexistes, elle a estimé que les perspectives d’une ratification par la Somalie de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes sont réelles. Le Gouvernement, a-t-elle relevé, aura sûrement besoin de l’aide d’experts et de la société civile pour parvenir à un consensus, comme cela avait été le cas en 2018 pour les projets de loi sur les violences sexuelles et les mutilations génitales féminines.

Exposé

Mme BETTY MURUNGI, Présidente de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie, a déclaré présenter son rapport à un moment « difficile et périlleux » pour le pays.  Après un arrêt des hostilités de cinq mois, les combats ont repris en août dernier entre, d’un côté, le Gouvernement fédéral et ses alliés, et de l’autre les forces tigréennes, a-t-elle rappelé, précisant que ces affrontements se sont considérablement intensifiés ces dernières semaines.  Cette aggravation du conflit a forcé plusieurs centaines de milliers d’Éthiopiens à fuir leur foyer, a-t-elle signalé, avant de dénoncer la multiplication des frappes aériennes dans le Tigré, avec l’utilisation d’armes explosives à large spectre dans les zones peuplées.  Les civils assiégés se retrouvent une fois de plus embourbés dans les conséquences inextricables et mortelles d’une guerre qui affecte la stabilité de l’Éthiopie et de la Corne de l’Afrique, a alerté la Présidente.

Dans ce contexte, Mme Murungi a affirmé avoir des motifs raisonnables de croire que la plupart des facteurs de risque contenus dans le Cadre d’analyse des Nations Unies pour les crimes d’atrocité, adopté en 2014, sont présents en Éthiopie aujourd’hui, notamment la diffusion de discours de haine et les actes de violence horribles et déshumanisants.  La crainte de nouveaux crimes d’atrocité rend d’autant plus important que la Commission internationale d’experts soit considérée comme un outil de prévention, a-t-elle appuyé, précisant que son travail vient compléter le processus de paix essentiel mené par l’Union africaine (UA).  Saluant à cet égard le processus de paix mené par l’UA entre le Gouvernement fédéral et les autorités régionales tigréennes, elle a assuré que le travail de la Commission est indépendant et impartiale.  Elle a ensuite rappelé que la Commission a effectué en juillet dernier une visite à Addis-Abeba, avant de regretter que le Gouvernement fédéral ne lui ait pas permis d'accéder à des zones situées en dehors de la capitale. 

Par ailleurs, Mme Murungi a dénoncé une situation humanitaire désastreuse au Tigré, où le Gouvernement fédéral et ses alliés refusent à quelque six millions de personnes, l’accès à la nourriture, aux médicaments et aux services de base depuis plus d’un an.  Notre rapport estime qu’il est fondé de croire que l’obstruction généralisée de l’accès à la nourriture, aux médicaments et aux services de base constituent des crimes contre l’humanité de persécution et d’actes inhumains, a-t-elle la Présidente.  De plus, a-t-elle ajouté, il existe aussi des raisons de croire que le Gouvernement fédéral se rend coupable de crime de guerre en utilisant la famine comme méthode de guerre.

Évoquant des cas de viols et de violences sexuelles qui atteignent « une échelle stupéfiante » en Éthiopie, Mme Murungi a accusé les forces éthiopiennes et érythréennes ainsi que les milices régionales de s’en prendre aux femmes et aux filles tigréennes avec une violence et une brutalité particulières.  Selon elle, les forces tigréennes commettent de graves violations des droits humains, dont certaines s’apparentent à des crimes de guerre.  Elle a cité, entre autres exemples, une attaque de drone opérée en janvier dernier contre un camp de personnes déplacées à Dedebit, qui a tué 60 civils.  Enfin, elle a rappelé l’engagement de la Commission internationale d’experts à collaborer avec les mécanismes nationaux éthiopiens, estimant que la mise en œuvre de mesures proposées par ces mécanismes contribueraient à la justice transitionnelle.

Dialogue interactif 

À la suite de cet exposé, le pays concerné, l’Éthiopie, a estimé que la commission présidée par Mme Murungi est le fruit d’un « calcul politique » visant à exercer des pressions sur l’Éthiopie et de servir de justificatif à d’éventuelles sanctions ou interventions, au risque de créer « un nouveau Darfour ».  De fait, il ne surprendra personne qu’aucun pays africain n’a voté en faveur de la résolution qui a créé cette commission, a poursuivi la délégation.  La Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie se fonde, selon elle, sur des allégations dépourvues de preuves, obéissant à une propagande médiatique entendue depuis longtemps.  Les experts qui la composent sont pourtant bien conscients que « le groupe extrémiste » auquel Addis-Abeba a affaire fabrique des preuves pour attirer la sympathie de la communauté internationale, a-t-elle ajouté, jugeant que le rapport de la Commission est en fait « un moyen d’entériner une position déjà actée contre l’Éthiopie ». 

L’Éthiopie, quoique contre cette commission d’experts, a pourtant proposé de dialoguer avec elle, mais elle s’y est refusée « à notre grande surprise », a déploré la délégation.  À la lecture de ses conclusions, cela n’est à posteriori guère surprenant, a-t-elle commenté, avant d’assurer que son pays continuera de coopérer avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, tout en faisant en sorte qu’aucune violation des droits humains commise sur son sol ne reste impunie. 

Nombre de délégations ont dit soutenir les travaux de la Commission et exprimé leurs vives inquiétudes au sujet des violations des droits humains dans le nord de l’Éthiopie.  Beaucoup ont aussi appelé à la facilitation de l’acheminement de l’aide humanitaire, exhortant toutes les parties à s’engager en faveur d’un cessez-le-feu sans conditions, à l’instar de l’Espagne ou encore de la Suisse, qui, après avoir salué les premiers pourparlers entre les parties sous l’égide de l’Union africaine, a demandé à la Présidente de préciser comment elle entend coopérer avec les mécanismes existants au niveau national.  Comment faciliter le mandat de la Commission et quels sont ses principaux défis, se sont interrogés l’Australie, l’Irlande et le Liechtenstein, tandis que le Royaume-Uni s’enquérait des moyens d’empêcher de nouvelles violations des droits humains après la reprise des hostilités au Burundi en août dernier. 

Les États-Unis se sont quant à eux interrogés sur la possibilité d’une justice de transition et de reddition des comptes pour les violations des droits humains commises dans le nord de l’Éthiopie.  À son tour, l’Allemagne a demandé des précisions concernant le mécanisme de reddition des comptes, et sur les moyens de lutter contre les restrictions dont souffre la société civile éthiopienne.  Comment la Commission compte-t-elle aborder la question du recrutement de mineurs dont s’accusent mutuellement les différentes parties, a voulu savoir le Luxembourg.  L’Union européenne s’est, elle, déclarée horrifiée par les violences commises par l’ensemble des parties au conflit, déplorant des coûts irréparables en termes de vie humaine. 

D’autres États, parmi lesquels Cuba, ont au contraire fustigé la Commission pour son approche « sélective », qui ne fait qu’attiser la confrontation et conforter une tendance à la politisation des droits humains, appelant à un dialogue constructif pour parvenir à la paix.  Une position défendue également par le Venezuela et l’Afrique du Sud, qui, au nom du Groupe des États africains, a fait valoir que l’Examen périodique universel (EPU) est le seul mécanisme juste et équitable pour l’examen des droits humains.  Elle a en outre applaudi les efforts déployés par le Gouvernement éthiopien pour protéger sa population et faciliter les travaux de la commission nationale des droits humains.  Louant, elle aussi, ces efforts, la Fédération de Russie a rappelé qu’aucun pays africain n’a voté en faveur de la création de la Commission, à l’inverse des pays occidentaux « opposés aux pays africains en développement ».  Les problèmes africains nécessitent des solutions africaines, a conclu la délégation russe. 

De son côté, l’Érythrée a accusé le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) de désinformation.  Elle a par ailleurs estimé que les allégations de violences sexuelles portées à son encontre par le rapport « déforment la réalité », ces violences sexuelles étant prohibées dans la société érythréenne et l’armée érythréenne étant « une des plus disciplinées de la région ».  Le rapport reflète l’esprit de sélectivité de ses auteurs, a regretté la délégation.  La Chine a critiqué les mécanismes concernant spécifiquement l’Éthiopie, jugeant qu’ils ont été construits par « certains États » pour nuire à l’Éthiopie et s’ingérer dans ses affaires, ce qui ne fait qu’aggraver la crise.  Le Cameroun a, pour sa part, considéré que « tout travail sur l’Éthiopie doit inclure l’Éthiopie », avant d’estimer à son tour que les mécanismes de l’ONU devraient être régi par le principe de non-politisation.  Enfin, le Nigéria a soutenu à son tour que l’EPU est le mécanisme idoine pour examiner la situation des droits humains, tandis que la Türkiye se disait disposée à apporter tout type d’appui au « peuple éthiopien frère ». 

En réponse aux délégations, M. STEVEN RATNER, membre de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie, a dit voir dans cet échange le début d’un dialogue constructif, estimant capital de le poursuivre à l’avenir.  S’agissant de l’interaction entre la Commission et les processus internes en Éthiopie, l’expert a estimé que, depuis le début des travaux, l’appropriation nationale des mécanismes de reddition des comptes s’est révélée fondamentale.  Il s’est félicité, à cet égard, d’avoir pu rencontrer des représentants du Gouvernement éthiopien en juillet dernier.  Il a qualifié de très instructifs les échanges avec différents organes, notamment la Commission éthiopienne des droits de l’homme, qui, a-t-il dit, fait un travail précieux en termes d’enquêtes.  Il a insisté sur l’importance de la collaboration, qui une partie cruciale du mandat de la Commission. 

Concernant les prochaines étapes de cette coopération avec les mécanismes nationaux, l’expert a indiqué que la Commission prévoit d’explorer de manière plus approfondie des thèmes évoqués dans le rapport, notamment les violences sexuelles et sexistes.  À cet égard, il a réaffirmé l’inquiétude de la Commission de voir les atrocités découvertes se reproduire, notamment contre des femmes et des enfants.  C’est pourquoi, il faut prendre ces questions à bras-le-corps, a-t-il expliqué.  Les violences choquantes dont la Commission a été témoin,  exigent de continuer à se pencher sur ce volet et de se concentrer sur la situation humanitaire dans le nord du pays, a-t-il ajouté, précisant que mettre fin aux violations des droits de la personne nécessite l’appui des États Membres et de l’Union africaine. 

Le représentant de l’Éthiopie s’est dit « contraint » de reprendre la parole eu égard à certaines déclarations appelant à référer son pays auprès d’autres mécanismes des Nations Unies.  « Les dés sont jetés », a-t-il dit, voyant derrière ces propos une « action prédéterminée », dont le résultat serait « connu d’avance ».  De notre côté, a ajouté le représentant, il n’y a plus de confiance, mais au contraire de plus en plus de méfiance.  « Ce que nous avons entendu ici, ce n’est pas un message de paix mais une mise en garde », a-t-il ajouté, assurant toutefois que l’Éthiopie réussira à relever ce « nouveau défi ». 

Exposé

M. FORTUNE GAETAN ZONGO, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi, qui présentait son premier rapport depuis la création de son mandat en octobre 2021, a tout d’abord souligné les avancées en matière de lutte contre la traite des êtres humains dans ce pays.  Des procédures judiciaires ont été lancées et plusieurs enquêtes et poursuites sont en cours, a-t-il salué, ajoutant que des personnes ont été condamnées et que des victimes ont reçu une assistance.  Il s’est également félicité que le Burundi ait institutionnalisé la formation à la lutte contre la traite, avant de reconnaître que, malgré les mesures prises par le Gouvernement burundais, la situation des droits humains « n'a pas changé de manière substantielle et pérenne ».  À ses yeux, l’obligation de rendre des comptes depuis la crise de 2015, marquée par des violations graves et massives des droits humains, constitue toutefois un gage pour une paix durable, tout comme la nécessité de conduire des réformes institutionnelles plus profondes.

À cet égard, a-t-il dit, l’Examen périodique universel (EPU) de 2018 a donné l’occasion au Burundi d’accepter les recommandations visant à lutter contre l’impunité et à consentir à mettre en place un système judiciaire pleinement transparent et équitable.  Or, les quelques cas de plaintes déposées à la suite de violations graves ont rarement débouché sur l’ouverture d’enquêtes impartiales, et encore plus rarement sur la poursuite et la condamnation des auteurs, ce qui constitue en soi une violation du droit à un recours effectif, a dénoncé le Rapporteur spécial.  S’il a noté quelques actes isolés visant à poursuivre les auteurs de violations et d’abus des droits humains, M. Zongo a surtout constaté une « impunité sélective », la poursuite des crimes de droit commun étant préférée à celle des crimes les plus graves.

Dressant un comparatif avec 2015, M. Zongo a relevé qu’aujourd’hui encore, subsistent des restrictions à la liberté d’association avec comme corollaire l’exil de milliers de Burundais et de Burundaises, dont des centaines de défenseurs des droits de l’homme et des professionnels des médias.  Cette situation est selon lui renforcée par un contexte socioéconomique marqué par les effets multidimensionnels de la COVID-19.  À cette aune, il a dit vouloir s’appuyer sur l’objectif de développement durable 16, relatif à la paix, à la justice et à des institutions efficaces, pour encourager à une plus grande prise en compte des droits humains par le Burundi.

Le Rapporteur spécial a par ailleurs pris note de la levée des sanctions de l’Union européenne contre trois officiels burundais, dont le Premier Ministre, M. Gervais Ndirakobuca.  Si cette mesure offre une opportunité de dialogue avec le Burundi pour le renforcement de la culture des droits humains, en revanche des gages tangibles et mesurables de lutte contre l’impunité restent nécessaires pour atteindre une paix durable, a-t-il jugé. En effet, a constaté M. Zongo, de nombreux auteurs de violations et abus des droits humains appartenant aux forces de défense et de sécurité et à des milices telles que les Imbonerakuré n’ont pas été traduits en justice.  Une impunité qui est renforcée par des discours officiels, a-t-il déploré, évoquant une déclaration du Secrétaire général du CNDD- FDD, parti au pouvoir au Burundi, en août 2022, qui appelle les Imbonerakuré à poursuivre leurs patrouilles de nuit et à tuer tout « fauteur de troubles ».

Enfin, après avoir dénoncé les restrictions imposées dans l’espace civique aux partis politiques d’opposition, aux syndicats et aux défenseurs des droits humains, le Rapporteur spécial a réitéré, en conclusion, sa disponibilité à œuvrer aux côtés des autorités burundaises pour promouvoir le renforcement de l’état de droit et de la protection des droits humains dans le pays. 

Dialogue interactif

Après l’exposé du Rapporteur spécial, le Burundi a regretté le caractère « purement subjectif » de son rapport, alors que la communauté internationale est témoin de développements plus qu’encourageants et perceptibles dans le domaine des droits humains, comme en témoigne le retrait du pays des agendas du Conseil de Sécurité et du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine.  La délégation a également rappelé la levée de la suspension du Burundi au sein de l’Organisation internationale de la francophonie, le recouvrement du Statut A de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme, ainsi que les réformes initiées par le Gouvernement burundais dans les domaines de la bonne gouvernance, de la justice sociale, des libertés d’opinion, de la presse et des droits civils et politiques.  La délégation s’est en outre enorgueillie de la récente levée des sanctions ciblées de l’Union européenne envers certaines personnalités burundaises.  À cette aune, elle a jugé « vraiment regrettable » que le rapport présenté soit totalement « déphasé » de la situation réelle qui prévaut dans le pays, ce qui montre, selon elle, les « mobiles politiques non officiellement avoués » qui dictent sa rédaction.

De fait, a-t-elle souligné, ce rapport est un « non-événement » pour le Burundi.  « Tout ce qui se décide sur le Burundi sans le Burundi n’engagera le Burundi en aucune circonstance », a insisté la délégation, avant d’indiquer qu’elle compte recommander à la Cinquième Commission de ne plus allouer un budget à ce mécanisme.  Le Burundi sollicitera le soutien de tous les États Membres à ce sujet, a-t-elle précisé, estimant que le budget en préparation gagnerait à être réaffecté dans d’autres projets pour une bonne gestion des ressources financières des Nations Unies.  Pour le Burundi, « le mandat du Rapporteur spécial sur le Burundi n’existe plus”, a tranché la délégation.

Plusieurs délégations, à l’instar de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua, ont ensuite condamné la manipulation des questions relatives aux droits humains, y voyant une volonté d’ingérence dans les affaires internes des États.  Le but est de souiller des États souverains, ont-elles regretté, appelant à respecter les principes de non-sélectivité et de non-politisation, et d’abandonner les « deux poids, deux mesures » en matière de droits humains. Le Bélarus a, lui aussi, dénoncé cette « intrusion punitive », qui vise selon lui à servir des intérêts hégémoniques.  Il faut cesser les ingérences dans les affaires intérieures du Burundi au prétexte de la défense des droits de la personne et opter pour la voie du dialogue et de la coopération, a prôné la Chine, appuyée par le Cameroun, qui s’est élevé contre cette division « manichéenne » du monde, laquelle cible en particulier les pays en développement, a pointé l’Érythrée.  « Aux problèmes africains, des solutions africaines », a prôné la Fédération de Russie, soutenue par le Nigeria, qui a rejeté à son tour cette approche des droits humains « à géométrie variable ».  La question des droits de l’homme doit être examinée dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU), instrument idoine par excellence, ainsi que dans les cycles périodiques des organes de traité et d’autres instruments, toujours et nécessairement sur la base de la coopération et du dialogue avec les pays concernés, a professé la République islamique d’Iran

Quelles sont les mesures qui permettraient de mieux protéger les défenseurs des droits humains? Et quelles sont les priorités pour les prochains mois, a demandé, pour sa part, l’Union européenne.  À sa suite, les États-Unis se sont enquis des moyens de renforcer ensemble la reddition des comptes et de promouvoir l’indépendance judiciaire.  Comment y parvenir dans un pays où il n’y a pas eu changement de fond sur le plan des droits de l’homme, s’est interrogé le Royaume-Uni, qui a aussi souhaité savoir comment la communauté internationale peut continuer à soutenir le Gouvernement du Burundi.  La Norvège s’est, elle, proposée d’aider le Rapporteur spécial à s’acquitter au mieux de son mandat.

Réagissant aux questions et observations des États Membres, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi a reconnu que traiter de situation spécifique n’est facile pour aucun titulaire de mandat. Il a cependant rappelé que le Burundi a accepté les « règles du jeu » dès juin 2013 en adressant une invitation permanente aux procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.  Le Rapporteur spécial a également tenu à clarifier son rôle, évoquant un mandat purement technique et non politique. L’objectif est de contribuer à un renforcement de l’état de droit et à un « meilleur-être » des populations burundaises, a-t-il affirmé, estimant ne pas s’inscrire dans une logique d’affrontement, mais plutôt d’accompagnement.

S’agissant de ses priorités dans les mois à venir, M. Zongo a dit vouloir travailler sur des questions comme l’état de droit et le renforcement du système judiciaire afin de mieux répondre aux violations des droits humains. Une démarche qu’il ne peut entreprendre sans l’appui et la coopération de l’État burundais, a-t-il souligné.  Quant aux mesures concrètes, le Rapporteur spécial compte tirer profit d’institutions plus fortes à même de gérer des cas personnalisés sans instrumentalisation ou utilisation de l’appareil d’État.  Aujourd’hui, a-t-il reconnu, le Burundi revient de loin. La communauté des États devrait donc l’accompagner plutôt que de s’inscrire dans une « dichotomie Est/Ouest ».  Lui, en tout cas, se positionne « au-delà du débat politique » pour apporter une amélioration et s’assurer que les droits humains sont dynamiques au Burundi.  Ses avis techniques » peuvent permettre la mise en place de mécanismes de prévention des crises, a-t-il assuré en conclusion, affirmant tendre la main à l’État burundais « pour le mieux-être de la population » et pour qu’à terme, ce pays puisse quitter l’agenda du Conseil des droits de l’homme.

Reprenant la parole, le représentant du Burundi a relevé un « décalage évident » chez les délégations qui sont restées sur les « vieilles déclarations infondées de l’opposition », véhiculées dans les médias sociaux depuis 2014. Il a par ailleurs estimé qu’un fait nouveau concernant le Burundi est la participation des jeunes au développement du pays, favorisée par des programmes d’autonomisation menés dans les villes et en milieu rural.

M. MOHAMED ABDELSALAM BABIKER, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, a déploré une détérioration de la situation des droits de humains dans le pays.  L’implication de l’Érythrée dans le conflit armé dans la région du Tigré, en Éthiopie, a aggravé ce bilan, a-t-il expliqué, constatant que des milliers de conscrits, parmi lesquels des femmes, des enfants et des personnes âgées, ont été envoyés au front par la force, après l’appel lancé par le Gouvernement érythréen en septembre dernier.  Selon M. Babiker, les multiples violations des droits humains que subissent les Érythréens poussent des milliers d’entre eux à fuir, et ce, bien qu’ils se heurtent à des systèmes d’asile de plus en plus restrictifs.  Au Tigré, les réfugiés érythréens sont même parfois tués, a-t-il relevé, avant de rappeler qu’en août dernier, des Érythréens se sont vus refuser l’accès aux procédures d’asile en Éthiopie.  De surcroît, l’aide humanitaire dont ont pourtant cruellement besoin les populations est entravée dans la région du Tigré depuis plusieurs mois, a déploré le Rapporteur spécial, qui a jugé « très préoccupant « le rôle des forces érythréennes dans l’application d’un blocus de facto sur la région.

L’Érythrée, en outre, n’a fait aucun progrès dans le domaine des droits humains et n’a en somme toujours pas d’état de droit, a fait observer M. Babiker.  Des centaines d’Érythréens sont arbitrairement détenus et certains ont disparu depuis plus de 20 ans et croupissent dans des prisons secrètes où est pratiquée la torture, a-t-il alerté.  Face à ces violations, le Rapporteur spécial a exhorté l’Érythrée à révéler aux proches de ces personnes victimes de disparition forcée où elles se trouvent, notant que les conditions de détention dans le pays s’apparentent à un traitement inhumain et dégradant.

L’espace civique en Érythrée reste, lui aussi, très restreint, a expliqué le Rapporteur spécial.  En effet, un seul parti est autorisé, tandis que les journalistes sont inquiétés, 16 d’entre eux ayant disparu depuis plus de 20 ans, a-t-il précisé, évoquant par ailleurs l’arrestation de 47 chrétiens et une augmentation inquiétante des attaques contre le clergé.  Parmi ces chrétiens, Mgr Abune Fikremariam Hagos, premier évêque de l’éparchie catholique de Segheneyti, a été arrêté le 15 octobre dernier à l'aéroport d’Asmara et emmené dans un lieu non divulgué.  M. Babiker a demandé au Gouvernement érythréen de libérer les personnes emprisonnées en raison de leurs convictions religieuses.

Rappelant qu’en octobre 2021, l’Érythrée a été réélue au Conseil des droits de l’homme, le Rapporteur spécial a estimé que le pays se doit de respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits humains, et de respecter les recommandations émises dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU).  M. Babiker a d’autre part regretté que le Gouvernement de l’Érythrée continue de s’opposer à son mandat et lui refuse toute visite.  Il a ainsi indiqué que ses demandes de visite, effectuées en janvier 2021 et août 2021, restent à ce jour sans réponse.  En conclusion, il a insisté sur le fait que son mandat est au service des droits de tous les Erythréens.

 

Dialogue interactif

À la suite de la présentation de M. Babiker, l’Érythrée a dit ne pas reconnaître ce mandat qui « viole les principes mêmes du Conseil des droits de l’homme ».  S’étonnant que le Rapporteur spécial appuie les sanctions imposées au pays, la délégation a averti que ces mesures unilatérales auront des conséquences sur des individus innocents.  Existe-t-il une crise dans le pays méritant une action du Conseil des droits de l’homme depuis 10 ans?  Non, a répondu la délégation, notant que le seul mécanisme idoine en matière de droits humains est l’Examen périodique universel (EPU).

L’Érythrée a par ailleurs rejeté les allégations de violations des droits humains dans la région éthiopienne du Tigré, estimant qu’elles ont été inventées de toute pièce pour ternir l’apaisement entre l’Éthiopie et l’Érythrée.  Le rapport présenté par le Rapporteur spécial s’inscrit dans les efforts visant à nuire à actions érythréennes de promotion des droits humains, a-t-elle conclu, exhortant les États Membres à lutter contre la politisation de ces droits et l’ingérence dans les affaires intérieures.

Nombre de délégations, à commencer par celle de l’Union européenne (UE), ont dénoncé le bilan de l’Érythrée en matière de droits humains, tout en l’appelant à mettre fin à l’ensemble des violations dont elle est accusée par le rapport, à garantir la liberté d’expression, de réunion et de propriété, et à retirer ses forces armées du nord de l’Éthiopie.  L’UE a demandé comment il serait possible de suivre la situation des droits humains en Érythrée pour contribuer à son amélioration.  Comment les États peuvent-ils aider à faire en sorte que les coupables de violations rendent compte de leurs actes et que les troupes de l’Érythrée se retirent d’Éthiopie, ont voulu savoir les États-Unis.  Le Royaume-Uni s’est, lui, interrogé sur l’aide dont a besoin le Rapporteur spécial, alors que le Gouvernement érythréen refuse de coopérer avec lui.  La Norvège a demandé des détails sur la coopération du mandat de M. Babiker avec les défenseurs des droits humains en Érythrée.

D’autres pays, comme le Venezuela et Cuba, ont condamné les mécanismes des droits humains qui ciblent des pays sans l’assentiment de ces derniers, ce qui selon eux viole des principes clés consacrés par la Charte des Nations Unies, parmi lesquels la non-ingérence et la non-sélectivité.  Ils ont également estimé que les droits humains devraient examinés par des organes conventionnels sur la base d’un dialogue constructif et par le biais de l’EPU.  Le Nicaragua a rejeté le rapport pour les mêmes motifs, tandis que   l’Afrique du Sud, qui s’exprimait au nom du Groupe des États d’Afrique, faisait valoir que la politisation des droits humains n’a jamais été facteur de progrès.  De même, la République populaire démocratique de Corée (RPDC), a déploré que la politisation prévale dans le système international.

À son tour, le Cameroun a estimé que le travail sur les droits humains aux Nations Unies doit répondre à une certaine objectivité, affirmant croire en la capacité de l’Érythrée à œuvrer en faveur des droits humains.  La République arabe syrienne a, pour sa part, répété son opposition de principe à tout rapport servant de plateforme a des déclarations politisées, une position partagée par la République islamique d’Iran.  La Chine a quant à elle constaté que l’Érythrée a réalisé des progrès encourageants sur de nombreux plans relevant des droits humains, avant d’exprimer son attachement à la souveraineté de ce pays.  Et comme l’Érythrée, la Chine a appelé de ses vœux la fin du mandat de M. Babiker.  De son côté, la Fédération de Russie a estimé que la situation des droits humains n’a jamais été améliorée par les mandats du type de celui mis en place pour l’Érythrée.  Selon elle, le Rapporteur spécial a choisi la confrontation avec l’Érythrée en soutenant des sanctions américaines qui nuisent aux droits humains de la population.  Le Bélarus a ensuite déploré une perte de ressources en raison d’un mandat sans effet, qui ne prend pas en compte des progrès réalisés par l’Érythrée.

Le Burundi a également salué les progrès réalisés par l’Érythrée, notamment en ce qui concerne le droit à la santé, et estimé que les États Membres devraient repenser le mécanisme des titulaires de mandat, d’autant plus que le concept des droits humains est devenu « un instrument aux mains de certains États ».  Condamnant toutes les violations des droits humains, l’Égypte a estimé, elle aussi, que seul l’EPU permet de faire progresser ces droits au niveau international.  Elle a été rejointe par le Nigeria, qui, saluant les efforts de l’Érythrée en la matière, a condamné l’invocation des droits humains comme « stratagème justifiant l’ingérence ».  Enfin, l’Éthiopie a fustigé les examens menés pour des raisons politiques, les jugeant « contre-productifs », avant de saluer les efforts de l’Érythrée en faveur des droits humains.  La délégation s’est en outre déclarée déçue que le Rapporteur spécial dépasse les attributions de son mandat malgré les mises en garde l’Éthiopie lors de sa dernière rencontre avec lui.  Elle a répété que le nord de l’Éthiopie n’est pas concerné par son mandat.

Répondant à ces questions et observations, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en Érythrée a abordé en premier lieu les accusations de politisation.  Des journalistes sont détenus en Érythrée depuis des années, des individus ont disparu, y compris une jeune fille de 15 ans, et toutes ces allégations ont fait l’objet de questions posées à l’Érythrée, toutes restées sans réponse, a expliqué M. Babiker.  Il a cependant assuré qu’il reste prêt à dialoguer avec les autorités du pays.  À la question de savoir si son mandat est une ingérence dans les affaires d’un État, il a répondu par la négative, ajoutant que, si les accusations de viols, de meurtres et d’autres violations sont contraires aux valeurs africaines, mais n’en constituent pas moins des faits documentés.

Le Rapporteur spécial a ensuite exhorté les États Membres à faciliter le dialogue avec le Gouvernement érythréen. Il a également jugé qu’en tant que membre du Conseil des droits de l’homme, l’Érythrée devrait en respecter les principes. Observant par ailleurs qu’un grand nombre d’États ont évoqué l’Examen périodique universel (EPU), il a relevé que « même les recommandations émanant de l’EPU n’ont pas été mises en œuvre par l’Érythrée ».  Il a dit espérer que le Groupe des États d’Afrique prend cela en compte.

M. Babiker a d’autre part assuré que ses recommandations ne le font pas sortir du cadre de son mandat, car celui-ci a une portée extraterritoriale. Il s’applique du fait de la présence de troupes érythréennes au Tigré ou de celle de demandeurs d’asile érythréens en dehors des frontières de leur pays, a-t-il fait valoir. L’Érythrée doit coopérer avec nous, a plaidé le Rapporteur spécial, formant le vœu qu’elle s’engagera à le faire dans le cadre de la Troisième Commission.  Enfin, il a répété que tout ce qui figure dans son rapport est « étayé par des faits ».

Reprenant la parole après cette réponse, l’Érythrée a remercié les nombreux États qui l’ont soutenu, avant de déplorer que les plateformes des droits humains « propagent, parfois sans le vouloir, le mal qu’elles entendent combattre ».

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