Troisième Commission: vives dénonciations des procédures spéciales lors de l’examen des droits humains au Myanmar, en RPDC, en Afghanistan, au Bélarus, en Iran et en Syrie
La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a été aujourd’hui le théâtre de débats houleux à l’entame de l’examen de la situation des droits humains dans six pays, un large groupe de délégations, appuyé par le Mouvement des pays non alignés, rappelant leur position de principe sur ces mandats, jugés politisés, sélectifs, et irrespectueux de la souveraineté des États, estimant que ces questions devraient être traitées au Conseil des droits de l’homme, dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU).
Ces contestations ont visé les cinq Rapporteurs spéciaux sur la situation des droits humains au Myanmar, en République populaire démocratique de Corée (RPDC), en Afghanistan, au Bélarus, en République Islamique d’Iran ainsi que le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne. Les exposés de ces six titulaires de mandat, souvent confrontés au refus d’accès dans le pays, ont néanmoins permis de constater l’étendue du chemin restant à parcourir.
« L’Afghanistan reste très certainement le pire pays au monde où être une femme ou une fille », s’est alarmé le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans ce pays qui a indiqué que les femmes, dont les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels sont bafoués, ont été effacées de la vie publique. M. Richard Bennett, a également rappelé que les écoles secondaires de filles étaient fermées depuis 401 jours. La réouverture des écoles secondaires pour filles est le premier test du respect par les autorités de facto de leurs obligations internationales en matière de droits humains, a-t-il dit.
Les violations du droit fondamental des femmes ont également été largement débattues lors du dialogue avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en République islamique d’Iran qui a appelé à la mise en place d’un mécanisme d’enquête indépendant sur les violations des droits humains qui ont précédé et suivi la mort en détention de Mahsa Amini, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour avoir porté son hijab de manière inappropriée. Évoquant les manifestations qui se sont produites depuis dans tout le pays, M. Javaid Rehman a estimé que la barrière de la peur avait été franchie, les conditions ayant conduit à la mort de Mahsa Amini et la violation du droit fondamental des femmes à parler et à s’habiller librement ne pouvant plus être tolérées. De manière prévisible, les autorités ont répondu à ces revendications par une répression brutale des manifestants pacifiques et une coupure des connexions Internet dans le but d’étouffer la liberté d’expression et d’association de la population iranienne, a-t-il déploré.
Sur le registre de la reddition de comptes, le bilan est lourd, ont également constaté les titulaires de mandat, à l’instar du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar qui a affirmé que « les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sont le fonds de commerce de la junte militaire », évoquant la mort d’au moins 50 spectateurs assistant à un concert dans une frappe aérienne de la junte dans l’État kachin. Dans ce contexte, le peuple du Myanmar attend depuis 18 mois une action que les Nations Unies ont prise en seulement quatre jours s’agissant de l’Ukraine, a fait observer M. Thomas Andrews, qui a relevé que les Rohingya, eux, « attendent depuis plus longtemps encore ».
Outre la détention de 1 300 prisonniers politiques au Bélarus, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans ce pays a indiqué que des centaines de milliers de personnes ont été forcées de s’exiler en raison de violations des droits humains, citant en premier lieu l’intimidation et la violation des droits sur le lieu de travail, notamment la privation de licence pour les avocats, d’accréditation pour les journalistes et d’enregistrement pour les organisations de la société civile. De plus, au moins 600 organisations ont été contraintes de se dissoudre ou d’interrompre leurs activités, dont la quasi-totalité des groupes de défense des droits humains du pays. Mme Anaïs Marin s’est également inquiétée du durcissement de la législation contre l’extrémisme et le terrorisme, qui est instrumentalisée pour étouffer et punir toute forme de dissidence dans le pays. Tout aussi préoccupants, deux projets de loi en cours d’examen envisagent de priver de la citoyenneté ceux qui participent à des « activités extrémistes », en plus de restrictions à la sortie du pays pour des raisons de « sécurité nationale ».
De son côté, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC) a signalé que ce pays est plus isolé que jamais en raison des restrictions qu’il s’est imposées en janvier 2020 en raison de la pandémie. Elle s’est particulièrement préoccupée de l’accès limité de la population à la nourriture et de l’accès insuffisant aux soins de santé compte tenu de la fragilité du système sanitaire du pays. Cette situation souligne l’importance de rouvrir le pays à l’aide humanitaire, a estimé Mme Elizabeth Salmón qui ambitionne de garantir la vérité et la justice pour les victimes, notamment en recourant à la juridiction universelle et aux tribunaux nationaux.
Sur le front syrien où une grave épidémie de choléra s’est déclarée dans 14 provinces du pays, le Président de la Commission d’enquête s’est préoccupé du sort inconnu des dizaines de milliers de personnes disparues, « l’une des plus grandes tragédies de la guerre syrienne », ainsi que de la situation des 58 000 personnes, dont 37 000 enfants, qui restent illégalement privées de liberté dans les camps de Hol et de Raouj. Dans ces conditions, la nécessité des rapatriements est plus urgente que jamais, a souligné M. Sergio Pinheiro.
À l’exception du Bélarus et de la RPDC qui n’ont pas pris la parole lors de la présentation des rapports les concernant, les représentants du Myanmar et de l’Afghanistan auprès de l’ONU, ont, eux, soutenu les titulaires de mandat tandis leurs homologues de la Syrie et de l’Iran ont vigoureusement dénoncé le rapport qui les visait.
La Troisième Commission reprendra ses travaux demain, jeudi 27 octobre, à partir de 10 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS
Déclaration liminaire
Au nom du Mouvement des pays non alignés, la représentante de l’Azerbaïdjan a exprimé sa profonde inquiétude face à la poursuite et à la prolifération de la pratique d’adoption sélective de résolutions spécifiques à un pays en Troisième Commission, ainsi qu’au Conseil des droits de l’homme (CDH), dénonçant un outil qui exploite les droits humains à des fins politiques. Elle a également réaffirmé la nécessité de promouvoir une plus grande cohérence et complémentarité entre les travaux de la Troisième Commission et du CDH et d’éviter les doubles emplois et les chevauchements inutiles dans leurs activités.
La représentante a par ailleurs fait valoir que l’Examen périodique universel (EPU) est le principal mécanisme intergouvernemental de coopération pour examiner les questions relatives aux droits de l’homme au niveau national dans tous les pays sans distinction, avec la pleine participation du pays concerné et en tenant compte de ses besoins en matière de renforcement des capacités. À cette aune, a-t-elle ajouté, le Mouvement des pays non alignés rejette la pratique actuelle du Conseil de sécurité consistant à traiter les questions relatives aux droits de l’homme en fonction des objectifs politiques de certains États.
Enfin, a conclu la déléguée, le Mouvement des pays non alignés réaffirme l’importance d’assurer la mise en œuvre de l’EPU en tant que mécanisme coopératif orienté vers l’action, fondé sur des informations objectives et fiables et sur un dialogue interactif avec la pleine participation des pays à l’examen, et mené de manière impartiale, transparente, non sélective, constructive, non conflictuelle et non politisée.
Déclarations suivies de dialogues interactifs
Exposé
M. THOMAS H. ANDREWS, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, a présenté un exposé comprenant trois parties, « le meilleur, le pire et l’incompréhensible ». D’emblée, il a déclaré que si la junte militaire au pouvoir pensait que ses crimes contre l’humanité et ses crimes de guerre paralyseraient les défenseurs des droits humains au Myanmar, elle a fait une « grave erreur de calcul ». Le « meilleur », a-t-il expliqué, ce sont les défenseurs des droits humains et les journalistes qui risquent leur vie pour documenter les atrocités, les avocats qui risquent leur vie et leur carrière pour représenter des prisonniers politiques, les médecins qui lancent des cliniques mobiles et les enseignants qui mettent en place des systèmes éducatifs alternatifs. À ses yeux, ces « héros » représentent « le meilleur du Myanmar et le meilleur de l’humanité ». Ils ont besoin et méritent « votre attention, votre respect et, surtout, votre soutien », a-t-il lancé aux États Membres.
Pour illustrer le « pire », M. Andrews a rappelé que, quelques jours avant la présentation de son rapport devant le Conseil des droits de l’homme, un hélicoptère de combat de l’armée du Myanmar s’est abattu sur une école dans la région de Sagaing et les soldats ont ouvert le feu. Treize personnes, dont de jeunes enfants, ont été tuées, a-t-il précisé. Plus récemment, au moins 50 spectateurs assistant à un concert ont trouvé la mort dans une frappe aérienne de la junte dans l’État kachin. « Les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sont le fonds de commerce de la junte militaire », a dénoncé le Rapporteur spécial.
Citant ensuite les propos d’adolescents qu’il a interrogés sur leur vie depuis le coup d’État de février 2021 et sur leurs attentes, M. Andrews a dit qu’une jeune fille de 14 ans lui avait confié que son plus grand espoir était d’avoir enfin « une bonne nuit de sommeil ». Elle a lui décrit comment elle et sa famille étaient régulièrement réveillées par le bruit des tirs et des bombardements. Chaque nuit, elle était terrifiée, a-t-il rapporté, avant d’évoquer « l’incompréhensible », le fait que le peuple du Myanmar soit déçu et troublé par l’incapacité des États Membres à contribuer à résoudre cette crise de manière juste, responsable et humaine. Les gens du Myanmar comprennent que l’attention se porte ailleurs, notamment sur l’Ukraine. Ceux avec qui il a parlé soutiennent le peuple ukrainien et ont de l’empathie pour lui, a-t-il affirmé, établissant un lien entre les armes utilisées pour attaquer ces deux peuples. Elles proviennent de la même source: la Russie, a-t-il constaté.
Dans ce contexte, le peuple du Myanmar attend depuis 18 mois une action que les Nations Unies ont prise en seulement quatre jours s’agissant de l’Ukraine, a fait observer le Rapporteur spécial, qui a relevé que les Rohingya, eux, « attendent depuis plus longtemps encore ». En bref, le peuple du Myanmar a besoin d’aide, a-t-il résumé, regrettant à cet égard que certains États aggravent la situation en continuant de fournir à la junte des armes pour attaquer les civils. Pire, des États ont même fait part de leur volonté d’aider et d’encourager la junte à organiser des élections fictives l’an prochain, pendant que d’autres, voisins du Myanmar, détiennent ou repoussent les personnes fuyant les violences de la junte dans les zones de conflit. M. Andrews a pointé du doigt la Malaisie, qui, au cours des dernières semaines, a expulsé plus de 100 ressortissants du Myanmar, dont des déserteurs de l’armée qui seront probablement torturés et risquent la peine de mort.
Il s’agit là d’une violation flagrante du droit international, a-t-il condamné.
Le Rapporteur spécial a rappelé qu’au cours de l’année écoulée, il a recommandé qu’une coalition de nations lance une initiative coordonnée visant à priver la junte des armes, des finances et de la légitimité dont elle a besoin pour poursuivre ses attaques, tout en augmentant l’aide humanitaire au peuple du Myanmar. Pour M. Andrews, l’approche non coordonnée et non stratégique qui est actuellement employée est inadéquate et coûte un nombre incalculable de vies. Or, a-t-il déploré, aucun changement dans l’approche du statu quo n’est en cours ni même envisagé.
Avant de conclure, le Rapporteur spécial a interpellé les États Membres en demandant combien d’entre eux reconnaissent que la réponse internationale à cette crise est « grossièrement inadéquate » et soutiennent une « correction immédiate de la trajectoire ». Y a-t-il des membres du Conseil de sécurité prêts à présenter une résolution audacieuse et à insister pour qu’elle soit transmise à l’Assemblée générale en cas de veto? Et combien sont prêts à augmenter l’aide humanitaire à la population du Myanmar? Appelant les États Membres à adopter une nouvelle approche coordonnée et stratégique « qui ait une chance de réussir », il s’est dit convaincu que le modèle d’une action efficace existe. « Ce qu’il faut, maintenant, c’est la volonté politique de l’engager ».
Dialogue interactif
À l’issue de cette présentation, le Myanmar a estimé que le rapport reflète clairement la situation des droits humains dans le pays. En écho à une recommandation du Rapporteur spécial, il a demandé au Conseil de sécurité d’adopter une résolution prévoyant un embargo sur les armes. Il a également demandé la convocation d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité pour lancer une initiative coordonnée privant la junte militaire d’armes, de financement et de légitimité. Depuis le coup militaire de février 2021, la situation se dégrade chaque jour, a averti la délégation, rappelant que près de 16 000 personnes sont détenues de façon arbitraire par la junte au pouvoir. Plus d’un million de personnes ont été déplacées et plus de 14 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire, a-t-elle ajouté, voyant dans ces faits la preuve que la junte viole les droits fondamentaux du peuple du Myanmar. Le Mécanisme indépendant d’enquête des Nations Unies a fait état de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, a rappelé la délégation, selon laquelle la junte a, en outre, exécuté quatre prisonniers politiques, un fait sans précédent au Myanmar depuis trois décennies.
Le régime a massacré des innocents dans tout le pays, lancé des attaques aériennes et utilisé des armes lourdes dans des zones civiles, a encore dénoncé la délégation du Myanmar, avant de mentionner, entre autres exemples des atrocités commises par les militaires, le raid aérien mené en septembre contre une école, qui a fait 13 morts, en majorité des enfants, et plus récemment, l’attaque aérienne qui a tué une centaine de civils réunis dans le cadre d’un concert dans l’État kachin. Malgré ces violences, a-t-elle prévenu, le peuple du Myanmar ne se soumettra pas et est plus déterminé que jamais à faire face au régime illégal des militaires. Pour finir, elle a indiqué que le Gouvernement d’unité nationale, à la tête de la résistance, a accepté la juridiction de la Cour pénale internationale (CPI) et compte coopérer avec elle pour rompre ce cycle de violence.
Prenant à son tour la parole, l’Indonésie, qui assurera prochainement la présidence de l’ASEAN, a réaffirmé son engagement à mettre en œuvre le Consensus en cinq points agrées par tous les membres de l’Association, y compris le Myanmar, qui reste, selon elle, la seule feuille de route susceptible de faire progresser la situation. À sa suite, l’Australie a enjoint le régime à dialoguer constructivement avec l’ASEAN, lui demandant également de libérer les détenus, notamment un professeur australien.
En tant que voisins du Myanmar, la Thaïlande, le Japon et la République de Corée ont, eux aussi, appelé à la mise en œuvre du Consensus en cinq points de l’ASEAN, voyant dans ce dispositif le meilleur moyen d’obtenir un règlement pacifique négocié. Se présentant comme « voisine et amie » du Myanmar, la Chine a prôné un dialogue constructif et s’est déclarée opposé aux « deux poids, deux mesures » et aux solutions qui ont pour conséquence les affrontements.
Pour leur part, la Fédération de Russie et le Bélarus ont réaffirmé leur position de principe concernant l’inacceptabilité de la pratique de l’adoption de résolutions sélectives et unilatérales sur des situations spécifiques de pays. La délégation russe, qui a recommandé au Rapporteur spécial de ne s’occuper que du Myanmar et non de l’Ukraine, l’a en outre jugé « trop émotif », l’invitant à revoir la fiabilité de ses sources. Les États-Unis ont quant à eux salué le Rapporteur spécial pour son professionnalisme, avant de lui demander ce que peut faire la communauté internationale pour accroître la pression sur l’armée en vue d’un arrêt des violences. Comment peut-on agir collectivement pour faire pression sur les États qui fournissent des armes à la junte, a enchaîné le Royaume Uni, selon lequel un projet de résolution sur le Myanmar circule actuellement au sein du Conseil de sécurité.
L’Union européenne s’est, elle, enquise de la coopération du Rapporteur spécial avec le Mécanisme indépendant d’enquête pour le Myanmar, tandis que la République tchèque se demandait jusqu’où est prête à aller la junte dans ses actions criminelles. Quels sont les instruments les plus efficaces dont dispose la communauté internationale pour faire en sorte que ceux qui ont commis des atrocités à l’encontre des enfants et des autres personnes les plus vulnérables au Myanmar soient tenus pour responsables, a voulu savoir la Finlande. Il faut que la CPI ait accès au Myanmar, a plaidé le Canada. En attendant, la Norvège a souhaité savoir comment protéger le mieux possible les enfants en ces temps de crise. Et comment améliorer la participation de la société civile à la fourniture de l’aide humanitaire et à la préparation d’un avenir libre et démocratique pour le Myanmar, se sont interrogés le Luxembourg et la Suisse, rejoints par le Liechtenstein.
Devant le refus du Myanmar d’ouvrir ses portes au Rapporteur spécial, le Bangladesh a souhaité savoir si des solutions existent pour permettre à l’ONU et à d’autres organisations d’avoir accès aux camps de réfugiés. La Malaisie, qui accueille également des milliers de réfugiés du Myanmar, a reconnu ne pas disposer des moyens nécessaires pour en abriter davantage. De son côté, l’Arabie saoudite a rappelé que, pour venir en aide aux réfugiés rohingya, elle a débloqué une enveloppe de 25 millions de dollars, avec l’aide d’organisations internationales telles que les Nations Unies, l’UNICEF, l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et la Banque islamique pour le développement.
En réponse aux questions et observations des délégations, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a tout d’abord invité les États Membres à consulter ses précédents rapports relatifs notamment aux sources d’armes arrivant au Myanmar et à l’impact de ce conflit sur la vie des enfants. Il a dit vouloir poursuivre son dialogue avec le peuple du Myanmar, la société civile et de nombreuses autres entités pour transmettre la vérité sur ce pays. M. Andrews a ajouté qu’il continuera également à interagir avec le Gouvernement d’unité nationale ainsi qu’avec des organisations de résistance ethniques et autres qui sont sur le front de cette crise. Il s’est en outre dit prêt à parler avec les activistes et défenseurs des droits humains, où qu’ils se trouvent dans le monde, pour que « nous puissions faire ce qui est juste ».
Quant à savoir ce que peut faire la communauté internationale, le Rapporteur spécial a identifié sept mesures, exhortant d’abord, le Conseil de sécurité à exercer ses pouvoirs en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour faire voter une résolution imposant un embargo sur les armes et des sanctions économiques ciblées, tout en renvoyant la situation du Myanmar devant la Cour pénale internationale (CPI). Anticipant un « inévitable » veto au sein du Conseil de sécurité, il a recommandé de passer par l’Assemblée générale. Il faut instituer un débat ouvert afin d’aboutir à une coalition qui mette en œuvre une stratégie coordonnée privant la junte d’armes, de financement et de légitimité, a plaidé M. Andrews.
Le Rapporteur spécial a d’autre part appelé les États Membres et les donateurs à augmenter considérablement l’assistance humanitaire au Myanmar, pressant aussi les États voisins à veiller à ce que le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) ait accès aux réfugiés et œuvre à leur réinstallation. Il a cependant insisté sur le fait que les réfugiés ne doivent pas être obligés à retourner au Myanmar. Il a également exhorté la communauté internationale à appuyer les pays, à commencer par le Bangladesh, qui accueillent les populations fuyant le Myanmar, en particulier les Rohingya. Il a enfin réclamé que la responsabilité de la junte soit établie, suggérant à cet égard que, si le Conseil de sécurité ne renvoyait pas le Myanmar devant la CPI, les États Membres puissent s’appuyer sur les cadres de juridiction universelle existants.
Exposé
Mme Elizabeth SALMÓN, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC), qui présentait son premier rapport en tant que nouvelle titulaire du mandat, a indiqué s’être fixée trois objectifs: obtenir la coopération de la RPDC, renforcer les possibilités de reddition des comptes, et sensibiliser à la gravité de la situation, notamment en permettant à de nouveaux acteurs de se joindre à ces efforts. Elle a indiqué que la coopération limitée du Gouvernement de la RPDC avec les précédents titulaires de mandat depuis 2004 a rendu plus difficile l’évaluation précise de la situation des droits humains dans le pays. De même, il est difficile d’identifier quelles réformes permettraient de répondre à la gravité de la situation des droits de la personne.
Détaillant les objectifs qu’elle s’est fixée, la Rapporteuse a expliqué qu’elle compte examiner par quels moyens engager la RPDC à faire progresser la mise en œuvre des recommandations formulées par les organes des Nations Unies chargés des droits humains, et ouvrir des canaux de dialogue avec Pyongyang, notamment au sujet de groupes spécifiques, comme celui des femmes et des filles. Le second volet ambitionne de développer de nouveaux moyens de garantir la vérité et la justice pour les victimes dans un contexte marqué par l’absence de reddition de comptes, notamment en recourant à la juridiction universelle et aux tribunaux nationaux. Elle a également indiqué qu’elle plaidera pour le renvoi, par le Conseil de sécurité, de la situation des droits humains en RPDC à la Cour pénale internationale, ainsi que pour l’établissement par l’Assemblée générale d’un tribunal ad hoc ou autre mécanisme comparable.
En troisièmement lieu, elle a expliqué qu’elle compte élargir la sensibilisation à la situation actuelle des droits humains dans ce pays, que la COVID-19 a encore plus détériorée. La RPDC est plus isolée que jamais depuis que le pays s’est imposé des restrictions liées à la pandémie en janvier 2020, aussi, il est actuellement impossible de vérifier le nombre de décès causés par ou liés à la COVID-19, s’est alarmée la Rapporteuse. Elle s’est particulièrement préoccupée de l’accès limité de la population à la nourriture en raison des restrictions liées à la COVID-19 et de l’accès insuffisant aux soins de santé compte tenu de la fragilité du système sanitaire du pays. Cette situation souligne l’importance de rouvrir le pays à l’aide humanitaire, a-t-elle estimé, appelant aussi à une feuille de route claire pour le retour du personnel des Nations Unies.
Dialogue interactif
Réagissant à cet exposé, le Pérou a rappelé à la RPDC ses obligations internationales en termes de droits humains. Les États-Unis se sont inquiétés de l’aggravation des violations des droits humains dans le contexte de la pandémie et ont appelé à prendre des mesures immédiates pour laisser les instances de surveillance des droits humains entrer sur le territoire.
Cuba a déploré les effets des mesures coercitives unilatérales sur la population du nord de la péninsule et, à l’instar du Venezuela et du Nicaragua, a critiqué le rôle de tout mandat qui n’aurait pas été approuvé par le pays concerné et qui viole, selon ces délégations, les principes de non-sélectivité et de non-ingérence. La Guinée équatoriale a elle aussi appelé à respecter le principe de non-sélectivité, estimant en outre que, seul un dialogue constructif avec la RPDC permettra de trouver un terrain d’entente.
À ce sujet, l’Union Européenne a voulu savoir comment les États Membres et les pays de la région peuvent aider à instaurer un dialogue avec le gouvernement de la RPDC.
Le Japon a jugé regrettable que la RPDC développe son programme nucléaire aux dépens du bien-être de sa population., tandis que la République de Corée a déploré les incidents survenus en mer Jaune en 2020 contre des ressortissants sud-coréens non-armés et a exhorté la communauté internationale à ne pas oublier les citoyens sud-coréens détenus en RPDC. Il ne faut ménager aucun effort pour concrétiser la dénucléarisation de la RPDC, a-t-elle par ailleurs insisté.
La Suisse a demandé à la Rapporteuse spéciale comment elle compte traiter la situation du droit des femmes et filles en l’absence de toute information claire à ce sujet, la Norvège a voulu savoir comment la communauté internationale peut collaborer avec la RPDC pour améliorer la situation des droits humains de la population, tandis que la République tchèque s’est intéressée aux mesures qui permettraient d’instaurer des approches créatives et novatrices capables de désamorcer la crise actuelle.
Le Viet Nam a appelé à un dialogue constructif prenant en compte les conditions particulières de chaque pays, insistant sur l’importance du principe de non-sélectivité. Le Bélarus s’est dressé contre l’instrumentalisation des droits humains, déplorant la présentation de rapports qui reprennent les même clichés chaque année. Le chemin sera long avant que la Rapporteuse ne gagne la confiance du peuple de la RPDC, a prévenu la Fédération de Russie, l’exhortant à ne pas baser ses rapports sur des informations fournies par des ONG occidentales, de « pures inventions relayées par l’Occident depuis 1950 ». La RPDC peut se targuer de réalisations que pourraient jalouser les pays occidentaux, telles une alphabétisation totale ou l’éradication du chômage, a ajouté la délégation russe.
Le Nigéria s’est opposé à la politisation contre-productive des droits humains et a souligné que l’Examen périodique universel est le seul mécanisme universel à même d’aborder la question des droits humains de chaque pays de façon constructive, un point de vue partagé par la République islamique d’Iran et l’Érythrée.
À son tour, l’Australie a voulu savoir comment la Rapporteuse comptait remédier au fait que la RPDC lui refuse l’accès à son territoire, tandis que l’Allemagne a exhorté la RPDC à autoriser l’acheminement de l’aide, demandant en outre à la Rapporteuse comment elle appréhende la lutte contre l’insécurité alimentaire dans le pays.
La Chine a exhorté les pays concernés à lever toutes les mesures coercitives unilatérales pesant sur la population du nord de la péninsule. Les pays occidentaux sont obsédés par les rapports sur les droits humains, mais ne ciblent que des pays en développement, a par ailleurs déploré la délégation. Pourquoi ne créez-vous pas de mécanismes pour vos propres pays? Le dialogue devrait être l’étape préliminaire à tout travail avec la RPDC, a estimé la République arabe syrienne, un vœu formulé aussi par la République populaire démocratique lao. Enfin, le Royaume-Uni a demandé ce qui pouvait être entrepris pour que les réfugiés nord-coréens ne soient pas rapatriés et jetés en prison quand ils franchissent les frontières nord-coréennes dans l’espoir de fuir leur pays.
Répondant à ces observations, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique a argumenté sa volonté d’axer son mandat sur la situation des femmes et des enfants, invoquant une base juridique suffisamment solide pour avancer sur ce dossier. La RDPC, a-t-expliqué, a adhéré à cinq instruments des droits humains en vertu desquels elle a présenté plusieurs rapports, et parmi 162 recommandations formulées notamment dans le cadre de l’EPU, la RPDC en a accepté 132, dont une grande proportion porte sur les femmes et les enfants.
Cet effort devra inclure de nouveaux acteurs pour discuter des questions qui touchent les femmes, a ajouté la Rapporteuse, notant qu’outre la discrimination, la marginalisation sur le marché du travail et des violences en tout genre, les femmes qui essaient de quitter la RPDC sont exposées à la traite des êtres humains. Ces femmes appellent à la solidarité internationale, nous nous devons d’y répondre, s’est émue la Rapporteuse. Parmi les mesures qui devraient être prises, elle a estimé que le Secrétaire général pourrait instaurer de nouveaux contacts avec les autorités, et que le Conseil de sécurité gagnerait à rouvrir un débat public à ce sujet.
Répondant ensuite aux multiples accusations de politisation, la Rapporteuse a assuré de l’indépendance de son mandat. Elle a reconnu que si la RPDC n’a certes apporté son concours à aucun de ses prédécesseurs, certaines avancées dans le pays ces dernière années, permettent de présager une plus grande collaboration avec Pyongyang. On en sait davantage sur ce qui se passe aujourd’hui, qu’il y a 18 ans, a-t-elle noté.
Exposé
M. RICHARD BENNETT, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, a expliqué avoir mis à jour son rapport initial, rédigé sur la base d’une visite du pays en mai, grâce aux informations recueillies lors de sa visite en Afghanistan la semaine dernière. Il a indiqué que les autorités de facto talibanes avaient jugé le rapport initial trop critique et affirmé avoir fait des progrès depuis, avançant notamment que le taux de suicide et d’assassinat extrajudiciaire de femmes, d’enlèvement et de torture dans les prisons serait tombé à zéro. Si quelques évolutions prometteuses sont à noter, on est encore loin de la réalité, a commenté le Rapporteur, notant toutefois que les autorités de facto continuent de souhaiter un engagement.
M. Bennett a estimé que la situation des droits humains n’avait pas sensiblement changé depuis sa première visite en mai, et que les quelques signes de changement positif étaient contrebalancés par des régressions dans d’autres domaines. Les femmes ont été effacées de la vie publique et leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels ont été bafoués, a-t-il dénoncé, expliquant que les femmes et les filles qu’il avait rencontrées avaient exprimé leur colère, leur angoisse, leur peur et leur désespoir. Il a rappelé que les écoles secondaires de filles étaient fermées depuis 401 jours, insistant sur le fait qu’il n’y avait aucune justification religieuse à cela. La réouverture des écoles secondaires pour filles est le premier test du respect par les autorités de facto de leurs obligations internationales en matière de droits humains, a-t-il dit. Une autre priorité exprimée par les femmes est le rétablissement de leurs moyens de subsistance, a-t-il ajouté, appelant la communauté internationale à soutenir dans un premier temps les initiatives en cours des propriétaires d’entreprises et des marchés féminins.
Le Rapporteur spécial a alerté que la situation des minorités ethniques et religieuses restait « profondément préoccupante », s’inquiétant notamment des attaques violentes contre les minorités religieuses hazara, chiite, sikh et soufie. Il a évoqué l’attaque du 30 septembre contre le centre éducatif de Kaaj qui a tué 54 personnes dont 51 jeunes femmes hazaras. Il a constaté que ces attaques, qui durent depuis des années, semblaient systématiques, portaient la marque de crimes internationaux graves et devaient faire l’objet d’une enquête approfondie. Il a appelé les Taliban à prendre toutes les mesures possibles pour protéger ces communautés et traduire en justice les auteurs et les instigateurs de ces attaques.
Rappelant que les affrontements se poursuivaient entre les forces de sécurité talibanes et les groupes d’opposition armés au Panjchir et dans d’autres provinces du nord - Baghlan, Kapisa, Takhar et Badakhshan, M. Bennet a par ailleurs fait état « d’informations crédibles » sur de nombreuses exécutions extrajudiciaires de combattants capturés. Les civils considérés par les Taliban comme étant associés au Front national de résistance font l’objet de fouilles, de détentions arbitraires, d’exécutions extrajudiciaires, de tortures et de déplacements, ce qui pourrait s’apparenter à une punition collective, a-t-il ajouté, appelant la encore à une enquête indépendante complète. Il a également dit être très préoccupé par les assassinats ciblés d’anciens membres des forces sécurité afghanes par les Taliban, en contradiction avec l’amnistie déclarée en 2021, appelant à la mise en place d’un processus complet de justice transitionnelle.
M. Bennett a déploré que la liberté de la presse se soit détériorée depuis sa dernière visite indiquant qu’il n’y avait pas d’espace pour la critique des autorités et que les reportages d’investigation ou la couverture des zones touchées par le conflit étaient strictement interdits. L’espace de la société civile s’est lui aussi réduit. Les femmes ont disparu de l’espace public, les représailles visant les opposants se multiplient, la répression des libertés d’expression et de réunion se sont intensifiées, et l’accès à la justice est en déroute, a-t-il détaillé, ajoutant que les ONG internationales et les journalistes internationaux subissaient de plus en plus de pressions pour se conformer à des ordres qui compromettent leurs principes.
Le Rapporteur spécial a également indiqué que l’isolement de la Banque centrale d’Afghanistan du système bancaire international, qui la prive d’accès aux réserves en devises étrangères du pays, et la réduction du soutien international, avaient sérieusement affecté l’économie afghane. La fourniture des services sociaux de base, notamment de santé, s’en est trouvée considérablement affectée, a-t-il expliqué. Il a rappelé que près de la moitié de la population était en situation d’insécurité alimentaire, dont 6,6 millions de personnes en situation d’urgence, le nombre le plus élevé au monde parmi les pays menacés de famine. Constatant que l’impasse actuelle entre les autorités de facto et la communauté internationale nuisait d’abord aux Afghans, il a estimé important de se placer dans une perspective à long terme et d’identifier les domaines qui pourraient constituer des points d’entrée pour un changement positif.
M. Bennett a aussi évoqué quelques « poches d’espoir », notant que des sites du patrimoine culturel et religieux, dont des sites bouddhistes, avaient été restaurés, que plusieurs ministères avaient pris des initiatives institutionnelles en vue de protéger les droits humains et qu’un décret interdisant le mariage forcé avait été publié en décembre 2021. Cependant, l’Afghanistan reste presque certainement le pire pays au monde pour être une femme ou une fille, a-t-il déploré.
Dialogue interactif
Prenant la parole, l’Afghanistan, qui a estimé que le mandat du Rapporteur spécial était indispensable, a voulu savoir s’il avait rencontré le Chef suprême des Taliban et si une date avait été fixée pour rouvrir les écoles secondaires aux filles. Il lui a aussi demandé s’il avait recueilli des informations qui permettraient d’ouvrir une enquête pour un possible génocide contre les Hazaras. Le représentant afghan a également voulu savoir si le Rapporteur avait pu se rendre sur les lieux d’un possible crime de guerre au Panjchir, où des prisonniers avaient été exécutés sommairement par les Taliban. Comment un mécanisme d’enquête international indépendant pourrait contribuer à la reddition de comptes en Afghanistan, a demandé la Suisse, tandis que le Portugal s’est intéressé à la possibilité de mettre en place des mécanismes d’enquête internationaux. Le Luxembourg a pour sa part demandé comment la communauté internationale pouvait soutenir les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme dans le pays.
Le Pakistan s’est inquiété de l’effondrement économique du pays et a encouragé un engagement non politisé pour éviter une plus grande catastrophe. Après les États-Unis et l’Indonésie qui ont appelé les Taliban à rouvrir les écoles pour toutes les filles, l’Union européenne a appelé à aider les défenseurs des droits humains ainsi que les femmes en Afghanistan, tandis que le Canada, appuyé par les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni et l’Australie, a insisté sur l’importance de la reddition de comptes pour les violations des droits humains, en particulier des femmes et des filles, question qui a notamment préoccupé l’Autriche et le Chili. Le Qatar a demandé à la communauté internationale de poursuivre son aide en direction du peuple afghan, suivi de la Malaisie qui s’est demandé comment s’assurer que l’aide humanitaire arrive à bonne destination alors que la moitié de la population était en insécurité alimentaire.
L’Iran s’est inquiété des violations contre les minorités ethniques et religieuses, estimant par ailleurs que le gel des avoirs afghans ne devait pas être politisé. L’Irlande a demandé comment l’ONU pouvait protéger les personnes LGBTQI en Afghanistan. Le Lichtenstein a demandé comment les ONG et les défenseurs des droits humains pouvaient faire leur travail alors que l’économie s’était effondrée. Que faire pour protéger les femmes notamment lorsqu’elles manifestent pour défendre leurs droits, a ajouté l’Albanie, tandis que la Norvège a suggéré que les États Membres puisse discuter directement avec les autorités de facto sur les questions liées aux droits humains.
La Fédération de Russie a regretté que le rapport taise les crimes commis par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie dans le pays. La France a salué le courage des Afghanes qui se battaient pour leur liberté et exhorté, de même que la Finlande, les Taliban à respecter leurs engagements en la matière. Le Mexique a voulu savoir où en était le projet de réouverture du Ministère des affaires féminines annoncés par les Taliban en janvier 2022 à Oslo. La Chine a estimé qu’il fallait fournir une assistance pour soulager le pays et enjoint les États-Unis à rendre les avoirs gelés de la banque centrale afghane.
Suite à ces questions et commentaires, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan a indiqué, en réponse à la question du représentant de l’Afghanistan, qu’il ne s’était pas entretenu avec le Chef suprême mais avec le Vice Premier Ministre et le Ministre des affaires étrangères. Répondant au Mexique, il a affirmé que rien ne laissait présager que le Ministère des affaires féminines allait rouvrir, notant cependant qu’un département spécialisé avait été ouvert au sein du Ministère des affaires étrangères et qu’un comité interministériel dédié avait été mis en place.
Répondant aux questions récurrentes de la possibilité d’ouvrir des enquêtes et de la reddition de comptes, il a estimé qu’il fallait d’abord faire le bilan des mécanismes existants et voir s’il convenait d’en créer d’autres. Si oui, il a estimé que le Conseil des droits de l’homme pourrait alors déterminer le modus operandi d’éventuels nouveaux mécanismes. Il a également fait savoir que la Cour pénale internationale avait annoncé qu’elle ouvrirait une enquête sur la situation en Afghanistan.
Exposé
Mme ANAÏS MARIN, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus, a présenté son rapport centré cette année sur les ressortissants du Bélarus contraints à l’exil en raison de la situation des droits de l’homme dans leur pays. Si des chiffres différents et difficiles à recouper circulent à leur propos, il n’en demeure pas moins, selon elle, que des centaines de milliers de personnes ont été forcées de s’exiler en raison de violations des droits humains. Pour son rapport, Mme Marin a dit avoir rencontré des dizaines de victimes qui ont fui le pays, le plus souvent dans la hâte et la peur. Les informations de première main qu’elles ont fournies sont au cœur de ce document, a-t-elle souligné, précisant toutefois que, compte tenu du risque de représailles, il a été décidé de préserver leur anonymat. La Rapporteuse spéciale a également rappelé que, si les élections au Bélarus ont été des moments critiques par le passé, la dernière élection présidentielle, organisée en 2020 et contestée, n’a pas dérogé à la règle: elle a déclenché une nouvelle vague de protestations pacifiques, accueillies par une répression plus brutale que jamais, qui a entraîné un exil de masse.
Leur décision résulte d’une combinaison complexe de raisons, a analysé Mme Marin, citant en premier lieu l’intimidation et la violation des droits sur le lieu de travail, notamment la privation de licence pour les avocats, d’accréditation pour les journalistes et d’enregistrement pour les organisations de la société civile. Le licenciement et la résiliation des contrats de travail pour les artistes, les travailleurs culturels et d’autres professionnels tels que les médecins, les enseignants, les universitaires et les athlètes ont représenté d’autres moyens de pression, a-t-elle détaillé. Le choix du pays de relocalisation dépend également de nombreux facteurs, dont les moyens financiers, les réseaux personnels, les exigences en matière de visa et les possibilités de régulariser leur statut, a expliqué la Rapporteuse spéciale, rappelant que l’Ukraine était la première destination de nombreux Bélarusses après 2020. À la suite de l’invasion de ce pays par la Fédération de Russie, la plupart d’entre eux ont dû se réinstaller à nouveau. Depuis, a-t-elle ajouté, des informations font état d’une nouvelle vague d’émigration du Bélarus en raison de l’étouffement des expressions antiguerre, ou par crainte d’être appelé à combattre dans ce conflit.
Mme Marin a constaté que la répression de la société civile, des médias et de l’opposition politique se poursuit pour la troisième année consécutive au Bélarus. Le nombre de personnes détenues pour des motifs politiques s’élève désormais à plus de 1 300 et au moins 600 organisations ont été contraintes de se dissoudre ou d’interrompre leurs activités, dont la quasi-totalité des groupes de défense des droits humains du pays. Le mouvement syndical indépendant a lui aussi été démantelé récemment, a-t-elle précisé, avant de signaler une intensification des intimidations à l’encontre des personnes ayant participé à des marches et des manifestations pacifiques en 2020. Selon la Rapporteuse spéciale, la période à l’examen dans son rapport a été marquée par un durcissement de la législation contre l’extrémisme et le terrorisme, qui est instrumentalisée pour étouffer et punir toute forme de dissidence dans le pays. Les perquisitions de domiciles et de bureaux privés, les arrestations et les poursuites arbitraires pour des motifs politiques étant devenues systématiques, de nombreuses personnes ont conclu qu’elles ne pouvaient plus être en sécurité au Bélarus. Et même après s’être réinstallées à l’étranger, beaucoup avouent vivre dans l’insécurité et la peur, a-t-elle souligné.
De son point de vue, l’utilisation délibérée de la législation, des politiques et des institutions nationales pour forcer les ressortissants bélarusses à s’exiler est particulièrement préoccupante. Outre le KGB, des institutions publiques telles que le ministère de l’intérieur, la police fiscale et les organes chargés de lutter contre le crime organisé sont utilisées de manière concertée pour éradiquer toute dissidence dans le pays, a relevé Mme Marin.
Ceux qui ont courageusement décidé de rester au Bélarus et de lutter pour leurs droits sont maintenant derrière les barreaux, a-t-elle déploré, estimant que les longues peines de prison prononcées pour des motifs politiques et la détention provisoire sans inculpation sont « emblématiques de l’utilisation abusive du système judiciaire et de l’impunité avec laquelle les autorités agissent ». La Rapporteuse spéciale a cité le cas de M. Ales Bialiatski, colauréat du prix Nobel de la paix 2022, qui n’est qu’un des nombreux défenseurs des droits humains visés par la répression. Bientôt, a-t-elle averti, les ressortissants en exil pourraient être jugés par contumace, la législation pénale ayant été modifiée en juillet dernier afin de permettre la tenue de tels procès contre des émigrés soupçonnés d’être impliqués dans des actes de terrorisme, de trahison, de sabotage, d’extrémisme ou d’appel à des sanctions vaguement définis.
Tout aussi préoccupants, deux projets de loi en cours d’examen envisagent de priver de la citoyenneté ceux qui participent à des « activités extrémistes », en plus de restrictions à la sortie du pays pour des raisons de « sécurité nationale ». L’absence de système judiciaire indépendant et d’institutions chargées de faire respecter la loi implique que la possibilité d’un retour en toute sécurité reste hors de portée pour de nombreux Bélarusses, a poursuivi Mme Marin. En dehors de leur pays, les Bélarusses sont toujours confrontés à des difficultés et peuvent se retrouver en situation de vulnérabilité, et donc avoir besoin de la protection du cadre international des droits humains, a-t-elle alerté, regrettant que, malgré ses efforts destinés à dialoguer de façon constructive avec le Gouvernement du Bélarus, celui-ci ait maintenu sa politique de non-reconnaissance et de non-coopération avec son mandat. Elle a aussi dénoncé la politique de la « chaise vide » appliquée par le Bélarus dans les dialogues interactifs, une pratique qui, selon elle, devient la nouvelle norme.
Le Gouvernement du Bélarus, a-t-elle noté, semble aussi vouloir fermer une voie cruciale pour faire respecter le droit à la considération internationale et éventuellement à la réparation des violations des droits humains, à savoir le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Mme Marin a donc demandé instamment aux autorités bélarusses de reconsidérer la signature du projet de loi sur la dénonciation de ce protocole. Enfin, elle a réitéré son appel à la communauté internationale pour qu’elle redouble d’efforts afin que les auteurs de violations des droits humains au Bélarus répondent de leurs actes.
Dialogue interactif
Réagissant à l’exposé de Mme Marin, les États-Unis ont condamné l’usage de la peine de mort utilisée par le Bélarus « pour éliminer des opposants politiques ». La délégation américaine a également appelé à la libération des quelque 1 300 prisonniers politiques détenus dans ce pays, avant de s’interroger, à l’instar de l’Australie, sur ce que peut faire la communauté internationale pour que le Bélarus réponde de ses actes quand il viole les droits humains. À son tour, la Suisse a condamné les violations des droits humains commises par le Bélarus et exigé la libération des prisonniers politiques, imitée par l’ensemble des autres délégations européennes. La délégation suisse a aussi demandé à la Rapporteuse spéciale comment elle collabore avec les autres institutions des droits humains actives au Bélarus, tels que le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme, et si des progrès ont été observés en la matière.
L’Union européenne (UE)a ensuite dénoncé le soutien logistique et politique apporté par le Bélarus à l’invasion russe de l’Ukraine, mettant en garde le régime de M. Loukachenko contre toute participation « plus aboutie » à cette guerre. L’UE a ensuite demandé comment mieux soutenir les représentants de la société civile et les journalistes bélarusses en exil malgré la répression qui les menace, une question également posée par l’Autriche, puis par la Croatie. La Pologne s’est quant à elle émue du sort des minorités catholiques du Bélarus et des attaques dont les communautés d’origine polonaise font l’objet. Elle a par ailleurs demandé à la Rapporteuse spéciale des détails sur les mécanismes internationaux permettant aux Bélarusses qui ne peuvent pas rentrer chez eux de bénéficier d’un statut juridique. Comment peut-on aider les Bélarusses contraints à l’exil et les activistes qui sont restés au Bélarus, a voulu savoir la Lituanie, qui s’exprimait au nom des pays nordiques et des pays baltes.
Le Liechtenstein a, pour sa part, demandé des détails sur l’impact de la guerre en Ukraine sur les droits humains au Bélarus, tandis que la République tchèque s’interrogeait sur la situation des médias indépendants au Bélarus. Assurant de son côté que le peuple du Bélarus n’a aucun désir de participer à la « guerre illégale de la Russie » en Ukraine, le Royaume-Uni a souhaité savoir quelles mesures la communauté internationale pourrait entreprendre pour permettre aux activistes en exil de poursuivre leurs activités. L’Allemagne a, elle, demandé comment améliorer la situation des droits humains au Bélarus.
En réponse à ces questions et observations, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus a tout d’abord réaffirmé qu’aucune évolution positive ne s’est faite jour depuis 2020 au Bélarus sur le front des droits humains. Au contraire, elle a déploré la multiplication des décisions de justice arbitraires, telles que des peines de détention allant jusqu’à 25 ans. Aucun remède miracle ne peut rendre le Gouvernement bélarusse responsable de ses actes, a ensuite estimé la Rapporteuse spéciale, qui a cependant appelé à appuyer tout mécanisme international permettant une reddition des comptes. Elle a cité à ce sujet un projet lancé en mars 2021, qui vise à donner mandat au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme d’identifier les auteurs de crimes.
Il convient aussi, a poursuivi Mme Marin, de collaborer avec tous les tribunaux nationaux qui ont reconnu le principe de responsabilité universelle pour les crimes les plus graves. En outre, a-t-elle fait valoir, les gouvernements nationaux peuvent aussi appuyer les recherches de victimes de violations des droits humains ou aider leurs tribunaux à rechercher et poursuivre les auteurs de crimes dans d’autres pays que le Bélarus.
La Rapporteuse spéciale a d’autre part exhorté les États à répondre aux besoins immédiats des exilés bélarusses, en leur octroyant par exemple des visas humanitaires. Toutefois, comme ces visas arrivent à échéance au bout d’un an, il faudrait aussi octroyer des visas de résidence permanents quand c’est possible afin que les personnes concernées puissent reconstruire leur vie, a-t-elle plaidé. Mme Marin a signalé à cet égard que les exilés bélarusses dont le passeport est périmé craignent de se rendre dans les consulats bélarusses de leur pays de résidence, où ils courent le risque de se voir déchoir de leur nationalité.
Il importe aussi d’encourager la transmission culturelle de la langue bélarusse aux communautés exilées et de récompenser tous les journalistes qui cherchent à susciter une prise de conscience au sujet de la situation au Bélarus, en octroyant des bourses et autres prix, a exhorté la Rapporteuse spéciale. Si la société civile du Bélarus a été décapitée, quelques activistes survivent dans la clandestinité, a-t-elle noté en conclusion, appelant la communauté internationale à les soutenir.
Exposé
M. JAVAID REHMAN, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, a regretté que depuis son précédent rapport à l’Assemblée générale sur l’application de la peine de mort, aucune mesure n’ait été prise: ni pour modifier le Code pénal afin de réduire le recours à cette peine, ni pour modifier des processus judiciaires profondément dysfonctionnels. Il a déploré une forte augmentation du nombre d’exécutions en 2022, notant que plus de 400 avaient été recensées entre janvier et septembre, soit le nombre le plus important en cinq ans. Il a ajouté que 40% des exécutions étaient liées à la drogue en 2021 et que les minorités ethniques étaient touchées de manière disproportionnée par les exécutions.
M. Rehman a aussi déploré que la privation arbitraire de la vie résultant d’un usage excessif de la force ait continué de représenter la réponse des autorités à l’exercice du droit de réunion pacifique, ajoutant qu’elle s’étendait aussi aux lieux de détention, notamment en raison du refus d’accès à un traitement médical urgent et du recours généralisé à la torture contre les détenus. Il regretté qu’aucune mesure n’ait été prise pour renforcer le cadre de la reddition de comptes, et qu’a contrario, les informations disponibles évoquaient des pratiques de dissimulation intentionnelle. Les victimes de violations des droits humains et leurs proches, notamment ceux des personnes tuées lors des manifestations de novembre 2019, ont fait face à une augmentation des menaces, des arrestations et des condamnations, a-t-il constaté.
Le Rapporteur spécial a regretté la réduction de l’espace de la société civile évoquant le cas emblématique de la condamnation d’un groupe d’avocats et de défenseurs des droits humains en juin 2022 pour avoir simplement planifié un procès contre les autorités pour mauvaise gestion de la pandémie de COVID-19. Il a souligné que les autorités continuaient d’abuser de la législation sur la sécurité nationale, qui a une portée excessive. En mai 2022, la Société de secours des étudiants populaires de l’Imam Al, la plus grande ONG du pays, a été dissoute, à la suite d’une procédure engagée contre elle par le Ministère de l’intérieur, a-t-il rappelé. Il a aussi dénoncé la répression des manifestations des mouvements des enseignants, des syndicats et des défenseurs des droits humains au cours de l’année dernière, soulignant que les autorités empêchaient l’accès à l’information en perturbant Internet. Il s’est aussi inquiété de la persécution des minorités religieuses, en particulier de la foi baha’i.
Abordant les événements ayant suivi la mort de Mahsa Amini, M. Rehman a rappelé qu’elle avait perdu la vie en détention le 16 septembre, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour avoir porté son hijab de manière inappropriée. Évoquant les manifestations dans tout le pays et toutes les couches sociales, il a estimé que la barrière de la peur avait été franchie, les conditions ayant conduit à la mort de Mahsa Amini et la violation du droit fondamental des femmes à parler et à s’habiller librement ne pouvant plus être tolérées. De manière prévisible, les autorités ont répondu à ces revendications par une répression brutale des manifestants pacifiques et une coupure des connexions internet dans le but d’étouffer la liberté d’expression et d’association de la population iranienne, a-t-il indiqué.
M. Rehman a rappelé que le 22 septembre, avec sept titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, il exhorté les autorités iraniennes à cesser immédiatement de recourir à la force meurtrière pour maintenir l’ordre lors de rassemblements pacifiques, à mener rapidement une enquête indépendante sur la mort de Mahsa Amini, à rendre publiques les conclusions de cette enquête et à demander des comptes à tous les responsables. Il a noté que des appels similaires avaient été lancés dans le monde entier mais qu’ils étaient restés lettre morte et que les plus hautes autorités de l’État avaient clairement ordonné aux forces de sécurité de réprimer les manifestants. Il a précisé que la réponse des forces de sécurité, en particulier des gardiens de la révolution et des forces paramilitaires Basij, avait déjà entraîné la mort d’au moins 215 personnes, y compris des dizaines d’enfants dont certains avaient été tués par balles ou battus à mort. Comme l’a récemment rapporté le Comité des droits de l’enfant, de nombreuses familles ont subi des pressions pour disculper les forces de sécurité en déclarant que leurs enfants s’étaient suicidés, a-t-il décrié.
Au cours des cinq dernières semaines, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont été arrêtés et emprisonnés, parmi lesquels des dizaines de défenseurs des droits humains, 170 étudiants, 16 avocats, 590 militants de la société civile et au moins 38 journalistes, dont celui qui a publié l’un des premiers reportages sur la mort de Mahsa Amini, a-t-il continué. Et le 11 octobre, le Ministre de l’éducation a confirmé qu’un nombre non spécifié d’enfants avaient été envoyés dans des « centres psychologiques » après avoir été arrêtés prétendument pour avoir participé à des « manifestations contre l’État ». Il a ensuite appelé à la mise en place rapide d’un mécanisme d’enquête indépendant sur les violations des droits humains qui ont précédé et suivi la mort de Mahsa Amini.
Dialogue interactif
Prenant la parole, l’Iran a regretté que la Troisième Commission soit instrumentalisée pour cibler certains États Membres et a réfuté les allégations fallacieuses figurant dans le rapport. Il a estimé que le Rapporteur refusait de reconnaitre les efforts consentis par le pays, qu’il dénigrait ses traditions et appuyait son rapport sur de fausses informations, parfois obtenues auprès de groupes terroristes. La délégation s’est aussi insurgée contre le fait que le rapport n’ait pas pris en compte les répercussions des sanction unilatérales des États-Unis, ni les attentats terroristes commis par des groupes accueillis dans l’Union européenne. Le Canada a réfuté les attaques lancées contre le Rapporteur spécial, tandis que Cuba a estimé que les rapports sur des pays spécifiques servaient l’hégémonie de certains États et constituaient des mesures punitives. Le Venezuela a rejeté la création de tout outil sans l’assentiment de l’État concerné, considérant une telle démarche comme politisée, le Nicaragua rejetant pour sa part l’instrumentalisation des droits humains pour s’ingérer dans les affaires internes d’un État souverain.
Israël a dénoncé l’oppression des femmes iraniennes et demandé ce que faisait l’Iran à la Commission de la condition de la femme alors qu’il violait leurs droits. Le Lichtenstein a demandé au Rapporteur s’il avait observé un lien entre les manifestations récentes et une augmentation du nombre des exécutions. L’Australie s’est préoccupée du sort des personnes LGBTQI+ en Iran, demandant comment la communauté internationale pouvait soutenir les femmes et les enfants iraniens soumis à une oppression systémique, une situation qui a également préoccupé le Japon.
La République populaire et démocratique de Corée (RPDC) a rejeté les mandats spécifiques et s’est inquiétée des effets des sanctions unilatérales sur les droits humains des Iraniens. Les États-Unis ont demandé ce que pouvait faire la communauté internationale pour la reddition de comptes concernant la mort de Mahsa Amini en l’absence d’autorités crédibles et indépendantes en Iran. Les Pays-Bas ont appelé à une enquête transparente sur la mort de Mahsa Amini et des manifestants. Le Luxembourg, appuyé par la Tchéquie et l’Islande, a demandé quels mécanismes pouvaient être mis en œuvre pour assurer la reddition de compte en Iran, tandis que le Sri Lanka a appelé toutes les parties à respecter les principes de non-sélectivité et d’impartialité dans la promotion des droits humains.
L’Espagne s’est opposée à la condamnation iranienne des travaux du Rapporteur spécial. L’Union européenne a estimé que la loi sur les jeunes avait fait reculer l’égalité entre les hommes et les femmes et demandé au Rapporteur comment empêcher d’autres reculs du même type. Elle a aussi demandé ce que la communauté internationale devrait faire pour limiter l’usage de la peine capitale pour des condamnations ne constituant pas des crimes sérieux, concernant les affaires de drogue et contre des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou des personnes LGBTIQ+. Le Pakistan a estimé que le Conseil des droits de l’homme était instrumentalisé par certains pays qui politisaient les droits humains, relevant que malgré les sanctions, l’Iran se montrait ouvert au dialogue. S’exprimant au nom des 33 membres de la coalition « liberté en ligne », la Norvège a appelé l’Iran à lever toutes les restrictions d’accès à Internet, le Royaume-Uni l’exhortant pour sa part à tendre l’oreille, à cesser la répression et à condamner les tirs à balles réelles.
Après la Syrie qui a réitéré son opposition aux rapports sur des pays spécifiques, l’Albanie s’est intéressé aux moyens d’améliorer les systèmes de signalement et de suivi des personnes victimes de détentions arbitraires, notamment les femmes et les défenseurs et défenseuses des droits humains. Le problème principal n’était pas le respect des droits humains par l’Iran mais les sanctions imposées par les États-Unis, a estimé la Fédération de Russie, suivie au Bélarus qui a dénoncé le rapport.
Estimant que les manifestations étaient une conséquence de la violation des droits humains par l’Iran, l’Allemagne a demandé comment faire pour assurer la reddition de comptes. La Suisse a plaidé en faveur d’une enquête indépendante sur la mort de Mahsa Amini et l’incendie à la prison d’Evin. La Chine s’est opposée à l’imposition d’un mécanisme spécifique en l’absence d’accord du pays concerné, condamnant dans la foulée les sanctions unilatérales étatsuniennes. L’Érythrée s’est opposée au mandat du Rapporteur sur l’Iran et souligné que ce type de mandat visaient souvent les pays en développement, dénonçant leur sélectivité. À son tour, la France a appelé l’Iran à cesser toute exécution, notamment concernant des mineurs et à respecter ses engagements internationaux en matière de libertés d’expression, de réunion, de religion et de conviction.
Reprenant la parole, l’Iran a affirmé que le Royaume-Uni, l’Union européenne, les États-Unis et le Canada persistaient dans leurs fausses accusations, qu’ils s’ingéraient dans les affaires internes de l’Iran alors que les discriminations persistaient sur leurs propres territoires. Il a aussi souligné que le « régime de l’apartheid » dans la région parlait des droits humains alors qu’une journaliste avait été tuée suite à l’occupation qu’il menait.
Répondant aux accusations de certaines délégations, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran a notamment encouragé l’Iran à dialoguer sur le fond du rapport et sur ses recommandations et a demandé l’accès au pays. Il a affirmé que son rapport tenait compte des sanctions et de leurs effets sur le système de santé notamment, soulignant toutefois que leur existence ne devait servir d’excuse pour justifier des violations des droits humains. Il a réaffirmé sa préoccupation quant à l’augmentation du nombre d’exécutions, et a demandé la libération immédiate de toutes les personnes détenues de manière arbitraire, la fin des violations de la liberté d’expression et des entraves au travail des journalistes. Il a insisté sur l’importance de défendre les droits des femmes et filles souffrant depuis des décennies de la loi sur le hijab qui insulte leur liberté de choix et leur dignité. Il a demandé à l’Iran de rejoindre la Convention contre la torture et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, appelant ensuite la communauté internationale à mettre place un mécanisme d’enquête sur la violation des droits humains en Iran.
Exposé
M. PAULO SERGIO PINHEIRO, Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, a dressé le bilan d’une Syrie ravagée par 12 ans de guerre, où 90% de la population vit dans la pauvreté. En outre, 14,6 millions de Syriens dépendent désormais de l’aide humanitaire, alors que celle-ci demeure terriblement insuffisante et politisée, a-t-il déploré, signalant en outre une grave épidémie de choléra dans 14 provinces du pays. Cette crise humanitaire, sanitaire et économique est aggravée par l’intensification des combats, et ceux-ci sont le fait tant des forces pro-gouvernementales que rebelles, ou menées par les Forces démocratiques syriennes (FDS), a expliqué M. Pinheiro.
Dans tout ce chaos, les voix qui appellent au retour des réfugiés syriens se font de plus en plus entendre, a indiqué le Président de la Commission d’enquête, selon lequel les pays voisins qui ont accueilli des millions de Syriens affirment aujourd’hui qu’ils vont commencer à les renvoyer chez eux. Il a cependant insisté sur le fait que tout retour doit se faire volontairement, en toute sécurité et dans la dignité. Notant à cet égard que le nombre de réfugiés retournant volontairement en Syrie est « minuscule » et inférieur au nombre de ceux qui fuient, il a estimé que la tragédie des plus de 70 réfugiés syriens noyés dans le naufrage de leur embarcation de fortune est une leçon à retenir.
Par ailleurs, la confiscation par les parties au conflit des biens des personnes déplacées et des réfugiés continue d’empêcher des retours dignes dans tout le pays, a dénoncé M. Pinheiro. Il a cité l’exemple des femmes dont le mari a disparu ou est porté disparu et qui sont confrontées à des difficultés supplémentaires lorsqu’elles tentent d’obtenir la propriété de leur maison.
Évoquant le sujet de la torture, le Président de la Commission d’enquête a indiqué que cette pratique, qui comprend les violences sexuelles, est également perpétrée par des groupes armés. Il a par ailleurs mentionné l’attaque de la prison d’al-Sina, dans la ville d’Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, le 20 janvier, y voyant un rappel brutal de la menace que représente toujours Daech dans la région et de la vulnérabilité des civils qui y vivent. Cette attaque a mis en lumière le sort de centaines de garçons en pleine adolescence, détenus dans des conditions insupportables depuis près de quatre ans, a-t-il alerté. Il a également évoqué la situation de leurs mères et jeunes frères et sœurs qui font partie des quelque 58 000 personnes, dont 37 000 enfants, qui restent illégalement privées de liberté dans les camps de Hol et de Raouj. Dans ces conditions, la nécessité des rapatriements est plus urgente que jamais, a souligné M. Pinheiro en notant que l’élan en ce sens se renforce enfin. Saluant les pays qui ont déjà rapatrié leurs ressortissants, il a cependant averti qu’au rythme actuel, « il faudrait peut-être des décennies pour vider les camps ».
Le Président de la Commission d’enquête s’est ensuite attardé sur le sort inconnu des dizaines de milliers de personnes disparues ou forcées à disparaître, selon lui « l’une des plus grandes tragédies de la guerre syrienne ». Tout en se félicitant de la recommandation du Secrétaire général en faveur de la création d’un mécanisme international chargé de clarifier leur sort et de soutenir les familles, il a estimé que les discussions ne devraient plus porter sur la nécessité ou non de créer un tel mécanisme. M. Pinheiro a indiqué que la Commission d’enquête est prête à partager la masse considérable d’informations collectées pendant 11 ans, exhortant les États Membres à agir de même. Enfin, a-t-il rappelé, « nous ne devons pas oublier les premiers responsables de cette situation, lesquels peuvent agir rapidement pour la résoudre ». Il a ainsi appelé les autorités syriennes et les autres parties au conflit à commencer à autoriser l’accès immédiat d’observateurs indépendants tels que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à tous les lieux de détention.
Dialogue interactif
À la suite de l’exposé M. Pinheiro, la République arabe syrienne a dénoncé d’emblée le fait que la Commission d’enquête ait été créée sans vote et sans l’assentiment du pays concerné. Après avoir qualifié le travail de cette instance de « campagne de désinformation » contre son pays, elle a condamné les frappes opérées par Israël sur Damas le 10 juin dernier, regrettant que l’identité des criminels n’ait pas été assez clairement précisée par la Commission d’enquête. Celle-ci accuse en outre sans fondement les autorités syriennes de crimes de guerre, de torture et autres traitements inhumains, alors qu’elle utilise le conditionnel au sujet des exactions qui « auraient » été commises par le groupe État islamique et d’autres entités rebelles. La délégation a ensuite dénoncé l’ingérence militaire de la Türkiye, laquelle, a-t-elle rappelé, n’est autorisée à intervenir en Syrie par aucun document des Nations Unies. Elle a par ailleurs démenti des accusations de torture commises par des représentants de l’État syrien sur des enfants, et a regretté que la Commission d’enquête omette de présenter l’occupation du territoire syrien par des forces étrangères comme la principale cause empêchant les réfugiés syriens de revenir dans leur pays.
La France a, pour sa part, exprimé son soutien à la Commission d’enquête, avant de déplorer la plus grave crise humanitaire depuis le début du conflit syrien. À l’instar des Pays-Bas, la délégation française a appelé Damas à se conformer à la résolution 2254 (2015) du Conseil de Sécurité « sans laquelle la paix ne peut advenir ». Elle a enfin demandé si la Commission d’enquête a des éléments d’information concernant les violences dont font l’objet les réfugiés lors de leur retour en Syrie. Comment le régime syrien peut-il être tenu pour responsable de la sécurité de ceux qui souhaitent rentrer chez eux, s’est interrogée à son tour l’Union Européenne, notant que le rapport de la Commission d’enquête fait état de multiples cas d’arrestation et de détention parmi les Syriens déplacés rentrés dans leur pays. Comment la Commission d’enquête peut-elle s’assurer que des comptes seront rendus au sujet des atrocités commises dans le Nord-Est de la Syrie, a voulu savoir l’Australie.
Réaffirmant son soutien au Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie, l’Allemagne a souhaité savoir comment toutes les parties prenantes peuvent s’acquitter de leur tâche dans ce cadre. Sur la même ligne, le Luxembourg a demandé ce qui pourrait être entrepris pour faciliter la création d’un mécanisme international chargé du suivi des personnes disparues, tant au niveau des États Membres qu’au niveau de l’ONU. Toujours à ce sujet, la Suisse a voulu savoir comment la Commission d’enquête envisage de collaborer avec un éventuel mécanisme chargé de rechercher et d’identifier de manière efficace et effective les personnes disparues.
De son côté, l’Ordre Souverain de Malte est revenu sur l’aide qu’il apporte à des milliers de réfugiés syriens, notant le poids qui repose sur le Liban et appelant la communauté internationale à épauler les pays faisant face à l’afflux de populations syriennes. À sa suite, le Royaume-Uni s’est enquis des recommandations de la Commission d’enquête en matière de soutien aux familles des personnes disparues, tandis que le Liechtenstein s’interrogeait sur la collaboration de la Commission d’enquête avec d’autres mécanismes des Nations Unies sur le dossier syrien.
La Fédération de Russie a quant à elle dénoncé les sanctions unilatérales des pays occidentaux à l’encontre du peuple syrien ainsi que l’occupation de larges pans du territoire syrien par des puissances étrangères, notamment les Etats-Unis. Cuba a, elle, estimé que la « politisation » de la Commission d’enquête accroît la méfiance et la logique d’affrontement. La communauté internationale doit respecter la souveraineté territoriale de la Syrie et encourager une coopération avec les autorités du pays, a réclamé la délégation cubaine, selon laquelle prôner les droits humains en Syrie est incompatible avec l’application de mesures coercitives unilatérales. Une position partagée par le Nicaragua, qui a formulé des accusations similaires envers la Commission d’enquête, tandis que le Venezuela condamnait tout instrument, rapport ou résolution ciblant un pays spécifique sans son consentement. La République populaire démocratique de Corée (RPDC) s’est, elle aussi, dressée contre l’ensemble des mandats et mécanismes « politisés », soutenant les efforts du Gouvernement syrien pour lutter contre l’occupation étrangère.
L’Érythrée s’est jointe aux États dénonçant une approche politisée qui ne vise que des pays en développement, le Bélarus estimant quant à lui qu’en dix ans, la Commission d’enquête n’a obtenu aucun résultat tangible en Syrie, alors que l’Examen périodique universel (EPU) assure efficacement la promotion des droits humains dans le monde. La Chine a, elle, jugé que le cas syrien prouve que les mesures coercitives unilatérales et autres interférences ou pressions extérieures ne portent jamais leurs fruits. La République islamique d’Iran a également dénoncé les mesures coercitives unilatérales, ainsi que les violations du droit international commises par Israël en Syrie. Enfin, la Turquie a estimé que l’intégrité territoriale de la Syrie est violée par des organisations terroristes telles que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Répondant aux questions et remarques des délégations, M. HANNY MEGALLY, membre de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, s’est tout d’abord adressé à la République arabe syrienne, à laquelle il a rappelé qu’il n’avait pas eu souvent de réponses détaillées à ses rapports, malgré les demandes répétées. Évoquant les accusations de politisation de son mandat, il a appelé à plutôt se concentrer sur la situation en Syrie et sur ce qui peut être fait pour améliorer le sort de la population. Douze millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, il faut donc se concentrer sur cet aspect en priorité, a-t-il dit. Il s’est d’autre part prononcé pour un cessez-le- feu général, avant de se dire très préoccupé par le fait que toutes les parties au conflit ont du sang sur les mains, comme l’atteste l’examen de leur conduite.
Il s’est ensuite penché sur la question du retour des réfugiés, exprimant ses craintes quant au retour de ces personnes compte tenu des risques encourus. Il a aussi attiré l’attention sur les personnes qui n’ont pas de documents officiels, une question qui, a-t-il indiqué, fera l’objet de futurs rapports. Par ailleurs, il a alerté sur les conditions de détention en Syrie, rappelant ses recommandations en faveur de la libération des femmes, des enfants, des personnes âgées et des malades. Concluant son propos sur la question des personnes disparues, il a souhaité que l’Assemblée générale et la Troisième Commission s’inspirent des recommandations du Secrétaire général et adoptent une résolution mettant en place un mécanisme pour le suivi des personnes disparues et le soutien de leurs familles.
Reprenant la parole, le représentant de la République arabe syrienne s’est déclaré « attristé » par les déclarations de M. Megally et par le rapport de la Commission d’enquête auquel, a-t-elle répété, son pays ne souscrit pas.