La Troisième Commission passe au crible plusieurs angles morts des droits humains et se penche sur une refonte des cadres multilatéraux
La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a poursuivi son tour d’horizon des droits humains en dialoguant, aujourd’hui, avec six titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, ainsi qu’avec l’Envoyée spéciale du Secrétaire général pour le Myanmar. Si chacun des sept intervenants a présenté un front distinct de la lutte pour les droits humains, tous ont partagé la conviction que seules les approches intersectionnelles seront suivies de progrès réels.
Présentant le rapport de son prédécesseur, centré sur les populations autochtones, la nouvelle Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction a rappelé la précarité des 476 millions de personnes appartenant à des peuples autochtones : elles ne représentent que 6% de la population mondiale, mais constituent 19% des personnes extrêmement pauvres. Incomprises dans leur vision du monde, marginalisées et violentées par des acteurs étatiques ou autres, ces personnes sont aussi parmi les plus vulnérables face aux changements climatiques. Pour les inclure dans les solutions tout en respectant leurs croyances, Mme Nazila Ghanea a recommandé aux États de développer des approches holistiques et fondées sur les droits humains, étant entendu que « lorsque les droits d’une communauté sont compromis, toute la société en souffre ».
Mise en exergue par Mme Ghanea, l’interdépendance des droits humains a été suggérée par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. À l’occasion des 40 ans de son mandat, M. Morris Tidball-Binz a inclus dans son rapport une réflexion sur la peine de mort « sous l’angle de l’interdiction absolue de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». L’impact de la peine de mort sur la dignité humaine oblige plus que jamais à remettre en cause la compatibilité de ce châtiment avec le droit international, a-t-il argué, estimant que l’abolition de cette « pratique barbare » est, de fait, « la seule voie possible » pour protéger les droits humains fondamentaux des personnes condamnées à mort et de leurs familles.
Sur un autre dossier au sujet duquel les États revendiquent systématiquement leurs prérogatives nationales, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a dressé un constat clair : 20 années d’investissements dans ce combat, sans appui de la société civile, sans contrôle indépendant et sans suivi ni évaluation, n’ont pas servi les États, qui en outre confondent volontiers terrorisme et extrémisme. Parmi les pistes susceptibles de permettre le rétablissement de la paix et la prévention de la violence, Mme Fionnuala Ní Aoláin a recommandé le soutien à la médiation holistique et à l’observation des négociations de paix, singulièrement dans les contextes complexes, y compris ceux dans lesquels des groupes terroristes désignés par l’ONU sont présents.
La paix et la sécurité ont également sous-tendu le rapport de l’expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable. M. Livingstone Sewanyana y aborde les principaux défis liés au maintien de la paix et de la sécurité internationales, et les moyens possibles de les surmonter. À ses yeux, les conditions sine qua non de la sécurité internationale, rappelées dramatiquement par la guerre en Ukraine, sont le désarmement nucléaire et la réduction des dépenses militaires. L’Expert a donc instamment demandé à tous les États de ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires et les autres traités relatifs au désarmement. Il s’est d’autre part prononcé pour une réforme des organes clefs de l’ONU, le Conseil de sécurité en premier chef, mais aussi l’Assemblée générale, dont le rôle devrait être accru pour permettre aux populations de mieux participer aux activités des Nations Unies.
Repenser les institutions multilatérales fait aussi partie des pistes prônées par l’experte indépendante chargée d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels. Partant du postulat qu’une fiscalité transparente et juste permettrait de concrétiser les droits humains, Mme Attiya Waris a appelé de ses vœux l’émergence d’une autorité fiscale internationale. En effet, a-t-elle relevé, les États perdent 483 milliards de dollars de recettes par an en raison des abus fiscaux transfrontaliers des entreprises et des détournements offshore de particuliers fortunés. Autant de recettes imposables qui pourraient être investies dans la concrétisation des droits humains, a-t-elle souligné.
Les entreprises doivent, elles aussi, œuvrer en faveur des droits humains, a plaidé la Présidente du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises. Soulignant l’influence considérable des activités politiques des entreprises sur la sphère politique et réglementaire en termes de droits humains, Mme Fernanda Hopenhaym a noté que cet impact est positif lorsque les sociétés respectent les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Or, dans les faits, a-t-elle déploré, la privatisation de services publics et l’affaiblissement des réglementations environnementales et sociales fragilisent des droits élémentaires, parmi lesquels celui à la santé.
Cette corrélation entre les activités politiques des entreprises et les processus décisionnels devient particulièrement délétère lorsque la surveillance est faible et que les exigences de transparence sont absentes, a poursuivi la Présidente, exhortant les États à édifier des arsenaux légaux adaptés pour encadrer les acteurs privés, rendre publiques les activités de lobbying et prévenir les conflits d’intérêt.
En écho aux inquiétudes exprimées par les autres intervenants, l’Envoyée spéciale du Secrétaire général pour le Myanmar a dressé un sombre bilan des événements récents dans ce pays en conflit: 13,2 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire et 1,3 million sont déplacées à l’intérieur de leurs frontières. Face aux exactions de la junte militaire au pouvoir, Mme Noeleen Heyzer a appelé à la fin des bombardements, à la libération des prisonniers politiques, à un moratoire sur les exécutions et à un retour volontaire, sûr, digne et durable des réfugiés Rohingya. Elle a également dit compter sur une réponse coordonnée de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) pour relever les défis communs posés par ce conflit.
La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, mercredi 26 octobre, à partir de 10 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS
Déclarations liminaires suivies de dialogues interactifs
Exposé
Mme NAZILA GHANEA, Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, qui s’adressait pour la première fois à la Troisième Commission, a présenté le rapport final de son prédécesseur, M. Ahmed Shaheed, consacré aux populations autochtones et au droit à la liberté de religion ou de conviction. Ce rapport, a-t-elle noté, rappelle la précarité des quelque 476 millions de personnes identifiées comme appartenant à des peuples autochtones, qui, si elles occupent ou gèrent plus d’un quart des terres de la planète, ne bénéficient d’une sécurité d’occupation que sur 10% d’entre elles. De plus, ces peuples qui ne représentent que 6% de la population mondiale constituent en revanche 19% des personnes extrêmement pauvres, a fait observer Mme Ghanea.
Constatant sur la base de ses travaux que de nombreux peuples autochtones sont victimes de discrimination, d’hostilité et de violence graves et systématiques de la part des États mais aussi d’acteurs non étatiques, M. Shaheed relève dans son rapport que les racines de ces maux se fondent sur une réalité incomprise, celle d’une vision du monde qui s’appuie tant sur la nature que sur la spiritualité. « Cette vision régit tous les aspects de la vie de ces peuples et maintient ainsi une relation inextricable entre la terre et le sacré, l’histoire et la culture, de sorte que leur restreindre l’accès à leurs terres revient à les priver de leur propre identité », a souligné la Rapporteuse spéciale en reprenant les termes de son prédécesseur.
Le rapport, a poursuivi Mme Ghanea, constate également que les peuples autochtones sont parmi les plus vulnérables face aux changements climatiques, alors que ces « gardiens traditionnels de la nature » pourraient faire partie des solutions. Pour répondre à ce problème, le rapport appelle à engager un échange productif sur la façon dont les communautés autochtones peuvent s’adapter aux changements climatiques. Guidé par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, il recommande aux États et aux autres acteurs clefs de développer des solutions holistiques et fondées sur les droits humains, mais dans une approche globale. « Lorsque les droits de l’homme d’une communauté sont compromis, toute la société en souffre », a mis en garde la Rapporteuse spéciale.
Dans ce contexte, la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction reste souvent un droit mal compris, a déploré Mme Ghanea, avant d’avertir que violer cette liberté « compromet la jouissance de tous les autres droits ». Elle a ajouté que, sous le prisme de la liberté de croyance, les rapports thématiques de son mandat porteront sur d’autres questions qui n’ont pas reçu suffisamment d’attention jusqu’à présent, tels que la torture et autres peines ou traitements cruels, la jeunesse et la migration. Il cherchera également à soutenir l’opérationnalisation de ce droit en examinant, par exemple, ce qui peut être fait au niveau local et municipal pour promouvoir et réaliser la liberté de religion ou de conviction pour tous, y compris pour les minorités religieuses et de conviction.
Dialogue interactif
Réagissant à l’exposé de Mme Ghanea, les Pays-Bas ont demandé ce que les États peuvent faire pour renforcer la société civile en vue de permettre des changements positifs et inclusifs pour ceux qui sont persécutés pour leurs convictions. Rappelant que la diffusion des technologies numériques sert de vecteur à la haine contre certaines minorités, l’Autriche a invité la Rapporteuse spéciale à préciser comment elle compte traiter cette question dans les années à venir. Au nom d’un groupe de pays, la Norvège a souhaité savoir ce que peuvent faire les États pour renforcer le droit des autochtones à la liberté de conviction et trouver une perspective incluant le genre.
L’Union européenne a, quant à elle, remercié la Rapporteuse spéciale d’avoir souligné l’importance du droit à la liberté de religion ou de conviction des peuples autochtones, avant de s’interroger sur la manière de mieux protéger ce droit à l’avenir. Comment mieux promouvoir les valeurs d’inclusion au niveau international, s’est pour sa part enquis le Canada, qui a assuré lutter contre le racisme et les inégalités qui séparent les Premières Nations du reste de la population. De son côté, la République islamique d’Iran s’est dite vivement préoccupée par la situation des populations autochtones au Canada et aux États-Unis, et a invité la nouvelle Rapporteuse spéciale à s’intéresser à cette question comme l’a fait son prédécesseur.
La Pologne s’est inquiétée du sort des minorités chrétiennes dans le monde, qui sont « surreprésentées » dans les persécutions, 360 millions de chrétiens faisant l’objet de persécutions journalières. Elle s’est ensuite émue du sort des Tatars de Crimée face à l’occupation russe débutée, en 2014, et aggravée depuis la guerre d’agression contre l’Ukraine, estimant que davantage pourrait être fait pour préserver leurs droits. Les États-Unis ont, eux, appelé la Chine à mettre fin à ses « atrocités » contre les Ouïghours et à ses persécutions à l’égard des Tibétains, s’inquiétant aussi du sort des minorités en Iran, notamment des femmes qui manifestent contre le port du voile. La délégation a demandé comment les institutions internationales peuvent protéger les libertés de conviction pour les populations autochtones lorsque les gouvernements cherchent à réduire ces libertés.
Cuba a tenu à rappeler que la liberté de croyance est inscrite dans ses lois nationales. Elle a par ailleurs dénoncé les « idées xénophobes » que diffusent les États-Unis sous couvert de liberté d’expression, avant de demander à la Rapporteuse spéciale son avis sur les mesures coercitives unilatérales, telles que celles subies par Cuba, et sur les conséquences que lesdites mesures ont sur la démocratie et l’état de droit. À son tour, la Chine a assuré respecter toutes les croyances, y compris l’islam, fustigeant à ce propos la politique « antimusulmane » des États-Unis dans leur guerre contre le terrorisme. « Que le Gouvernement américain balaie devant sa porte avant de nous accuser de fausses allégations au sujet du Xinjiang », a martelé la délégation.
Le Pakistan a, lui aussi, axé son intervention sur l’islamophobie, demandant à la Rapporteuse spéciale quelles modalités d’actions elle envisage pour aborder cette problématique au niveau international. Rappelant que sa population est pluriethnique et plurireligieuse, et qu’elle représente un sixième de l’humanité, l’Inde a, elle, vivement critiqué le précédent Rapporteur spécial au sujet de ses conclusions sur la liberté religieuse dans le pays. De même, l’Indonésie a qualifié d’inexactes certaines informations contenues dans le rapport de Mme Ghanea sur la liberté de croyance dans le pays. Une loi, datant de 2017, assure la liberté religieuse en Indonésie, y compris celle des communautés autochtones, a fait valoir la délégation, qui a dit douter de crédibilité du précédent Rapporteur spécial.
Prenant la parole à leur tour, le Maroc, la Grèce et la Hongrie sont largement revenus sur la promotion et la garantie de la liberté de croyance au sein de leurs sociétés.
En réponse à ces questions et observations, la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction a rappelé que, la liberté de croyance est un des droits, parmi tant d’autres, que les populations autochtones voient violés. Face à cette réalité, elle a dit travailler avec d’autres Rapporteurs spéciaux, titulaires de mandat et autres institutions des Nations Unies dans une approche multidimensionnelle. Les populations autochtones considèrent la liberté de croyance comme essentielle, alors qu’elle a été longtemps reléguée au second plan, a-t-elle relevé, affirmant que la lutte contre les discours de haine est une des priorités de son mandat.
La liberté de croyance est, en outre, un droit qui en entraîne d’autres, a expliqué Mme Ghanea: quand des populations sont persécutées pour leurs croyances, c’est souvent parce que leurs droits sociaux, économiques, culturels et politiques sont violés, d’autant plus que ces populations ne sont parfois pas reconnues par les États dès leurs naissances.
La Rapporteuse spéciale a salué les inquiétudes exprimées par des États au sujet de populations autochtones en dehors de leurs frontières. Toutefois, elle a estimé que ces mêmes États devraient commencer par s’intéresser à ce qui se passe chez eux et à « balayer devant leur porte », comme l’ont demandé d’autres délégations. Elle a par ailleurs invité les États à donner suite aux plaintes dont ils sont saisis pour des violations de la liberté de croyance. « Je vous en prie, c’est essentiel pour la mise en œuvre de mon mandat », a-t-elle insisté en conclusion.
Exposé
M. MORRIS TIDBALL-BINZ, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a rappelé que, cette année marque le quarantième anniversaire de la création de son mandat, qui est, selon lui, le résultat de la lutte des familles des victimes, et notamment des mères et grands- mères de disparus et victimes d’exécutions extrajudiciaires. Présentant son rapport annuel, il a dit avoir rencontré, au cours de l’année écoulée, de nombreux représentants d’États, d’organisations internationales et régionales et d’organismes universitaires et professionnels, ainsi que des responsables d’ONG et des proches de victimes, auxquels il a offert ses bons offices, des conseils et une assistance technique, y compris sur les bonnes pratiques médico-légales. Il a également indiqué avoir émis, seul ou conjointement avec d’autres mandats, un total de 194 communications aux États et aux acteurs non étatiques.
Pour le Rapporteur spécial, la tragique réalité des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires qui ont lieu partout dans le monde, montre tout ce qu’il reste à faire pour prévenir efficacement ces actions, notamment par la mise en œuvre effective des recommandations et des normes élaborées dans le cadre de son mandat pour limiter le recours à la force et enquêter efficacement sur tous les décès potentiellement illégaux. Le quarantième anniversaire de ce mandat est donc, à ses yeux, une occasion propice pour faire le point sur les acquis et les défis. À cet égard, M. Tidball-Binz a relevé que son rapport comprend une réflexion sur la peine de mort « sous l’angle de l’interdiction absolue de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
L’impact de la peine de mort sur la dignité et les droits fondamentaux des personnes, dont le droit de ne pas subir la torture, nous oblige aujourd’hui plus que jamais à réfléchir sur cette « pratique barbare », a souligné le Rapporteur spécial. Il s’est dit convaincu, en tant que médecin et médecin légiste, que l’imposition de cette peine entraîne, à toutes ses étapes, de la condamnation à l’exécution, « des souffrances équivalant à la torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants » et qu’elle a également un « impact dramatique » sur la famille et les proches des condamnés à mort et des personnes exécutées.
Dans son rapport, M. Tidball-Binz appelle à de nouvelles études sur ce constat, qui remet en cause la compatibilité de la peine de mort avec le droit international, afin de protéger la dignité et les droits humains fondamentaux des personnes condamnées à mort et de leurs familles, pour lesquelles l’abolition de ladite pratique est « la seule voie possible ».
Dialogue interactif
À la suite de cette présentation, le Royaume-Uni a voulu savoir quelle assistance technique peut être fournie aux États Membres afin d’éviter les exécutions extrajudiciaires. Comment renforcer les capacités des États afin de s’assurer que les enquêtes sur de potentielles exécutions extrajudiciaires sont menées de façon professionnelle, a demandé l’Union européenne, tandis que les États-Unis s’interrogeaient sur la façon d’éviter que les dispositions antiterroristes atteignent des personnes ne cherchant qu’à défendre leurs droits. La délégation américaine a également demandé au Rapporteur spécial comment prévenir les exécutions sommaires et extrajudiciaires par des acteurs étatiques, condamnant à cet égard les exécutions sans jugement pratiquées par les Taliban en Afghanistan, mais aussi par les autorités iraniennes, notamment contre des enfants. Après avoir dénoncé l’assassinat du général Qassem Soleimani, le qualifiant d’« acte criminel et terroriste », la République islamique d’Iran a invoqué l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui n’interdit pas la peine de mort, et indiqué que le pays l’appliquait « de manière restreinte ». Elle a par ailleurs dénoncé le recours à des « sources non fiables » dans le rapport présenté.
Rappelant qu’un moratoire sur la peine de mort prévaut sur son sol depuis 40 ans, le Myanmar a dénoncé des exécutions sommaires commises par la junte au pouvoir, en juillet dernier, après des simulacres de procès. Il a indiqué que 84 personnes attendaient encore l’exécution de leur condamnation à mort, en plus des nombreuses victimes d’exécutions extrajudiciaires et de torture dans les prisons ou lors de raids de l’armée. Il s’est interrogé sur ce que peut faire la communauté internationale face à cette situation. L’Arménie a, quant à elle, évoqué l’exécution sommaire d’un groupe de soldats arméniens capturés, qui a entraîné une vague de condamnations internationales et poussé l’État Membre responsable à reconnaître un crime de guerre et à lancer une enquête. Quel mécanisme peut être mis en place pour s’assurer que les responsables soient jugés, a-t-elle demandé?
De son côté, le Pakistan a affirmé que les jeunes sont particulièrement ciblés dans le Jammu-et-Cachemire, et que plus de 100 000 civils y ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires sans qu’aucun responsable indien n’ait été traduit en justice. Dans quelle mesure la reddition de comptes est-elle possible dans ce territoire occupé, s’est-il enquis? Rappelant que sa Constitution garantit le droit à la vie, l’Inde a accusé le Pakistan de vouloir détourner l’attention de la communauté internationale de la situation sur son propre territoire et de procéder à des exécutions et à des conversions forcées de minorités religieuses.
Le Mexique a ensuite souhaité connaître les bonnes pratiques en matière d’extradition, notamment dans le cas où un État appliquant la peine de mort sollicite un État abolitionniste. Considérant que la peine de mort est incompatible avec les principes fondamentaux des droits de l’homme, la Côte d’Ivoire a rappelé que l’abolition de ce châtiment a été inscrite dans sa Constitution, en 2000. La Chine a, pour sa part, indiqué que le recours à la peine capitale est un choix et qu’elle ne l’applique que dans des cas bien précis. Elle a, d’autre part, accusé le Canada de se livrer à des exécutions extrajudiciaires d’enfants autochtones, entre autres violations des droits des peuples autochtones. Rappelant que les États ont le droit souverain de mettre en place leur système judiciaire, l’Égypte a, quant à elle, rejeté catégoriquement le lien établi par le rapport entre la peine de mort et la torture et autres traitements inhumains, cruels ou dégradants.
Enfin, s’exprimant au nom des pays nordiques, la Suède a rappelé que la Finlande présentera, cette année, une résolution sur l’impact des nouvelles technologies sur les droits humains. À cet égard, elle a souhaité savoir comment les États Membres peuvent s’assurer que les nouvelles technologies ne mènent pas à des violations des droits humains.
En réponse à ces questions et remarques, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a appelé toutes les parties prenantes à travailler en commun pour éradiquer les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires. Il s’est dit disposé à fournir des orientations et des conseils pratiques aux acteurs qui le souhaiteraient. Il a rappelé que les États ont des obligations quant à la manière de mener des enquêtes en cas de suspicions d’exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires et a rappelé l’existence d’un manuel relatif à ces questions, appelé Protocole du Minnesota.
Le Rapporteur spécial a indiqué que l’application immédiate des normes existantes est son « cheval de bataille », avec notamment la mise en place de systèmes d’enquête de médecine légale en cas de morts suspectés. Il a regretté que trop souvent les États n’enquêtent pas sur des cas de suspicions d’exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires. M. Tidball-Binz a également regretté que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) n’ait pas nommé de point de contact sur les pratiques de médecine légale comme il en existe à la Cour pénale internationale (CPI) ou au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), soulignant que la demande est ancienne et qu’un accueil favorable permettrait d’enregistrer de grands progrès sur ce sujet.
Il a par ailleurs rappelé que la résolution portant sur les exécutions extrajudiciaires met l’accent sur la coopération et l’assistance technique. En conclusion, il s’est insurgé contre la pratique de la torture et a réaffirmé que menacer de mettre une personne à mort revient à la torturer, ainsi que toute sa famille.
Exposé
Mme FIONNUALA NÍ AOLÁIN, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a indiqué que son rapport retrace le développement de l’action en faveur de la paix au sein des Nations Unies et son lien avec le travail de promotion de sociétés fondées sur les droits. À ses yeux, le travail qu’effectue l’ONU en faveur de la paix doit être entrepris dans l’intérêt de ses principaux bénéficiaires, à savoir « le peuple des Nations Unies » et pas seulement les États Membres. Observant que des défis ont émergé dans des contextes où les États sont engagés dans une optique de terrorisme plutôt que de paix, elle a estimé que cette approche sape non seulement, la capacité à s’engager dans la consolidation de la paix au niveau local, mais aussi le travail des droits de l’homme, qui permet, facilite et sous-tend la médiation et la résolution des conflits locaux et nationaux.
Avant d’explorer cette « interface » entre la paix, les conflits et le contre-terrorisme, Mme Ní Aoláin a présenté ses activités de l’année écoulée, en particulier ses visites aux Maldives et en Ouzbékistan, ainsi qu’une visite de travail auprès de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Elle a également indiqué qu’elle compte se rendre en Iraq et au Cameroun, entre décembre 2022 et février 2023, avant de rappeler que son mandat a fourni une assistance technique soutenue aux États, notamment durant le septième examen de la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies. Elle a, d’autre part, relevé que son mandat a donné lieu à des échanges continus sur la difficile question du rapatriement des ressortissants de pays tiers présents dans le nord-est de la Syrie. Faisant état de « pratiques positives » en la matière, de la part d’un nombre croissant d’États, elle a aussi évoqué la publication de rapports techniques et politiques sur la lutte contre le financement du terrorisme et les sanctions antiterroristes. Un prochain document de synthèse traitera des drones et de la surveillance dans le contexte de la lutte antiterroriste, a-t-elle précisé.
Revenant au contenu de son rapport, la Rapporteuse spéciale a fait remarquer que 20 ans d’investissements dans la lutte contre le terrorisme, sans appui de la société civile, sans contrôle indépendant et sans suivi ni évaluation, n’ont « pas servi les États ». Elle a donc invité ces derniers à se demander si les investissements dans cette lutte portent leurs fruits sur le terrain et à élaborer des stratégies de long terme. Mme Ní Aoláin a par ailleurs noté que, l’empiètement des termes « terrorisme » et « extrémisme », ainsi que l’application de mesures souvent erronées dans des contextes fragiles, « peuvent étouffer et limiter la capacité à s’engager dans le dur travail de rétablissement de la paix et de prévention de la violence ». Si elle a assuré ne pas préconiser une « réconciliation totale » avec certains groupes terroristes désignés, compte tenu de leur refus d’abandonner la violence et de leur manque de respect pour les normes internationales d’humanité les plus fondamentales, elle a estimé que mettre fin à la violence ou la limiter, peut nécessiter des « négociations partielles ou conditionnelles » avec ces groupes, en particulier lorsqu’il faut négocier l’accès humanitaire, le cessez-le-feu et le traitement des prisonniers.
Comme point de départ, la Rapporteuse spéciale a recommandé des « cessez-le-feu linguistiques » dans les sociétés fragiles et en conflit, afin de trouver les voies permettant de s’attaquer aux conditions propices au terrorisme et à la violence collective. À cette fin, son rapport demande à l’ONU et aux États Membres de soutenir la médiation holistique, la négociation et l’observation des négociations de paix dans des contextes complexes, y compris ceux dans lesquels des groupes terroristes désignés par l’ONU sont présents. Pour finir, Mme Ní Aoláin a annoncé son intention d’entreprendre, cette année, une étude mondiale sur l’impact des mesures antiterroristes sur la société civile et l’espace civique avec le soutien de l’Allemagne et de l’Espagne.
Dialogue interactif
À l’issue de cet exposé, l’Union européenne a voulu connaître certaines initiatives prometteuses ou meilleures pratiques établies en ce qui concerne le rôle de la société civile dans la lutte antiterroriste. Comment y associer une participation significative des femmes, a renchéri l’Irlande? Quelles sont les mesures politiques, financières et pratiques que les États membres doivent prendre pour mieux équilibrer les mesures et l’architecture antiterroristes d’une part, et les engagements pour la consolidation de la paix, les droits de l’homme et le droit international humanitaire d’autre part, se sont interrogés la Suisse, les Pays-Bas et le Costa Rica. Qu’en est-il du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, a demandé le Qatar?
La Fédération de Russie a dit voir dans le rapatriement des membres de la famille des combattants terroristes étrangers un élément important des efforts antiterroristes internationaux. Comment peut-on limiter l’utilisation d’enfants dans la perpétration d’actions terroristes, s’est enquis le Maroc? Se disant préoccupée par le sort des 39 personnes encore détenues arbitrairement à la base navale de Guantanamo, Cuba a invité la Rapporteuse spéciale à accorder une attention particulière à la situation de ces détenus ainsi qu’à la question de la justice et de la réparation pour toutes les victimes des atrocités commises par les États-Unis dans leur lutte contre le terrorisme. Une position soutenue par la Chine, qui a pointé du doigt les États-Unis et ses alliés, qui, au nom de la lutte antiterroriste, ont commis des crimes de guerre au Moyen-Orient et ailleurs. Notre gouvernement agit pour transférer les détenus de Guantanamo et pour clore cette époque, ont répliqué les États-Unis.
S’inquiétant des activités du groupe militaire russe Wagner, le Royaume Uni a voulu savoir que peuvent faire les États pour s’assurer que la lutte antiterroriste se renforce, tout en promouvant et protégeant les droits humains. Dans quelle mesure les sanctions unilatérales sont-elles liées à la lutte antiterroriste, s’est interrogé le Pakistan, tandis que l’Inde se posait la question de savoir ce que peut faire la communauté internationale pour prévenir l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication par les terroristes. Et comment contribuer à atténuer leurs effets, a renchéri la Côte d’Ivoire.
Comment les États peuvent-ils s’assurer que la diligence raisonnable garantit les normes les plus élevées et est appliquée de manière systématique, cohérente et transparente dans l’ensemble du système des Nations Unies, s’est enquis le Mexique, alors que l’Ordre souverain de Malte, rappelant son caractère religieux, soulignait son engagement à promouvoir les droits et libertés humaines tout en luttant contre le terrorisme.
Réagissant aux questions et observations des États Membres, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a mis en avant le rôle de la société civile dans l’approche de lutte contre le terrorisme, saluant à cet égard les bonnes pratiques des Pays-Bas, notamment leur réflexion sur un certain nombre de nouveaux mécanismes impliquant les citoyens. De même, elle a loué les actions de l’Espagne et Oman destinées à mettre la société civile au cœur des discussions. Mme Ní Aoláin a également remercié l’Espagne et l’Allemagne pour leur appui dans le travail d’évaluation globale de l’impact de la lutte antiterroriste sur la société civile et l’espace civique qu’elle compte lancer l’année prochaine. La société civile est en danger dans de nombreuses régions du monde, a-t-elle averti, estimant donc essentiel que son rapport documente cette question et préconise des solutions pour redresser la situation. Dans l’immédiat, elle a appelé à inclure les femmes et les défenseurs des droits humains dans la conversation.
Une autre question importante traitée par son mandat est la définition du terrorisme car, a-t-elle expliqué, tant que nous n’aurons pas fait en sorte qu’elle soit unifiée, il sera difficile d’améliorer les approches. S’agissant de la diligence raisonnable, la Rapporteuse spéciale a reconnu que des pratiques existent, mais pas dans la lutte antiterroriste, et cela « nous le payons sur le terrain ». La plus grande menace dans la lutte antiterroriste est, selon elle, l’augmentation de la violence extrême, couplée aux mauvaises perceptions de ce qui se passe sur le terrain. À cet égard, elle a préconisé une approche impliquant toute la société. Elle a d’autre part salué le travail judiciaire accompli par plusieurs États, dont l’Allemagne, notamment les poursuites contre les membres de Daech pour crimes de guerre.
Pour ce qui concerne les enfants, Mme Ní Aoláin a exhorté les États à appliquer la Convention sur les droits de l’enfant dans la lutte antiterroriste, surtout quand les enfants peuvent être victimes de ce fléau. Évoquant la situation dans le nord-est de la Syrie, elle a recommandé le rapatriement des enfants et le respect de leurs droits et de ceux de leurs familles pour arrêter le cycle des violences. Quant aux besoins d’exemption humanitaire dans les régimes de sanctions antiterroristes, elle a préconisé un examen des processus de sanctions au niveau des Nations Unies, suggérant le renforcement du rôle de l’ombudsman. Concluant sur la lutte contre le financement du terrorisme, la Rapporteuse spéciale a annoncé qu’un document analysant les engagements des États en la matière sera publié dans l’après- midi au Siège de l’ONU à New York.
Exposé
M. LIVINGSTONE SEWANYANA, expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, a rappelé que le maintien de la paix et de la sécurité internationales est l’un des objectifs premiers des Nations Unies et le fondement d’un ordre international démocratique et équitable. En raison de la situation actuelle très volatile qui met en péril cet ordre, et à la lumière de plusieurs précédents accablants, il a dit avoir axé son rapport sur les principaux défis liés au maintien de la paix et de la sécurité internationales, et sur les moyens possibles de les surmonter. Le respect total et inconditionnel du droit international, y compris le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire, est « la condition sine qua non de la réalisation d’un ordre international pacifique, prospère, résilient et juste », a-t-il fait valoir.
À cette aune, M. Sewanyana a appelé les États Membres à respecter la Charte des Nations Unies, « épine dorsale du droit international » et à régler leurs différends par des moyens pacifiques. Il les a aussi exhortés à respecter la Déclaration sur le droit à la paix, le Programme d’action pour une culture de la paix, les résolutions de l’Assemblée générale sur une culture de la paix et toutes les autres résolutions pertinentes des Nations Unies. Selon lui, les événements tragiques qui se déroulent actuellement en Ukraine rappellent avec force que la paix et la sécurité ne peuvent être garanties sans parvenir au désarmement nucléaire et sans réduire les dépenses militaires au profit du développement durable. Il a donc demandé instamment à tous les États Membres de ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires et les autres traités relatifs au désarmement, et à les appliquer à la lettre. Il les a en outre invités à revitaliser la Commission du désarmement et à réduire sensiblement leurs dépenses militaires.
Pour relever ces défis, l’expert indépendant a plaidé pour une réforme de certains organes clés des Nations unies. Il s’est d’abord prononcé en faveur d’un Conseil de sécurité plus démocratique, plus représentatif, plus efficace, plus transparent et plus responsable, estimant que sa composition actuelle ne reflète pas les réalités géopolitiques actuelles. Il a ensuite appelé les membres permanents du Conseil de sécurité à s’abstenir d’utiliser leur droit de veto pour bloquer son fonctionnement. Enfin, il a appelé de ses vœux, des consultations formelles et structurées avec les parties prenantes extérieures, en particulier les organisations de la société civile.
M. Sewanyana a aussi insisté sur l’importance de revitaliser l’Assemblée générale afin qu’elle exerce un plus grand rôle dans la prise de décision et d’accepter sans réserve la juridiction de la Cour internationale de justice (CIJ). À ses yeux, il conviendrait également d’inclure plus efficacement et plus directement les populations et de leur permettre de mieux participer aux activités des Nations Unies, conformément à l’engagement pris récemment par les États Membres. Concluant son propos, l’expert indépendant a dit voir dans le Sommet du futur, convoqué en 2024, une occasion précieuse de discuter des menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité mondiales et de réaliser un ordre international démocratique et équitable.
Dialogue interactif
Dans la foulée de cet exposé, l’Azerbaïdjan, qui s’exprimait au nom du Mouvement des pays non alignés, a souligné l’importance de la démocratie, ainsi que du droit des peuples à l’autodétermination et du respect de l’intégrité territoriale des États Membres. À sa suite, le Venezuela a dénoncé la tendance à l’unilatéralisme et à la recherche de l’hégémonie au nom de la domination économique et financière, faisant état d’une résurgence du racisme, du fascisme et du néonazisme. Il a demandé à l’expert indépendant comment il entend appuyer ses propositions sur le droit à la solidarité internationale en temps de pandémie et sur l’impact des mesures coercitives unilatérales sur les droits de l’homme. À son tour, Cuba a dénoncé l’existence de mesures coercitives unilatérales, notamment le blocus que les États-Unis lui imposent, avant d’inviter l’expert à étudier l’effet de ces mesures sur un ordre international démocratique et équitable.
L’Algérie a, pour sa part, prôné la mise en place d’un nouvel ordre économique permettant de ne laisser personne de côté. Elle s’est ensuite interrogée sur les moyens de réformer le système des Nations Unies, demandant à ce propos ce que pourrait faire l’ONU pour encourager un ordre international équitable et démocratique. De son côté, la Chine a souligné l’importance du multilatéralisme et a accusé les États-Unis et d’autres pays occidentaux de le saper en s’ingérant dans les affaires intérieures d’autres pays et en diffusant de fausses informations sous prétexte de protéger les droits humains.
Réagissant brièvement à ces questions et remarques, l’expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, a souligné à nouveau l’importance du multilatéralisme. En réponse au Venezuela, qui dénonçait une tendance à l’unilatéralisme, il a invité la délégation à utiliser le Sommet du Futur prévu en 2024 pour soulever cette question. M. Sewanyana a par ailleurs insisté sur la nécessité de réduire les dépenses militaires au profit du développement durable et d’interdire les armes nucléaires pour instaurer une culture de la paix, avant d’estimer, en réponse à l’Algérie, que l’Assemblée générale, en tant qu’organe le plus important de l’ONU, doit pouvoir contrôler le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité.
Exposé
Mme ATTIYA WARIS, experte indépendante chargée d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, a relevé que les États perdent 483 milliards de dollars de recettes par an, en raison des abus fiscaux transfrontaliers des entreprises et des abus fiscaux offshore de particuliers fortunés. Autant de recettes imposables qui pourraient être investies dans la concrétisation des droits humains et qui représentent un manque à gagner préoccupant à l’aune des crises multiples auxquelles fait face la communauté internationale, a déploré l’experte indépendante, qui a mentionné les changements climatiques et l’insécurité alimentaire.
C’est là, selon elle, le fruit des déficiences fondamentales de l’architecture de gouvernance fiscale internationale, régionale et nationale. Partant du principe qu’une fiscalité transparente et juste offre aux politiques les moyens de concrétiser les droits humains, l’Experte indépendante a formulé des pistes pour rebâtir cette architecture fiscale. Premiers acteurs concernés, les États doivent tout d’abord assurer l’égalité et la non-discrimination, ainsi que la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels au maximum des ressources dont ils disposent, a-t-elle préconisé. Pour les États, il s’agit en somme de remplir leurs obligations financières, conformément aux principes des droits humains, a-t-elle observé.
Relevant, d’autre part, que la lutte contre les flux financiers illicites a été intégrée dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Mme Waris s’est réjouie qu’un certain nombre de discussions aient déjà eu lieu sur la manière d’aborder la fiscalité mondiale de manière multilatérale. Car, la question fiscale et des droits humains va, selon elle, au-delà des efforts unilatéraux: elle nécessite une architecture mondiale.
Comment les États peuvent-ils la bâtir? En premier lieu, en réformant le système fiscal mondial afin de lutter contre les flux financiers illicites, y compris les obligations extraterritoriales, notamment en renforçant la coopération et l’assistance internationales en matière de réglementation, de rapatriement et de taxation des flux en provenance des pays en développement. Deuxième volet d’action: veiller à ce que la promotion et la réalisation des droits humains soient au cœur de cette réforme, en les intégrant dans la conception, l’élaboration et l’application des règles fiscales internationales. L’experte indépendante a ensuite évoqué la lutte contre les flux financiers illicites, plaidant pour une plus grande coopération internationale. La convocation d’une quatrième conférence internationale sur le financement du développement permettrait, entre autres, de discuter d’une convention fiscale des Nations Unies, a-t-elle souligné, avant d’appeler de ses vœux la création d’un organisme fiscal mondial, dont la vocation serait d’étendre son mandat à celui d’une autorité fiscale internationale.
Dialogue interactif
À l’issue de cet exposé, Cuba a voulu savoir comment l’experte indépendante évalue les effets sur les droits humains du blocus économique et financier que les États-Unis imposent à son encontre. L’Algérie a estimé que le rééchelonnement de la dette n’est pas une solution définitive mais plutôt un report de la crise, jugeant le temps venu de revoir l’architecture financière internationale. Dès lors, a enchaîné le Cameroun, que pense l’experte indépendante à propos des discours sur la compétence exclusive de la Banque mondiale et du Fonds monétaire internationale (FMI) et d’autres entités internationales sur cette question. La Chine a demandé un allègement de la dette des pays en développement.
De son côté, la Fédération de Russie a invité l’experte à enquêter sur la pratique illégale des pays occidentaux de geler les réserves d’or et de devises et d’autres avoirs de pays tiers. Il serait utile d’évaluer comment ces pratiques malhonnêtes affectent les droits de la personne et l’exercice par le gouvernement de ses fonctions sociales. Le Mali a relevé, pour sa part, que la corruption est un fléau qui mine la promotion des droits humains.
Réagissant aux questions et observations des États Membres, l’experte indépendante chargée d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels a indiqué qu’en début d’année, elle-même et un groupe d’experts se sont adressés aux États-Unis au sujet du le gel des avoirs bancaires de l’Afghanistan, notant que les pays qui se sont vu imposer des sanctions unilatérales ne pouvaient pas, à la fois, rembourser leurs dettes et payer leurs cotisations de membres, ce qui les écartaient de fait des blocs régionaux. Elle a également établi une connexion directe entre la perte des réserves et la capacité des pays concernés à maintenir le niveau de vie de leur population. À cet égard, elle a confié que le Conseil des droits de l’homme lui a demandé de diriger des directives sur le rapatriement des avoirs des États, lesquelles seront présentées en mars prochain.
L’experte a ensuite expliqué que certaines entités privées contrôlent les informations sur le fonctionnement des avoirs des pays, citant, à titre d’exemple, la Banque des règlements internationaux à laquelle de nombreux pays n’y ont pas accès, ainsi que les agences de notations de crédit. Elle a questionné la possibilité pour une entité privée de noter un pays. Et si de telles notations sont utilisées, est ce que cela devrait être la base des décisions quant aux taux d’intérêts imposés aux pays? Elle a appelé à discuter de cette question de façon transparente, recommandant l’élaboration d’un instrument multilatéral. Nous n’avons pas besoin de coordination, mais d’espaces de coopération et d’assistance, a-t-elle dit.
Exposé
Mme FERNANDA HOPENHAYM, Présidente du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, a indiqué que, son rapport examine les implications des activités politiques des entreprises en termes d’influence sur la sphère politique et réglementaire, à la lumière des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Il vise à faire la distinction entre les modes d’engagement politique des entreprises qui sont responsables et respectueux des droits et ceux qui sont susceptibles de conduire ou de permettre des violations des droits humains, a-t-elle précisé, relevant à cet égard que les Principes directeurs constituent une ressource essentielle pour garantir que l’engagement des entreprises dans les processus politiques reste respectueux des droits.
Comme les autres aspects des opérations commerciales, les activités d’engagement politique d’une entreprise ont des impacts sur les droits humains, a souligné Mme Hopenhaym, avant de rappeler que les Principes directeurs demandent justement aux entreprises et aux gouvernements d’identifier les impacts négatifs découlant de leurs décisions, de prévenir et d’atténuer les risques et de trouver des options alternatives plus respectueuses des droits. Malgré cela, a-t-elle constaté, les atteintes aux droits humains liées à certaines pratiques d’engagement politique sont répandues et se produisent à travers le monde dans diverses industries. Les impacts négatifs sur les personnes et la planète, par exemple, peuvent résulter d’une privatisation des services publics conduisant à des violations des droits humains, d’un manque d’accès à des voies de recours pour les victimes de violations des droits humains liées aux entreprises, de l’affaiblissement des réglementations protégeant l’environnement et les droits des travailleurs, et du déclin général des institutions et des processus démocratiques. Parmi les droits impactés figurent les droits à la vie, à une alimentation et un logement adéquats, à la santé et à l’eau.
Le rapport, a poursuivi Mme Hopenhaym, définit l’engagement politique des entreprises, comme incluant plusieurs catégories d’activités destinées à influencer les processus politiques. Celles-ci comprennent notamment l’influence des entreprises sur les décideurs et les processus politiques, sur le milieu universitaire et les sciences, sur les récits publics autour de questions politiques et sur le pouvoir judiciaire. Si ces activités peuvent avoir des applications légitimes, elles peuvent aussi conduire à des violations des droits de l’homme liées aux entreprises lorsqu’elles sont menées de manière irresponsable, a averti la Présidente du Groupe de travail, selon laquelle ce risque est particulièrement élevé lorsque la surveillance est faible et que les exigences de transparence sont absentes.
Pour y remédier, a-t-elle expliqué, le Groupe de travail recommande aux États, d’apprendre aux entreprises la nécessité d’exercer une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme, d’adopter une législation obligatoire sur ce point, de prévoir des registres obligatoires du lobbying assortis d’exigences de divulgation, d’assurer des consultations équilibrées lors des processus politiques et de promulguer des lois sur les conflits d’intérêts. De même, il recommande aux entreprises de s’abstenir de s’engager dans des processus politiques soutenant des objectifs incompatibles avec la responsabilité de respect des droits humains, de mettre en œuvre des processus de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme, de publier des rapports annuels sur l’engagement politique, d’exiger que tout engagement politique soit approuvé par le conseil d’administration de l’entreprise et communiqué en interne et en externe, et d’exercer une surveillance sur la manière dont l’entreprise gère les risques liés aux droits de l’homme en rapport avec ses activités d’engagement politique.
Dialogue interactif
À la suite de cet exposé, l’Union européenne a rappelé que des discussions sont en cours en vue de l’élaboration d’une directive durabilité. Comment être plus efficace en matière de droits humains tout en maintenant l’équilibre entre les différentes règles s’appliquant dans le domaine des entreprises, s’est-elle ensuite interrogée. Le Maroc a, lui, voulu savoir quelles sont les meilleures pratiques pour renforcer les capacités des dirigeants d’entreprise et de leurs employés qui n’ont pas forcément connaissance des politiques des droits humains. Le Luxembourg a indiqué que son parlement a introduit un registre de transparence en décembre 2021 afin de réglementer les pratiques de lobbying et s’est doté de deux codes de déontologie en mars 2022. Il s’est également réjoui d’accueillir le Groupe de travail à partir du 1er décembre prochain. De son côté, la Malaisie a indiqué que le secteur de l’huile de palme représente 7% de son produit intérieur brut (PIB) et offre des opportunités d’emploi à plus de trois millions de personnes venues notamment de groupes vulnérables. Elle a affirmé avoir adopté un plan régulateur pour que le droit du travail et les droits humains soient respectés dans ce secteur, avant d’appelé à faire connaître ces efforts afin de protéger les emplois de millions de personnes.
La Suisse a demandé si le Groupe de travail prévoit des activités de partage de bonnes pratiques pour s’assurer que l’action politique des entreprises est bien conforme aux Principes directeurs des Nations Unies. Elle a aussi encouragé les échanges d’informations entre experts des droits humains et de la lutte contre la corruption. À sa suite, le Portugal s’est félicité des discussions en cours à Genève en vue de l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant concernant les entreprises et les droits humains. Il a ensuite demandé à la Présidente du Groupe de travail quels conseils elle pourrait donner aux pays qui entament le processus législatif sur le sujet du lobbying pour qu’ils y intègrent une perspective « droits de l’homme ». Rappelant qu’elle a adopté en 2017 une loi pionnière relative au devoir de vigilance des entreprises, la France a demandé à la Présidente comment ses travaux pouvaient servir les travaux du Groupe de travail intergouvernemental sur les entreprises et les droits humains qui se réunit cette semaine à Genève. L’Irlande a, pour sa part, encouragé tous les États à développer des plans d’action nationaux. Elle a demandé des exemples de bonnes pratiques permettant d’assurer une participation et un équilibre entre toutes les parties prenantes.
Les États-Unis ont demandé comment le Groupe de travail compte défendre les défenseurs des droits de l’homme et les abus de procédure à leur encontre. La Chine s’est, quant à elle, inquiétée de la situation aux États-Unis, où de nombreuses employées, membres de minorité ou femmes, ont été renvoyées pendant la pandémie. Elle a aussi affirmé que 100 000 personnes sont soumises au travail forcé dans ce pays, avant de demander au Groupe de travail de se pencher sur cette question. La Fédération de Russie a ensuite demandé si la destruction de gazoducs valant plusieurs milliards de dollars ne crée pas un avantage pour les concurrents du propriétaire de l’infrastructure. Elle a par ailleurs souligné que les milieux d’affaires russes reconnaissaient l’importance du développement durable. Enfin, la République arabe syrienne a affirmé que les sanctions qui lui sont imposées l’empêchent d’avoir des entreprises transnationales.
Répondant aux questions des délégations, la Présidente du Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme s’est félicitée que des « mesures intelligentes » soient prises, parmi lesquelles des plans d’actions nationaux et des mesures obligatoires visant les entreprises. Elle a également affirmé appuyer les négociations ayant actuellement lieu à Genève en vue d’élaborer un instrument juridiquement contraignant. Saluant le fait que des lois nationales aient déjà été élaborées sur les entreprises et les droits humains, elle a encouragé tous les États Membres à réfléchir à cette question.
Mme Hopenhaym a ensuite indiqué que son rapport contient des exemples de bonnes pratiques visant à réglementer le lobbying, limiter les conflits d’intérêts et accroître la transparence. Elle a appelé à des négociations équilibrées entre toutes les parties prenantes, tenant compte des déséquilibres de puissance, ce qui implique selon elle de protéger les défenseurs des droits humains. Elle a aussi rappelé qu’en juillet 2021, le Groupe de travail a publié un rapport sur la corruption et ses liens avec les milieux d’affaires et les droits humains.
La Présidente a annoncé que des visites de travail auront lieu prochainement au Luxembourg, au Libéria et en Argentine. Elle a par ailleurs rappelé que des forums régionaux ont été organisés récemment avec d’autres agences de l’ONU, notamment en Afrique et en Asie-Pacifique. Elle a enfin annoncé que le forum annuel du Groupe de travail aura lieu en novembre à Genève et qu’il s’intitule: « titulaires de droits au centre ».
Mme NOELEEN HEYZER, Envoyée spéciale du Secrétaire général pour le Myanmar, a fait le point sur les événements récents au Myanmar, constatant que la crise politique, humanitaire et des droits de l’homme dans ce pays continue de faire payer un lourd tribut à la population, avec de graves implications régionales. Plus de 13,2 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire, environ 40% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et 1,3 million de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, a alerté l’Envoyée spéciale, en présentant le rapport du Secrétaire général sur la situation des droits humains au Myanmar.
Dans ce contexte, les opérations militaires se poursuivent avec un usage disproportionné de la force, notamment des bombardements aériens, l’incendie de structures civiles et le meurtre de civils, dont des enfants, a détaillé la haute fonctionnaire, condamnant de récentes frappes aériennes aveugles sur une célébration dans l’État kachin, qui ont tué un grand nombre de civils. Après avoir déploré que les résistants des Forces de défense populaires prennent également des civils pour cible, Mme Heyzer a évoqué le sort des Rohingya et d’autres communautés déplacées par la force. Parmi ces personnes, nombreuses sont celles qui cherchent à trouver un refuge au risque de dangereux périples terrestres et maritimes, s’est-elle inquiétée, rappelant que le « prix de l’impunité rappelle avec force que la responsabilisation reste essentielle ».
Depuis la publication du rapport, a-t-elle poursuivi, les violences entre l’Armée arakanaise et les militaires dans l’État rakhine ont atteint des niveaux jamais enregistrés depuis fin 2020, avec des incursions transfrontalières importantes, qui mettent en danger toutes les communautés, nuisent aux conditions d’un retour durable et prolongent le fardeau du Bangladesh, lequel accueille environ un million de réfugiés rohingya. Alors que la crise s’aggrave, Mme Heyzer a dit promouvoir une stratégie internationale coordonnée, engageant toutes les parties prenantes à appuyer un processus inclusif mené par le Myanmar pour revenir à la transition démocratique. Elle a précisé, à cet égard, que sa première visite au Myanmar, en août dernier, où en tant qu’Envoyée spéciale, elle a pu rencontrer le commandant en chef de l’armée, s’inscrivait dans le cadre des efforts plus larges déployés par les Nations Unies en vue de soutenir un retour à un régime civil fondé sur la volonté et les besoins de la population.
Mme Heyzer a dit avoir formulé six demandes au cours de cette visite, à commencer par la fin des bombardements aériens et des incendies d’infrastructures civiles, la fourniture d’une aide humanitaire sans discrimination et la libération de tous les enfants et prisonniers politiques. Parmi ses autres demandes, elle a cité un moratoire sur les exécutions, le bien-être et la participation de Mme Aung San Suu Kyi, ainsi que la responsabilité du Myanmar dans la création de conditions propices au retour volontaire, sûr, digne et durable des réfugiés rohingya.
L’Envoyée spéciale a rappelé qu’elle s’est ensuite rendue à Dhaka et à Cox’s Bazar, au Bangladesh, à l’occasion du cinquième anniversaire du déplacement massif des Rohingya. Elle a dit y avoir exprimé la reconnaissance des Nations Unies et entendu les avertissements du Premier Ministre du Bangladesh, M. Sheikh Hasina, selon lesquels la situation actuelle n’est pas tenable. Les discussions avec des femmes et des jeunes dans les camps de réfugiés m’ont clairement fait comprendre qu’ils devaient participer directement aux discussions et aux décisions concernant leur avenir, a-t-elle ajouté. Leurs droits et leur protection, en particulier leur citoyenneté, leur liberté de mouvement et leur sécurité, doivent être garantis, en s’inspirant des recommandations de la Commission consultative sur l’État rakhine, a plaidé Mme Heyzer.
S’engageant poursuivre sa coopération avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et ses échanges avec toutes les parties prenantes, l’Envoyée spéciale a reconnu que, dans la « situation actuelle à somme nulle », il y a « peu de place » pour une désescalade de la violence ou pour des « pourparlers à propos des pourparlers ». En revanche, il existe, selon elle, des moyens concrets pour réduire les souffrances de la population. Étant donné que de nombreuses autres personnes seront contraintes de fuir la violence, elle prévoit de continuer à demander à l’ASEAN d’élaborer un cadre régional de protection pour les réfugiés et les personnes déplacées de force. À ce propos, le récent retour forcé de ressortissants du Myanmar, dont certains ont été détenus à leur arrivée, démontre, à ses yeux, l’urgence d’une réponse coordonnée de l’ASEAN pour relever les défis régionaux communs causés par le conflit.
Mme Heyzer a encore indiqué que les principales organisations ethniques armées et le Gouvernement d’unité nationale, à la tête de la résistance, lui ont demandé de convoquer un forum d’engagement inclusif afin de faciliter la protection et l’aide humanitaire à toutes les personnes dans le besoin, dans le respect du droit humanitaire international. Elle a aussi fait état du lancement, avec le Ministère des affaires étrangères de l’Indonésie, d’une plateforme sur les femmes, la paix et la sécurité au Myanmar, afin d’amplifier les besoins des femmes affectées par le conflit et leur leadership en tant qu’agents du changement. Pour conclure, elle a souligné qu’une nouvelle réalité politique se fait jour au Myanmar: « un peuple qui exige le changement et qui n’est plus disposé à accepter le régime militaire ». Elle a donc appelé tous les gouvernements et autres acteurs clefs à écouter le peuple du Myanmar et à se laisser guider par sa volonté « afin d’éviter une catastrophe au cœur de l’Asie ».
Dialogue interactif
À l’issue de cet exposé, la délégation du Myanmar a accusé les militaires de graves violations des droits humains, les qualifiant de crimes de guerre. Le délégué a condamné les récents raids aériens lancés par la junte contre une école, faisant 13 morts, en majorité des enfants. Plus récemment, un avion de combat a attaqué une centaine de civils réunis dans le cadre d’un concert.
S’agissant des « fausses » élections, il a accusé la junte d’essayer de gagner une certaine légitimité sans assise populaire, indiquant que certains pourraient penser qu’il s’agit là d’une solution à la crise. Il a mis en garde contre une telle position, pointant notamment l’absence de base juridique des militaires. Ils gardent en otage des dirigeants politiques élus, ils ont supprimé l’état de droit et anéanti tout espace civique, a-t-il accusé. Il s’est alarmé à la perspective d’un contrôle militaire permanent du pays avec une impunité totale pour la junte, ajoutant qu’il n’y aura pas de garantie de retour sûr et digne des Rohingya.
À ce propos, le Bangladesh a demandé à l’Envoyée spéciale comment elle compte assurer des synergies avec l’Envoyé spécial pour le Myanmar de l’ASEAN. La Chine a estimé que la solution à la question des Rohingya doit reposer sur la négociation à l’amiable entre le Myanmar et Bangladesh. Comment alors mieux appuyer la mise en œuvre du programme pour les femmes, la paix et la sécurité dans le cadre du Myanmar, s’est enquise la Norvège.
La Thaïlande a estimé que l’ASEAN est l’institution la mieux placée pour créer un environnement propice au dialogue dans la perspective d’une réconciliation. Un avis partagé par l’Indonésie et la Malaisie ainsi que le Japon. À cet égard, l’Allemagne a souhaité savoir comment appuyer la mise en œuvre du consensus en cinq points de l’ASEAN. La Türkiye a, pour sa part, voulu savoir comment rompre avec le cycle de la violence.
Pour leur part, les États-Unis ont voulu savoir quelles autres mesures permettraient de restreindre l’approvisionnement en armes du régime. À cet égard, le Liechtenstein s’est enquis de la mise en œuvre de la résolution adoptée au lendemain du coup d’État. L’Union Européenne a voulu en savoir plus sur le résultat de la coopération entre l’Envoyée spéciale et le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, tandis que le Mexique s’est intéressé aux moyens de renforcer son mandat.
La Fédération de Russie a dénoncé la volonté persistante de certains pays d’utiliser des plateformes multilatérales, principalement l’ONU, pour politiser la nature conflictuelle du Myanmar. Pour finir, la France a appelé les forces à rétablir l’état de droit et à enclencher un processus démocratique sincère et inclusif.
Réagissant aux questions et observations des États Membres, l’Envoyée spéciale du Secrétaire général pour le Myanmar a estimé important de trouver les moyens d’appuyer le Bangladesh qui accueille plus d’un million de réfugiés, et de réunir les conditions propices au retour des Rohingya. Témoignant avoir parlé avec nombre d’entre eux dans les camps, elle a indiqué qu’ils veulent retourner dans leur pays origine, à la condition d’être assurés d’une protection et de la sécurité. Elle a également jugé important d’examiner certaines des causes à l’origine de ces déplacements.
Elle a précisé que son mandat a deux directives, à savoir engager toutes les parties prenantes et compléter son travail avec celui de l’Envoyé spécial de l’ASEAN. Elle a insisté sur l’importance de la médiation et a suggéré que cette question soit intégrée à son mandat. Elle a reconnu que dans le cadre de sa collaboration étroite avec l’ASEAN, bon nombre de questions ne se trouvent pas encore dans le consensus en cinq points, citant la question des Rohingya, et le rétablissement d’un gouvernement civil basé sur la volonté de la population. Elle a également insisté sur l’importance du rôle des pays voisins du Myanmar et de l’unité régionale.