La Troisième Commission examine la vulnérabilité des personnes déplacées et la question toujours sensible du droit au développement
La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a poursuivi, aujourd’hui, ses échanges sur la promotion et la protection des droits humains, l’occasion pour les États Membres et les six titulaires de mandat avec lesquels ils ont échangé de se pencher sur l’impact des changements climatiques sur les victimes de traite des personnes, et de revenir sur le sujet toujours sensible du droit au développement.
Ouvrant les discussions, la Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays a attiré l’attention sur le phénomène des déplacements induits par le développement, en raison de projets d’extraction ou à cause du tourisme. Un sujet politiquement sensible, a également remarqué Mme Cecilia Jimenez-Damary, puisque certains affirment que l’étiquette « induit par le développement » ne rend pas suffisamment compte de l’élément forcé de ces déplacements tandis que d’autres acteurs préfèrent le terme « réinstallation volontaire ». En tout cas, la Rapporteuse spéciale a rappelé que les problèmes de droits humains associés aux déplacements induits par le développement sont multiples, notant que les femmes et les populations autochtones y sont particulièrement vulnérables.
Or, ces personnes déplacées sont vulnérables aux risques de traite, notamment lorsque ces déplacements sont liés au climat et aux changements climatiques. C’est ce qu’a souligné de son côté la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants. En effet, les migrations et déplacements non planifiés sont susceptibles d’accroître le risque de traite, a indiqué Mme Siobhan Mullally qui a alerté que les trafiquants peuvent être plus enclins à cibler les zones où les moyens de subsistance sont affectés par les impacts des changements climatiques. Or, 500 millions d’enfants vivent dans des régions, principalement en Asie, où la probabilité d’inondation est élevée, s’est-elle inquiétée. Elle a aussi mis en garde contre des secteurs à haut risque où la traite à des fins de travail forcé et d’autres formes d’exploitation sont fréquentes, comme dans les industries extractives.
Le lien entre conditions de travail et violations des droits humains a été plus amplement examiné par M. Tomoya Obokata, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, qui a analysé la prévalence des formes contemporaines d’esclavage dans l’économie informelle, un sujet d’importance majeure puisqu’en Afrique, par exemple, près de 90% des femmes travailleraient dans l’économie informelle. Or, les travailleurs y sont confrontés non seulement à des bas salaires, voire l’absence de salaire mais aussi à la précarité, conduisant souvent à la pauvreté ce qui augmente le risque de formes contemporaines d’esclavage. Également préoccupé par le vide juridique de l’économie informelle, M. Tomoya Obokata a salué certaines des mesures prises telles que l’enregistrement d’entreprises informelles, la simplification des systèmes fiscaux et la création de coopératives, tout en conseillant de faciliter une transition vers l’économie formelle.
Un défi de taille puisque, comme l’a rappelé le Rapporteur spécial sur le droit au développement, l’économie mondiale a été fortement mise à mal par la pandémie de COVID-19. Et l’impact a été particulièrement grave sur les économies émergentes, les pays en développement n’ayant pas pu injecter des milliers de milliards de dollars dans la santé, les filets de sécurité sociale et les mesures de relance économique, à l’image des pays développés, a signalé M. Saad Alfarargi. Des inquiétudes partagées par Président-Rapporteur du Groupe de travail sur le droit au développement, M. Zamir Akram, qui a mis en garde contre une « reprise à deux vitesses », rappelant le besoin de coopération dans la mise en œuvre d’actions immédiates pour lutter contre les inégalités dans le système financier, entreprendre des réformes structurelles dans l’architecture de la dette et inverser les inégalités en matière de vaccins.
Le sujet de l’élaboration d’un projet de convention sur le droit au développement a été soulevé à plusieurs reprises au cours de cette journée de débats, divisant une nouvelle fois les délégations. Si M. Akram a indiqué espérer qu’un processus de négociations sans fin soit évité, il a reconnu que les divergences entre les États Membres ne « peuvent plus être conciliées » et a appelé à envoyer ce projet devant l’Assemblée générale.
L’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur le droit au développement a également été dénoncé par plusieurs délégations.
Les États Membres ont enfin pu dialoguer avec le Président-Rapporteur du Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement, M. Mihir Kanade, qui a détaillé les avancées de ce mécanisme créé en 2020.
La Troisième Commission poursuivra ses travaux mardi 18 octobre à partir de 10 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS
Déclarations liminaires suivies de dialogues interactifs
Mme CECILIA JIMENEZ-DAMARY, Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays, a présenté son dernier rapport, au terme de six ans de ce mandat, précisant qu’il fournit des réflexions sur son action en tant que défenseuse des droits de l’un des groupes les plus vulnérables au monde et analyse le phénomène des déplacements induits par le développement. Sur ce dernier point, Mme Jimenez-Damary a dit être partie du postulat que le développement sous-tend les solutions au déplacement interne en offrant des moyens de subsistance, un niveau de vie adéquat et un accès aux services essentiels. Ces éléments sont nécessaires, à son avis, pour que le retour ou l’installation ailleurs soit une solution durable au déplacement interne. Cependant, a-t-elle relevé, les projets de développement peuvent aussi provoquer des déplacements internes lorsque les communautés sont forcées de se déplacer par un développeur de projet ou en raison des impacts négatifs des projets de développement sur leurs vies et leurs moyens de subsistance. Si les déplacements induits par le développement sont souvent associés à de grandes infrastructures ou à des projets d’extraction ayant une forte empreinte environnementale, des projets de moins grande ampleur, comme le tourisme par exemple, peuvent eux aussi y contribuer, a fait observer la Rapporteuse spéciale.
D’une manière générale, les déplacements induits par le développement entravent la capacité des communautés touchées à réaliser leurs droits fondamentaux, a souligné Mme Jimenez-Damary. Or, cette question ne bénéficie, selon elle, que de relativement peu d’attention, car elle ne relève pas du champ d’action des agences humanitaires qui s’occupent des déplacements causés par les conflits, la violence ou les catastrophes. De plus, elle constitue souvent un sujet politiquement sensible pour les États ou les acteurs du développement. À cet égard, a-t-elle noté, la définition même du phénomène peut être sujette à controverse, certains affirmant que l’étiquette « induit par le développement » ne rend pas suffisamment compte de l’élément forcé de ces déplacements. D’autres acteurs du développement préfèrent le terme de « réinstallation involontaire », qui met l’accent de manière « quelque peu optimiste » sur une solution qui pourrait ne jamais se concrétiser, à savoir la réinstallation, tout en minimisant les problèmes des droits humains liés au déplacement, a expliqué l’experte.
Selon Mme Jimenez-Damary, les problèmes des droits humains associés aux déplacements induits par le développement sont multiples. Les communautés affectées sont confrontées à la perte de leurs maisons, de leurs moyens de subsistance traditionnels et de l’accès aux services de base. En l’absence de programmes de réinstallation et de compensation participatifs et fondés sur le consentement pour rétablir cet accès, le déplacement induit par le développement peut donc mettre en péril le droit à un logement adéquat, à des moyens de subsistance et à un niveau de vie suffisant, a-t-elle averti, ajoutant que ces exemples ne sont pas exhaustifs car, la nature complexe des déplacements liés au développement signifie que presque tous les droits peuvent être affectés négativement.
Certaines communautés sont particulièrement marginalisées par l’expérience du déplacement induit par le développement, a fait remarquer la Rapporteuse spéciale. Parmi elles, les femmes ne sont souvent pas reconnues par les autorités compétentes comme pouvant bénéficier d’une aide à la réinstallation et à l’indemnisation, ou ont plus de mal à accéder à cette aide en raison de barrières culturelles. De même, a-t-elle poursuivi, les populations autochtones sont touchées de manière disproportionnée par les déplacements induits par le développement car la nature relativement inexploitée de leurs terres est attrayante pour certains intérêts industriels.
Dans son rapport, Mme Jimenez-Damary détaille les défis structurels qui contribuent aux déplacements induits par le développement, citant notamment l’absence d’information ou de consultation pour obtenir le consentement des communautés affectées. Même dans les rares cas où des processus de recherche de consentement existent, des déséquilibres de pouvoir ou un manque d’engagement réel envers ces processus peuvent miner leur efficacité, a déploré la Rapporteuse spéciale. À ses yeux, un autre facteur est le manque de données globales sur l’ampleur des déplacements induits par le développement, qui rend difficile la sensibilisation au phénomène ou l’identification des facteurs susceptibles d’atténuer ou d’exacerber les impacts sur les droits humains des personnes déplacées.
Par ailleurs, a encore relevé Mme Jimenez-Damary, la diligence raisonnable exercée par les États ou les acteurs du développement peut ne pas tenir compte de l’impact total des projets de développement. En cas de violation des droits, les mécanismes de recours peuvent être absents, fonctionner de manière inefficace ou être difficiles d’accès pour les communautés affectées. De surcroît, le choix du modèle de développement se révèle être un autre facteur déterminant. En effet, le développement est souvent interprété comme une croissance macroéconomique qui peut favoriser les grands projets de développement malgré les coûts de déplacement. Les partisans de ces projets soutiennent que les avantages pour l’ensemble de la population sont supérieurs aux coûts supportés par les personnes déplacées. De fait, a souligné la Rapporteuse spéciale, une approche du développement fondée sur les droits permet d’analyser les inégalités qui sous-tendent les défis du développement et de remédier aux pratiques discriminatoires et aux répartitions injustes du pouvoir qui entravent le développement.
Rappelant la Déclaration sur le droit au développement adoptée par l’Assemblée générale en 1986, l’experte a soutenu que la pleine réalisation du droit au développement implique que chaque individu puisse bénéficier de manière égale du développement. Contrairement à la plupart des déplacements causés par des conflits ou des catastrophes, a-t-elle fait valoir, les déplacements induits par le développement sont « entièrement évitables » et peuvent être prévenus par des choix politiques appropriés de la part des États qui mettent en œuvre des initiatives de développement conformes à leurs engagements en matière de droits humains. Pour finir, la Rapporteuse spéciale a formulé quelques recommandations à l’attention des États, des acteurs du développement et de la société civile pour les aider à développer la divulgation, la participation et le consentement significatifs lorsqu’ils s’engagent avec les communautés affectées par les projets. Elle les a encouragés à créer un environnement favorable à la réalisation des droits humains pendant l’exécution des projets de développement, à adopter une approche du développement fondée sur les droits et enfin à améliorer la collecte de données sur les déplacements induits par le développement.
Dialogue interactif
À la suite de cet exposé, le Cameroun a demandé à la Rapporteuse spéciale d’identifier des expériences et bonnes pratiques en termes de droits économiques des déplacés. Il l’a également interrogée sur les risques de chevauchement des actions des agences travaillant auprès des déplacés, notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). À sa suite, le Canada a voulu savoir comment les pays affectés par des déplacements provoqués par le développement peuvent partager leur expérience, tandis que le Royaume-Uni demandait des précisions sur les moyens permettant d’éviter ce type de déplacement. De son côté, l’Union européenne s’est enquise de l’aide technique et légale que la communauté internationale pourrait fournir pour prévenir ces déplacements, le Maroc appelant à la mise en place d’un organe international chargé de la création d’un outil statique unifié pour quantifier de manière harmonisée les déplacements internes. Quels points de convergence peuvent être trouvés par les acteurs concernés par cette problématique? a demandé la Suisse à cet égard. Relevant que la plus grande crise de déplacement au monde a lieu actuellement en Ukraine, l’Autriche a souhaité savoir quels instruments juridiques permettraient de mieux prendre en compte les déplacements liés au développement, notamment pour les femmes. Les États-Unis ont, pour leur part, demandé à la Rapporteuse spéciale si elle avait des recommandations à faire au HCR et à la Troisième Commission pour améliorer l’aide aux personnes déplacées.
Après avoir noté que les inégalités sont un facteur de déplacement et que le développement des zones les plus pauvres permettent de le limiter, l’Algérie a voulu savoir quelle avait été l’influence de la pandémie de COVID-19 sur le déplacement. La Fédération de Russie a, quant à elle, rappelé les principes de neutralité et d’impartialité du droit international humanitaire, appelant à ne pas s’ingérer dans les affaires internes des États. S’agissant des questions posées sur le déplacement lié au développement, elle a fait valoir que toute intervention devait prendre en compte les législations nationales. Revenant au conflit sur son territoire, l’Ukraine a souligné que plus d’un Ukrainien sur trois a été déplacé et que 63% de ces personnes sont des femmes. La délégation a dénoncé des campagnes délibérées de viol menées par l’armée russe, avant d’avertir que l’acheminement de l’aide internationale est sapé par les attaques russes et d’appeler à la fin de cette « guerre barbare ». La Géorgie a ensuite dénoncé le « nettoyage ethnique » entrepris par la Russie dans les territoires géorgiens occupés, appelant au retour des quelque 500 000 personnes qui ont dû fuir leur domicile. L’Azerbaïdjan a lui aussi appelé à respecter le droit au retour, tout en indiquant qu’après 2020, 700 000 Azerbaïdjanais déplacés ont pu rentrer chez eux, malgré les risques présentés par les mines et les munitions non explosées. La délégation a souhaité savoir comment l’ONU peut aider les États concernés par de telles situations. Le Myanmar a, lui, rappelé que 986 000 personnes ont été déplacées dans le pays depuis le coup d’État militaire de février 2021, avant de s’interroger sur les moyens dont dispose l’ONU pour leur venir en aide.
Par ailleurs, le Mexique a dit avoir mis en place des législations permettant de reconnaître les déplacements liés aux changements climatiques, demandant comment mieux traiter les déplacements multifactoriels. La Norvège a souhaité que les communautés concernées par les déplacements liés au développement soient impliquées dans les décisions, demandant à la Rapporteuse spéciale comment mieux traiter cette question. En ce qui nous concerne, les déplacements ne sont pas liés au développement mais plutôt au terrorisme et aux sanctions unilatérales, a souligné la République arabe syrienne, qui a attiré l’attention de la Rapporteuse spéciale sur la situation dans la province d’Edleb, où les droits humains sont violés. Enfin, après avoir relevé que les personnes déplacées n’ont pas de statut spécial en droit international, l’Ordre souverain de Malte a fait état d’un programme de retour pour les déplacés en Iraq, avec notamment la construction de 12 000 logements.
En réponse à ces remarques et questions, la Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays, a indiqué que, dans l’exercice de son mandat, ces six dernières années, elle a pu visiter plus de 20 pays et évoquer les bonnes pratiques avec les États concernés, notamment en vue de prévenir les déplacements arbitraires. Elle a rappelé qu’un document recensant ces bonnes pratiques a été présenté à l’Assemblée générale l’an dernier. Concernant la participation des communautés pour faire face aux déplacements liés au développement, Mme Jimenez-Damary s’est félicitée que certains pays aient commencé à impliquer les déplacés aux réflexions sur la question. Elle a cependant estimé que les solutions viennent surtout des échanges multilatéraux, avant d’appeler la communauté internationale à adopter une approche multifactorielle en la matière. Elle a aussi insisté sur l’importance de respecter les principes directeurs relatifs aux personnes déplacées dans leur propre pays. De même, a-t-elle ajouté, les agences des Nations Unies traitant de cette question doivent continuer à travailler ensemble, en s’appuyant sur l’action déterminante, dans chaque pays, des coordonnateurs résidents du système des Nations Unies. Enfin, après avoir plaidé pour une meilleure prise en compte statistique des déplacements liés au développement, la Rapporteuse spéciale a annoncé la mise en place d’un groupe d’experts du déplacement comprenant des représentants des différentes agences onusiennes impliquées.
Mme SIOBHAN MULLALLY, Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, a présenté son rapport sur la dimension de genre dans la traite des personnes, dans le contexte des changements climatiques et des déplacements liés au climat. Elle a mis en avant l’urgence de s’attaquer aux graves violations des droits humains qui risquent d’augmenter en raison des changements climatiques. Jusqu’à présent, l’attention portée à la réduction des risques de catastrophes et aux déplacements s’est concentrée sur les catastrophes soudaines les plus visibles, a-t-elle remarqué, s’inquiétant du manque d’attention accordé à l’impact des catastrophes à évolution lente à l’augmentation des risques de traite des personnes.
Soulignant que les personnes vivant dans la pauvreté subissent davantage les effets négatifs des changements climatiques, elle a indiqué que les migrations et déplacements non planifiés sont tous susceptibles d’accroître le risque de traite. En outre, elle a jugé essentiel que les lois et politiques relatives aux déplacements et migrations traitent spécifiquement des obligations des États en matière de prévention de la traite des personnes. Plus important encore, a-t-elle appuyé, il est essentiel que les programmes de prévention reconnaissent et traitent les changements climatiques comme cause de déplacement et de migration et comme une contribution à l’augmentation des risques de traite. Actuellement cette reconnaissance fait encore défaut dans les politiques de lutte contre les changements climatiques, a-t-elle déploré.
Rappelant que les personnes qui se déplacent dans des situations irrégulières à cause des changements climatiques sont particulièrement exposées à l’exploitation, y compris à la traite, la Rapporteuse a indiqué que les trafiquants peuvent être plus enclins à cibler les zones où les moyens de subsistance sont affectés par les impacts des changements climatiques. L’absence d’un droit général d’admission pour les personnes déplacées de force en raison des changements climatiques reste une préoccupation urgente, a-t-elle insisté. Par ailleurs, la perte de moyens de subsistance, la réduction des revenus ou la détérioration des conditions de travail dans le secteur agricole induites par le climat ont des conséquences particulières pour les femmes rurales. Ainsi, elles peuvent être exposées à des formes de traite spécifiquement liées au genre, comme la traite à des fins de mariage forcé, a-t-elle mis en garde.
En outre, 500 millions d’enfants vivent dans des régions, principalement en Asie, où la probabilité d’inondation est extrêmement élevée, a-t-elle signalé. Si tous les enfants sont vulnérables aux changements climatiques, les enfants porteurs de handicap, les enfants migrants ou réfugiés, les enfants vivant dans la pauvreté, les enfants séparés de leur famille et les enfants les plus jeunes sont les plus exposés à l’exploitation dans le contexte des déplacements et des catastrophes liés au climat. Elle a également mentionné les peuples autochtones, obligés de chercher d’autres moyens de subsistance à cause des effets combinés de la dépendance à l’égard des ressources naturelles, des changements climatiques et de la dégradation à l’environnement. Ils peuvent être confrontés à des formes multiples et croisées de discrimination, en tant que migrants et peuples autochtones, a-t-elle alerté.
Mme Mullally a en outre souligné que les secteurs reconnus comme ayant un impact négatif sur les changements climatiques sont également des secteurs à haut risque où la traite à des fins de travail forcé et d’autres formes d’exploitation est fréquente, citant par exemple les industries extractives. Les lois obligatoires sur la diligence raisonnable en matière des droits humains doivent garantir que les entreprises prennent en compte les conséquences des changements climatiques et de la traite des personnes sur les droits humains, a-t-elle estimé.
La Rapporteuse a ensuite exhorté à faire davantage face aux risques sexués découlant des catastrophes liées au climat, y compris le mariage forcé, la servitude domestique et l’exploitation sexuelle, appelant à reconnaître les liens entre le genre, le climat et la sécurité. Elle a par ailleurs déploré que, les mesures actuelles visant à prendre en compte les dimensions sexospécifiques de l’insécurité climatique et des conflits ne tiennent pas compte des obligations visant à prévenir la traite des personnes ou à assurer une protection efficace aux victimes.
Dialogue interactif
À l’issue de cet exposé, le Luxembourg s’est interrogé sur les mesures à prendre en priorité pour intégrer la question de la traite des êtres humains à l’action climatique. Une question également formulée par la Suisse qui a insisté sur l’importance de la prévention. De son côté, l’Union Européenne s’est intéressé aux mesures immédiates liées au climat à mettre en œuvre pour traiter les dimensions sexospécifiques de la traite. Comment impliquer le secteur privé et la société civile afin de prévenir la traite des femmes et des enfants, contraints de se déplacer à cause des changements climatiques et catastrophes naturelles, s’est enquit le Mexique tandis que la Belgique s’est intéressée au renforcement de la participation de la société civile.
Rappelant que les États qui sont particulièrement touchés par les changements climatiques font face à de nombreux risques d’exploitation, les États-Unis ont voulu en savoir plus sur les mesures concrètes prises pour protéger les survivants de catastrophes climatiques. La Chine a appelé les pays à travailler davantage pour lutter contre les changements climatiques, tout en respectant le principe de responsabilité commune et différenciée, suivi de l’Australie qui s’est demandé comment utiliser le financement climatique pour protéger les déplacés climatiques.
De son côté, le Royaume-Uni a mis en avant l’utilisation d’outils technologiques en Ukraine pour contacter les personnes qui sont particulièrement vulnérables à l’exploitation. Comment protéger les femmes et les filles en ligne en situation de crise, a aussi demandé la délégation? Évoquant également la situation des réfugiés ukrainiens, la Roumanie s’est demandée quels seraient les mesures de prévention les plus appropriées? L’Allemagne a voulu savoir comment la Rapporteuse spéciale évalue les risques de trafic d’êtres humains dans le contexte de la guerre en Ukraine. Comment garantir que les auteurs de traite dans des conflits armés répondent de leurs actes, a également demandé la délégation ? L’Irlande a voulu en savoir plus sur le rôle des femmes et des filles en tant qu’actrices du changement, tandis que le Liechtenstein s’est intéressé aux répercussions de la COVID-19 sur la traite d’êtres humains.
Rappelant sa localisation géographique spécifique de porte d’entrée dans l’Union européenne, la Grèce a rappelé que les défis étaient aujourd’hui encore très importants en matière de traite. Quelles actions supplémentaires peuvent être entreprises par l’Union Européenne dans ce domaine?, s’est interrogée la délégation. Le Bangladesh s’est préoccupé des risques auxquels sont confrontés les Rohingya au Myanmar. Par ailleurs, quel soutien le bureau de la Rapporteuse spéciale peut-il fournir aux décideurs politiques pour régler les problèmes existants concernant la protection des personnes déplacées face à la traite d’êtres humains? De son côté, la Malaisie a voulu savoir quels outils permettent de limiter la traite.
Appelant la Rapporteuse spéciale à respecter son mandat, la Fédération de Russie a rappelé qu’il existe déjà trois postes de Rapporteurs spéciaux qui traitent de la protection de l’environnement. En outre, la délégation a qualifié les recommandations contenues dans le rapport d’intrusives, les gouvernements s’appuyant sur les particularités de leurs systèmes juridiques. Elle s’est également dite préoccupée quant à la situation en Méditerranée, l’opération de l’Union européenne concernant la lutte contre la traite des êtres humains étant un échec évident, selon la délégation. La Rapporteuse spéciale s’est dirigée vers une rhétorique clairement politisée, notamment en utilisant une terminologie non soutenue par les États Membres, a déploré pour sa part le Bélarus.
La Côte d’Ivoire et le Qatar ont détaillé leurs mesures nationales de lutte contre la traite des êtres humains, la délégation ivoirienne exhortant de plus, à fournir un soutien accru à la Rapporteuse spéciale pour lui permettre de mener à bien son mandat. Enfin, l’Ordre souverain de Malte a signalé que le nombre de personnes victimes de traite était passé de 40 à 50 millions, une tendance qui va sans doute continuer.
Dans sa réponse, la Rapporteuse spéciale a appelé à la mise en œuvre des obligations de prévention pour la traite d’êtres humains dans l’action climatique, notamment dans les plans d’adaptation ou les politiques en matière foncière. Il faut également reconnaître le rôle des femmes et des filles en tant qu’agents de changements essentiels. Elles ne doivent pas être seulement perçues comme des victimes mais doivent participer à l’élaboration des politiques, a-t-elle insisté.
Évoquant ensuite la situation en Ukraine, elle a reconnu la présence de risque accrus de traites d’êtres humains. La technologie joue un rôle important pour la prévention, a-t-elle estimé, appelant aussi à garantir une protection à long terme, avec l’utilisation par exemple du statut de protection temporaire de l’Union européenne. Sur la question de la redevabilité, elle a appelé à renforcer les mesures d’enquête et de coopération internationale.
Pour ce qui est de la protection dans le contexte des migrations dans le monde rural et urbain, la Rapporteuse spéciale a appelé à renforcer les mécanismes de protection de l’enfance afin de garantir la scolarisation. Nous avons aussi besoin de couloirs humanitaires et de programmes de relocalisation pour ceux qui ont été contraints de se déplacer, a-t-elle appuyé, appelant en outre à mettre en œuvre des réponses féministes pour prévenir le trafic d’êtres humains.
Répondant aux questions sur les déplacés climatiques, elle a cité des pratiques prometteuses dans le cadre de mesures multilatérales, telles que l’Initiative pour la mobilité climatique en Afrique. Appelant ensuite à créer un environnement propice pour la société civile et à la consulter de manière régulière, elle a jugé pertinent d’intégrer les risques climatiques aux plans sur la paix et la sécurité. Enfin, elle a souligné que le financement climatique est un moyen important pour aborder la question de l’adaptation et garantir l’égalité des sexes afin de prévenir la traite d’êtres humains.
M. TOMOYA OBOKATA, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, a présenté les grandes lignes de son rapport, qui analyse la prévalence des formes contemporaines d’esclavage dans l’économie informelle. Le travail informel, a-t-il rappelé, représente 61% de l’emploi total dans le monde, soit deux milliards de travailleurs, et sa part est encore plus élevée dans des régions telles que l’Afrique, l’Asie-Pacifique et les États arabes. Dans la région africaine, par exemple, près de 90% des femmes travailleraient dans l’économie informelle, et il existe également un taux élevé d’informalité chez les femmes en Amérique latine, ce qui met en évidence la nature sexospécifique de certains travaux informels, a indiqué M. Obokata. Alors que l’informalité est globalement plus élevée chez les jeunes, quelque 77% des 15-24 ans travaillant dans le secteur informel, près de 78% des personnes âgées et plus de 86% de la population autochtone mondiale occupent aussi un emploi informel, en particulier dans les économies émergentes et en développement, a-t-il ajouté.
Selon le Rapporteur spécial, les travailleurs de l’économie informelle sont confrontés non seulement à des bas salaires, voire à l’absence de salaire, et à la précarité mais aussi à un non-accès à la protection sociale, souvent couplés à des conditions de travail dangereuses et insalubres. Ce cocktail conduit souvent à la pauvreté, augmentant le risque de formes contemporaines d’esclavage, a constaté le Rapporteur spécial, qui a noté la forte occurrence de ce schéma chez les travailleurs migrants, en particulier ceux qui ont un statut migratoire informel et qui se retrouvent à devoir travailler dans des conditions s’apparentant à de la servitude ou à du travail forcé. De plus, a-t-il relevé, les membres des communautés minoritaires, telles que les castes répertoriées en Asie du Sud, sont pour la plupart liés à l’économie informelle en raison d’une discrimination profondément enracinée, fondée sur le travail et l’ascendance.
Certains secteurs sont particulièrement concernés par l’informalité: l’agriculture, le travail domestique, l’industrie manufacturière, la construction, l’exploitation minière, ainsi que le travail sexuel. Dans ces secteurs, l’exploitation des enfants est particulièrement préoccupante, a averti M. Obokata, avant d’appeler la communauté internationale à intensifier ses efforts pour atteindre l’objectif de développement durable 8 et sa cible 8.7, qui appellent à l’élimination du travail des enfants sous toutes ses formes d’ici à 2025.
Observant ensuite que les coûts élevés et les procédures bureaucratiques découragent les entreprises de formaliser le travail informel et que l’incapacité ou la réticence des travailleurs et des employeurs à verser des cotisations sociales perpétue la situation actuelle, le Rapporteur spécial a déploré la faiblesse des réglementations et des inspections du travail dans l’économie informelle, ce qui ajoute aux défis existants. Face au vide juridique de l’économie informelle, il s’est réjoui de voir des acteurs gouvernementaux ou autres prendre des mesures, notamment législatives, pour prévenir les formes contemporaines d’esclavage dans l’économie informelle, parmi lesquelles l’enregistrement d’entreprises informelles, la simplification des systèmes fiscaux et la création de coopératives.
M. Obokata a salué le rôle des syndicats dans la protection des droits des travailleurs informels, notamment dans la défense de conditions de travail décentes ou encore la fourniture de services supplémentaires, en coopération avec les gouvernements et le secteur privé. Si toutes les formes de travail informel ne relèvent pas de l’exploitation ou de l’abus, un lien clair entre l’informalité et les formes contemporaines d’esclavage peut néanmoins être reconnu dans les secteurs susmentionnés, a-t-il réaffirmé. Il a conclu son exposé en appelant les États à faciliter une transition vers l’économie formelle, via l’adoption de solutions sur mesure et la prise en considération des besoins différentiels des femmes et des hommes, des travailleurs jeunes et âgés, des membres des communautés minoritaires, des travailleurs migrants, des peuples autochtones et des travailleurs handicapés, avec la participation de toutes les parties prenantes.
Dialogue interactif
À la suite de cette présentation, les États-Unis ont salué le rapport et ses conclusions, tout en insistant sur le risque de traite des personnes que courent les travailleurs informels. Assurant que le Gouvernement américain continue de tenir pour responsables ceux qui se livrent à cette activité criminelle, la délégation a souhaité savoir comment il pourrait aider à davantage prévenir l’exploitation et les abus dans le domaine du travail. Quelles seraient les meilleurs pratiques pour accompagner les travailleurs dans une transition vers l’économie formelle, a demandé l’Union européenne, qui s’est jointe à l’appel du Rapporteur spécial en faveur d’une meilleure protection face aux formes d’esclavage moderne. Le Japon s’est dit préoccupé par la situation des travailleurs informels et son impact sur l’état de droit, tandis que le Liechtenstein faisait observer que de nombreux travailleurs n’ont pas de compte en banque, si bien qu’ils ne peuvent emprunter et se retrouvent bloqués. Que peut-on faire pour les aider à accéder à des services financiers, s’est-il interrogé ?
La Fédération de Russie s’est dite en accord avec les principales conclusions du rapport. Elle a toutefois relevé que, le mandat qui a été confié au Rapporteur spécial par le Conseil des droits de l’homme porte sur la défense des droits politiques, pas sur l’économie. Il existe pour cela d’autres instances, comme le Conseil économique et social, a fait valoir la délégation, avant de demander au Rapporteur spécial de respecter son mandat. De son côté, après avoir rappelé que son pays s’est engagé à respecter les droits humains, le Qatar s’est félicité de l’ouverture prochaine à Doha d’un bureau de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Il a également dit travailler à la mise en place de 14 centres chargés d’examiner les plaintes déposées par les travailleurs, notamment en cas d’environnement dangereux pour la santé. L’Algérie a, quant à elle, noté que, comme indiqué dans le rapport de M. Obokata, les travailleurs migrants nord-africains sont régulièrement victimes de discriminations. Elle a souhaité savoir ce que le Rapporteur spécial préconise à ce sujet et, plus largement, quelles actions sont à prévoir pour les pays en développement.
La Mauritanie a, pour sa part, fait état de progrès au niveau national pour lutter contre la traite des personnes et pénaliser toutes les formes d’esclavage. La Chine a quant à elle estimé que, l’économie informelle peut se rapprocher des formes contemporaines d’esclavage, affirmant à cet égard que les cas d’esclavage sexuel sont courants aux Etats-Unis, pays où de nombreuses personnes sont également victimes de la traite des êtres humains. Pourquoi cela n’est-il pas mentionné dans le rapport, a souhaité savoir la délégation, avant de rappeler également que l’armée japonaise a transformé des femmes en esclaves sexuelles durant la Seconde Guerre mondiale. Qu’en pensez-vous, a-t-elle demandé à M. Obokata, en le sommant de mener ses enquêtes sur toutes les formes d’esclavage.
Répondant aux questions des délégations, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, a encouragé tous les États Membres à lui envoyer les informations en lien avec son mandat dont il n’aurait pas eu connaissance. Il a ensuite invité les entreprises à formaliser tous les travailleurs, notamment en leur permettant de s’enregistrer, d’exister fiscalement et d’adhérer à des syndicats. Il également formé le vœu que les gouvernements continueront à protéger l’espace civique. Pour permettre aux travailleurs informels de passer au secteur formel, il est primordial, selon lui, que les femmes et les enfants aient accès à l’éducation et qu’il y ait des inspections du travail. Répondant au Liechtenstein, M. Obokata a souligné que l’inclusion financière ainsi que la capacité d’emprunt et de crédit sont des éléments essentiels. Leur absence renforce les formes d’esclavage, a-t-il souligné. Il a ensuite répondu à la Fédération de Russie que le champ d’action de son mandat porte sur l’ODD 8 relatif au travail décent, et est donc lié à la question des travailleurs.
Le Rapporteur spécial a par ailleurs estimé que, la promotion d’une « diligence raisonnable » est cruciale, surtout dans les pays où l’économie informelle représente 90% des emplois. Il a encouragé des institutions comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) à concentrer leurs efforts sur le passage de l’économie informelle à l’économie formelle. Selon lui, les bons exemples de transformation viennent souvent des économies émergentes, notamment en Amérique latine. Rappelant d’autre part que les travailleurs migrants font partie des travailleurs les plus fragiles, il a salué les collaborations entreprises entre les pays de destination et les pays d’origine de ces travailleurs, mais a souhaité que cela aille plus loin en matière de protection. Enfin, en réponse à la Chine, M. Obokata a souligné que son mandat couvre toutes les régions du monde et lutte contre le travail sexuel, partout où il est constaté.
M. SAAD ALFARARGI, Rapporteur spécial sur le droit au développement, a indiqué que son rapport consiste en un élargissement des directives pour la mise en œuvre pratique du droit au développement qu’il avait présenté au Conseil des droits de l’homme en 2019. Il a rappelé que la pandémie de COVID-19 a déclenché la plus grande crise économique mondiale depuis plus d’un siècle, entraînant une augmentation spectaculaire des inégalités, avec un impact particulièrement grave sur les économies émergentes. Alors que les pays développés ont injecté des milliers de milliards de dollars dans la santé, les filets de sécurité sociale et les mesures de relance économique, les pays en développement n’ont pas pu prendre des mesures similaires, a-t-il déploré. En outre, les pays disposant de réserves financières moindres ont concentré leurs dépenses sur les mesures liées à la santé, laissant peu d’espace budgétaire pour financer la protection sociale. Ils ont dû s’endetter à un coût élevé, provoquant une crise de la dette prolongée pour les pays en développement, a-t-il déploré, précisant que la dette publique des marchés émergents a bondi à des niveaux jamais vus depuis 50 ans. Après avoir rappelé les grandes lignes de la Déclaration sur le droit au développement, il a exhorté à la mise en œuvre du Programme 2030 et de l’Accord de Paris pour garantir une reprise rapide qui fera progresser les objectifs en matière de développement et de climat.
Afin de garantir que les plans soient conformes au droit au développement, M. Alfarargi a préconisé l’octroi de droits de tirage spéciaux (DTS) par le Fonds monétaire international (FMI) aux nations du Sud afin de libérer des ressources indispensables aux actions d’intervention et de redressement. Les partenaires de développement devraient s’engager en outre à consacrer 0,7% du revenu national brut à l’Aide publique au développement (APD) en établissant des calendriers et en promulguant des lois au niveau national. De même, ils devraient réorienter l’aide vers les pays qui en ont le plus besoin, en consacrant 50% de l’APD aux pays les moins avancés, a-t-il ajouté.
Dialogue interactif
Appelant à resserrer la coopération internationale en termes de vaccins contre la COVID-19, la Fédération de Russie a plaidé pour une démarche honnête en termes de certification des vaccins. Elle a également demandé au Rapporteur spécial de ne pas empiéter sur des prérogatives d’autres organes en charge des droits humains. S’exprimant au nom du Mouvement des pays non alignés, l’Azerbaïdjan a estimé que les questions des droits humains devaient être envisagées de manière non politisée et sans ingérence dans les affaires intérieures des États, en tenant compte des spécificités culturelles et religieuses de chacun. Plaidant en faveur d’un accès équitable au vaccin, la Malaisie s’est inquiétée de l’iniquité vaccinale et a demandé s’il y avait une stratégie à long terme pour lutter contre cette situation en cas de future pandémie. Comment faire pour asseoir une nouvelle forme de coopération internationale plus juste pour tous? s’est interrogée la Tunisie qui a affirmé attacher une grande importance à la récupération de ses avoirs spoliés. L’Algérie a demandé comment veiller à ce que les pays développés honorent leur engagement d’accorder 0,7% de leur revenu national brut à l’aide au développement.
Estimant que la société de consommation et le système financier entravaient le droit au développement, Cuba a appelé à un changement de paradigme dans l’ordre international, alertant, de même que l’Iran, que les sanctions imposées à son encontre portent atteinte à son droit au développement. Le Pakistan a lui aussi dénoncé les mesures coercitives unilatérales, estimant de plus que les banques de développement ne devraient pas imposer de conditions aux États et s’atteler par ailleurs à orienter leurs financements pour lutter contre les effets des changements climatiques. La Syrie a elle aussi demandé au Rapporteur comment surmonter les effets des mesures coercitives unilatérales qui lui étaient imposées, dénonçant en outre la politisation de la question de sa reconstruction. Même son de cloche du côté de l’Érythrée qui a demandé au Rapporteur quelles actions il avait mené pour lutter contre les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur les pays en développement. L’Égypte s’est intéressée pour sa part à la restructuration du système de financement mondial de l’aide au développement après la pandémie de COVID-19.
Suite à ces questions et commentaires, le Rapporteur spécial sur le droit au développement a estimé que les moratoires sur la dette et la restructuration de la dette pourraient ne pas suffire pour les pays en développement touchés financièrement par la pandémie de COVID-19. Il a rappelé que l’accès équitable aux vaccins contre la COVID-19 était capital, déplorant qu’en juin 2022 seuls 17% des habitants des pays à revenus bas avaient reçu au moins une dose de vaccin, alors que le Conseil des droits de l’homme avait estimé que le droit à la vaccination faisait partie des droits humains. Il a souligné que les États étaient tenus de continuer à négocier pour obtenir un accord sur les brevets sur les vaccins mais aussi le reste des dispositifs médicaux nécessaires pour combattre la pandémie. Les pays développés doivent faire plus d’efforts pour fournir une assistance aux pays du Sud global, a-t-il insisté, notant que les défis identifiés lors de la présentation de son premier rapport il y a cinq ans étaient toujours d’actualité et que d’autres s’y étaient ajoutés du fait de la pandémie de COVID-19 et des conflits.
M. ZAMIR AKRAM, Président-Rapporteur du Groupe de travail sur le droit au développement, a tout d’abord indiqué que son mandat consiste à suivre les progrès accomplis dans la promotion et la mise en œuvre du droit au développement, en analyser les obstacles et formuler des recommandations à son sujet. Il est ensuite revenu sur les étapes qui ont jalonné l’élaboration –en cours– d’un projet d’instrument juridiquement contraignant sur le droit au développement. M. Akram a rappelé que le Groupe de travail a examiné le projet initial en 2021, avant de le réviser avec le soutien d’un groupe d’experts en tenant compte des commentaires et des points de vue reçus. Le Groupe de travail a depuis examiné le premier projet révisé lors de sa vingt-troisième session en mai dernier, a-t-il précisé, avant de regretter que certains États Membres aient choisi de ne pas participer à la négociation du projet de convention, alors même que tous y étaient conviés.
Le Président-Rapporteur a ensuite rappelé qu’à l’issue de sa cinquante-et-unième session, le Conseil des droits de l’homme a adopté la résolution annuelle sur le droit au développement dans laquelle il lui demande de soumettre un deuxième projet de convention révisé au Groupe de travail à sa vingt-quatrième session en vue d’arriver à un texte final. Selon M. Akram, le Groupe de travail a réussi à élaborer un texte qui couvre tous les aspects du droit au développement et reflète le consensus auquel sont parvenus les États Membres. Pour ces raisons, il a souhaité que soit évité au Groupe de travail, un processus de négociation « sans fin », afin que le texte final puisse être soumis au Conseil des droits de l’homme « dans les meilleurs délais ». L’adoption du projet de convention devrait en outre se faire à l'Assemblée générale, qui est le « forum idoine », a-t-il plaidé.
M. Akram a, d’autre part, précisé que, l’Assemblée générale lui a demandé de présenter un rapport oral sur le droit au développement dans le contexte de la réponse à la pandémie et du relèvement post-COVID-19. Comme il l’avait déjà observé lors de sa présentation de l’an dernier, il a estimé que le respect du droit au développement aurait pu éviter ou atténuer une grande partie des dommages dévastateurs causés par la COVID-19. À ses yeux, les États devraient intégrer les droits de l’homme, y compris le droit au développement, dans les politiques visant à répondre à la pandémie et à s’en relever. De plus, a-t-il dit, les normes et principes des droits de l’homme offrent aux États des orientations pour coopérer les uns avec les autres dans la mise en œuvre d’actions immédiates pour lutter contre les inégalités mondiales dans le système financier, entreprendre des réformes structurelles de l’architecture de la dette, inverser les inégalités en matière de vaccins, garantir un investissement accru dans la protection sociale et faire progresser des projets plus écologiques. L'objectif, a-t-il conclu, est d’éviter une reprise « à deux vitesses », qui saperait la confiance et la solidarité, alimenterait les conflits, forcerait les déplacements et rendrait le monde plus vulnérable aux crises futures.
Dialogue interactif
Dans la foulée de l’exposé du Président-Rapporteur, l’Union européenne a rappelé qu’elle est le plus grand bailleur d’aide publique au développement, avant de réitérer son opposition à l’élaboration d’une norme internationale juridiquement contraignante en matière de droit au développement. Affirmant néanmoins rester ouverte au consensus, elle a souhaité savoir comment garantir une participation inclusive au droit au développement qui prenne en compte la dimension du genre.
Que pensent les titulaires de mandat des effets des mesures coercitives unilatérales, « imposées aux pays qui ne se plient pas aux diktats du Nord et justifiées par de fausses accusations », a demandé le Venezuela, rejoint par Cuba qui a estimé qu’il sera difficile d’avancer sur le chemin du droit au développement tant que subsisteront ces mesures. La délégation a d’autre part réaffirmé son appui à l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant, imitée par le Pakistan, lequel a voulu savoir si une telle norme contribuer à l’exercice des droits sociaux culturels et économiques dans les pays du Sud.
Un instrument juridiquement contraignant intégré au système des Nations Unies permettrait-il de dépasser les obstacle politiques en matière de droit au développement, s’est interrogée l’Égypte, tout en demandant si le boycott des négociations par certains États, n’entrave pas les efforts collectifs déployés à cette fin. À son tour, l’Algérie a regretté que les discussions sur cet instrument international juridiquement contraignant aient souffert d’un boycott, demandant à en connaître les raisons. Compte tenu de la résistance exercée par certains pays, peut-on espérer que les divergences puissent être surmontées, s’est enquise la Malaisie.
L’Érythrée a souhaité savoir comment aller de l’avant dans l’élaboration de cet instrument alors que, selon le rapport du Président-Rapporteur, certains pays refusent de participer aux négociations. Qui sont-ils et pourquoi défendent-ils cette position, a-t-elle demandé, disant espérer que ces pays ne veulent pas « nous voir demeurer dans un état de pauvreté éternelle ». La Fédération de Russie a quant à elle critiqué le projet sur son contenu, estimant que les versions proposées souffrent de lacunes, parmi lesquelles, l’absence d’une définition universelle du droit au développement. Elle s’est en outre déclarée défavorable à l’octroi d’une personnalité juridique internationale à des personnes morales et a jugé inacceptable d’imposer des obligations à des parties tierces qui ne seraient pas parties à la future convention. Certains États, notamment ceux de l’Union européenne, n’ont pas peur de dire que le droit au développement n’est pas reconnu au niveau juridique, a fait observer la délégation russe, avant de fustiger les politiques « néocoloniales des pays occidentaux » qui veulent « protéger un ordre fondé sur leurs droits ».
Réitérant son attachement au droit au développement, la Chine a regretté que certains pays ne reconnaissent pas ce droit comme un « droit humain fondamental ». Elle a donc appelé les mécanismes des droits humains à accorder plus d’attention au droit au développement. Le Nigéria a, lui, espéré que le droit au développement permette de lutter contre les flux financiers illicites et a encouragé le retour des biens spoliés vers leurs pays d’origine. Enfin, le Cameroun a demandé quels sont les défis identifiés pour la mise en œuvre par tous du droit au développement et comment promouvoir ce droit parmi les États qui le minimisent.
Répondant à ces questions et remarques, le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur le droit au développement, a d’abord réagi aux interrogations concernant l’intégration du genre dans les principes internationaux en vigueur. Les réponses sont dans la Déclaration de 1986 sur le droit au développement, qui présentait déjà la problématique genrée, ainsi que dans le Programme 2030, a-t-il précisé. Quant à savoir comment traiter le droit au développement, M. Akram a appelé à le considérer comme un droit à la fois individuel et collectif, qui dépend de tous les autres droits. Il a ensuite invité l’Union européenne à participer à l’examen du projet de convention, avant de décrire les mesures coercitives unilatérales comme le fruit de dissensions de nature politique, répercutées dans le domaine du développement. Le projet de convention traite aussi de cette question, a-t-il indiqué, appelant à mesurer à quel point les mesures coercitives unilatérales sapent les efforts en vue du droit au développement, au niveau national mais aussi individuel.
De l’avis du Président-Rapporteur, les divergences entre États Membres sur le bien-fondé d’un instrument juridiquement contraignant « ne peuvent plus être conciliées ». Cela fait quatre décennies, depuis 1986, que nous ne parvenons pas à matérialiser le droit au développement, a-t-il constaté, se prononçant pour une « feuille de route », qui, comme l’a recommandé le Conseil des droits de l’homme, consisterait à rédiger un projet final de convention et à l’envoyer à l’Assemblée générale ou à la Troisième Commission en vue d’une adoption à la fin des négociations.
Cette convention, a poursuivi M. Akram, contribuerait au développement dans le Sud mondial, d’où provient l’essentiel de l’appui à un instrument juridiquement contraignant. Bien sûr, a-t-il nuancé, nous ne remédierons pas ainsi à tous les problèmes du Sud, mais une norme morale serait créée avec l’aval d’un grand nombre de pays dans le monde. Il a rappelé à ce propos que nombre de conventions ne sont signées et ratifiées que par une partie des États, mais créent malgré cela une pression morale sur les sujets qu’elles défendent. Les États qui boycottent les négociations le font pour plusieurs raisons, a-t-il ajouté, relevant que pour plusieurs pays du Nord, l’idée que le droit au développement est un droit humain en tant que tel n’est pas acceptable.
M. MIHIR KANADE, Président-Rapporteur du Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement, a rendu compte des activités du jeune mécanisme, créé en 2020, dont l’objectif est d’identifier et de partager les bonnes pratiques pour favoriser la mise en œuvre du droit au développement dans le monde entier. Il a expliqué que depuis l’établissement du mandat, le Mécanisme a travaillé en étroite collaboration avec le « groupe de travail intergouvernemental » et le Rapporteur spécial, afin d’explorer les synergies et de rechercher la cohérence. Le Mécanisme, a-t-il indiqué, a un rôle particulier à jouer pour veiller à l’application du droit au développement dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’analyse des politiques publiques et du droit.
C’est dans ce contexte que le Mécanisme d’experts a identifié cinq thèmes sur la base desquels présenter des études au Conseil des droits de l’homme, dont deux ont d’ores et déjà été soumis à l’organe, à savoir « l’opérationnalisation du droit au développement dans la réalisation des ODD », et « le racisme, la discrimination raciale et le droit au développement ». Des études sont en cours sur l’inégalité et les systèmes de protection sociale dans l’opérationnalisation du droit au développement; le droit au développement dans le droit international des investissements; ainsi que sur les acteurs non étatiques et devoir de coopération. En outre, le Mécanisme a élaboré des commentaires sur la Déclaration sur le droit au développement afin de promouvoir une interprétation évolutive de ses articles, compte tenu des développements en matière de droit international, de politique et de pratique depuis son adoption en 1986.
Par ailleurs, lors de sa cinquième session, en mars dernier, le Mécanisme d’experts a tenu un dialogue interactif sur le devoir de coopérer avec le Rapporteur spécial sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme, l’Expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale et le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté.
Malgré les revers dus à la pandémie et aux autres crises mondiales, « nous devons redoubler » d’efforts pour réaliser les ODD, a ensuite plaidé M. Kanade. Pour ce faire, il a pressé de rendre le droit au développement opérationnel dans sa mise en œuvre, tout en reconnaissant les nombreux défis à surmonter, tels, la pauvreté, les changements climatiques, les urgences et les crises sanitaires, les déplacements forcés, le racisme, le terrorisme, la criminalité, la corruption et le déni des autres droits de la personne.
Dialogue interactif
À l’issue de cet exposé, la Fédération de Russie a estimé nécessaire de se centrer sur les « sanctions secondaires » imposées dans le but de forcer les États tiers à se conformer à des restrictions introduites illégalement. Quant à la mise à jour des dispositions de la Déclaration du droit au développement, elle ne doit pas imposer aux États une interprétation large de ce document, a-t-elle estimé.
Après l’Iran qui a appelé le Rapporteur à se pencher sur les effets préjudiciables des mesures coercitives unilatérales sur les pays en développement, le Cameroun a voulu connaître les principales conclusions tirées de l’étude sur le racisme et le droit au développement. Dans quelles mesures peuvent-elles alimenter le travail de l’Instance permanente des personnes d’ascendance africaine? La Chine a relevé pour sa part que les personnes d’ascendance africaine sont deux fois plus susceptibles de décéder de la COVID-19 que d’autres groupes ethniques. Aux États-Unis, cette catégorie est également confrontée à la violence et à la violation de ses droits à tous les niveaux du système judiciaire, a-t-elle ajouté.
Comment faire fond sur les enseignements tirés de la pandémie de COVID-19 et veiller à ce que chaque pays s’acquitte de ses responsabilités en matière de coopération internationale, s’est enquise l’Algérie, suivie de l’Inde qui a appelé à la pleine mise en œuvre du droit au développement afin de parvenir à un développement équitable et durable.
Dans ses réponses, le Président - Rapporteur du Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement a reconnu que les mesures coercitives unilatérales peuvent fortement entraver la réalisation du droit au développement, indiquant ensuite que le Mécanisme n’a pas encore pu délibérer, ni dégager une entente commune au sujet des sanctions d’ordre secondaire, ciblées ou encore « intelligentes ». Les vues vont sans doute diverger au sein de ce mécanisme composé de cinq experts provenant de cinq régions différentes. À ce stade, a-t-il rassuré, cette question est toujours à l’ordre du jour et le dialogue se poursuit avec la Rapporteuse spéciale sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme et les autres procédures spéciales.
S’agissant des préoccupations soulevées au sujet d’une interprétation trop vaste de la Déclaration sur le droit au développement, M. Kanade a expliqué que l’idée est de suivre une démarche évolutive, car beaucoup de normes et notions ont évolué depuis son adoption en 1986, tout en assurant que « notre interprétation ne va pas aller au-delà du droit international actuel ».
Pour ce qui est du racisme, il a expliqué que l’étude du Mécanisme a mis en exergue ses effets délétères aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale, notant que racisme et discrimination raciale peuvent entraîner une perte de perspective économique pour les individus et avoir un impact sur les investissements étrangers directs ou encore les mesures d’allègement de la dette. Il a ajouté que le Mécanisme n’a pas encore eu l’occasion de discuter de la question des réparations consécutives à l’esclavage et au colonialisme, mais que ce point était inscrit à l’ordre du jour à venir. Il est indéniable qu’un fait répréhensible a été commis et que des réparations s’imposent. Il s’agit à présent de définir sous quelles formes, a-t-il dit.
S’agissant des vaccins, il a estimé que l’efficacité du Mécanisme COVAX a été entravée, déplorant que seuls 19% de la population de l’Afrique a reçu deux doses de vaccins. C’est une catastrophe morale, a-t-il dénoncé, soulignant que du point de vue du droit au développement, la coopération internationale est une « obligation juridique » et pas seulement un appel à la générosité ou à la charité.