Face aux menaces de congestion satellitaire et de course aux armements, les Première et Quatrième Commissions veulent actualiser le droit de l’espace
L’humanité semble devenue dépendante de l’espace extra-atmosphérique de manière irréversible. Dans un contexte de révolutions technologiques, de privatisation de l’accès à l’espace -plus de 5 000 satellites, principalement à usage commercial, flottent aujourd’hui en orbite autour de la Terre- l’ONU estime urgent d’actualiser les régimes de gouvernance et de réglementation de l’espace extra-atmosphérique. Depuis le dernier Traité de l’espace, ratifié en 1967, les acteurs se sont multipliés, y compris le secteur privé, et la cyberpiraterie s’est développée. « Contrairement au XXe siècle, l’espace s’est aujourd’hui démocratisé et privatisé. Il faut adapter la gouvernance de l’espace à nos réalités »: cette formule du Costa Rica résume parfaitement les enjeux de cette table ronde commune des Première et Quatrième Commissions consacrée aux risques éventuels pour la sécurité et la viabilité des activités spatiales. Cette séance, qui a lieu tous les deux ans depuis 2015, a été suivie d’une table ronde autour de l’actualisation du droit de l’espace.
L’espace extra-atmosphérique semble désormais à la croisée de problématiques transversales et infiniment complexes, ont observé plusieurs délégations: sécurité, développement durable, contrôle des armements, cyberespace, entre autres. C’est une zone de frontières et une zone de risques. C’est aussi un bien commun où toute destruction, accidentelle ou intentionnelle, aurait des incidences graves pour tous les pays. L’objectif du jour, selon le Président de la Première Commission Mohan Pieris, est donc de développer davantage de règles contraignantes pour réduire les menaces et privilégier le développement commercial de l’espace par opposition au militaire. Car les « bruits de bottes entendus sur Terre » semblent avoir atteint l’espace de l’avis d’Adedeji Ebo, Directeur du Bureau des affaires de désarmement et Haut-Représentant adjoint pour les affaires de désarmement. Il a fait état en parallèle de la multiplication des conflits dans le monde, « d’hostilité active » dans l’espace extra-atmosphérique, pointant que « jamais le risque n’avait été aussi grand ».
L’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques est garantie de paix, de prospérité et de développement durable, a insisté Niklas Hedman, Directeur par intérim du Bureau des affaires spatiales de l’Organisation des Nations Unies (UNOOSA), pour qui « une planète durable va de pair avec un espace durable ». Mais la gouvernance et les dispositions relatives à l’espace extra-atmosphérique, y compris la Commission sur l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS), ont été mises en place à une époque où ces activités relevaient uniquement des États.
Toutes les délégations ont défendu l’utilisation pacifique de l’espace, « patrimoine commun de l’humanité », selon les mots du Président de la Quatrième Commission Mohamed Al Hassan. Mais plusieurs pays comme la République islamique d’Iran ou le Royaume-Uni en ont accusé d’autres -parfois sans les nommer- de saper les efforts d’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant. Pour la délégation britannique, des normes de comportements responsables pourraient réduire les risques de malentendus et l’escalade de la violence. Insuffisant, a déclaré l’Iran, en appelant à des normes contraignantes, sans quoi certains États les outrepasseraient pour asseoir leurs « velléités de domination » et leurs « ambitions hégémoniques ».
Pour éviter une course à l’armement, la Fédération de Russie a promu « le projet russo-chinois », « idéal pour prévenir la force, et les menaces du recours à la force ». Transformer l’espace en « champ de bataille » serait pour la Chine le plus sûr moyen pour que personne ne l’utilise comme « outil de développement ».
L’Autriche a remarqué qu’avaient été mis sur orbite autant de satellites en 2021 que dans toute l’histoire spatiale - des satellites appartenant surtout au secteur privé. Cette hausse exponentielle a inquiété l’Argentine, qui a évoqué des dangers de collisions et d’interférences, rendant d’autant plus urgente l’évolution du droit: les États ne sont plus les seuls à développer des technologies vectrices de menaces. Dans ce contexte, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suisse ont insisté sur l’enregistrement en bonne et due forme des objets spatiaux, en conformité avec le droit international, comme crucial dans le futur. Niklas Hedman, le Directeur d’UNOOSA, a expliqué que l’agence était chargée depuis plus de quatre décennies de tenir le registre central de l’ONU sur les objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique, conformément à la Convention sur l’immatriculation de 1975. Ce registre, mécanisme central de la transparence et de l’instauration de la confiance, sera essentiel pour soutenir les nouvelles missions spatiales, telles que « les méga-constellations », « l’élimination active des débris » et « le transfert de propriété en orbite ».
L’Argentine, le Pakistan, le Costa Rica ont insisté sur l’accès équitable à l’espace extra-atmosphérique pour la réalisation des objectifs de développement durable de tous les pays. Le Costa Rica a insisté sur l’aspect environnemental à incorporer au droit de l’espace, qui « compte de la même manière que notre planète et doit être exempt de déchets et de débris », et pour qui il n’existe pas de différence entre les déchets sur Terre et dans l’espace. Les Émirats arabes unis et le Pakistan ont réclamé un accès à l’espace pour les pays émergents: les menaces sécuritaires sont parfois une excuse trop facile pour les exclure, a abondé la Chine.
La Russie, partisane d’un COPUOS renforcé, a mis en garde contre les « recettes toutes faites » proposées par les pays occidentaux, « à rebours du droit international ». Du point de vue russe, les États-Unis affirment ouvertement que leur objectif est « la suprématie militaire de l’espace », et l’OTAN ne cache pas que des infrastructures spatiales civiles peuvent être utilisées comme infrastructures militaires, à des fins de renseignements notamment. « Une majorité écrasante d’États Membres n’ont aucun moyen de s’y opposer », a déploré la Russie, reprochant à l’OTAN un « sentiment d’impunité absolue ». La Russie a enfin regretté la création du Groupe de travail à composition non limitée, créant un doublon avec le COPUOS et la Conférence du désarmement. Entre la Première et la Quatrième Commission, le COPUOS, la Conférence du désarmement, « on se marche un peu sur les pieds, si je puis me permettre », a lancé la Chine, pointant un problème de chevauchement des mandats.
L’Iran, la Syrie, Cuba ont aussi déploré une « distribution géographique inéquitable » des panélistes de la réunion du jour. Le Président de la Première Commission a rétorqué que le Bureau avait au contraire fait preuve d’une grande souplesse et que malgré ses appels à candidatures, ces dernières avaient cruellement fait défaut. Il a ajouté qu’il ne fallait pas s’imaginer un quelconque complot à ce sujet.