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Commission du développement social: les délégations préoccupées par la « face sombre » du numérique

Cyberharcèlement, exploitation des enfants, creusement du fossé numérique, intelligence artificielle – la conclusion, aujourd’hui, du débat général de la Commission du développement social a vu de nombreux États Membres et organisations non-gouvernementales (ONG) insister sur la « face sombre » du numérique. 

S’il a été à nouveau question des possibilités offertes par Internet et les services en ligne pour contribuer au développement social et au bien-être des personnes, plusieurs intervenants ont aussi évoqué l’exclusion numérique des groupes pauvres ou marginalisés, certaines délégations allant jusqu’à préconiser un changement de modèle social intégrant l’utilisation de ces nouvelles ressources. 

Les délégations ont également été nombreuses à proposer des solutions pour faire en sorte que le numérique devienne un moteur du progrès et améliore le bien-être social. 

Le thème prioritaire de cette cinquante-neuvième session porte sur le numérique au service du développement social et du bien-être de toutes et de tous (E/CN.5/2021/3).

Première délégation à s’exprimer, le Saint-Siège a rappelé que l’utilisation du numérique à des fins criminelles est l’une des quatre menaces pour le monde que le Secrétaire général de l’ONU a récemment identifiées.  Cybercriminalité, pédopornographie, face à ces dangers, nous devons tous nous montrer responsables, a déclaré la délégation. 

Même son de cloche du côté de l’Union africaine, qui a insisté sur l’importance de protéger les enfants contre toute exploitation sexuelle sur Internet.  « Ce devrait être la préoccupation de tous », a déclaré cette délégation.  La Fédération internationale pour le développement des familles a indiqué que la pandémie a montré les aspects positifs des nouvelles technologies mais aussi « sa face sombre », reprenant à son compte l’expression de la délégation vaticane. 

Les parents se demandent si leurs enfants sont en sécurité sur Internet et ne sont pas victimes de harcèlement, a déclaré cette ONG.  Le délégué de la Fondation pour la prévention de la violence parmi les jeunes a indiqué que son organisation, créée par un père qui a perdu son fils après des faits de cyberharcèlement, vise à combattre ce fléau en République de Corée. 

Le cyberharcèlement peut pousser ses victimes à envisager de commettre les actes les plus graves, a déclaré le délégué, soulignant que cette menace est décuplée avec le passage à des cours virtuels du fait de la pandémie.  De son côté, VIVAT International s’est inquiété du fossé numérique qui se creuse entre les pays et au sein des pays, en rappelant que les communautés autochtones en Australie sont en dessous de la moyenne nationale s’agissant de l’accès au numérique. 

Mais le numérique pourrait porter les remèdes à ses propres maux, si l’on en croit la Fondation pour la prévention de la violence parmi les jeunes précitée qui vient de créer une application pour les jeunes destinée à lutter contre le cyberharcèlement.  « La technologie peut combattre ce fléau et améliorer les comportements sociaux des jeunes », a-t-elle assuré.

Une position partagée par la Fédération internationale des associations des étudiants en médecine qui a déclaré que l’innovation dans le domaine du numérique est fondamentale pour améliorer le bien-être global.  Elle a en particulier demandé que les jeunes soient inclus à chaque étape du processus de prise de décisions en ce qui concerne ces innovations technologiques. 

L’Institut de la Sainte Vierge Marie a suggéré trois actions clefs pour combler le fossé numérique: consacrer l’accès au numérique comme droit fondamental; faire en sorte que le numérique soit accessible à tous; et fournir une protection sociale aux familles, y compris par l’apport d’une éducation de qualité pour les jeunes.  Le Royaume-Uni a souligné l’importance de la protection des droits humains « en ligne, comme hors ligne ». 

Le Forum de la mer Baltique a affiché la même confiance dans les vertus du numérique, en soulignant l’importance d’une numérisation des ports pour la croissance économique.  Cette organisation a rappelé que 45 Membres de l’ONU n’ont aucun port.  De leur côté, les Fidji ont insisté sur le rôle capital du numérique dans les efforts de relèvement du pays après les passages récents de trois cyclones, tandis que le Saint-Siège a reconnu les bienfaits du numérique pour l’intégration socioéconomique des migrants. 

La Brahma Kumaris World Spiritual University a, elle, mentionné les applications de méditation qu’elle a développées afin d’apporter les bénéfices de la méditation, dont celui de « prendre du recul », au plus grand nombre. 

De son côté, la France a jugé essentiel de recourir à la technologie numérique pour réduire les inégalités et réorienter la production vers des modèles à la fois plus respectueux de l’environnement et tendant vers une transition socialement juste.  À cette fin, elle a proposé de s’écarter du « mode de calcul purement comptable » basé sur le PIB et de s’appuyer sur d’autres indicateurs tenant compte de l’éducation et de l’utilisation des outils numériques, à l’instar de son plan d’action destiné à améliorer l’inclusion des populations sans accès à Internet. 

« Le PIB ne devrait pas être le seul indicateur pour mesurer le progrès social », a abondé l’ONG Congregation of Our Lady of Charity of the Good Shepherd, selon laquelle il convient aussi de prendre en considération la fracture numérique qui creuse les écarts entre les nantis et les démunis, et exclut des pans entiers de la population mondiale du commerce électronique, de l’apprentissage à distance et de l’administration publique en ligne. 

De son côté, l’organisation Irene Menkaya School Onitsha a appelé de ses vœux une véritable transition sociale vers de nouveaux modèles en vue de développer une éducation durable, laquelle est « à la base de tout progrès social ».  Une position partagée par la Miss Caricom International Foundation, qui a mis en avant son utilisation de la téléphonie mobile, notamment au Nigéria et en Gambie, pour diffuser des contenus éducatifs en direction de populations vivant dans des zones reculées ou marginalisées. 

Cette problématique a également été abordée par l’UNESCO Association Guwahati, une ONG du nord-est de l’Inde, qui a plaidé pour l’établissement d’un centre de recherche sur le développement social dans cette région concentrant 3,7% de la population du sous-continent et où vivent plus de 3 200 tribus parlant des langues et dialectes différents.  Les problèmes d’éloignement, d’inégalités et d’exclusion numérique de cette région poussent ses jeunes à migrer vers d’autres régions pour trouver des emplois, a-t-elle fait valoir. 

L’essor de la technologie numérique et des TIC montre qu’il importe de réfléchir à leur utilisation pour des groupes fragiles comme les personnes déplacées, et notamment les enfants migrants, a pour sa part soutenu la World Organization for Early Childhood Education.  Pour en faire un instrument utile à la protection des enfants déracinés, il faut maintenant favoriser la collecte de données ventilées sur la petite enfance et promouvoir des partenariats public-privé afin d’améliorer l’accès à Internet pour les communautés pauvres et exclues, a-t-elle préconisé. 

Attirant l’attention sur les sans-abri, UNANIMA International a constaté que la COVID-19 a interrompu les efforts destinés à améliorer les conditions de vie de ces personnes privées de logement, d’emploi et, par voie de conséquence, d’accès à la technologie numérique.  Il est essentiel de poursuivre l’action dans ce domaine, a-t-elle souligné, appelant à ce que le droit à un logement décent et sûr soit reconnu comme un droit fondamental.  Un appel repris par la New Future Foundation qui a rappelé qu’aux États-Unis, le phénomène des sans-abri ne fait qu’augmenter, 65% des personnes sans logement étant hébergées dans des foyers d’accueil, les 35% restants se retrouvant dans la rue ou les stations de métro, loin de toute possibilité de connexion. 

Autre catégorie à risque, singulièrement en cette période de pandémie qui les oblige à concilier vie personnelle et vie professionnelle, les mères de famille n’ont souvent pas accès à Internet ou même à un ordinateur, ce qui compromet leur avenir et celui de leurs enfants, a averti l’ONG Make Mothers Matter.  Selon elle, ce problème majeur doit être reconnu par les gouvernements et le secteur privé car privilégier le bien-être de ces personnes en difficulté constitue un « investissement dans le capital humain ». 

Convaincu, lui aussi, que les personnes pauvres doivent être étroitement associées aux politiques du numérique et au développement des nouvelles technologies, le Mouvement International ATD Quart Monde a par ailleurs mis en garde contre les formes insidieuses de discrimination structurelle auxquelles peuvent conduire les outils technologiques et les logiciels.  Selon cette ONG, des individus peuvent en effet être contraints d’abandonner leur droit à la vie privée et à la protection des données ou encore être soumis à des décisions arbitraires prises par des robots, sans implication humaine. 

Également inquiète de cette évolution, l’organisation C-Fam, centrée sur les familles et les droits humains, a regretté que les géants technologiques concentrent aujourd’hui un trop grand nombre de pouvoirs, « au point que la liberté d’expression s’en trouve menacée ».  Estimant que la pandémie actuelle a exacerbé ce problème, elle a averti que les politiques de développement durable et de redressement post-COVID-19 pourraient en outre donner lieu à des résultats injustes pour les personnes si les entreprises qui les emploient dépendent excessivement de ces technologies. 

Sur cette même ligne, la Communauté internationale Baha’i a demandé qu’un esprit de coopération préside au développement des politiques concernant l’intelligence artificielle, jugeant que des conséquences négatives peuvent découler de décisions prises par un petit groupe d’individus.  « En recueillant un large éventail d’opinions sur les incidences de cette intelligence artificielle, nous nous assurons que les innovations sont inclusives et justes. »  Il devient dès lors plus aisé d’identifier les algorithmes qui favorisent un groupe en particulier aux dépens d’un autre, a-t-elle fait valoir. 

Revenant aux catégories régulièrement exclues du numérique, l’International Longevity Alliance a mis l’accent sur la situation des personnes âgées, appelées à représenter 22% de la population mondiale d’ici à 2100, contre 9% aujourd’hui.  Persuadée que la technologie numérique peut aider ces personnes à maintenir leur autonomie et leur indépendance, elle a exhorté les États Membres à prendre en compte leurs besoins spécifiques et à les intégrer dans leurs objectifs de développement durable, en garantissant notamment que les seniors ont accès à Internet mais également à une formation et un matériel adaptés. 

La couverture du débat général a été compromise par une série de problèmes d’ordre technique.

La Commission du développement social poursuivra ses travaux demain, mercredi 17 février, à partir de 10 heures.

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