La Commission du développement social se penche sur les politiques sociales visant à promouvoir un relèvement plus inclusif et plus durable
Au troisième jour de sa cinquante-neuvième session, la Commission du développement social s’est intéressée aujourd’hui aux « questions nouvelles » en matière de politique sociale dans la perspective d’un relèvement post-COVID-19 plus inclusif, plus résilient et plus durable. Comme l’a rappelé sa Présidente, le but recherché est de « reconstruire en mieux », aux fins de la bonne exécution du Programme 2030 dans le contexte de la décennie d’action en faveur des objectifs de développement durable.
Lors d’une table ronde consacrée à l’examen de cette question, la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour l’Afrique a plaidé pour une nouvelle approche qui « mette l’humain en son cœur », relevant qu’au-delà même des effets de la COVID-19, la moitié des enfants dans le monde souffrent d’insuffisances en matière éducative et sanitaire. Ce ne sont pas les approches caritatives qui pourront remédier à long terme à ces situations mais bien des investissements ciblés dans les services sociaux, a affirmé Mme Cristina Duarte qui a appelé à faire le choix de l’innovation technique. Sans quoi nous risquons de voir 50% des enfants du monde piégés dans une situation de faible productivité, a-t-elle mis en garde.
Convaincu qu’il importe de « traiter l’accès à Internet comme l’accès à l’eau », le Coordonnateur de l’Institut pour le développement durable (ISD), M. David Smith, a parlé de « droit humain » pour ce qui est de l’utilisation par le plus grand nombre des ressources en ligne, de la téléphonie mobile et d’un matériel informatique abordable. Il a aussi jugé urgent d’améliorer la formation des enseignants à l’éducation à distance en vue des pandémies à venir.
Constatant qu’environ quatre milliards de personnes dans le monde ne sont pas du tout protégées par les systèmes de protection sociale, le Directeur du Département des politiques de l’emploi de l’Organisation internationale du Travail (OIT), M. Shangheon Lee, a appelé les gouvernements à combler d’urgence les lacunes de ces systèmes pour veiller à ce que tous les travailleurs soient correctement couverts, quel que soit le type d’emploi.
Il s’agit, a-t-il souligné, d’une condition préalable essentielle pour que les pays soient mieux préparés aux défis à venir dans un monde du travail en pleine mutation qui peut, à tout moment, être frappé par une crise. Il ne suffit pas de répondre à la pandémie actuelle, il faut « se préparer à la prochaine » en travaillant sur la protection sociale et l’autonomisation afin de réduire les vulnérabilités, a renchéri Mme Mugemi Muto, Vice-Présidente de l’Agence de coopération internationale du Japon.
Jugeant pour sa part que les jeunes paient un trop lourd tribut à la crise de la COVID-19, le Directeur de la mobilité des travailleurs à la Direction de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion de la Commission européenne, a signalé que 40 millions de personnes subissent le chômage partiel au sein de l’Union européenne. « Il y a des personnes derrière ces chiffres », a signalé M. Jordi Curell Gotor, pour qui la reprise économique va de pair avec la justice sociale et le travail décent.
La Présidente du Conseil national de coordination des politiques sociales de l’Argentine, Mme Victoria Tolosa Paz, et un consultant à l’Institut danois de technologie, M. Jeremy Millard, ont également participé à cette table ronde.
Dans l’après-midi, c’est avec un groupe de hauts fonctionnaires du système de l’ONU que la Commission a poursuivi le dialogue.
Venue plaider pour l’établissement d’un « panier numérique de services de base », la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a indiqué que dans sa région, la fracture numérique représente une brèche énorme: 40 millions de ménages et 40% des femmes ne sont pas connectés et une bonne partie de la population régionale ne dispose pas de la vitesse minimum pour assurer les connexions. C’est ainsi que 32 millions d’enfants ne peuvent bénéficier de l’enseignement à distance, a déploré Mme Alicia Bárcena Ibarra. Pour combler ce fossé, le Secrétaire général de l’Union internationale des télécommunications (UIT), M. Houlin Zhao, a appelé à mettre en œuvre la politique des quatre « i »: infrastructure, investissements, innovation et inclusivité.
Notant que les TIC permettent d’améliorer la conception et la mise en œuvre de régimes de protection sociale, la Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) a indiqué que l’intelligence artificielle et d’autres technologies numériques, si elles sont sagement exploitées, ont la capacité de changer notre façon de vivre et de travailler en mieux. Il sera ainsi possible d’aider à sortir de la pauvreté le milliard de personnes de la région qui vivent avec des revenus inférieurs à 3,20 dollars par jour, a souligné Mme Armida Salsiah Alisjahbana
Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, M. Gerard Quinn, s’est toutefois préoccupé du danger que représente l’émergence de « grands intermédiaires », comme de grandes plateformes en ligne, qui pourraient saper le rôle de l’État et privatiser l’aide sociale. De son côté, la Directrice exécutive adjointe pour la gestion des ressources d’ONU-Femmes, Mme Anita Bhatia, a soulevé le problème de l’augmentation de la violence sexiste en ligne dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
La Commission du développement social poursuivra ses travaux demain, jeudi 11 février, à partir de 10 heures.
SUITE DONNÉE AU SOMMET MONDIAL POUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET À LA VINGT-QUATRIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE (E/CN.5/2021/2)
Table ronde de haut niveau consacrée aux questions nouvelles: « Politique sociale visant à promouvoir un relèvement plus inclusif, plus résilient et plus durable: reconstruire en mieux après la COVID-19 aux fins de la bonne exécution du Programme 2030 dans le contexte de la décennie d’action en faveur des objectifs de développement durable » (E/CN.5/2021/4)
Avant de céder la parole aux panélistes, la Présidente de la Commission du développement social, Mme MARÍA DEL CARMEN SQUEFF, a appelé à réfléchir aux répercussions de la pandémie de COVID-19, alors que, partout dans le monde, des secteurs productifs de l’économie ont été fortement touchés, avec des conséquences très lourdes pour les populations en dépit des efforts des pays. Afin de rectifier ces inégalités, a-t-elle souligné, il est essentiel de réaliser les objectifs énoncés dans le Programme 2030 et de ne laisser personne de côté. Si la pandémie entraîne des efforts constants dans différents domaines, augmentant les écarts socioéconomiques entre les pays, il importe de ne pas laisser se perdre les progrès enregistrés sur le plan socioéconomique. Pour cela, a-t-elle professé, un « esprit de solidarité » doit régner en ces temps difficiles. Il faut réunir les conditions d’une « nouvelle normalité » qui permette de mettre en place des sociétés plus égalitaires et tenant compte des besoins des plus démunis.
Exposés des panélistes
M. JORDI CURELL GOTOR, Directeur de la mobilité des travailleurs à la Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion de la Commission européenne, a constaté que la pandémie de COVID-19 a un impact dévastateur dans le monde entier, avec des implications sanitaires, sociales et économiques importantes. Le monde du travail a notamment subi des changements massifs qui touchent les travailleurs, les entreprises, les sociétés, les économies, les pays et les organisations. En Europe, a-t-il noté, les effets sociaux de cette crise sanitaire sont immenses puisque 40 millions de travailleurs sont inscrits à des programmes de chômage partiel et craignent pour leur emploi. « Il y a des personnes derrière ces chiffres », a souligné M. Curell Gotor, appelant à accorder, dans le cadre du relèvement, une attention particulière à ceux qui sont les plus durement touchés par la crise.
À ses yeux, les jeunes paient un très lourd tribut à cette crise. Trop d’entre eux étaient déjà sans emploi avant la crise, beaucoup travaillent dans des secteurs durement touchés comme le tourisme, le commerce de détail et l’alimentation, et nombre d’autres ne peuvent pas entrer sur le marché du travail. Les représentants de la jeunesse qu’il a récemment rencontrés lui ont dit que les jeunes devaient être davantage associés aux processus de prise de décisions et être les destinataires de politiques visant à ne laisser personne de côté. De nombreux jeunes délégués ont aussi parlé de la fracture numérique croissante qui contribue aux écarts sociaux déjà existants, a-t-il expliqué, faisant par ailleurs état d’aspirations à un emploi décent, une protection sociale inclusive, des services éducatifs de qualité, ainsi qu’à une véritable égalité des sexes et des chances, notamment pour les jeunes handicapés. Au sein de l’Union européenne, des mesures sociales sans précédent sont prises pour accompagner la jeunesse, a-t-il fait valoir.
Évoquant également le sort des femmes, les travailleurs du secteur informel et les sans-abri, dont la situation s’est aggravée durant la pandémie, le responsable européen a estimé que, sur le plan social, la réponse à la crise doit prendre en compte ces catégories. Mais cela ne suffit pas, a-t-il ajouté, le relèvement doit être durable, contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable et façonner un mode de vie meilleur et plus juste pour le monde de demain. M. Curell Gotor s’est dit en accord avec le Secrétaire général, selon lequel la reprise économique va de pair avec la justice sociale et le travail décent. À cet égard, a-t-il affirmé, les normes internationales du travail fournissent une base éprouvée et fiable pour éclairer des réponses politiques cohérentes, respectueuses de la dignité humaine et placer le redressement sur la trajectoire définie dans le Programme 2030. Tout ce que nous faisons pendant et après cette crise, a-t-il conclu, doit être fortement axé sur l’édification de sociétés plus égalitaires et inclusives, plus résilientes face aux pandémies, aux changements climatiques et aux nombreux autres défis auxquels nous sommes confrontés.
Mme MEGUMI MUTO, Vice-Présidente de l’Agence de coopération internationale du Japon, a indiqué que le Japon a réussi à faire face à la pandémie en partie grâce à la réduction des risques, que ce soit par le port de masques, la distanciation sociale et le lavage fréquent des mains. Il existe également une confiance générale dans la communication des risques et sur la façon de changer les comportements en période d’urgence, ce qui est un atout.
La panéliste s’est ensuite intéressée à l’examen de la pandémie de COVID-19 à travers le prisme du Cadre de Sendai. Il s’agit avant tout de travailler sur la protection sociale et l’autonomisation pour réduire la vulnérabilité, mais aussi de mettre en place des mesures, des systèmes et des capacités pour se préparer à la prochaine pandémie, a-t-elle expliqué.
Elle a indiqué que l’Agence appuie l’établissement de systèmes de protection résilients par l’intermédiaire du système budgétaire. Elle a notamment octroyé, avec la Banque asiatique de développement, un prêt d’urgence aux Philippines pour financer la réponse aux crises liées à la COVID-19 et s’est associée au cofinancement d’un programme mené par la Banque mondiale en Inde qui a permis d’intégrer cinq programmes de protection sociale en un seul système.
Mme Muto a conseillé d’investir dans des systèmes de santé résilients, précisant que l’Agence cible le renforcement des capacités à long terme dans des institutions clefs, telles que les laboratoires et les hôpitaux. Cela a conduit à l’émergence de certaines institutions régionales de premier plan telles que le Noguchi Memorial Institute for Medical Research, au Ghana, et le Kenya Medical Research Institute qui, à l’apogée de la crise, ont réalisé environ 80% et 50%, respectivement, de tous les tests PCR pour la COVID-19 dans leur pays. Mme Muto a aussi insisté sur la nécessité d’appuyer davantage les programmes sectoriels standard tels que l’éducation.
Face à la COVID-19, la protection sociale doit reposer sur la reconstruction des systèmes et des capacités existantes afin de se préparer à la prochaine pandémie et d’autres risques, a-t-elle estimé.
Mme CRISTINA DUARTE, Secrétaire général adjointe et Conseillère spéciale du Secrétaire général pour l’Afrique, a appelé à repenser le capital humain et passer d’une approche d’assistance à une approche axée sur l’être humain. Faisant le bilan des gains en termes de développement social des 25 dernières années, Mme Duarte a reconnu que le travail est loin d’être fini puisque la moitié des enfants dans le monde ne parviennent toujours pas à maîtriser les bases de la lecture et des mathématiques et que trop d’enfants meurent encore de diarrhées et autres maladies associées en Afrique. Ce ne sont pas des approches caritatives qui pourront remédier à ces situations sur le long terme mais bien des investissements ciblés dans les services sociaux, notamment l’éducation et la santé, a-t-elle souligné. Il faut donc renoncer aux politiques sociales traditionnelles et faire le choix de l’innovation technique sans quoi, a-t-elle mis en garde, nous risquons de voir 50% des enfants du monde piégés dans une situation de faible productivité en raison de l’insuffisance des services éducatifs et alimentaires. À ses yeux, il y a une véritable crise d’investissement dans le capital humain et il est urgent d’y remédier. Il est clair que certains pays ont du mal à mobiliser les ressources nécessaires et il faut donc leur assurer les financements adéquats, a-t-elle estimé.
La panéliste a aussi plaidé en faveur de la mise en œuvre de politiques sociales ambitieuses grâce à des dépenses publiques de meilleure qualité et une gouvernance renforcée, accompagnée de la reddition des comptes. Elle a également appelé à renforcer les investissements dans le capital humain en adoptant des politiques de redistribution des richesses pour que les recettes de ces investissements profitent à tous. Il est urgent de repenser notre contrat social et de refaçonner les politiques sociales, a-t-elle martelé.
M. JEREMY MILLARD, consultant à l’Institut danois de technologie, a présenté à la Commission de nouveaux modèles de systèmes locaux alliant décentralisation et interconnectivité. Selon lui, la COVID-19 a montré que la décentralisation s’accélère. La question est maintenant de savoir si cela continuera après la crise. Dans l’immédiat, il a exposé différentes mesures à la fois stratégiques et concrètes, à commencer par le mouvement vers les villes circulaires, dans le cadre de l’économie circulaire. Notant que les villes ont des pouvoirs pour agir sur le terrain, il a estimé que la perte d’attrait qu’elles connaissent du fait de la pandémie s’inversera après la crise. Les emplois locaux vont gagner en importance, a-t-il prédit, avant d’évoquer le cas d’Helsinki, où les restaurants commencent à composter leurs produits alimentaires, créent des emplois locaux et s’appuient sur des chaînes de valeur plus courtes. En Haïti, a-t-il poursuivi, il existe des microréseaux qui produisent de l’électricité solaire ou éolienne, laquelle est partagée au plan local.
À Amsterdam, a encore expliqué M. Millard, on met l’accent sur l’inclusivité en tenant compte des limites de la planète et en recourant à trois chaînes de valeur: pour le recyclage des déchets ménagers, la production de biens durables et la construction de bâtiments respectueux de l’environnement et du climat. Des systèmes comparables sont mis en place à Copenhague, Medellin et Philadelphie, a-t-il précisé, avant de parler des devises et des initiatives de crédit locales, telles de la livre de Bristol ou le Sarafu-Credit au Kenya. Ces systèmes économiques locaux signifient que l’argent est redépensé au niveau local, ce qui permet d’investir localement. Les devises locales permettent aussi aux populations de participer davantage aux processus de production. Quant aux systèmes de revenu universel minimum, le consultant a assuré qu’ils ne « poussent pas les gens à la paresse ». Tout au contraire, a-t-il dit, on constate des effets positifs sur l’emploi et la société. Au Brésil, par exemple, la Bolsa Familia, qui alloue 34 dollars par mois, contribue à la réduction de la pauvreté et du travail des enfants, a relevé M. Millard.
S’agissant des entreprises appartenant à leurs employés, système encouragé par l’ONU, elles permettent un partage des bénéfices entre employés et une nette réduction des écarts de salaire, a poursuivi le consultant. Ces expériences décollent actuellement en Afrique, s’est-il félicité, évoquant en particulier les systèmes coopératifs en place en Afrique du Sud et en Ouganda. Ce sont des systèmes à petite échelle qui ont des retombées au niveau local, a expliqué M. Millard. En Espagne, la coopérative Mondradon a plus de 70 000 employés et aucun n’a perdu son emploi en dépit de la crise. Aux États-Unis, a-t-il poursuivi, ce système a contribué à réduire l’écart salarial entre les sexes et de mieux répartir les profits. Il a dit s’attendre à un monde moins centralisé après la COVID-19, mais aussi à des chaînes de valeur plus courtes mettant l’accent sur les atouts locaux. Même si ces systèmes ne constituent pas des « panacées », ils méritent d’être étudiés, a-t-il estimé.
M. DAVID SMITH, Coordonnateur de l’Institut pour le développement durable (ISD) et Directeur du Centre de gestion de l’environnement de l’Université des Indes occidentales, s’est attardé sur certaines questions émergentes en termes d’éducation, notamment le rôle des technologies numériques. Ce que nous faisons aujourd’hui dans le cadre de la pandémie de COVID-19 doit nous préparer aux pandémies à venir, a-t-il fait valoir. Il a présenté un tableau illustrant la courbe des décès liés à la COVID-19 dans îles des Caraïbes, et a invité à réfléchir à l’impact des inégalités, au rôle des déplacements internationaux ou encore de la gouvernance.
À l’avenir, les transformations au sein de nos sociétés doivent miser sur le capital humain, a-t-il estimé en expliquant que plus l’éducation est bonne, plus la résilience augmente. Dès lors, il a jugé impératif d’améliorer l’accès à Internet, à la téléphonie mobile, et au matériel informatique abordable pour tous, déplorant les disparités qui existent toujours dans ces domaines entre pays et au sein même des pays. Il faut traiter l’accès à Internet comme l’accès à l’eau, à savoir un droit humain qui se traduit par un accès libre et bon marché pour tous, a-t-il insisté. M. Smith a également mis l’accent sur la nécessité d’améliorer la formation des enseignants à l’éducation en ligne pour veiller à ce qu’ils soient outillés pour les pandémies à venir.
M. SANGHEON LEE, Directeur du Département des politiques de l’emploi de l’Organisation internationale du Travail (OIT), a indiqué que selon les estimations de l’OIT, la pandémie a provoqué une baisse de 8,8% des heures de travail, ce qui équivaut à 255 millions d’emplois à plein temps. Si on ne tient pas compte des mesures de soutien des gouvernements, 8,3% des revenus générés par le travail ont été perdus en 2020, ce qui représente 3,7 mille milliards de dollars de moins dans les poches des travailleurs.
Les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ont été particulièrement touchés, a précisé M. Lee, mais même les pays disposant d’une capacité budgétaire suffisante pour atténuer l’impact de la crise ont du mal à le faire en grande partie parce que la crise dure plus longtemps que prévu. Qui plus est, la pandémie n’affecte pas tous les travailleurs et entreprises de la même façon. Les jeunes, les femmes, les migrants ainsi que les travailleurs peu rémunérés, peu qualifiés et informels ont subi une part disproportionnée des retombées négatives de la pandémie car trop souvent encore, a-t-il déploré, leurs emplois ne bénéficient pas de mesures de protection sociale. Préoccupé par la situation des jeunes, M. Lee a en outre expliqué que la crise actuelle a rendu la transition déjà difficile vers le marché du travail souvent impossible. L’éducation et les plans de carrière ont été interrompus et les rêves et aspirations détruits - souvent à jamais, et nous risquons à présent de perdre cette génération, dont nous avons tant besoin pour construire un avenir meilleur, s’est-il inquiété.
Poursuivant, M. Lee a souligné que des systèmes de protection sociale bien conçus permettent aux travailleurs de passer en toute sécurité d’un emploi à un autre, même si cela implique des phases de chômage et d’inactivité. Pendant ces phases de transition, ils doivent être correctement protégés, y compris en cas de maladie, de maternité, d’invalidité et de vieillesse, a-t-il estimé. Les systèmes de protection sociale ont également un rôle clef à jouer pour aider les entreprises à retenir leurs travailleurs, fixant ainsi les paramètres d’une reprise forte et rapide.
Cependant, a-t-il enchaîné, environ quatre milliards de personnes dans le monde ne sont pas du tout protégées par les systèmes de protection sociale, et beaucoup d’autres ne le sont que partiellement. Ces importantes lacunes dans la protection sociale ont été douloureusement révélées pendant la crise actuelle, laissant les travailleurs temporaires et à temps partiel, les travailleurs indépendants et ceux de l’économie informelle sans moyens suffisants pour traverser la crise. De nombreux gouvernements ont mis en place des mesures d’intervention d’urgence pour apporter un soutien aux personnes non couvertes, mais nombre de ces mesures temporaires ont déjà pris fin, a rappelé M. Lee. Il a appelé les gouvernements à combler d’urgence les lacunes de leurs systèmes de protection sociale et veiller à ce que tous les travailleurs soient correctement couverts, quel que soit le type d’emploi. Il s’agit, a-t-il souligné, d’une condition préalable essentielle pour que les pays soient mieux préparés aux défis à venir dans un monde du travail en pleine mutation qui peut, à tout moment, être frappé par une crise.
Mme VICTORIA TOLOSA PAZ, Présidente du Conseil national de coordination des politiques sociales de l’Argentine, a rappelé que son gouvernement, entré en fonctions en 2019, s’est heurté à des difficultés socioéconomiques avant même la pandémie de COVID-19. Il a ainsi lancé un dispositif visant à compenser les pertes de revenus, ainsi qu’une politique de transfert de fonds dans le secteur informel. Ces mesures, a-t-elle précisé, ont été renforcées pendant la crise actuelle au travers de bons alimentaires et de cartes destinées à assurer l’alimentation des enfants de zéro à 6 ans lorsque l’un des parents travaille dans le secteur informel. Il s’agit aussi d’alléger la charge d’endettement de ces populations, a expliqué Mme Tolosa Paz, ajoutant que l’État subventionne l’électricité et l’eau dont bénéficient les plus démunis. L’objectif, a-t-elle expliqué, est de protéger les plus vulnérables tout en recréant les maillons économiques mis à mal pendant la pandémie. L’accent est notamment mis sur le panier de services de base, la connectivité à Internet et l’accès aux plateformes numériques, a-t-elle précisé, avant de souligner l’importance de l’éducation pour tous.
Nous nous efforçons de garantir pour tous les Argentins un accès aux domaines fondamentaux, a insisté Mme Tolosa Paz. À ses yeux, tout cela repose sur l’engagement pris par le Gouvernement argentin de réaliser les 17 objectifs de développement durable, seule solution pour améliorer les conditions de vie des personnes qui affichent un niveau de pauvreté élevé. À cet égard, a-t-elle indiqué, le Plan d’action national initié en 2019 vise à éliminer le rachitisme dont souffrent plus de 68 000 enfants, une affection souvent liée à des problèmes de logement de mauvaise qualité. « Nous devons agir sur tous les fronts, en nous concentrant sur les besoins des populations vulnérables », a-t-elle souligné, évoquant un effort budgétaire énorme en direction des secteurs « qui ne peuvent pas attendre ». La priorité est donnée aux groupes les plus frappés par les pandémies, à commencer par les mères célibataires, les foyers monoparentaux et les mères soutiens de famille. Pour faire face à ces défis, la coopération internationale est cruciale, a-t-elle conclu, non sans se féliciter de l’aide apportée à son pays par la Banque mondiale.
Dialogue interactif
De nombreuses délégations ont profité de ce dialogue pour passer en revue les mesures adoptées à l’échelon national pour aider leur population à faire face à la pandémie. L’Argentine a indiqué s’être dotée de diverses mesures pour combattre les violences sexistes et domestiques, tandis que la République dominicaine a expliqué que des soins sont donnés en priorité aux femmes âgées et que des activités génératrices de revenus sont disponibles pour les femmes chefs de famille. En outre, une journée nationale est consacrée à l’augmentation du nombre de personnes couvertes par la sécurité sociale. Au Sénégal, c’est un programme de résilience économique et social fondé sur le renforcement du système de santé et de la population qui a été mis sur pied et le Gouvernement mise également sur la stabilisation du système économique et financier pour préserver l’emploi.
De son côté, la délégation des Philippines a souligné que les États ont besoin d’avoir accès à des informations en temps réels sur l’état de santé de leur population. Elle a notamment recommandé de faire figurer dans les bases de données des informations au sujet de l’augmentation des demandes en services sociaux, nouveaux partenariats public-privé, ou encore les paniers de vivres livrés aux familles vulnérables.
Face au creusement des inégalités entre les pays, les pays en développement vont devoir faire des choix difficiles: payer leur dette ou combattre la pandémie de COVID-19, a constaté à son tour Cuba qui a notamment fustigé les répercussions des mesures coercitives unilatérales sur la capacité des États à combattre la pandémie. L’ONG Haiti Cholera Research Funding Foundation s’est par ailleurs interrogée sur les moyens d’aider les femmes vulnérables et les foyers à faible revenu qui sont souvent exclus.
Quelles politiques adopter pour passer vers un système économique plus circulaire et éviter de créer des emplois précaires, a demandé la Congrégation de Saint Joseph, tandis que le Japon a voulu savoir comment conseiller les gouvernements dans l’établissement des priorités.
« Sélectionnez les projets qui changent le système! » a répondu la panéliste de l’Agence de coopération internationale du Japon a par ailleurs insisté sur l’importance de promouvoir l’économie locale et une économie du recyclage.
Le panéliste de la Commission européenne a insisté sur l’importance de la formation des jeunes face à une situation qui ne cesse d’évoluer. Les jeunes ne doivent pas simplement être à la recherche d’un emploi mais pouvoir les créer, a-t-il estimé.
De son côté, le panéliste de l’Institut danois de technologie a appelé à assurer la décentralisation jusqu’aux niveaux les plus bas du gouvernement. La collaboration à tous les échelons de la société est également fondamentale, de même de l’innovation sociale afin d’autonomiser le plus de gens possible.
Le Coordonnateur de l’Institut pour le développement durable est revenu sur le problème de la fracture numérique et a appelé les gouvernements à travailler avec les banques de développement et le secteur privé pour améliorer la connectivité en dehors des centres urbains. De même, la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour l’Afrique a relevé que le succès des politiques éducatives dépend désormais de la connectivité. L’accès à l’information et au savoir ne se limite plus à l’accès aux livres et aux enseignants et les décideurs doivent à présent tenir compte du réseau et des énergies renouvelables pour assurer l’intégration des bases externes de connaissances. Elle a en outre appelé les ministres de l’éducation de l’Afrique à tirer profit de l’arrivée massive des géants des TIC sur le continent pour générer du contenu.
Ce dialogue était modéré par M. PEDRO CONCEIÇÃO, Directeur du Bureau du Rapport sur le développement humain.
Dialogue interactif sur le thème prioritaire avec de hauts fonctionnaires du système des Nations Unies
Pour Mme ALICIA BÁRCENA IBARRA, Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), la pandémie est riche en enseignements pour la région, qui est une « région d’inégalités et de faible productivité ». La crise de la COVID-19 a révélé des brèches structurelles, notamment pour ce qui concerne l’inclusion numérique, a-t-elle souligné, faisant état de propositions concrètes avancées pour y remédier, à commencer par celle de « citoyenneté numérique ». Si le diagnostic est connu, avec des prestations très inégalement réparties, une étude menée par la CEPALC a fait apparaître que si les deux tiers de la population régionale ont accès à Internet via un dispositif mobile, 40 millions de ménages ne sont pas connectés. Autrement dit, a commenté Mme Bárcena Ibarra, « c’est une brèche immense ». L’inégalité numérique est telle que 75% des ménages les plus riches ont accès à Internet alors que le pourcentage est bien plus faible pour les familles les plus modestes. L’étude s’intéresse également à la proportion du revenu concernée par l’accès aux services de communication. Celle-ci s’élève à 27% pour le téléphone fixe et à 12% pour les appareils mobiles, a précisé la Secrétaire exécutive de la CEPALC.
Selon cette même étude, menée dans neuf pays de la région, ce sont les femmes, en particulier celles qui n’ont pas de revenus autonomes, qui sont les plus affectées, soit 40% des femmes d’Amérique latine et des Caraïbes. Un autre problème majeur concerne la vitesse et la capacité de connexion, a poursuivi Mme Bárcena Ibarra. En effet, a-t-elle relevé, une bonne partie de la population régionale ne dispose pas de la vitesse minimum pour les connexions. C’est ainsi que 32 millions d’enfants ne peuvent bénéficier de l’enseignement à distance à l’échelle de la région, a-t-elle déploré, avant de se prononcer pour la constitution d’un « panier numérique de services de base », dont le coût serait en moyenne de 1% du PIB régional, et la mise à disposition de connexions et d’ordinateurs portables à bas coût. L’enjeu est l’inclusion numérique, a-t-elle insisté, plaidant en outre pour un « revenu universel d’urgence » qui durerait six mois à un an et bénéficierait aux ménages à faibles revenus afin de les protéger de la pauvreté.
Mme ARMIDA SALSIAH ALISJAHBANA, Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP), a expliqué qu’en l’absence de sources de revenus alternatives, de systèmes formels de protection sociale ou d’épargne, 218 millions de travailleurs informels et leurs familles en Asie du Sud-Est et dans d’autres sous-régions sombreront encore plus dans la misère, ce qui signifie un retour en arrière de plusieurs décennies en termes de réduction de la pauvreté. En outre, environ 81 millions d’emplois dans la région Asie-Pacifique ont été perdus en 2020, et les fortes réductions du temps de travail ont poussé des millions de personnes dans la pauvreté malgré le fait qu’elles aient un travail, selon des données récentes de l’OIT. La pandémie a également creusé les inégalités en matière de connectivité numérique et de services numériques.
Mme Alisjahbana a constaté que les plateformes modernes de technologies de l’information et des communications (TIC), les bases de données en ligne unifiées et les technologies de téléphonie mobile améliorent la conception et la mise en œuvre de régimes de protection sociale. Ces outils peuvent être utilisés pour mieux comprendre et identifier les besoins des personnes, appuyer l’accessibilité et la prestation, et renforcer la confiance dans le système. La technologie a également contribué à endiguer la propagation du virus, à soutenir la vie quotidienne et la continuité des activités, à garantir l’accès aux informations et aux services et à maintenir les gens connectés. L’intelligence artificielle et d’autres technologies numériques, si elles sont sagement exploitées, peuvent donc changer notre façon de vivre et de travailler en mieux, et aider à sortir de la pauvreté le milliard de personnes de la région qui vivent avec des revenus inférieurs à 3,20 dollars par jour, a souligné l’intervenante. Elle a cependant aussi mis en garde contre les risques potentiels associés aux technologies numériques comme les atteintes à la vie privée, les abus et le harcèlement mais surtout les inégalités en termes d’accès entre milieu urbain et rural et entre les genres.
La CESAP, a-t-elle poursuivi, a appelé à se concentrer sur la maximisation des opportunités grâce à de solides partenariats entre les secteurs public et privé, ce dernier étant à l’origine de nombreuses innovations qui bénéficient de cadres réglementaires favorables et inclusifs. L’engagement politique, le contexte socioéconomique et l’approche multiacteurs sont des moteurs clefs pour obtenir des résultats sociaux, économiques et environnementaux optimaux pour tous, a-t-elle fait valoir. D’autre part, il faut promouvoir l’inclusion écologiquement rationnelle des groupes défavorisés et marginalisés dans le monde numérique. Cela signifie étendre la portée et les avantages des technologies numériques à tous les individus et zones dans le besoin, a expliqué la haute fonctionnaire. Ceci est essentiel pour favoriser une transition socialement juste vers le développement durable. Pour y arriver, il va falloir accroître les investissements dans l’éducation, en repensant les systèmes éducatifs pour mettre davantage l’accent sur la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STIM), a-t-elle souligné.
M. HOULIN ZHAO, Secrétaire général de l’Union internationale des télécommunications (UIT), a parlé de l’importance du numérique et des TIC au service du développement durable. Citant le cas de l’Asie-Pacifique, il a signalé que l’évolution des TIC y est très différente d’un pays à un autre, et que la fracture numérique entre ceux qui sont connectés et ceux qui ne le sont toujours pas a été accentuée par la pandémie. Pour remédier à cette situation, M. Zhao a appelé à appuyer les quatre « i », à commencer par les infrastructures pour permettre la connectivité de tous, suivi des investissements nécessaires pour développer ces infrastructures. Or à ce jour, ces investissements proviennent essentiellement du secteur privé, ce qui explique, selon lui, que la moitié de la population mondiale n’est toujours pas connectée car vivant dans des zones pauvres et éloignées où il n’y a pas de profits significatifs à faire. Le troisième « i » se rapporte à l’innovation, que ce soit l’innovation technologique ou celle qui s’avère nécessaire pour créer un nouveau cadre pour l’investissement dans les technologies numériques. Enfin, le dernier « i » est celui de l’inclusivité pour ne laisser personne pour compte.
Le panéliste a estimé que faire entièrement confiance au secteur privé n’est pas l’approche idéal pour sortir de la situation actuelle. Il a encouragé l’adoption d’une approche collective public-privé pour développer des stratégies nationales sur les TIC. M. Zhao a par ailleurs relevé qu’au sein d’un même pays, la fracture numérique ne signifie pas uniquement une disparité entre milieux urbains ou ruraux, mais aussi entre les genres et entre personnes aisées et plus pauvres. En ce moment, l’UIT travaille notamment avec la CESAP et la CEPALC pour appuyer l’accès des femmes aux TIC, a-t-il indiqué
Mme ANITA BHATIA, Directrice exécutive adjointe pour la gestion des ressources, la durabilité et les partenariats de l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes), a estimé que la révolution numérique représente l’une des plus grandes opportunités de parvenir à l’égalité des sexes et de renforcer l’autonomisation économique et la résilience des femmes. Elle s’est toutefois déclarée préoccupée par les inégalités fondées sur le sexe en ce qui concerne l’accès et l’utilisation d’Internet et des plateformes en ligne. Par exemple, les femmes qui tentent de bénéficier de la finance numérique se heurtent à divers obstacles en termes d’infrastructure, de coût, de lois, d’éducation et de normes sociales, a-t-elle constaté, évoquant un écart entre les sexes qui se creuse dans le monde, et tout particulièrement dans les pays les moins avancés où il atteint 31%.
Pour la Directrice exécutive adjointe d’ONU-Femmes, la pandémie aggrave cette situation. Alors que les cas de cyberviolence, d’intrusion dans la vie privée et de sécurité se multiplient, les femmes et les filles sont plus exposées aux formes de violence en ligne. Aux États-Unis, a-t-elle précisé, 2 jeunes femmes sur 10, âgées de 18 à 29 ans, ont été victimes de harcèlement sexuel en ligne et 1 sur 2 affirme avoir reçu des images explicites injustifiées. De même, au sein de l’Union européenne, 1 femme sur 10 déclare avoir été victime de cyberharcèlement depuis l’âge de 15 ans, tandis qu’au Pakistan, une étude a révélé que 40% des femmes avaient été victimes de diverses formes de harcèlement sur Internet. La pandémie a accéléré la prise de conscience et les actions entreprises pour prévenir cette violence en ligne et augmenter l’accessibilité des services pour celles qui en souffrent. Un examen mondial d’ONU-Femmes et du PNUD a ainsi identifié que sur 992 mesures sensibles au genre prises par 164 pays en réponse à la COVID-19, plus de 70% visaient à lutter contre la violence à l’encontre des femmes, en ligne et hors ligne. De l’avis de Mme Bhatia, il s’agit d’un « pas en avant positif » pour contrer cette « pandémie de l’ombre ».
Elle a par ailleurs indiqué que les bureaux d’ONU-Femmes dans le monde se sont associés à des entreprises technologiques telles que Google, Twitter et Facebook pour fournir des informations sur les services d’assistance téléphonique destinés aux victimes de violence domestique. Google, a-t-elle ajouté, a collaboré sur cette question avec la section principale d’ONU-Femmes via son centre d’information sur la COVID-19 aux États-Unis et doit l’étendre à d’autres langues et pays. Dans la région Asie-Pacifique, où 2 femmes sur 3 disent avoir subi des violences avant même le début des confinements, un partenariat avec Twitter fournit des numéros d’assistance pour un soutien accéléré. ONU-Femmes, a poursuivi Mme Bhatia, met également en œuvre des initiatives innovantes pour réduire la fracture numérique entre les sexes et tirer parti des technologies numériques pour l’autonomisation économique des femmes, notamment la Generation Equality Action Coalition on Technology and Innovation.
M. GERARD QUINN, Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, a lui aussi constaté que la pandémie de COVID-19 a mis à nu les fragilités et les désavantages auxquels beaucoup sont confrontés et a appelé à bâtir un avenir beaucoup plus résilient et inclusif. « Alors que nous commençons à reconstruire, nous sommes à un moment clef de l’histoire de l’humanité marqué par le début d’une nouvelle révolution technologique qui rend le changement systémique possible pour la première fois depuis longtemps », a-t-il déclaré. Il a appelé à exploiter toutes les opportunités qu’offre cette « révolution » afin de mettre les nouvelles technologies au service des personnes âgées et des personnes handicapées.
Par ailleurs, M. Quinn s’est préoccupé du danger que représente pour nos acquis sociaux l’émergence de « grands intermédiaires », comme de grandes plateformes en ligne, qui pourraient saper le rôle de l’État et privatiser l’aide sociale. Il a appelé à veiller à une application rigoureuse du droit de la concurrence pour empêcher les nouvelles plateformes de gagner trop de contrôle et de pouvoir sur l’offre de soutien. Il faut, a-t-il insisté, préserver la priorité du « profit social ». La durabilité signifie également de ne plus générer d’emplois précaires et d’être attentif aux carrières informelles des personnes handicapées et des personnes âgées.
M. Quinn s’est également inquiété de l’avènement de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique qui sont en train de redéfinir les termes de la coexistence humaine, créant des systèmes où ceux qui consomment moins ou différemment seront traités autrement. La durabilité appelle à résister au déterminisme grossier de l’intelligence artificielle qui réduit l’humanité à des chiffres et à purger l’apprentissage machine des présomptions discriminatoires concernant les capacités ou l’âge, a-t-il dit.
Le panéliste a par ailleurs attiré l’attention sur la nécessité d’ajuster les politiques d’achat de l’ONU en établissant des normes minimales d’accessibilité aux technologies de l’information.
Dialogue interactif
Constatant que la question du numérique est au cœur de notre nouvelle normalité, le Mexique a rappelé l’impératif fixé l’an dernier, par le Secrétaire général de l’ONU, de parvenir à la connexion universelle d’ici à 2030. Le Secrétaire général de l’UIT a toutefois concédé que cette échéance lui semble improbable compte tenu de la tendance actuelle à la décélération des progrès dans ce domaine. Il reste cependant optimiste que cet objectif est à portée de main à condition d’encourager les initiatives et les investissements dans le secteur des TIC, et notamment dans le haut débit. « Si la Chine a réussi ce pari, le reste du monde peut y arriver aussi », s’est-il exclamé. Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées a estimé, à cet égard, qu’il faut envisager de nouveaux outils, notamment des politiques de marchés publics, pour ouvrir de nouveaux espaces de connectivité. Pour sa part, la Secrétaire exécutive de la CELAC a appelé à renforcer la coopération, tant sur le plan régional que sous-régional, pour améliorer l’accès numérique à travers des partenariats public-privé.
C’est d’autant plus urgent que si l’on ne parvient pas à réduire le fossé numérique entre le Nord et le Sud, entre milieu rural et urbain ou encore entre hommes et femmes, ce sont les différences sociales qui se creuseront, a mis en garde le Mexique qui s’est d’ailleurs doté d’une stratégie visant à faciliter l’accès au numérique des groupes les plus vulnérables dont ONU-Femmes a reconnu les mérites.
La Chine s’est elle aussi préoccupée du fossé numérique et a fait état des progrès considérables concernant le nombre de Chinois vivant en milieu rural qui sont désormais connectés et l’impact que cela a eu sur leur accès aux marchés. À l’heure actuelle, 85% des adultes en Chine utilisent des moyens de paiement en ligne ce qui a poussé les ventes en ligne à la hausse et désenclavé le milieu rural.
L’Argentine a examiné le fossé numérique sous l’angle de l’intersectionnalité et a voulu savoir comment mieux inclure les groupes vulnérables et marginalisés comme les femmes, les enfants et les personnes LGBTI. « Le maître mot est innovation avec inclusion », a réagi le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées qui a indiqué qu’une loi sur l’intersectionnalité avait été adoptée il y a deux ans en Europe, et que la Convention relative aux droits des personnes handicapées contient des dispositions relatives à leur accès aux TIC. Lorsqu’on parle d’inclusivité, il y a lieu de garantir aux 15% de la population mondiale qui vivent avec un handicap de pouvoir accéder aux technologies numériques et aux possibilités qu’elles offrent, a renchérit le Secrétaire général de l’UIT.
Certes, mais il faut aussi veiller à une bonne gouvernance numérique axée sur l’être humain, a estimé la Chine qui a expliqué que pour y arriver, elle s’était dotée d’une politique sur la sécurité des données. Elle a espéré que l’ONU sera le forum pour débattre des règles à appliquer dans ce domaine.
La Directrice exécutive adjointe d’ONU-Femmes a abordé la question de la fracture numérique sous l’angle de l’inégalité entre les sexes. Elle a rappelé que les femmes ont été plus nombreuses à perdre leur emploi pendant la pandémie et qu’elles risquaient de moins revenir sur le marché du travail par la suite. Cela s’explique en partie par la nouvelle nature du travail qui requiert souvent l’accès au numérique pour le télétravail. Dès lors, ce chômage féminin risque de perdurer, ce qui est préoccupant pour le développement social, a-t-elle averti. Pourtant, a souligné la Secrétaire exécutive de la CELAC, il faut protéger les emplois qui ne peuvent pas être numérisés comme la prise en charge des personnes âgées et des enfants, et rémunérer les femmes qui les occupent. Elle a également appelé à imposer les grandes multinationales du numérique pour contribuer aux investissements nécessaires à la réduction du fossé numérique.
De son côté, Cuba a voulu connaître l’impact des mesures coercitives unilatérales sur l’accès des pays en développement aux TIC. En étant victime depuis 60 ans, Cuba est d’avis que c’est là son principal obstacle à cet égard.