La discrimination raciale à l’heure de la COVID-19 et le recours croissant aux « cybermercenaires » mobilisent l’attention de la Troisième Commission
La Troisième Commission chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles a poursuivi ce matin ses dialogues avec des titulaires de mandats traitant du racisme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ces échanges ont permis d’aborder la montée de la discrimination raciale dans le contexte de la pandémie ainsi que l’impact croissant sur les droits humains des mercenaires et des sociétés militaires et de sécurité privée qui se livrent à des activités cybernétiques.
Première intervenante de cette séance, la Présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a attiré l’attention de la Commission sur la discrimination des personnes d’ascendance africaine et asiatique, des peuples autochtones et d’autres minorités pendant la période pandémique. Ces groupes ont « payé le prix le plus élevé » de cette crise, qui a eu pour effet d’entraver leur accès aux soins médicaux, à l’emploi, au logement et à l’éducation, a souligné Mme Yanduan Li, ajoutant que, « loin de s’améliorer, la situation s’aggrave ». Certains membres de ces groupes sont en effet victimes de stigmatisation ou transformés en « boucs émissaires », ce qui accroît les actes discriminatoires, y compris la violence, à leur encontre.
La Présidente du Comité a également mis l’accent sur la montée des discours de haine racistes et des crimes de haine dans certains pays, des phénomènes qu’Internet et les médias sociaux tendent à intensifier. Regrettant que les États restent « mal équipés » pour y répondre, tant sur le plan législatif que sur celui des mécanismes de lutte, Mme Li a aussi constaté une progression du « profilage racial » par les forces de l’ordre.
Elle a, par conséquent, appelé les États à interdire cette pratique, à veiller au suivi des plaintes et à former leurs policiers en tenant compte de la Recommandation générale n°36 du Comité, laquelle met en garde contre l’utilisation de l’intelligence artificielle aux fins de profilage racial.
La Commission a ensuite dialogué avec la Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui a attiré l’attention sur l’impact, sur les droits humains, des activités cybernétiques des mercenaires, des acteurs liés aux mercenaires et des sociétés militaires et de sécurité privée.
Observant que le cyberespace représente de plus en plus une « arène géostratégique majeure », Mme Jelena Aparac a relevé que des acteurs privés sont engagés par des États et des acteurs non étatiques, que ce soit pour mener des opérations offensives ou défensives, protéger leurs propres réseaux et infrastructures, ou pour mener des cyberopérations visant à affaiblir leur adversaire.
Notant que les cyberopérations peuvent porter atteinte de manière significative aux droits humains, Mme Aparac a recommandé la création d’un cadre international pour réglementer les sociétés militaires et de sécurité privée, y compris lorsqu’elles fournissent des cyberservices et opèrent dans le contexte de la guerre de l’information. Elle a aussi jugé nécessaire d’élaborer un instrument juridiquement contraignant régissant le cyberespace.
Le dialogue avec les délégations a vu l’Union européenne s’inquiéter de l’élargissement du mandat du Groupe de travail, normalement chargé de traiter de la question des mercenaires sur la base de la définition « claire et universelle » prévue par le droit humanitaire international. Une position partagée par la Fédération de Russie, selon laquelle le rapport de Mme Aparac fait converger « de manière arbitraire » le phénomène du mercenariat et la question de l’utilisation malveillante des TIC, non couverte par le mandat du Groupe de travail.
La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, vendredi 29 octobre, en dialoguant à partir de 10 heures avec le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et la Présidente du Conseil des droits de l’homme.
ÉLIMINATION DU RACISME, DE LA DISCRIMINATION RACIALE, DE LA XÉNOPHOBIE ET DE L’INTOLÉRANCE QUI Y EST ASSOCIÉE
Exposé
Mme YANDUAN LI, Présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, a tout d’abord indiqué que, bien qu’affecté par la pandémie de COVID-19 qui l’a contraint à adapter ses méthodes de travail, son organe n’a ménagé aucun effort pour s’engager auprès des États en vue de les soutenir dans la promotion de l’égalité pour tous. Elle a ensuite attiré l’attention de la Commission sur la discrimination des personnes d’ascendance africaine et asiatique, des peuples autochtones et d’autres minorités dans le contexte de la pandémie. Tout au long de la période considérée, ces groupes ont « payé le prix le plus élevé » de cette crise, qui a eu pour effet d’entraver leur accès aux soins médicaux, à l’emploi, au logement et à l’éducation, a-t-elle souligné, ajoutant que, loin de s’améliorer, la situation s’aggrave. Certains membres de ces groupes sont en effet victimes de stigmatisation ou transformés en boucs émissaires, ce qui accroît les actes discriminatoires, y compris la violence, à leur encontre. Alors que la COVID-19 reste une crise sanitaire très grave et un « défi pour les droits humains », Mme Li a appelé les États à continuer à prendre des mesures adéquates pour atténuer l’impact de la pandémie sur les individus et les groupes victimes de discrimination et d’inégalités structurelles.
La Présidente du Comité a également mis l’accent sur la persistance et la montée du discours de haine raciste et des crimes de haine dans certains pays. Les minorités ethniques, les personnes d’origine africaine et asiatique, les peuples autochtones, les migrants, les réfugiés restent les principales victimes, tandis qu’Internet et les médias sociaux continuent d’être le « principal vecteur » de ces deux phénomènes, a-t-elle relevé, avant de déplorer que les États soient toujours « mal équipés », tant sur le plan législatif que sur celui des mécanismes de lutte appropriés. Autre constat: la progression du « profilage racial » par les forces de l’ordre, qui demeure un problème persistant vécu par de nombreuses personnes en raison de leur origine ethnique, ascendance, couleur de peau ou origine nationale. Mme Li a donc encouragé les États à interdire cette pratique et à veiller à ce que toutes les plaintes soient facilitées, enregistrées et suivies. Elle les a en outre appelés à former leurs policiers en tenant compte de la Recommandation générale n°36 du Comité sur la prévention et la lutte contre le profilage racial par les agents des forces de l’ordre. Ce texte, a-t-elle détaillé, recommande aux États de prendre des mesures concernant, en particulier, les mesures législatives et politiques, l’éducation et la formation, l’action communautaire, les données désagrégées, la responsabilisation et l’intelligence artificielle.
Mme Li a enfin souhaité que l’examen en cours du renforcement du système des organes conventionnels débouche sur un financement adéquat des comités par le budget ordinaire de l’ONU afin de leur permettre de travailler de manière plus prévisible. Sur ce point, elle a invité la Troisième Commission à rechercher des solutions en coordination avec la Cinquième Commission chargée des questions budgétaires.
Dialogue interactif
Intervenant à l’issue de l’exposé, le Mexique a voulu connaître les meilleures pratiques identifiées en termes de prévention du profilage racial dans les plans et programmes d’intervention et de rétablissement en réponse à COVID-19. Dans ce contexte, comment mieux protéger les personnes appartenant à des minorités et les personnes, notamment les populations autochtones, exposées à des formes multiples et croisées de discrimination de l’impact négatif de la pandémie, a ajouté l’Union européenne.
Les États-Unis se sont intéressés aux méthodologies et processus qui se sont avérés performant pour éliminer la discrimination raciale, tandis que l’Allemagne a voulu connaître des exemples de bonnes pratiques sur la manière de protéger les individus et groupes contre les discours de haine raciste tout en promouvant la liberté d’expression et d’opinion. Il est important de s’attaquer aux défis émergents, a estimé à son tour l’Italie qui a relevé les nouvelles technologies numériques exposent les personnes vulnérables à des risques supplémentaires. La France a, quant à elle, fait savoir que son approche en matière de lutte contre le racisme repose sur le respect de la dignité intrinsèque de tous les êtres humains, sans distinction et sans hiérarchisation entre les discriminations, qui sont toutes aussi inacceptables.
À son tour, la Fédération de Russie a souhaité connaître le point de vue du Comité au sujet de l’augmentation du nombre de communications transmises pour porter plainte contre des États parties à la Convention, s’interrogeant en outre sur l’efficacité du processus prévu par l’article 11 de la Convention. La Chine a salué, pour sa part, l’adoption des déclarations du Comité sur la COVID-19, notamment sur la montée des discriminations raciales à l’égard personnes d’ascendance asiatiques, tandis que Fidji a appelé à combler l’écart vaccinal entre le nord et le sud pour « nous préserver contre toute pandémie future ».
Prenant la parole à son tour, la République islamique d’Iran a pointé du doigt « certains régimes » qui se présentent comme des champions des droits humains et imposent des mesures unilatérales coercitives pendant la pandémie, privant des centaines de millions de personnes, y compris les Iraniens, de la jouissance de leurs droits. L’Algérie a de son côté accusé le Maroc d’avoir comme seul objectif de dévier l’attention de la Commission du « véritable problème » qui est celui de la colonisation du Sahara occidental.
En réponse aux questions et commentaires des délégations, la Présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination, a d’emblée exhorté les États parties à faire preuve de volonté politique, les engageant notamment à prendre des mesures aux plans législatif, juridique, social, économique et autres pour améliorer la situation actuelle en matière de discrimination raciale.
En effet, a-t-elle déploré, la pandémie n’a fait qu’accentuer la réalité terrible des discriminations à l’égard des populations vulnérables qui sont généralement aux premières lignes de lutte contre la pandémie et en même temps affectées par celle-ci de manière disproportionnée. À cet égard, elle a rappelé la déclaration adoptée par le Comité dans laquelle il est rappelé aux États parties leurs obligations, notamment en matière d’accès aux vaccins. Face à l’augmentation des violences et discriminations à l’égard des personnes asiatiques et à la prolifération des discours de haine et racistes, le Comité a également publié une déclaration qui rappelle l’obligation des États parties à prévenir toute forme de stigmatisation. Ces différentes déclarations doivent servir de lignes directrices pour les États parties, a-t-elle estimé.
Mme Li est également revenue sur l’adoption de la Recommandation générale n°36 du Comité sur la prévention et la lutte contre le profilage racial par les agents des forces de l’ordre. Ce texte, a-t-elle détaillé, recommande aux États de prendre des mesures législative et politique, de renforcer l’éducation et de la formation, et d’appuyer l’action communautaire, entre autres.
Exposé
Mme JELENA APARAC, Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a présenté le rapport thématique du Groupe de travail qui examine l’impact sur les droits humains des activités cybernétiques des mercenaires, des acteurs liés aux mercenaires et des sociétés militaires et de sécurité privées. Elle a rappelé que le rapport présenté l’année dernière avait identifié les « cybermercenaires » comme une catégorie contemporaine d’acteurs engagés dans des activités liées au mercenariat. Alors que le cyberespace est en train de devenir une arène géostratégique majeure, des acteurs étatiques et non étatiques, ainsi que diverses entités privées, mobilisent et exploitent les cybercapacités dans la poursuite d’objectifs ou d’intérêts « par procuration », a-t-elle indiqué. Des acteurs privés sont engagés par des États et des acteurs non étatiques, que ce soit pour mener des opérations offensives ou défensives, protéger leurs propres réseaux et infrastructures, ou pour mener des cyberopérations visant à affaiblir leur adversaire, a expliqué la Présidente-Rapporteuse, notant que ces cyberattaques peuvent causer des dommages à distance et dans diverses juridictions. En outre, le marché des cybercapacités offensives est en plein essor et est soumis à peu de réglementation, ce qui offre la possibilité de réaliser des profits importants.
C’est dans ce contexte que le Groupe de travail a examiné une variété d’acteurs et de manifestations passibles de générer des activités liées au mercenariat dans le cyberespace. Parmi les catégories de cyberacteurs concernés, il a notamment identifié des cyberunités ou des cybercommandements intégrés aux forces armées officielles; des acteurs extérieurs aux forces armées officielles; des entités commerciales; des groupes de menaces persistantes avancées; des cybermilices et des cybercriminels.
Mme Aparac a également indiqué que les États dissimulent sciemment ou par omission leur participation à des cyberopérations malveillantes, cherchant à acquérir une influence stratégique en se soustrayant à leurs responsabilités en vertu du droit international, y compris pour les violations et les abus commis par des acteurs non étatiques recrutés à cette fin. Néanmoins, a-t-elle averti, le fait de recruter des acteurs privés pour fournir des services militaires et de sécurité dans le cyberespace ne dispense pas les États de leurs obligations en vertu du droit international, d’autant plus que les cyber-opérations peuvent porter atteinte de manière significative aux droits humains, que ce soit le droit à la vie, les droits économiques et sociaux, la liberté d’expression, la vie privée et le droit à l’autodétermination. En outre, les femmes, les défenseurs des droits humains, les migrants, les dirigeants de l’opposition, les journalistes, les personnes LGBTI et les personnes non-conformes au genre sont affectés de manière différenciée par ces activités.
En vue de prévenir et d’atténuer les impacts négatifs sur les droits humains, la Présidente du Groupe de travail a appelé les États à s’abstenir de recruter, d’utiliser, de financer et de former des cybermercenaires. De telles activités devraient être interdites par la législation nationale, a-t-elle estimé. Elle a également recommandé la création d’un cadre international pour réglementer les sociétés militaires et de sécurité privée, y compris lorsqu’elles fournissent des cyberservices et opèrent dans le contexte de la guerre de l’information. Elle a aussi jugé nécessaire d’élaborer un instrument juridiquement contraignant régissant le cyberespace.
Dialogue interactif
Dans un premier temps, l’Union Européenne s’est inquiétée de la confusion et du manque de clarté causés par l’élargissement du mandat du Groupe de travail pour y inclure les entreprises privées de sécurité et de défense. Ce Groupe de travail est mandaté pour travailler sur les questions des mercenaires qui ont une définition claire et universelle en vertu du droit humanitaire international, a souligné la délégation. Le rapport fait converger de manière arbitraire le phénomène du mercenariat et la question de l’utilisation malveillante des Technologies de l’information et des communications (TIC), non couverte par le mandat du Groupe de Travail, a également regretté la Fédération de Russie. Pour la délégation, le rapport ne dresse donc pas un tableau tout à fait correct car ses auteurs partent de la présomption que le droit humanitaire international s’applique aux TIC.
Cuba s’est demandé ce que pensait le Groupe de travail de l’évolution de l’interdiction de mercenaires au niveau international, se disant préoccupé par l’utilisation de mercenaires par les États-Unis dans les pays du Sud.
Le Venezuela a lui aussi dénoncé l’utilisation de mercenaires étrangers financés par la Colombie et les États-Unis pour déstabiliser des gouvernements légitimes et violer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Un instrument international pourrait-il s’avérer utile pour réglementer la lutte contre ces entreprises criminelles? Les accusations du Venezuela ont été rejetées catégoriquement par la Colombie qui a souligné que le gouvernement colombien n’était pas complice des actions des mercenaires colombiens.
Quel type de mécanisme existe-t-il pour lutter contre l’utilisation de mercenaires et comment renforcer la coopération du Groupe de travail sur ces activités illicites, a voulu savoir l’Arménie qui a dénoncé l’utilisation de mercenaires étrangers dans la région du Haut-Karabakh.
L’utilisation de mercenaires est incarnée par le Front POLISARIO qui est soutenu par l’Algérie dans ses efforts visant à menacer l’intégrité territoriale de notre pays, a accusé le Maroc, suite à quoi l’Algérie a souligné que le Front POLISARIO était reconnu comme représentant légitime du peuple sahraoui, notamment par le Conseil de Sécurité, rejetant par ailleurs toutes les autres accusations du Maroc, « pays prédateur et colonisateur ».
Reprenant la parole, la Présidente du Groupe de travail a rappelé que son mandat consiste à suivre les répercussions sur les droits humains des activités des mercenaires, acteurs apparentés et entreprises de services de sécurité et de défense. Revenant sur les préoccupations soulevées au sujet du cyberespace, elle a exhorté les États à créer des normes juridiques appropriées et à adopter des gardes fous nationaux pour protéger les individus contre la surveillance illégale. Les États doivent s’assurer que toute coopération dans le cadre de leur juridiction respecte les normes des droits humains, a-t-elle souligné.
Mme Aparac a indiqué que les informations concernant les liens entre les entreprises et clients sont limitées, étant donné leur nature opaque. Pour s’attaquer à cette question, il faut une plus grande transparence sur les pratiques commerciales, a-t-elle appuyé, appelant les gouvernements à rendre leurs achats plus transparents. La Présidente a également appelé les États à s’assurer qu’un contrôle indépendant soit mis en place concernant le piratage et les interceptions. Il faut également impliquer le secteur judiciaire lors de l’élaboration des mesures pouvant exercer une influence sur le droit à la vie privée des citoyens. De même, les États doivent assurer à la société civile un rôle fondamentale pour lutter contre les préjudices causés par les cyber-opérations, a-t-elle ajouté.
Enfin, la Présidente a remercié les États (Cote d’Ivoire, Bosnie-Herzégovine) ayant répondu favorablement aux demandes de visite du Groupe de travail et a rappelé aux États qui n’ont pas encore répondu d’envisager de le recevoir.