La Troisième Commission examine les problématiques de la pauvreté, l’accès à l’eau, et la pollution par le plastique dans une perspective post-pandémie
La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a examiné aujourd’hui tout un éventail de questions allant de la transmission de la pauvreté à la santé reproductive en passant par la marchandisation de l’eau à la pollution par le plastique en accordant une attention particulière à leur impact sur les droits humains.
Il s’est agi également, au cours de cette séance virtuelle, de mener une réflexion, dans le cadre d’une série de dialogues interactifs entre les États Membres et les titulaires de mandat, sur les moyens de réduire les inégalités socioéconomiques accentuées par la crise de la COVID-19.
Dans un premier temps le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a attiré l’attention sur la transmission de la pauvreté d’une génération à une autre, indiquant que dans de nombreux pays il faut parfois jusqu’à neuf générations pour surmonter les écarts de revenus, citant le cas du Brésil, de la Colombie ou encore de l’Afrique du Sud. Selon M. Olivier De Schutter, les enfants nés dans des familles pauvres voient leurs chances dans la vie considérablement réduites en raison notamment de leur manque d’accès à l’éducation, et auront moins de possibilités d’emploi à l’âge adulte.
Mais est-ce pour autant un point de non-retour ? Non, a répondu M. De Schutter qui s’est employé à déconstruire « trois idées fausses » qui ont retardé, selon lui, l’adoption de mesures plus sérieuses pour contrer le phénomène. Parmi ces idées reçues, les notions de « stress chronique » de la pauvreté ou encore le « manque de moyens » pour lutter efficacement contre la pauvreté des enfants. Face à ces « fausses croyances », il propose d’offrir une seconde chance à ces enfants nés dans la pauvreté en promouvant une éducation véritablement inclusive. Car, a-t-il averti, rester passif face à la pauvreté extrême, n’est pas seulement moralement inadmissible, mais impose également des coûts énormes à la société. Aux États-Unis, a-t-il notamment indiqué, la pauvreté des enfants coûte plus de 1 000 milliards de dollars par an, soit 5,4% du PIB, mais pour chaque dollar investi dans sa réduction, 7 dollars seraient épargnés.
La problématique de la pauvreté était également très présente dans l’exposé du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement qui s’est particulièrement intéressé à l’impact de la marchandisation et de la financiarisation de l’eau sur les droits à l’eau potable et à l’assainissement. M. Pedro Arrojo-Agudo a notamment décrié le fait que l’eau est à présent négociée sur les marchés à termes de Wall Street, alertant que si la dynamique spéculative devait avoir un impact sur le prix de cette ressource, ses conséquences seraient désastreuses sur les plus démunis, au risque de les plonger dans l’extrême pauvreté comme ce fut le cas pendant la crise de 2008.
M. Arrojo-Agudo a également estimé que le principal défi après l’épreuve de la pandémie sera de définir les priorités et décider si une partie des fonds publics post-pandémie sera allouée au renforcement des systèmes de santé publique, y compris l’eau et l’assainissement en tant que vecteurs clefs de santé publique.
La question environnementale est largement revenue dans l’exposé du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement qui s’est intéressé aux implications de la dégradation massive de l’environnement infligée par la production alimentaire industrielle.
Soulignant que les systèmes alimentaires actuels sont les principaux moteurs de la crise environnementale mondiale, M. David Boyd a appelé à privilégier l’agroécologie et a invité les États à rediriger des centaines de milliards de dollars en subventions destructrices pour l’environnement vers des pratiques qui soutiennent et restaurent la nature. De toute évidence, des changements transformateurs sont nécessaires pour nourrir 8 milliards de personnes avec une alimentation saine et durable et atteindre les objectifs de développement durable d’ici à 2030, a-t-il indiqué.
M. Boyd a également exhorté l’Assemblée générale à suivre l’exemple du Conseil des droits de l’homme en adoptant une résolution reconnaissant le droit humain à un environnement propre, sain et durable.
Une autre menace majeure pour les droits humains et l’environnement est la crise mondiale du plastique, a alerté, pour sa part le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux qui a signalé qu’au rythme actuel de production, les scientifiques estiment qu’il y aura plus de plastique que de poissons dans les océans d’ici à 2050.
Selon M. Marcos Orellana, le seul moyen de répondre à la crise mondiale du plastique est d’opérer une transition vers une économie circulaire économiquement saine guidée par les principes relatifs aux droits humains. Il a également appelé à éviter les solutions fausses ou trompeuses, relevant notamment qu’à peine 9% des déchets plastiques sont recyclés. Convaincu que cette crise peut être surmontée, il a exhorté les Gouvernements à négocier un instrument international juridiquement contraignant qui traite de l’ensemble du cycle du plastique.
La Troisième Commission a également entendu la Rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible qui a indiqué que la pandémie a contribué à saper la réalisation des droits en matière de santé sexuelle et reproductive. Les mesures liées à la pandémie ont gravement affecté l’approvisionnement en produits essentiels et en contraceptifs exposant les femmes et les filles à des risques directs et indirects accrus de grossesse non désirée, a fait savoir Mme Tlaleng Mofokeng. Citant les estimations du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), elle a précisé que 12 millions de femmes ont perdu l’accès à la contraception, entraînant 1,4 million de grossesses non désirées.
La Troisième Commission reprendra son dialogue avec des titulaires de mandat demain, jeudi 21 octobre, à partir de 10 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS
Exposé
M. OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, a axé son intervention sur la perpétuation de la pauvreté, à savoir sa transmission d’une génération à l’autre. Il a indiqué que les enfants nés dans des familles défavorisées sont les plus susceptibles de vivre dans la pauvreté lorsqu’ils grandissent. Aux États-Unis, a fait remarquer M. de Shutter, les enfants qui ont connu la pauvreté à un moment quelconque de leur enfance ont trois fois plus de chances d’être pauvres à l’âge de 30 ans que ceux qui ne l’ont jamais été. Dans les pays nordiques, il faudrait au moins quatre générations pour que les personnes nées dans des ménages à faibles revenus atteignent le revenu moyen de la société. Et dans certains pays comme le Brésil, la Colombie ou encore l’Afrique du Sud, il faudrait jusqu’à neuf générations, voire davantage.
Il a expliqué que les enfants nés dans des familles pauvres ont moins accès aux soins de santé, à un logement décent et à une éducation de qualité. Ils ont un accès plus limité aux réseaux de soutien social et aux activités extrascolaires. En conséquence, leurs chances dans la vie sont considérablement réduites: à l’âge adulte, ils auront moins de possibilités d’emploi.
Le Rapporteur spécial a ensuite déclaré que trois grandes idées fausses ont retardé l’adoption de mesures plus sérieuses pour contrer le phénomène. La première fausse croyance est que les enfants élevés dans des familles à faible revenu subissent un désavantage qui ne peut être surmonté, en raison des impacts à vie, notamment sur le développement du cerveau de l’enfant. En réalité, a-t-il estimé, même si le stress de la pauvreté dans le ménage peut avoir de graves répercussions sur l’enfant, celles-ci ne sont pas inévitables et peuvent être inversées. Des pédiatres ont d’ailleurs démontré que des programmes qui appuient l’engagement parental et la santé relationnelle peuvent efficacement atténuer le stress chronique de la pauvreté.
Selon M. de Shutter, une autre fausse vérité consiste à penser que l’inégalité doit être tolérée, du moins jusqu’à un certain point, parce qu’elle inciterait à travailler plus. En fait, a-t-il expliqué, l’inégalité signifie moins de mobilité sociale: c’est ce que les économistes appellent la courbe de « Gatsby le Magnifique ». L’inégalité renforce les avantages et les désavantages pendant des décennies, ce qui décourage les ménages d’investir dans l’éducation et crée un « fossé des aspirations »: plus les inégalités persistent, moins les enfants nés dans des ménages défavorisés oseront même imaginer un avenir différent de celui de leurs parents.
Enfin, la troisième fausse croyance, selon le Rapporteur spécial, est qu’il n’y a pas assez d’argent pour lutter efficacement contre la pauvreté des enfants. En fait, a-t-il signalé, demeurer passif n’est pas seulement moralement inadmissible, mais impose également des coûts énormes à la société. Aux États-Unis, la pauvreté des enfants coûte plus de 1 000 milliards de dollars par an, soit 5,4% du PIB, mais pour chaque dollar investi dans sa réduction, 7 dollars seraient épargnés.
M. de Schutter a ensuite indiqué que son rapport propose d’offrir aux enfants élevés dans la pauvreté une seconde chance en augmentant les investissements dans l’éducation et l’accueil des jeunes enfants, mais aussi une troisième chance en promouvant une éducation véritablement inclusive. Il a notamment évoqué les coûts cachés de l’enseignement gratuit, que ce soit en termes de frais de transport ou de fournitures scolaires, dont le montant parfois prohibitif peut empêcher les parents d’envoyer leurs enfants à l’école. Même lorsque les enfants sont inscrits dans l’enseignement formel, d’autres obstacles les empêchent d’apprendre efficacement, à tel point que parfois l’école est perçue comme un espace d’échec pour de nombreux enfants issus de milieux défavorisés.
Une éducation véritablement inclusive, a-t-il estimé, est une éducation dans laquelle les écoles n’enregistrent pas l’échec et les inégalités héritées, mais aident plutôt les enfants à découvrir leurs talents et leurs capacités, permettant ainsi de remettre en question les stéréotypes sur les pauvres et la discrimination associée dont ils sont souvent victimes. À New Delhi, a-t-il fait savoir, lorsque les écoles d’élite ont été tenues de réserver 20% des places aux enfants de familles plus pauvres, les préjugés à l’encontre de ces derniers ont diminué.
Le rapport propose aussi de donner aux enfants élevés dans la pauvreté une quatrième chance lorsqu’ils entrent dans la vie adulte, à travers une garantie de revenu de base accordée aux jeunes adultes entre 18 et 25 ans. Cette mesure pourrait être facilement financée, selon lui, par une augmentation des droits de succession - en tenant compte du fait que les inégalités de richesse sont encore plus prononcées dans la plupart des pays que les inégalités de revenu.
Il faut s’attaquer au « paupérisme » avec la même énergie que celle déployée pour combattre le racisme ou le sexisme, a plaidé M. de Schutter. En investissant dans l’éducation et l’accueil de la petite enfance, en veillant à ce que les écoles soient réellement inclusives et en soutenant les jeunes adultes par un revenu de base garanti, les cycles perpétuant la pauvreté peuvent être brisés, a-t-il assuré.
Dialogue interactif
Donnant le coup d’envoi au dialogue interactif, le Luxembourg a voulu savoir si les intérêts économiques des investisseurs dans le développement durable peuvent représenter un risque pour les droits humains, évoquant notamment le secteur de l’éducation.
Quelles mesures peut-on prendre afin de satisfaire les besoins particuliers des personnes d’ascendance africaine et des migrants dans les pays riches, a enchaÎné le Cameroun. Et que faire pour réduire les inégalités socioéconomiques accentuées par la crise de la COVID-19? a voulu savoir la France.
Après la Fédération de Russie qui a souligné que le droit au développement est l’un des facteurs fondamentaux pour lutter contre la pauvreté, l’Union européenne a relevé qu’une fiscalité plus équitable constitue un levier de renforcement du financement des systèmes de protection social. Une meilleure coopération fiscale internationale, allié à une réduction de l’évasion et de l’optimisation fiscale, pourrait-elle contribuer au renforcement des systèmes de protection sociale ?
La Chine a constaté avec préoccupation que plus de 40 millions de personnes vivent toujours dans l’extrême pauvreté aux États-Unis et près de 14 millions au Royaume-Uni, et a appelé le Rapporteur spécial à porter attention aux injustices dont souffrent ces personnes. Le Maroc s’est enorgueilli d’avoir lancé un nouveau modèle de développement conçu par les Marocains pour les Marocains. L’Algérie a également pris la parole au cours de ce dialogue, de même que la Côte d’Ivoire qui a voulu en savoir par quels moyens briser le cycle de l’extrême pauvreté.
Répondant aux questions et observations des délégations, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, a tout d’abord annoncé la préparation pour la session de juin 2022 du Conseil des droits de l’homme (CDH), d’un rapport sur l’écart existant entre la protection sociale telle qu’elle figure dans les textes et celle effectivement garantie aux personnes vivant dans la pauvreté. Cet écart considérable est dû au fait que beaucoup travaille dans le secteur informel et sont par conséquent victimes du phénomène du « non-recours au droit », qui résulte de la corruption. En effet, a-t-il expliqué, dans de nombreuses circonstances l’accès à la santé, à l’enseignement ou encore à l’emploi passe par le paiement d’un montant parfois « relativement faible mais significatif » pour les personnes pauvres qui cherchent à bénéficier de ces services. Il prépare d’ailleurs, une vaste enquête portant sur 50 pays pour examiner les raisons pour lesquelles les gens n’exercent pas toujours leur droit à demander certains avantages sociaux.
S’agissant de la question de l’investissement privé dans l’éducation, il a envoyé aux principes d’Abidjan adoptés en 2019, sur les obligations des États de fournir un enseignement public et de réglementer l’implication du secteur privé, avertissant contre les risques d’une « marchandisation » de l’enseignement.
Il a reconnu que la pauvreté n’est pas la même à Stockholm, Bruxelles ou Kampala mais que l’expérience de l’exclusion sociale, de la discrimination et du mépris subis par cette catégorie résonne de la même manière. Sur la question spécifique des migrants et des personnes d’ascendance africaine, M. de Schutter a renvoyé à la Déclaration adoptée en 2017 par le Comité du droit économique socioculturel à ce sujet, visant à clarifier les obligations des États dans un contexte où l’applicabilité des droits économiques et sociaux des migrants sans papiers était contestée.
Quant à la crise induite par la pandémie sur le creusement des inégalités, il a indiqué que si les mesures de protection sociale adoptées par les États pour amortir le choc et protéger les ménages et les entreprises sont « impressionnantes », elles ont parfois été mal conçues et pas toujours adaptées aux personnes vivant dans la pauvreté. À cet égard, il a appelé à associer cette catégorie à l’élaboration des mesures, mais aussi à penser de manière plus audacieuse aux moyens d’universaliser les socles de protection sociale.
Il a par ailleurs rappelé avoir proposé devant le CDH, l’établissement d’un fonds mondial pour la protection sociale, afin de soutenir les efforts des États pour mettre sur pied et élargir les socles de protection sociale. L’idée de ce fonds approuvé par l’Organisation internationale du Travail (OIT), n’est pas que les contribuables des pays riches financent la protection sociale dans le Sud, c’est que la communauté internationale offre une forme de soutien aux pays qui s’engagent à développer les socles de protection sociale, a-t-il expliqué.
Exposé
Mme TLALENG MOFOKENG, Rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, a présenté son premier rapport thématique axé sur les droits en matière de santé sexuelle et reproductive pendant la pandémie de COVID-19. Se présentant comme une personne aux caractéristiques propices aux préjugés et à la discrimination, « une femme noire d’Afrique du Sud qui a connu l’apartheid et continue de vivre sous le poids écrasant du racisme et de l’héritage du colonialisme », a dit agir en adoptant une approche « anticolonialiste, antiraciste et non discriminatoire » du droit à la santé. En tant que médecin en exercice, elle a aussi déclaré considérer sa pratique de la médecine comme un moyen de défendre les droits humains des personnes touchées par les inégalités structurelles et les formes intersectionnelles de discrimination.
Le rapport, a-t-elle précisé, se concentre sur « l’oppression patriarcale », qui imprègne toutes les sociétés et cherche à contrôler le corps et la sexualité des filles et des femmes au détriment de leur jouissance des droits sexuels et reproductifs, comme en attestent les restrictions à l’avortement. Il est également question de la façon dont le colonialisme a permis le contrôle patriarcal de la sexualité et de l’expression des personnes de genres divers, ainsi que de la poursuite de la discrimination à leur encontre, au travers de lois, politiques et pratiques qui représentent un « héritage direct des anciens régimes coloniaux » tels que la criminalisation de l’identité et des rapports homosexuels ou encore le déni des droits conjugaux.
Selon la Rapporteuse spéciale, la pandémie a contribué à saper la réalisation des droits en matière de santé sexuelle et reproductive, et ce, au-delà de l’iniquité dans la distribution des vaccins. Même lorsque les pays ont classé les services de santé sexuelle et reproductive comme essentiels, conformément aux mécanismes des droits de l’homme de l’ONU et aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les mesures liées à la pandémie ont gravement affecté la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité de ces services, a-t-elle constaté, relevant par exemple que les services de soins de santé maternelle et néonatale sont devenus moins disponibles, voire inaccessibles ou inabordables pour des millions de femmes dans le monde. De plus, l’approvisionnement en produits essentiels et en contraceptifs a été interrompu, exposant les femmes et les filles à des risques directs et indirects accrus de grossesse non désirée. Selon les estimations du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), a-t-elle précisé, 12 millions de femmes ont perdu l’accès à la contraception, entraînant 1,4 million de grossesses non désirées.
Rappelant que les droits en matière de santé sexuelle et reproductive sont des droits humains enracinés dans des traités contraignants, dans la jurisprudence et dans des documents de consensus internationaux, Mme Mofokeng a aussi fait valoir qu’ils sont fondés sur le droit à la vie, à la dignité, à l’éducation et à l’information, à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination. À ce propos, elle s’est félicitée que des réponses nationales à la pandémie aient exigé un changement de politique, avec plus d’innovation et d’agilité, ce qui a permis la prestation de soins de santé dans le respect des droits humains. Il importe que ces changements contribuent à l’égalité et à l’accès équitable aux droits en matière de santé sexuelle et reproductive, a-t-elle plaidé, avant de recommander aux États, en particulier ceux qui ont des revenus faibles ou intermédiaires, d’être moins dépendants de l’aide des donateurs pour s’acquitter de leurs obligations au titre du droit à la santé.
Dialogue interactif
L’Égypte a déclaré avoir mis en œuvre trois stratégies nationales visant à lutter contre les violences sexistes, les mutilations génitales féminines et les mariages précoces, qui s’accompagnent de campagnes pour sensibiliser aux dangers des pratiques nocives. Elle a ajouté que, contrairement à ce qu’affirme la Rapporteuse spéciale, le code pénal égyptien prévoit des exceptions pour ce qui de la pratique de l’avortement, notamment quand il s’agit de sauver la vie des femmes enceintes.
Comment pouvons-nous faire progresser les opportunités offertes par la santé numérique, dans le respect des principes de non-discrimination, d’égalité et de respect de la vie privée, a voulu savoir l’Union européenne, après avoir engagé les États Membres, la société civile et l’OMS à faire progresser les législations et les politiques portant sur les services de santé maternelle, néonatale et infantile, la planification familiale et la contraception, et les services de soins de santé sexuelle et reproductive. Le Brésil a, quant à lui, rappelé qu’il est essentiel de viser les déterminants sociaux de santé lorsque l’on élabore des politiques nationales dans ce domaine, et en particulier dans celui de la santé sexuelle et reproductive.
Prenant à son tour la parole, Cuba a invité la Rapporteuse spéciale à analyser les conséquences des mesures coercitives, soulignant que le blocus économique et financier que lui impose les États-Unis depuis plus de six décennies affecte notamment les services de santé sexuelle et reproductive. La Fédération de Russie a ensuite avoué ne pas comprendre les implications qu’auraient sur la santé les actions des anciennes puissances coloniales, en demandant plus de détails à ce sujet. La délégation s’est par ailleurs opposée à la notion de droits sexuels soutenue par la Rapporteuse spéciale. De même, elle n’a pas trouvé judicieux de mettre en avant la catégorie des minorités sexuelles, et plus encore des adolescents et de toutes les personnes susceptibles de tomber enceinte, pour ajuster les systèmes de soins de santé. Nous partons du principe que la discrimination est inacceptable sous quelque forme que ce soit, a-t-elle fait valoir, avant d’appeler la Rapporteuse spéciale à agir dans le strict cadre de son mandat.
Par la voix d’une déléguée de la jeunesse, l’Autriche a appuyé, de son côté, l’initiative de la Rapporteuse spéciale visant à rappeler aux États leur responsabilité de fourniture de services et d’informations adaptés aux jeunes, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive, afin qu’ils puissent réaliser leur plein potentiel. Alors que la Rapporteuse spéciale invite les États à faibles capacités à réduire leur dépendance aux donateurs en matière d’aide au développement, pourtant cruciale dans le domaine de la santé, l’Algérie a souhaité savoir comment les pays en développement peuvent sortir de ce cercle vicieux.
Le Qatar a indiqué que lors du confinement, l’État a fourni une aide à domicile et des médicaments aux femmes enceintes. Le pays a d’autre part signé cette semaine un protocole d’entente et de coopération avec l’OMS, qui lui permettra de promouvoir la santé physique et mentale lors de la Coupe du monde de football organisée au Qatar en 2022. À son tour, la Chine a dit avoir mis les êtres humains et la dignité de chaque personne au centre de sa large riposte à la pandémie. Cela contraste, selon elle, avec le mépris affiché par les États-Unis pour le droit de tous à la santé. Ce pays a beau avoir les meilleurs équipements, il enregistre aussi les taux les plus élevés de contamination et de décès dus à la COVID-19, a relevé la délégation, dénonçant par ailleurs la manipulation de l’opinion à laquelle se livrent les États-Unis pour rejeter la responsabilité de cette crise sanitaire sur d’autres pays.
Le Maroc a rappelé qu’il a créé un fonds spécial de gestion de la pandémie, qui fournit une aide financière et matérielle aux plus vulnérables, notamment les ménages pauvres, les réfugiés et les entreprises en difficulté. Il s’emploie aussi à garantir l’accès à la vaccination à tous ses citoyens, tout en contribuant à l’endiguement du virus au niveau international, notamment en Afrique. Il a ainsi envoyé du matériel médical et de protection à une vingtaine de pays du continent.
L’Ukraine a attiré l’attention sur les difficultés que rencontrent au quotidien les enfants ukrainiens qui vivent à proximité de zones de conflit, notamment au Donbass où plusieurs centaines d’entre eux souffrent de stress post-traumatique. La délégation a également dénoncé le manque d’accès aux thérapies de substitution au Donbass et en Crimée en raison de l’interdiction imposée par l’occupant russe. Comment pouvons-nous ajuster l’aide publique au développement afin d’assurer sa durabilité et son appropriation dans le contexte local, s’est par ailleurs interrogé le Luxembourg, en notant que la Rapporteuse spéciale recommande aux États insulaires en développement d’être moins dépendants de l’aide des donateurs pour remplir leurs obligations.
Réagissant aux questions et commentaires des délégations, la Rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible a répété que les droits sexuels et reproductifs sont des droits de la personne protégés par des instruments juridiques contraignants qui stipulent que tout individu a le droit de disposer de son corps. Mais pour que le droit à la santé se concrétise pour tous, il est essentiel que tous les groupes sociaux puissent en jouir, a-t-elle fait valoir. S’agissant des conséquences du colonialisme, sujet évoqué par plusieurs délégations, Mme Ofokeng a pris l’exemple de l’Afrique, où les discriminations héritées de ce système se perpétuent, souvent au détriment de l’accès aux services de santé. Rappelant à ce propos qu’elle vient d’un pays où le racisme était érigé en système légal, elle a appelé les États à s’attaquer aux racines de ce phénomène pour garantir le droit à la santé. Dans le contexte de la COVID-19, les personnes les plus durement touchées ont été celles souffrant de comorbidités, et bon nombre d’entre elles étaient des personnes d’ascendance africaine et autochtones, a-t-elle relevé, ajoutant que ces effets disproportionnés sont aussi dus à des structures héritées du passé.
Mme Mofokeng a par ailleurs mis l’accent sur l’importance de l’aide apportée aux jeunes pour les soutenir dans le passage de l’enfance à l’âge adulte. Considérant à cet égard que l’apport de la santé numérique est précieux, elle a mis en garde contre le recours systématique à la technologie, et notamment à l’intelligence artificielle. Selon elle, les États Membres doivent utiliser davantage les techniques numériques tout en veillant à prévenir les violences sexistes en ligne. Ils doivent aussi se pencher plus avant sur la santé mentale des enfants, confrontés à des problèmes de socialisation pendant la pandémie, en leur fournissant une aide psychologique. Dans le même ordre d’idées, elle a dénoncé les mesures coercitives qui exacerbent les difficultés d’accès aux services de santé, singulièrement en cette période de crise.
Abordant ensuite la question de la dépendance des pays à faible revenu à l’aide extérieure, la Rapporteuse spéciale a reconnu que beaucoup n’ont pas les ressources nécessaires pour proposer des services de santé efficaces à leur population. Elle a toutefois averti que l’aide au développement et l’assistance humanitaire sont souvent assortis d’objectifs visant à promouvoir une politique étrangère dont les principes sont contraires au droit à la santé sexuelle et reproductive. Pour sortir de ce cercle vicieux, elle a recommandé aux États concernés de s’appuyer davantage sur la société civile. C’est grâce aux actions de plaidoyer de la société civile sur le VIH/sida que les prix des tests et des médicaments ont pu baisser, a-t-elle rappelé, avant d’en appeler à plus de participation et de transparence pour promouvoir les droits et garantir la responsabilisation. Enfin, après avoir réitéré son appel à une éducation sexuelle complète, à l’école et en dehors, Mme Mofokeng a plaidé pour l’enseignement du respect et du consentement, et souhaité que les États dressent un bilan de leurs pratiques optimales dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive.
Exposé
M. PEDRO ARROJO-AGUDO, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, a présenté son premier rapport thématique axé sur les risques et impacts de la marchandisation et de la financiarisation de l’eau sur les droits à l’eau potable et à l’assainissement (A/76/159). L’eau est, avec l’oxygène, l’un des éléments clefs de la vie, qui a toujours été considérée comme un bien commun, a-t-il souligné, rappelant que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels considère l’eau comme un bien public fondamental pour la vie et la santé. Or, a-t-il relevé, la vision néolibérale préconise que l’eau soit gérée en tant que marchandise, par la promotion de stratégies de privatisation, de marchandisation et de financiarisation qui transforment les personnes en simples clients. De ce fait, 2,2 milliards d’entre elles ne jouissent pas d’un accès garanti à l’eau potable et deviennent des clients appauvris, rendant les plus démunis parmi elles encore plus vulnérables.
Le Rapporteur spécial a décrié le fait que l’eau est à présent négociée sur les marchés à termes de Wall Street, sous la règle des stratégies spéculatives. Il a rappelé que lorsque la bulle immobilière était sur le point d’éclater en 2008, les banques responsables de la crise avaient investi des milliards de dollars dans des opérations à terme sur les denrées alimentaires. Résultat: la volatilité des prix a explosé et, d’après la Banque mondiale, environ 150 millions de personnes ont rejoint les rangs des affamés et sombré dans l’extrême pauvreté. Si la dynamique spéculative des marchés à terme devait avoir un impact sur le prix de l’eau, comme ce fut le cas pour l’alimentation, ces coûts seraient répercutés sur les tarifs de l’eau, augmentant ainsi le risque de non-paiement et de coupures d’eau pour les plus démunis, a-t-il mis en garde, avant de plaider pour l’instauration d’une gouvernance démocratique de l’eau dans une perspective durable fondée sur les droits humains.
M. Arrojo-Agudo a également estimé que le principal défi après l’épreuve de la pandémie sera de définir les priorités et décider si une partie des fonds publics de post-pandémie sera allouée au renforcement des systèmes de santé publique, y compris l’eau et l’assainissement en tant que vecteurs clefs de santé publique. La clef est de comprendre la nature profonde du défi qui se pose à nous: un défi démocratique mondial, a-t-il conclu.
Dialogue interactif
Dans un premier temps, l’Égypte a demandé au Rapporteur spécial son avis sur le rapport de son prédécesseur sur les mégaprojets de l’eau, attirant l’attention sur les contextes transfrontières ainsi que sur la raréfication de l’eau dans des pays comme l’Égypte. La Syrie a alors prié le Rapporteur spécial de fournir plus d’information sur les alternatives pour les pays confrontée à la raréficiation de l’eau, reprochant par ailleurs à la Turquie de bloquer l’accès à ce bien public dans certaines régions syriennes.
La valeur ajoutée d’avoir une approche plus holistique et une stratégie complète de gestion de l’eau a été mise en exergue par l’Union européenne, qui a appelé toutes les forces vives des sociétés à participer à cet exercice. Quel domaine se prête au partenariat public-privé en la matière? Est-il possible de travailler avec les parlements nationaux et encourager l’échanges entre eux ?
La gouvernance démocratique de toutes les ressources en eau est une proposition appuyée par la Fédération de Russie, qui a aussi trouvé judicieuse et pratique l’idée d’une tarification progressive de l’eau, de même que celle visant à l’établissement d’un fonds spécial sur l’eau. La délégation a néanmoins constaté que le rapport ignore à nouveau le problème de l’eau en Crimée, qu’elle a attribué à l’Ukraine. Suite à cette intervention, l’Ukraine a souligné que la Puissance occupante est pleinement responsable de l’accès à l’eau en Crimée et dans la ville de Sébastopol, estimant en outre que les besoins hydriques doivent être envisagés dans le contexte de la croissance démographique et des tentatives russes de modifier le visage géographique de ces territoires.
Les défis liés à l’eau sont souvent complexes, a rappelé la Slovénie, pour qui l’accès à une eau potable sûre doit constituer une priorité. L’Allemagne a, pour sa part, appelé à prendre très au sérieux l’accès à l’eau en préservant la durabilité des écosystèmes et en s’attachant à faciliter la distribution de l’eau aux plus démunis. La Chine a évoqué la situation de la Californie où l’augmentation du prix de l’eau est devenue intenable pour les plus pauvres. Elle a exhorté le Gouvernement américain à se pencher sur ce problème. Comment la coopération internationale dans le domaine du développement pourrait-elle intégrer la gouvernance démocratique de l’eau, a demandé l’Espagne qui a encouragé à une approche holistique qui prenne en compte la problématique hommes-femmes
Quelles sont les possibilités pour pallier aux conséquences négatives de la marchandisation de l’eau, a voulu savoir l’Algérie qui a dit consacrer de grands investissements dans le domaine de l’eau, conduisant notamment à la mise à disposition de tarifs sociaux pour les familles à faible revenu. Constatant que l’une des raisons invoquées pour justifier l’augmentation des tarifs est l’augmentation des coûts, l’Éthiopie a voulu en savoir plus sur les mesures permettant aux pays de subvenir aux besoins en eau, ainsi que sur le problème des maladies hydriques. Le Maroc a évoqué de son côté la mise en place d’un programme prioritaire d’approvisionnement en eau potable 2020-2027 qui aspire à allouer environ 13 milliards d’euros pendant cette période.
Relevant que le risque de pénurie est encore plus important dans les zones en conflit, l’Arménie a voulu en savoir plus sur les mécanismes capables de promouvoir l’accès à l’eau dans de telles situations. De son côté, la Turquie s’est préoccupée de la baisse du niveau de l’eau de l’Euphrate et a accusé le Parti des travailleurs du Kurdistan de bloquer l’approvisionnement en eau dans la station de pompage du barrage de Tichrine.
Réagissant à ces questions et commentaires le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement a tout d’abord indiqué que la question de l’approvisionnement en eau dans les situations de conflit sera abordée dans un de ses prochains rapports, sous l’angle de l’eau comme argument pour la paix pour les populations riveraines, tout en sachant que l’eau peut aussi être utilisée comme élément de la stratégie de guerre.
Il a ensuite prévenu que dans quelques décennies, les territoires qui subissent les conséquences des changements climatiques seront invivables. Nous ne parlons pas de gens qui ont soif et qui ne disposent pas d’eau près de chez elles, mais aussi de personnes qui vivent à proximité de cours d’eau aujourd’hui pollués, a-t-il fait remarquer. Les nappes phréatiques et les ressources acquières ne doivent être ni polluées ni épuisées car cela signifierait qu’il n’y aura pas d’eau lors de la prochaine sécheresse. Il a appelé à rétablir les moyens naturels du cycle de l’eau, y voyant l’investissement au meilleur rapport qualité-prix possible.
Après avoir salué la nouvelle directive de l’Union européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, le Rapporteur spécial a appelé à élaborer des stratégies mondiales de base sur la transition hydrologique. De nombreux pays européens, et d’autres nations parmi les plus riches, doivent dégager des financements publics pertinents afin de renforcer les systèmes d’eau et d’assainissement. Il faut penser à l’eau pour la vie d’abord, et pour le développement économique après, a encore recommandé M. Arrojo-Agudo.
Exposé
M. DAVID BOYD, Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, a, pour commencer, salué l’adoption début octobre par le Conseil des droits de l’homme (CDH) de la résolution historique reconnaissant, pour la première fois au niveau mondial, le droit humain à un environnement propre, sain et durable. Maintenant que le CDH a agi, il est temps pour l’Assemblée générale de faire de même, dès que possible, a urgé M. Boyd, avant de présenter son nouveau rapport thématique consacré aux implications, pour les droits de la personne, de la dégradation massive de l’environnement infligée par les systèmes alimentaires d’aujourd’hui, et la production alimentaire industrielle en particulier. Une alimentation saine et durable est, selon lui, le cinquième élément substantiel du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable après l’air pur, une eau salubre et en quantité suffisante, un climat sûr et une biodiversité et des écosystèmes sains.
Selon M. Boyd, les systèmes alimentaires actuels sont les principaux moteurs de la crise environnementale mondiale. Ils sont responsables de 70% de l’utilisation d’eau douce dans le monde, produisent entre un quart et un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre et constituent une menace majeure pour 85% des espèces considérées comme menacées d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN). On estime en outre que les coûts induits du système alimentaire mondial en matière de santé et d’environnement s’élèvent à 20 000 milliards de dollars, un chiffre « stupéfiant ».
Les conséquences environnementales catastrophiques des systèmes alimentaires modernes affectent de manière disproportionnée les groupes vulnérables et marginalisés, a fait observer M. Boyle, soutenant. C’est le cas des élevages intensifs au Mexique, de l’aquaculture de crevettes dans des écosystèmes côtiers sensibles en Inde, de la pêche au chalut de fond au Costa Rica et du brûlage des tourbières pour des plantations d’huile de palme en Indonésie. En 2020, a-t-il ajouté, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que le droit des peuples autochtones à un environnement sain avait été violé par l’élevage non réglementé de bétail. Il a ensuite appelé les États à se mobiliser pour prévenir ces préjudices, à réglementer les sociétés et à effectuer des changements systémiques.
Il existe des solutions éprouvées, a assuré le Rapporteur spécial, se référant à l’agroécologie qui met l’accent sur la diversification économique, l’équité sociale, la santé animale et des moyens de subsistance dignes et prospères pour tous les acteurs du système alimentaire. L’agriculture régénératrice, l’agriculture biologique, l’agriculture de conservation, la permaculture, l’agriculture intelligente face au climat, l’agriculture de précision et l’agroforesterie pourraient également permettre, à son avis, de progresser vers une production alimentaire durable. En outre, certaines solutions présentent de multiples avantages, la réduction de l’utilisation des pesticides étant, par exemple, bénéfique pour les sols, la biodiversité et la santé humaine.
M. Boyd a invité les États à augmenter l’équité en soutenant les petits producteurs et à promouvoir des régimes alimentaires sains et durables. Pour le Rapporteur spécial, il importe aussi de réduire les pertes et le gaspillage alimentaires et de rediriger des centaines de milliards de dollars en subventions destructrices pour l’environnement vers des pratiques qui soutiennent et restaurent la nature. De toute évidence, des changements transformateurs sont nécessaires pour nourrir 8 milliards de personnes avec une alimentation saine et durable et atteindre les objectifs de développement durable d’ici à 2030, a-t-il indiqué.
Dialogue interactif
Dans un premier temps, la Fédération de Russie a relevé que les accords existants et les conventions dans le domaine de la protection des droits humains ne font pas mention d’un environnement « sain », « propre » ou « durable ». De même, dans la pratique internationale, il n’existe pas de norme unique concernant le contenu du droit à un environnement favorable. Dans ces conditions, imposer une catégorie qui n’a pas encore d’existence légale est source de conflit et de politisation, a averti la délégation.
Quelles mesures recommandez-vous pour faire en sorte que la voix des enfants soit non seulement prise en compte, mais qu’ils puissent aussi réellement participer à l’élaboration de solutions visant à garantir un environnement sûr, propre, sain et durable, a demandé le Luxembourg. L’Allemagne a souhaité connaître des exemples de pratiques vertueuses en matière de transformation des systèmes alimentaires, tandis que la Suisse a voulu savoir comment le Rapporteur spécial entend contribuer à la mise en œuvre du droit à un environnement sain et durable.
Le Brésil a rappelé que les systèmes alimentaires sont au cœur de la vie et des moyens de subsistance de centaines de millions de personnes. À cette aune, la délégation a dit ne pas comprendre le concept d’alimentation durable. Cette terminologue risque de déboucher sur une vision erronée selon laquelle certains aliments ne sont pas durables, a-t-elle averti, jugeant qu’il est possible de produire des denrées alimentaires sans causer de dommages à l’environnement.
Alors que le Rapporteur spécial invite les États à adopter une législation qui impose aux entreprises d’agir avec diligence en matière de droits humains et de droit environnemental, le Mexique a souhaité connaître les meilleures pratiques pour la mise en œuvre de cette recommandation.
L’Ukraine a alerté que l’inondation de mines abandonnées dans le Donbass risque de contaminer les ressources hydriques de cette région, privant les populations locales d’eau potable. Selon la délégation, la question des ressources en eau potable se pose également en Crimée occupée, et est aggravée par la militarisation croissante de la péninsule.
Après le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, quelle sera la prochaine étape pour transformer ces systèmes, a voulu savoir l’Union européenne, après s’être son tour félicitée de l’adoption par le Conseil des droits de l’homme de la résolution « historique » sur le droit à un environnement sain et durable. Elle a également souligné que fournir des denrées alimentaires sans dépasser les limites de la planète est au cœur du Pacte vert de l’UE, qui vise à répondre aux grands enjeux environnementaux et climatiques.
Au nom d’un groupe de pays, les Maldives se sont félicitées qu’ensemble, ces pays aient fait adopter par le Conseil des droits de l’homme la résolution sur le droit à un environnement sain et durable, pour ensuite exhorter la communauté internationale à adopter des mesures pour sa mise en œuvre.
Sur la base de vos travaux, quelles sont les mesures les plus efficaces à prendre pour réduire la violence contre les défenseurs de l’environnement, ont voulu savoir les États-Unis. Comment l’approche fondée sur les droits de l'homme face aux défis de la dégradation de l’environnement peut-elle contribuer à un système alimentaire plus durable, a demandé la Slovénie, selon laquelle la transformation de ces systèmes, bien que complexe, est essentiel à la réalisation des droits humains relatifs à la réduction de la pauvreté, la faim et les inégalités. Pensez-vous que la reconnaissance du droit humain à un environnement sain par le Conseil des droits de l’homme accélérera les changements pour la protection de la biodiversité, a ensuite demandé l’Algérie. Et comment s’assurer de la prise en compte d’une approche fondée sur les droits dans la transition vers des systèmes alimentaires durables permettant l’accès de chacun à des régimes sains, s’est interrogée à son tour la France.
L’Érythrée a fait valoir que les effets néfastes de l’industrie sur les droits de la personne sont encore plus graves pour les sociétés vulnérables. Dans ce contexte il est certes essentiel de transformer les systèmes alimentaires pour mieux protéger l’environnement, mais y parvenir tout en répondant aux besoins des populations sera une tâche complexe, a estimé la délégation. Rappelant que la protection de l’élément naturel est ancrée dans la Constitution chinoise, la Chine a fait remarquer qu’un quart des efforts mondiaux de reforestation sont à mettre à son crédit.
Comment pouvez-vous appuyer nos efforts visant à garantir tout à la fois la préservation de l’environnement et la protection des droits humains, s’est enquise l’Italie, en soulignant l’importance du rôle des jeunes dans la sensibilisation aux problèmes de changements climatiques et de perte de biodiversité.
Cuba a jugé nécessaire de lutter contre des systèmes qui donnent lieu à une alimentation malsaine et à un gaspillage alimentaire. Selon elle, les pays en développement peuvent avancer sur cette problématique sur la base des modèles durable, mais il faut pour cela renforcer la coopération internationale.
En réponse aux questions et commentaires, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement a tout d’abord rappelé que de nombreux pays ont ajouté le droit à un environnement sain dans leur constitution, certains de longue date. Aujourd’hui, a-t-il insisté, presque 155 pays reconnaissent ce droit et la Fédération de Russie l’a elle-même inscrit dans sa loi fondamentale. Il a ensuite estimé que le soutien et la participation des jeunes est fondamental pour faire progresser cette cause, et a applaudi les initiatives qui visent à abaisser à 16 ans l’âge pour voter et à créer des parlements de la jeunesse. Il conviendrait également de compter des jeunes au sein des groupes consultatifs et des tribunaux, a-t-il ajouté. Une approche fondée sur les droits de l’homme signifie, par exemple, que nous devons autonomiser les femmes qui ont faible accès aux ressources foncières mais contribuent de manière centrale à la production alimentaire, a encore expliqué M. Boyd.
Pour appuyer un modèle durable, il importe, selon lui, de fournir un soutien financier au secteur agricole et non aux grandes corporations. Il est également essentiel que l’on cesse de fournir des milliards de dollars de subventions aux activités de pêche et d’agriculture qui nuisent à l’environnement, a-t-il plaidé, souhaitant que ces fonds soient réattribués à la préservation de l’élément naturel. Il a d’autre part appelé à donner la priorité à des mesures transversales comme la reforestation, tout en se prononçant pour l’élimination totale des pesticides qui entraînent des milliers de décès chaque année. Des pays comme El Salvador et le Bangladesh ont montré que l’on peut y renoncer sans faire chuter la productivité des cultures, a-t-il relevé.
Observant que le Brésil a semblé perturbé par le concept d’alimentation durable, M. Boyd a rappelé que la FAO la définit comme une alimentation ayant un faible impact environnemental. Il a par ailleurs indiqué que son rapport présente plusieurs centaines d’exemples de pratiques optimales dans ce domaine. Abordant ensuite la question de la surproduction alimentaire, soulevée par plusieurs délégations, il a reconnu qu’il est paradoxal que des centaines de millions de personnes n’aient pas accès à la nutrition de base alors qu’une partie de la population mondiale consomme une alimentation trop transformée, ce qui donne lieu à des taux élevés d’obésité. Face à ce déséquilibre, il est crucial que les pays riches redoublent d’efforts pour aider les pays à faible revenu, a souligné le Rapporteur spécial. Depuis le début de ce dialogue interactif, a-t-il signalé, des centaines de personnes sont mortes prématurément du fait de la pollution de l’air et de la présence de substances toxiques dans leur alimentation. Dans ce contexte, la décision du Conseil des droits de l’homme prend toute son importance car elle change la donne et aide à faire entrer ce droit dans les constitutions et les législations nationales, a-t-il ajouté, exhortant l’Assemblée générale à adopter des résolutions de la même veine afin d’offrir un environnement sain aux générations à venir.
Exposé
« Le plastique est une menace mondiale pour les droits humains », a déclaré M. MARCOS ORELLANA, Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux, précisant que son rapport (A/76/207) démontre comment les plastiques, les microplastiques et leurs additifs toxiques nuisent aux droits de la personne et à l’environnement.
Il a indiqué que la production annuelle de plastiques, qui est actuellement de 415 millions de tonnes, devrait quadrupler d’ici à 2050 et qu’à ce rythme, les scientifiques estiment qu’il y aura plus de plastiques que de poissons dans les océans d’ici à 2050. De surcroît, lorsqu’ils sont éliminés dans des décharges, les plastiques libèrent des produits chimiques toxiques dans le sol et les eaux souterraines, et pour aggraver les choses, la moitié de tout le plastique produit n’est utilisée qu’une seule fois avant d’être jetée comme déchet. En outre, les plastiques peuvent contenir plus de 10 000 additifs toxiques qui s’infiltrent et pénètrent dans le corps et ils aggravent l’urgence climatique en limitant la capacité des océans à éliminer les gaz à effet de serre de l’atmosphère.
Selon le Rapporteur spécial, chaque étape du cycle du plastique provoque des impacts sur les droits humains, affectant souvent de manière disproportionnée les groupes dans des situations déjà vulnérables. Ainsi, l’extraction des combustibles fossiles utilisés comme matière première entraîne souvent une pollution généralisée des terres qui affecte particulièrement les peuples autochtones. La fabrication de plastiques émet des polluants toxiques qui nuisent à la santé des travailleurs et des communautés établies à proximité des usines, tandis que l’’utilisation de jouets en plastique expose les enfants à des perturbateurs endocriniens. En outre, la mauvaise gestion des déchets provoque de graves injustices environnementales, en particulier pour les communautés côtières et les personnes vivant dans la pauvreté qui se retrouvent inondées par des « marées de déchets plastiques » Il a également signalé que des microplastiques ont été retrouvés dans le placenta humain et que certains produits chimiques nocifs ajoutés aux plastiques peuvent perturber la procréation humaine et même endommager l’ADN humain.
Le seul moyen de répondre à la crise mondiale du plastique, a souligné M. Orellana, est d’opérer une transition vers une économie circulaire économiquement saine qui remédie à toutes les étapes du cycle du plastique et qui soit guidée par les principes relatifs aux droits humains. Selon lui, une approche fondée sur les droits de la personne appelle à aligner la politique des plastiques sur les preuves scientifiques. Il a également appelé à privilégier les principes de non-discrimination, de responsabilité et de participation informée; et à accorder une attention particulière aux besoins des personnes en situation de vulnérabilité. Il faut en outre éviter les solutions fausses ou trompeuses, a ajouté le Rapporteur spécial qui a signalé qu’à peine 9% des déchets plastiques sont recyclés. Le recyclage est donc plutôt un mirage qui crée une illusion d’optique, a-t-il commenté. De même, la combustion à ciel ouvert et l’incinération génèrent des dioxines toxiques et d’autres polluants qui sont extrêmement nocifs pour la santé humaine et l’environnement.
Malgré l’étendue du problème, le Rapporteur spécial s’est déclaré convaincu que la crise du plastique peut être surmontée. Il a notamment exhorté les Gouvernements à négocier un nouvel instrument international juridiquement contraignant qui traite de l’ensemble du cycle du plastique et reflète une approche reposant sur les droits humains. De leur côté, les entreprises doivent nettoyer la pollution plastique actuelle, verser des réparations pour les dommages et veiller à ce que leurs produits ne soient plus dommageables pour la planète.
Dialogue interactif
Donnant le coup d’envoi à cet échange, la Fédération de Russie a appelé à la ratification de l’amendement de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Le Portugal a, quant à lui, voulu savoir comment un instrument juridiquement contraignant sur les plastiques dans les océans pourrait contribuer à réduire les effets catastrophiques des microplastiques.
Comment une approche axée sur les droits de la personne en matière de gestion des plastiques pourrait-elle avoir un effet positif sur l’économie circulaire, a demandé l’Union européenne, après avoir salué l’adoption de la résolution par le Conseil sur le droit à un environnement sain.
La Syrie a rappelé que l’an dernier, elle avait demandé au Rapporteur spécial son point de vue sur les pratiques des milices qui volent du pétrole dans le nord-est de la Syrie et le transportent ensuite vers les pays voisins sans aucune précaution. Le pétrole brut pollue les cours d’eau et l’environnement, avec des répercussions incalculables sur les terres agricoles et les ressources hydriques ce qui a un impact sur l’accès des populations à une eau potable, a signalé la délégation.
Préoccupée par la décision du Gouvernement japonais de déverser en mer des produits chimiques très polluants suite à l’accident de Fukushima, la Chine a regretté qu’aucun mécanisme n’ait été mis en place pour vérifier l’impact de ce déversement, appelant en outre le Japon à revenir sur la décision « déplorable » de libérer des déchets nucléaires en mer. Réagissant à cette déclaration, le Japon a assuré qu’il se conforme aux normes internationales en la matière et a fourni à la communauté internationale les informations pertinentes, tout en estimant que cette enceinte n’est pas idoine pour discuter de cette question.
Dans sa réponse à ces questions et commentaires, le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux a tout d’abord indiqué que la communauté internationale n’a pas assez d’informations sur les conséquences, ventilées, de l’impact des déchets plastiques sur les êtres humains. Il a appelé à plus de transparence pour savoir quels types de polymères sont utilisés, mais aussi à être à l’écoute de ceux qui ont le plus à perdre suite à la pollution par les déchets plastiques. Par ailleurs, combien de fois encore doit-on être les témoins silencieux de marées noires qui détruisent les communautés côtières, ou encore de ruptures de canalisation qui ont des conséquences néfastes sur les territoires des peuples autochtones, a demandé le Rapporteur spécial qui a exhorté à prendre à bras le corps la question des produits polluants.
M. Orellana a appelé à réguler l’augmentation de la production de polymères, notant que celle-ci ne profite qu’à une vingtaine d’entreprises qui en détiennent le monopole. Il a souligné que le problème du plastique a de très nombreuses facettes, en renvoyant à la définition même de l’économie circulaire, au principe du pollueur-payeur et aux différents aspects de la vie touchés par la production et l’utilisation du plastique tout au long de son cycle de vie. Il a évoqué le problème des additifs chimiques au plastique, relevant que la quantité des spermatozoïdes avait diminué au cours des dernières décennies, « ce qui montre que l’on traite ici de la survie même de l’humanité ». Ces produits toxiques ne doivent pas être ajoutés aux matières plastiques, a martelé le Rapporteur spécial.
D’autre part, il importe aussi, selon lui, d’évaluer la manière dont certaines questions sont présentées par les entreprises de plastique, et qui risquent d’induire en erreur. En effet le secteur présente le recyclage comme une solution miracle mais ce n’est que de la désinformation car, à titre d’exemple, l’incinération, dans le pire des cas, crée de produits organiques encore plus dangereux pour l’être humain. Ce sont alors de fausses solutions, a martelé M. Orellana qui a appelé à privilégier des programmes de transition qui mettent l’accent sur l’abandon des matières plastiques. En somme, il faut négocier un nouvel instrument international incluant la dimension droits de la personne, a-t-il conclu.