Troisième Commission: une titulaire de mandat alerte qu’Internet est devenu le nouveau champ de bataille dans la lutte pour les droits des femmes
La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a entendu, aujourd’hui, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression alerter qu’« Internet est devenu le nouveau champ de bataille dans la lutte pour les droits des femmes » et préconiser l’interdiction de la misogynie « si elle atteint le seuil fixé pour l’interdiction du discours de haine en vertu du droit international ».
Lors de cette séance, les délégations se sont en outre penchées sur le sort des migrants et le droit à l’éducation, après avoir longuement discuté du problème des disparitions forcées.
Dans un premier temps, Mme Irene Khan a alerté que la censure sexiste est omniprésente en ligne où les normes patriarcales du monde réel sont reproduites dans les médias sociaux, prenant notamment pour cible les jeunes femmes et les filles, les personnes non conformes au genre et celles qui ont des identités marginalisées croisées: « c’est au mieux paternaliste, au pire misogyne ».
Dénonçant toute tentative de « refroidir ou tuer » l’expression des femmes, la Rapporteuse spéciale a indiqué que les femmes journalistes, les politiciennes, les défenseuses des droits humains et les militantes féministes sont notamment la cible d’attaques en ligne « vicieuses et coordonnées » dans le but de les intimider, les réduire au silence et les chasser des plateformes et de la vie publique. Dans de nombreux cas, a-t-elle signalé, les menaces en ligne dégénèrent en violence physique, voire en meurtre.
Les délégations ont également entendu le Président du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires alerter que des tendances nouvelles et alarmantes sont apparues, s’attardant notamment sur le phénomène des « disparitions forcées dans le contexte des transferts transnationaux », ces cas où des États ont eu recours à des transferts extraterritoriaux conduisant à des disparitions forcées avec la participation, le soutien ou l’assentiment d’autres États. Leur but, a indiqué M. Luciano Hazan, est de capturer leurs propres ressortissants ou des ressortissants de pays tiers, souvent dans le cadre d’opérations antiterroristes présumées, mais également dans le contexte d’opérations extraterritoriales secrètes.
Cette « dynamique inquiétante des disparitions forcées » a été également relevée par son homologue du Comité sur les disparitions forcées, Mme Carmen Rosa Villa Quintana qui, à la date de livraison de son rapport annuel, avait enregistré 1 413 actions urgentes, un chiffre passé depuis à 1 421.
Un autre phénomène inquiétant sur lequel s’est penchée la Commission est le sort réservé aux migrants dont les droits humains ont été touchés de manière « disproportionnée » par les répercussions de la pandémie de COVID-19. En première ligne de la riposte à la pandémie, les migrants continuent de faire l’objet d’un rejet qui « s’apparente souvent à une discrimination et une xénophobie pures et simples », a déploré le Président du Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, M. Can Ünver.
Pour preuve, a-t-il fait valoir, la Convention internationale éponyme est à ce jour « la moins ratifiée de toutes », avec seulement 56 États parties, un phénomène « inexplicable », selon M. Ünver, au regard des problèmes que traite son mandat et qui affectent la vie de millions de personnes à travers le monde, « en particulier dans le contexte difficile de la pandémie en cours ».
De son côté, le Rapporteur spécial sur les droits humains des migrants, a indiqué que les vulnérabilités existantes des migrants et leurs familles ont été touchées de manière disproportionnée par les restrictions imposées dans le contexte de la pandémie. Outre l’impact sur l’emploi et les conditions de travail, M. Felipe González Morales a fait état de restrictions à la liberté de mouvement qui ont fait que des migrants se sont retrouvés bloqués dans certains pays, d’autres ont été contraints de retourner dans leur pays d’origine, et un certain nombre de demandeurs d’asile n’ont pas pu avoir un accès effectif aux procédures d’asile. Par ailleurs, bien qu’ils ne soient pas intrinsèquement plus vulnérables au virus de la COVID-19 que d’autres personnes, de nombreux migrants courent cependant un risque d’infection beaucoup plus élevé en raison de l’absence de mesures de protection sanitaire adéquates à leur intention.
Et ils ont été plus de 281 millions en 2020 à être privés de leur droit à l’éducation, a renchéri pour sa part la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, qui s’est penchée, quant à elle, sur les multiples obstacles auxquels les migrants font face dans l’exercice de ce droit. Quant au phénomène de l’abandon scolaire, il n’est certainement pas lié au statut de migrant, ou de pauvre, mais à la structure de la société, qu’il faut « absolument revisiter », a préconisé Mme Koumbou Boly Barry.
La Troisième Commission reprendra son dialogue avec des titulaires de mandat demain, mardi 19 octobre, à partir de 15 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS
Exposé
« À l’ère du numérique, Internet est devenu le nouveau champ de bataille dans la lutte pour les droits des femmes », a déclaré Mme IRENE KHAN, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, après avoir salué l’attribution conjointe du prix Nobel de la paix aux journalistes Maria Ressa et Dimitri Muratov, y voyant « un message puissant » en faveur du droit des femmes à la liberté d’expression.
Elle a alerté que la censure sexiste est omniprésente, en ligne et hors ligne, les voix des femmes étant supprimées, contrôlées ou punies, que ce soit de manière explicite par des lois, des politiques et des pratiques discriminatoires ou implicite en raison de normes socioculturelles. En outre, les normes patriarcales du monde réel sont reproduites dans les médias sociaux, prenant notamment pour cible les jeunes femmes et les filles, les personnes non conformes au genre et celles qui ont des identités marginalisées croisées. Dans un certain nombre de pays, les contenus liés à l’identité de genre et aux expressions sexuelles continuent d’être étroitement surveillées et criminalisées, sous prétexte de protéger la « morale publique ».
« C’est au mieux paternaliste, au pire misogyne », a regretté Mme Khan. Elle a également évoqué le rôle prépondérant des mouvements fondamentalistes dans la censure sexiste sur les plateformes de médias sociaux ainsi que l’existence de préjugés sexistes dans les algorithmes des sociétés. Dénonçant toute tentative de « refroidir ou tuer » l’expression des femmes, elle a indiqué que dans de nombreux cas, les menaces en ligne dégénèrent en violence physique, voire en meurtre. Les femmes journalistes, les politiciennes, les défenseuses des droits humains et les militantes féministes sont notamment la cible d’attaques en ligne « vicieuses et coordonnées » dans le but de les intimider, les réduire au silence et les chasser des plateformes et de la vie publique.
La Rapporteuse spéciale a également relevé que malgré la promesse de ne laisser personne de côté, près de la moitié des femmes dans le monde n’a pas accès à Internet, et que dans certains pays, l’État et des acteurs privés rétrogrades bloquent délibérément l’accès des femmes aux informations liées au genre, notamment celles relatives aux droits et à la santé reproductive et sexuelle. Il n’y a pas qu’une seule fracture, mais de multiples fractures à surmonter pour que les femmes parviennent à l’égalité en matière de liberté d’expression, a-t-elle souligné, décriant une situation « profondément préoccupante », compte tenu notamment des revers subis par l’égalité des sexes à la suite de la pandémie de coronavirus.
Mme Khan a ensuite exhorté à rendre les espaces numériques sûrs pour les femmes, notamment en adoptant une législation permettant d’interdire, d’enquêter et de poursuivre la violence sexiste en ligne. Notant que les meurtres et les agressions dont sont victimes les femmes journalistes violent le droit de la société à être informée par des médias diversifiés, elle a également engagé les États à adopter des mesures pour prévenir, protéger et surveiller la sécurité en ligne et hors ligne de ces dernières.
Cependant, les efforts visant à éradiquer la violence sexiste en ligne, les discours de haine sexiste et la désinformation ne doivent pas être utilisés comme prétexte par les États pour restreindre la liberté d’expression au-delà de ce qui est autorisé par le droit international, a-t-elle souligné. Elle a également mis en garde contre toute instrumentalisation des lois sur la moralité publique dans le but d’entraver l’expression culturelle, de genre et sexuelle des femmes ou pour restreindre le discours féministe. Dans la même veine, elle a décrié les lois prétendument adoptées pour limiter la désinformation, ou « fake news », et qui sont souvent utilisées pour faire taire les critiques. À ses yeux, la meilleure façon de répondre au problème de la désinformation sexospécifique est de promouvoir des médias divers et indépendants, la vérification des faits, l’éducation numérique et médiatique et des programmes de sensibilisation communautaires.
Mme Khan a aussi estimé que la misogynie devrait être interdite si elle atteint le seuil fixé pour l’interdiction du discours de haine en vertu du droit international. Elle a également jugé nécessaire de clairement définir la violence et la haine fondées sur le genre en ligne afin d’éviter de restreindre tout discours légitime. La Rapporteuse spéciale a par ailleurs relevé que l’augmentation de la toxicité et de la violence en ligne indique que les entreprises de médias sociaux ne s’attaquent pas à ce problème avec suffisamment de sérieux. Elle a appelé à adopter une approche multipartite coordonnée pour rendre ces plateformes sûres et non sexistes, conformément aux normes internationales des droits humains.
Dialogue interactif
Donnant le coup d’envoi à cet échange, le Mexique a voulu connaître les meilleures pratiques pour créer des espaces numériques sûrs et exempts de violence à l’égard des femmes. De même, comment faire en sorte que les signalements publics d’actes de violence sexuelle et sexiste fassent l’objet d’enquêtes appropriées?
Les Pays-Bas se sont intéressés aux mesures permettant aux États de lutter contre les stéréotypes sexistes négatifs en ligne et hors ligne, tout en respectant la liberté des médias et d’expression. Pour sa part la Pologne, s’est penchée sur la contribution des organes de la société civile à la protection des journalistes, notamment dans les pays où ils sont en danger. Quelle serait la manière la plus efficace d’assurer la coordination des plateformes numériques visant à rendre les espaces numériques sûrs et inclusifs pour les femmes, s’est enquise l’Irlande.
La question de la protection des femmes journalistes a également préoccupé le Royaume-Uni et le Bangladesh, de même que la Lituanie qui, au nom des États nordiques et baltes, s’est enquise sur les mesures que devrait prendre l’ONU pour inverser la tendance à l’augmentation de la violence et du harcèlement, en ligne et hors ligne, à leur encontre.
De son côté l’Union européenne a voulu en savoir plus sur les moyens de prévenir et de combattre les discours haineux et la désinformation fondés sur le sexe aux niveaux national et international. Et quelles mesures peuvent être prises par les entreprises de médias sociaux pour atténuer les risques qui affectent de manière disproportionnée les femmes et les filles, a interrogé la République tchèque.
L’Autriche s’est intéressée à la lutte contre les discours de haine liés à la COVID-19. La dimension de genre est-elle suffisamment abordée dans les travaux des nombreuses entités, agences et organisations affiliées de l’ONU qui s’occupent des questions de discours de haine et de désinformation en ligne? Comment les États Membres peuvent-ils soutenir l’introduction de la dimension de genre dans ce domaine de travail?
Après le Pakistan qui a attiré l’attention sur la privation de la liberté d’expression dans les pays sous occupation, la Chine a exhorté les États-Unis à prendre des mesures concrètes contre les discours de haine, à mettre un terme à la désinformation et à arrêter de politiser la pandémie de COVID-19, accusant notamment ce pays de réprimer ceux qui protestent contre la brutalité policière et le racisme et de diffuser des mensonges qui causent des souffrances parmi les populations asiatiques.
L’Ukraine a appelé la Rapporteuse spéciale à accorder une attention particulière à la restriction de la liberté d’expression sur Internet dans les territoires temporairement occupés par la Fédération de Russie. À son tour la parole, l’Inde a rejeté « les arguments politisés et les mensonges du Pakistan », réitérant son engagement à défendre et protéger les droits à la liberté d’expression et d’opinion. À son tour, le Maroc a rappelé qu’en 2021, la Journée internationale de la lutte contre les discours de haine a été proclamée le 18 juin suite à son initiative.
Préoccupés par le harcèlement sexiste en ligne, les États-Unis ont souhaité savoir comment faire entendre les voix des femmes et des filles au sein des Nations Unies et d’autres instances multilatérales. Comment les États peuvent-ils créer des synergies entre les lois relatives à la lutte contre la violence à l’encontre des femmes et les lois sur la formation et la communication sachant qu’il est important de sensibiliser tous les travailleurs des médias afin qu’ils s’abstiennent de discours de haine à l’encontre des femmes, a demandé à son tour l’Algérie.
Dans ses réponses aux observations et questions des États Membres, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a estimé qu’en matière de sureté de l’espace numérique, les gouvernements et les entreprises ont tous deux une responsabilité à endosser.
Elle a insisté sur l’importance de définir clairement ce qu’est la violence en ligne, pour éviter de saper la légitimité des mesures adoptées, notant en outre que celles-ci doivent être spécifiques car la violence en ligne est différente de la violence physique. En outre, les lois doivent accorder un appui social aux victimes.
Elle a appelé les entreprises doivent à redoubler d’efforts pour assurer la sécurité des femmes en ligne. Certaines plateformes ont d’ores et déjà mis en place de telles garanties, mais cela doit s’appliquer à l’ensemble du secteur qui, a-t-elle ajouté, doit privilégier les approches fondées sur les droits humains, la transparence, la responsabilisation et la mise à disposition de recours. Elle a également invité à s’inspirer des mesures prises par les plateformes des réseaux sociaux pour assurer la protection des enfants.
Pour finir, la Rapporteuse spéciale a proposé de tenir des consultations multipartites, jugeant très important que tout un chacun soit impliqué, exhortant ensuite les États Membres à élaborer et adopter des mesures intégrées pour prévenir les risques de sécurité en ligne et hors ligne qu’encourent les femmes journalistes. De même, les États Membres doivent condamner toute attaque contre ces dernières et s’abstenir de toute déclaration pouvant mettre en danger les femmes.
Exposé
« Il est tragique que la pratique des disparitions forcées se poursuive au XXIe siècle », a déploré Mme CARMEN ROSA VILLA QUINTANA, Présidente du Comité sur les disparitions forcées, dès l’entame de sa présentation. Depuis l’entrée en vigueur de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, voilà presque 11 ans, le Comité a produit une vaste jurisprudence afin que les États parties prennent des mesures pour lutter contre l’impunité et promeuvent des politiques centrées sur les victimes, a-t-elle affirmé, avant de faire le point sur les travaux de son organe au cours de l’année écoulée. Elle a notamment indiqué que malgré la crise liée à la pandémie de COVID-19, le Comité a été le premier organe conventionnel à tenir une séance en ligne, et le premier à mener, lors de sa dix-neuvième session, un dialogue virtuel avec un État partie, l’Iraq. Et lors de la vingtième session, nous avons été les premiers à effectuer l’examen en ligne de trois rapports, ceux de la Mongolie, de la Suisse et de la Colombie, s’est-elle enorgueillie.
La Présidente du Comité a aussi fait état de réunions avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Ces efforts sont en revanche ternis par le faible niveau de ratification de la Convention, a-t-elle déploré, précisant qu’au 12 avril dernier, ce traité comptait 63 États parties et 98 États signataires. Depuis lors, le Soudan l’a ratifié à son tour, mais cela reste insuffisant. Sans ratification, a-t-elle noté, le Comité ne peut pas faire grand-chose, même lorsqu’il est informé de situations nécessitant son intervention urgente. Sans ratification, les victimes et les sociétés dans leur ensemble n’ont pas accès aux mécanismes que les États ont créés pour les soutenir et les États ne peuvent bénéficier du soutien et des conseils du Comité. La Convention s’applique pourtant « à tous les États », a martelé la Présidente du Comité, appelant à la mise en œuvre de ce traité au niveau mondial pour formaliser l’engagement de la communauté internationale contre les disparitions forcées.
Mme Villa Quintana a ensuite attiré l’attention de la Troisième Commission sur les conditions de travail de son Comité, qui manque de temps et de personnel pour accomplir son mandat. À l’heure actuelle, il compte déjà plus de 20 rapports d’États en attente d’examen. À la date de livraison de son rapport annuel, il avait enregistré 1 413 actions urgentes, et ce chiffre est passé depuis à 1 421, ce qui atteste, selon elle, de la « dynamique » des disparitions forcées. « Cette situation n’est pas durable », a-t-elle averti, après avoir évoqué le travail effectué en dehors des semaines de session et les heures supplémentaires accumulées. Regrettant que le budget ordinaire approuvé par l’Assemblée générale pour 2021 n’ait pas corrigé ce déficit de ressources, elle a formé le vœu que le budget d’ici à 2022 compensera cette lacune. « C’est un besoin urgent », a conclu la Présidente du Comité, selon laquelle les prochaines étapes du processus d’examen des organes de traité seront déterminantes.
Exposé
M. LUCIANO HAZAN, Président du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, a regretté que malgré les engagements pris par les États au fil des ans, cette pratique horrible continue d’exister et d’évoluer. Pire, a-t-il alerté, des tendances nouvelles et alarmantes sont apparues et nous placent devant des défis considérables. Dans son dernier rapport annuel, présenté au Conseil des droits de l’homme à Genève le mois dernier, le Groupe de travail a notamment signalé la transmission de 651 nouveaux cas de disparitions forcées à 30 États, dont 86 qui ont été transmis dans le cadre de la procédure d’action urgente à 19 États. Bien qu’élevés, ces chiffres ne sont pas représentatifs de l’ampleur du phénomène dans le monde aujourd'hui, mais seulement d’une infime partie, a alerté M. Hazan.
Le Président du Groupe de travail a attiré l’attention sur les « disparitions forcées dans le contexte des transferts transnationaux, » indiquant que le rapport documente des cas où des États ont eu recours à des transferts extraterritoriaux conduisant à des disparitions forcées avec la participation, le soutien ou l’assentiment d’autres États. Leur but, a-t-il indiqué, est de capturer leurs propres ressortissants ou des ressortissants de pays tiers, souvent dans le cadre d’opérations antiterroristes présumées. Certaines de ces disparitions forcées ont lieu dans le cadre de procédures d’expulsion régulières ou parallèlement, et d’autres se sont déroulées dans le contexte d’opérations extraterritoriales secrètes, notamment des « restitutions ». Dans la plupart des cas, a-t-il ajouté, les circonstances documentées font état d’une violation des obligations de non-refoulement de l’État d’accueil.
Afin de faciliter ces opérations, a-t-il poursuivi, un certain nombre d’États ont signé des accords bilatéraux de coopération en matière de sécurité, qui contiennent souvent des références vagues à la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale. Ces accords semblent être formulés de manière ambiguë pour faciliter l’expulsion ou l’enlèvement de toute personne considérée comme un « risque pour la sécurité » des pays parties aux accords. En outre, l’opacité et la non-divulgation du contenu précis de ces accords facilitent les abus et sape l’État de droit ainsi que la confiance générale dans les autorités.
M. Hazan a ensuite indiqué que le Groupe de travail prépare pour 2022 un nouveau rapport thématique axé sur la relation entre les nouvelles technologies et les disparitions forcées, ainsi qu’une étude de bilan 30 ans après l’adoption de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Il a fait savoir que le Groupe de travail n’a malheureusement pas pu effectuer de visites de pays durant la période à l’examen, principalement en raison de la pandémie de COVID-19. Il a dit espérer pouvoir reprendre bientôt cette « activité essentielle », saisissant cette occasion pour appeler les États qui ont reçu une demande de visite à y répondre favorablement. Il a également appelé à garder à l’esprit que la notion de « victime » d’une disparition forcée va au-delà de la personne disparue elle-même et englobe sa famille, ainsi que toute personne ayant subi un préjudice en conséquence directe de ce crime. Cette complexité unique et la multiplicité des victimes appellent une réponse globale, caractérisée par la même multiplicité d’acteurs et d’efforts concertés, a souligné M. Hazan. Et dans cette lutte quotidienne, la coopération des États est essentielle pour prévenir, combattre et éradiquer les disparitions forcées.
Dialogue interactif
Comment dynamiser le processus de ratification universelle de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, a demandé dans un premier temps l’Union européenne, qui a d’autre part jugé nécessaire de favoriser la coopération entre le Groupe de travail et les États dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
L’Argentine a indiqué que, conjointement avec la France et le Maroc, elle soumettra à la Commission une résolution biennale sur les disparitions forcées. Préoccupée par les nombreux cas rapportés de disparitions forcées dans le contexte de la pandémie, la France a rappelé avoir lancé en décembre dernier, conjointement avec l’Argentine, la troisième campagne d’universalisation de la Convention qu’elle a qualifié de « traité fondamental ». Pour sa part, le Maroc a affirmé qu’il n’existe plus de cas de disparition forcé dans le pays, attribuant cela à l’établissement de l’Instance équité et réconciliation. Les faits constitutifs du crime de disparition forcée sont criminalisés dans le Code pénale qui prévoit d’ailleurs une nouvelle définition expressément conforme à celle de la Convention, a précisé la délégation.
L’Ukraine a attiré l’attention sur la situation dans ses territoires temporairement occupés, où l’on recense au moins 250 personnes disparues, dont 67 fonctionnaires. D’autres personnes sont portées disparues en Crimée occupée et à Sébastopol depuis le début de l’occupation russe, a-t-elle dénoncé, regrettant que l’administration russe ne mène pas d’enquêtes à leur sujet.
Quand vont reprendre les visites du Groupe de travail, s’est enquis la Croatie qui a estimé que la pandémie ne peut justifier que les États interrompent leur action concernant les disparitions forcées. À cet égard, elle a précisé que les autorités croates recherchent toujours 1 858 citoyens disparus lors de la guerre de 1990.
Quelles mesures le Groupe de travail compte-t-il prendre pour encourager l’Inde à apporter un dédommagement aux victimes de disparitions forcées au Jammu-et-Cachemire, a demandé le Pakistan selon qui les membres des familles des victimes connaissent un réel traumatisme auquel s’ajoute le fardeau de leur situation économique. De plus, des milliers de veuves ne savent pas si leur mari est mort et ne peuvent se remarier. Ces propos ont été condamnés par l’Inde qui a par ailleurs affirmé que ceux qui s’opposent à l’État pakistanais sont l’objet d’enlèvements, d’arrestations, ou encore de disparitions forcées.
Le Mexique a indiqué qu’en réponse au fléau des disparitions forcées auquel il fait face, son gouvernement a invité le Comité à effectuer une visite le mois prochain. Ce sera la première visite au Mexique du Comité depuis sa création et la quatrième d’un organe conventionnel de l’ONU, a précisé la délégation. Comment protéger les droits des personnes arrêtées au Myanmar, a demandé la délégation du Myanmar qui a indiqué que l’armée n’avait pas fourni d’information sur le sort de plusieurs milliers de personnes disparues.
Le Japon a regretté l’absence de règlement de la question des enlèvements de ressortissants japonais par la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Les familles des victimes vieillissent, il n’y a plus de temps à perdre, a-t-il averti, exhortant la RPDC à se conformer à l’Accord de Stockholm et à restituer les personnes enlevées. Le Japon refuse de reconnaître les crimes de guerre et contre l’humanité qu’il a commis dans le passé, a accusé pour sa part la République populaire démocratique de Corée (RPDC).
Comment aider les familles à obtenir les réponses qu’elles méritent concernant le sort de leurs proches, s’est interrogé Chypre, avant de rappeler que le comité chypriote sur les disparitions forcées, créé il y a 15 ans, attend toujours d’avoir accès aux archives militaires turques afin de mener des enquêtes et entreprendre des fouilles. Et dans quelle mesure les États peuvent-ils améliorer leur capacité à réagir aux signalements de disparitions forcées, ont souhaité savoir les États-Unis qui se sont également alarmés du sort des défenseurs des droits, des militants des droits humains et des journalistes qui sont trop souvent la cible de représailles.
La Fédération de Russie a fait savoir qu’elle n’avait pas pu étudier le rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées, ce document ayant été distribué trop tard. Elle a également encouragé les experts à davantage de rigueur, leur reprochant de ne pas toujours se donner la peine de vérifier les sources d’information des cas de disparitions forcées. Il n’est pas rare non plus qu’ils se fondent sur de fausses informations. Le Groupe de travail doit effectivement cesser de lancer des accusations infondées, a renchéri la Chine qui s’est par ailleurs inquiétée des nombreux cas de disparitions aux États-Unis.
Intervenant à nouveau, le Japon a insisté pour que la RPDC prenne des mesures immédiates pour enquêter sur le sort des personnes disparues et coopérer avec la communauté internationale sur cette question. Le Pakistan s’est également exprimé une deuxième fois pour souligner que le Jammu-et-Cachemire est un territoire disputé, selon les Nations Unies, dont le sort doit être décidé avec le peuple sur le territoire même. D’autre part, le Pakistan a collaboré avec le Groupe de travail et des enquêtes sont conduites sur toutes les affaires.
En réponse aux questions et remarques des délégations, la Présidente du Comité sur les disparitions forcées a tout d’abord applaudi les efforts menés en faveur de l’universalisation de la Convention, en particulier la campagne orchestrée à cette fin par la France et l’Argentine. Elle a ensuite mis l’accent sur la prévention et l’impunité, éléments fondamentaux que la Convention met en exergue dans son préambule. À ses yeux, la prévention se traduit en premier lieu dans le fait d’ériger les disparitions forcées en délit dans le droit interne des États. À cela s’ajoutent d’autres éléments cruciaux tels que la coopération entre États et l’entraide judiciaire, laquelle permet notamment de lancer un dialogue sur la façon dont on peut transférer une personne faisant l’objet d’une décision d’extradition. Mme Villa Quintana a indiqué que son Comité a également lancé un appel à tous les États pour qu’ils prennent des mesures législatives et réglementaires pour lutter contre l’impunité. Si les auteurs ne sont pas encore identifiés, il importe, selon elle, que les États coopèrent avec les proches des personnes disparues pour s’efforcer de déterminer la localisation de ces dernières. Il est également essentiel de prendre des mesures de prévention et, si les faits sont déjà survenus, d’agir immédiatement au travers des principes directeurs concernant la recherche des personnes disparues.
Mme Villa Quintana s’est ensuite réjouie d’effectuer prochainement la première visite de son Comité au Mexique. Il s’agit là d’un « défi de taille », a-t-elle indiqué, estimant que cette visite sera l’occasion de formuler des recommandations, d’identifier les progrès accomplis et de résoudre certains problèmes liés aux disparitions forcées. À cet égard, elle a précisé que la question de l’égalité femmes-hommes apparaît dans toutes les recommandations et conclusions du Comité, ainsi que dans la liste de questions adressée aux États afin d’évaluer leur situation. Enfin, la Présidente du Comité a répété que la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées « existe pour tous les États et doit être prise au sérieux ». Elle a donc appelé une nouvelle fois à sa ratification la plus large.
À son tour, le Président du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, a appelé les États à se joindre à la campagne lancée par la France et l’Argentine en vue de l’harmonisation du processus de ratification de la Convention. Il a insisté sur l’importance de la coopération entre les États, notant que la Convention est d’ailleurs très claire à cet égard puisque la coopération internationale figure dans plusieurs articles importants de cet instrument. Il a par ailleurs souligné que les États en mesure de fournir une assistance aux familles se doivent de leur apportent un appui financier, ainsi qu’aux organisations qui les aident.
Poursuivant, M. Hazan a fait savoir que le Groupe de travail a produit un rapport spécial sur les disparitions forcées des femmes et des filles, avant de préciser que les femmes sont souvent obligées de faire leur propre recherche pour enquêter sur la disparition d’un proche, processus au cours duquel elles risquent également de devenir victime. Il a déploré les reproches de la Fédération de Russie et de la Chine, appelant à la coopération et soulignant que le Groupe de travail étudie des cas individuels en se basant sur des règles humanitaires, ses méthodes de travail et sa bonne foi. Le Groupe s’astreint en outre aux niveaux les plus élevés d’indépendance et d’impartialité, et ses experts travaillent au nom des victimes des disparitions forcées.
Exposé
M. FELIPE GONZÁLEZ MORALES, Rapporteur spéciale sur les droits humains des migrants, a indiqué que les vulnérabilités existantes des migrants et leurs familles ont été exacerbées en cette période de pandémie en raison de leur accès limité aux soins de santé et autres services essentiel. Travaillent souvent dans l’économie informelle, ils sont plus exposés à l’exploitation, en particulier les femmes et les filles. Et en l’absence de mesures de protection efficaces et adéquates, certains demandeurs d’asile se heurtent à des obstacles dans l’accès aux procédures d’asile. Il a indiqué que son rapport, préparé un an et demi après le début de la pandémie, fait le point sur les mesures et réponses mises en place pour assurer le respect des droits humains des migrants et promouvoir un processus de rétablissement inclusif.
Selon M. Morales, la pandémie de COVID-19 a démontré les contributions essentielles qu’apportent les migrants, y compris les femmes migrantes, aux économies et aux sociétés y compris pendant la crise. Or, a-t-il déploré, les migrants, y compris les demandeurs d’asile, ont été touchés de manière disproportionnée par les restrictions imposées dans le contexte de la pandémie. Outre l’impact sur l’emploi et les conditions de travail, il a fait état de restrictions à la liberté de mouvement qui ont fait que des migrants se sont retrouvés bloqués dans certains pays, d’autres ont été contraints de retourner dans leur pays d’origine, et un certain nombre de demandeurs d’asile n’ont pas pu avoir un accès effectif aux procédures d’asile.
Par ailleurs, bien qu’ils ne soient pas intrinsèquement plus vulnérables au virus de la COVID-19 que d’autres personnes, de nombreux migrants courent cependant un risque d’infection beaucoup plus élevé en raison de l’absence de mesures de protection sanitaire adéquates à leur intention. En effet, a-t-il expliqué, dans certains pays, sous prétexte de contenir la pandémie, les migrants sont arrêtés et détenus, parfois pendant de longues périodes, dans des installations surpeuplées qui ne répondent pas aux normes sanitaires. Dans d’autres pays, des raids ont été menés aux domiciles et dans les campements des migrants dans le même but. Dans d’autres contextes, les ordres de confinement se sont traduits par un traitement discriminatoire des migrants, transformant les dortoirs, les abris et les centres d’accueil en centres de détention de facto, au sein desquels les mesures de distanciation sociale sont impossibles à respecter. En outre, les récits polarisés ont alimenté les craintes, exacerbant la discrimination, le racisme, la xénophobie et la stigmatisation. Cette rhétorique négative et certains reportages médiatiques ont dépeint les migrants comme des menaces et les ont faussement désignés comme des porteurs de la COVID-19, a-t-il alerté.
Cependant, malgré les défis sans précédent liés à la pandémie, le Rapporteur spécial a noté avec une « grande satisfaction » différentes initiatives prises par les États et d’autres parties prenantes concernées pour soutenir et inclure les migrants dans les plans de riposte et de relèvement suite à la COVID-19, quel que soit leur statut migratoire. Un certain nombre d’États ont ainsi adopté des mesures relatives à la prolongation des visas et aux processus de régularisation. D’autres veillent à ce que les migrants, y compris les sans-papiers, bénéficient du même accès aux soins de santé et aux vaccins que la population nationale. Il a également noté les efforts déployés par les gouvernements pour renforcer la protection des données, citant la « très bonne initiative » consistant à ne pas demander d’informations sur le statut d’immigration des personnes qui se présentent pour obtenir un soutien social ou une attention médicale.
Sur le volet de l’intégration socioéconomique des migrants, il a salué les initiatives mises en œuvre par certains États et parties prenantes visant à assurer le respect des droits humains des migrants. Il a cité, à cet égard, le Processus de Quito sur la mobilité humaine des ressortissants vénézuéliens dans la région et la Plateforme régionale de coordination interagences pour les réfugiés et les migrants du Venezuela. Cependant, a-t-il tempéré, bien que positives, de nombreuses initiatives sont de nature temporaire et vont expirer, d’où l’importance d’élaborer des programmes adaptés à leurs contextes nationaux.
Dialogue interactif
Après la Fédération de Russie, qui a noté que les restrictions imposées aux droits des migrants durant la pandémie sont temporaires et exceptionnelles par nature, le Luxembourg s’est intéressé au droit à la santé des migrants réguliers et irréguliers. Estimant que la migration n’est pas un droit humain fondamental, la Hongrie a affirmé que les migrants qui recherchent seulement de meilleures conditions de vie ne sont pas dans le besoin et a prié les pays qui ont des migrants en Hongrie de bien vouloir assurer leur retour. Au lieu de promouvoir la migration, il faut, au contraire garantir des conditions de vie stable dans les pays d’origine, a suggéré la délégation. L’Union européenne s’est ensuite enquis des bonnes pratiques mises en œuvre par les États, notamment en ce qui concerne la valeur ajoutée de la société civile dans l’assistance aux migrants.
La Grèce a dit avoir déployé tous les efforts pour transférer les migrants dans des installations spéciales sur son territoire, précisant que lorsque cela a été nécessaire, des mesures d’isolements ont été prises pour prévenir une propagation rapide du virus de la COVID-19. À son tour, la Colombie a indiqué avoir mis en place une initiative sur le traitement de l’identité dont ont pu bénéficier 1,4 million de personnes, facilitant ainsi l’intégration des migrants et leur permettant de rester en Colombie jusqu’à 10 ans. De son côté, le Chili a expliqué avoir entamé un « processus historique » pour garantir les droits humains de toutes les personnes, indépendamment de leur statut migratoire, précisant accueillir 1,5 million de migrants.
Que peut faire la communauté internationale pour garantir l’accès des migrants aux vaccins, a voulu savoir le Bangladesh qui, à l’approche de la COP26, a s’est aussi intéressé à la question des migrants et des changements climatiques. Quels outils déployer pour intégrer les migrants aux efforts de reprise économique post-pandémie, a demandé le Mexique qui a noté que l’envoi de fonds des migrants à leurs familles a été essentiel pendant la pandémie. De son côté, le Brésil a mentionné la création d’une initiative d’aide d’urgence aux migrants et fait valoir sa nouvelle législation sur l’accueil des étrangers provenant de pays instables, qui connaissent des conflits armés, ou d’autres situations mettant en danger la vie des êtres humains. Les Philippines ont réclamé des exemples de bonnes pratiques où la mise en place de pares-feux entre les autorités chargées de l’immigration et les services publics a bénéficié aux migrants et aux communautés d’accueil.
Préoccupée par le trafic des migrants, la Pologne s’est alarmée des tendances négatives observées à sa frontière orientale en raison de la politique migratoire du « régime Loukatchenko », au Bélarus. Dans ce contexte, comment les États Membres peuvent-ils lutter contre l’instrumentalisation des migrants à des fins politiques?
Que peut faire l’ONU pour lutter pour permettre une distribution équitable des vaccins contre la COVID-19 dans les pays qui accueillent de nombreux réfugiés, s’est enquis l’Égypte, avant que le Qatar explique qu’il fournit aux travailleurs migrants des vaccins et des tests contre la COVID-19. La Malaisie et El Salvador ont indiqué garantir le droit à la santé des migrants, évoquant notamment leur accès aux services de dépistage et de vaccination contre la COVID-19. La Suisse a expliqué pour sa part que les autorités helvétiques sont tenues de garantir un accès gratuit à la vaccination contre la COVID-19 et aux soins de santé en général.
Cuba a dénoncé la situation des enfants migrants détenus aux États-Unis et a appelé le Rapporteur spécial à approfondir la question du traitement des migrants au Texas. Que peut-on faire face à l’instrumentalisation des migrants à laquelle se livrent certains pays à des fins politiques, notamment la Turquie, a demandé à son tour Chypre. L’impact de la pandémie de COVID-19 a-t-elle aggravé cette pratique? La République islamique d’Iran a réitéré son engagement à lutter contre le trafic des migrants malgré les répercussions des mesures coercitives illégales et inhumaines prises à son encontre.
Comment les États peuvent-ils intégrer au mieux les migrants dans les plans de relance post-pandémie, ont demandé les États-Unis qui ont dit mener des actions dans le monde entier qui sont conformes à la « vision » du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, y compris l’intégration des migrants dans la planification sanitaire.
Il faut prêter attention à la politique migratoire des États-Unis, a estimé ensuite la Chine qui s’est déclarée préoccupée par le fait que la pandémie y a aggravé les griefs et les discours de haine contre les migrants asiatiques, s’alarmant en outre de la situation des migrants haïtiens dans ce pays, où les forces de l’ordre séparent les enfants de leurs parents. La République bolivarienne du Venezuela a déploré la campagne actuelle de groupes fanatiques et de « certaines personnes à l’ONU », indiquant que suite à l’assassinat d’un enfant en Colombie, certaines sphères du pouvoir ont saisi l’occasion pour incriminer le Venezuela et chercher à le déstabiliser.
L’Algérie a ensuite appelé à la solidarité internationale avec les pays en développement et les pays d’origine des migrants, assurant par ailleurs avoir adopté une démarche intégrée sur la question de la migration. Il faut protéger les migrants en toute circonstances, a affirmé à son tour l’Éthiopie qui a fustigé les mauvais traitements infligés aux migrants qui sont la proie des passeurs et à des difficultés économiques pendant la pandémie. L’Érythrée est également intervenue, de même que l’Ordre souverain de Malte qui a expliqué qu’il fournit une aide sociale vitale dans les pays de destination. Le Maroc s’est enorgueilli pour sa part que le Roi Mohammed VI a été proclamé champion de l’Union africaine pour le traitement de la question migratoire.
Répondant à ces questions et commentaires, le Rapporteur spécial sur les droits humains des migrants a souligné que les populations migrantes doivent avoir accès aux soins de santé, qu’ils soient réfugiés ou pas. Pour éviter une politisation de la pandémie, il convient de s’en remettre aux conventions internationales et au droit international, notamment le respect du principe de non-refoulement, d’éviter toute sanction collective, et de restreindre certaines dispositions qui concernent surtout les adultes.
S’agissant des bonnes pratiques, M. Morales a incité à un discours public inclusif, « ce qui ne nécessite aucune ressource ». Il a notamment appelé à promouvoir l’assimilation des migrants et à consolider la promotion de leurs droits au sein des populations locales. Quant aux procédures de régularisation, il a fait observer que certains pays ont pris des décisions d’admission de visas ou de prolongation des visas mais, a-t-il ajouté, il faudrait envisager des facilités à plus long terme de sorte que toute mesure adoptée au niveau du pays inclut les migrants. Il a également appelé à associer les groupes d’aide aux migrants à l’élaboration des politiques migratoires et porter une attention particulière à migration des mineurs.
Au sujet des pares-feux, le Rapporteur spécial a souligné que les migrants doivent pouvoir divulguer des informations aux services sanitaires en ayant l’assurance que celles-ci ne seront pas communiquées aux services d’immigration. Rares sont les États ayant intégré ce type de cloisonnement dans leurs politiques actuelles, a-t-il relevé. Dans 80% des États l’accès universel aux vaccins est garanti mais un pourcentage bien plus faible a commencé à vacciner sa population de migrants. Le Rapporteur spécial a par ailleurs rappelé qu’il avait soumis à l’Assemblée générale un rapport thématique sur le refoulement des migrants en appelant à « mettre fin à cette pratique ». Concernant le changement climatique, il a renvoyé au rapport de 2012, qu’il prévoit de mettre à jour sur la base des décisions internationales pour montrer comment les catastrophes naturelles ont également des incidences sur les procédures migratoires.
Exposé
M. CAN ÜNVER, Président du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, a présenté son rapport annuel en déplorant que la Convention internationale sur cette question soit « la moins ratifiée de toutes », avec seulement 56 États parties. Un phénomène « inexplicable », selon lui, au regard des problèmes que traite son mandat et qui affectent la vie de millions de personnes à travers le monde, « en particulier dans le contexte difficile de la pandémie en cours ». Malgré leur présence en première ligne de la réponse à la pandémie et les contributions positives qu’ils apportent aux sociétés, les migrants continuent de faire l’objet d’un rejet qui « s’apparente souvent à une discrimination et une xénophobie pures et simples », a-t-il constaté, ajoutant que les droits humains de ces personnes ont été touchés de manière disproportionnée.
Revenant au statut de la Convention, M. Ünver a noté avec regret qu’au moment de l’adoption de son rapport, pas moins de 23 États parties n’avaient pas encore soumis leurs rapports initiaux ou périodiques. Au cours de la période considérée, un seul État Membre, le Togo, a ratifié la Convention. S’il s’agit là d’une « évolution bienvenue », le nombre limité d’États parties à la Convention et la non-opérationnalisation des procédures de communications interétatiques et individuelles restent les défis les plus importants auxquels le Comité est confronté pour assurer la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille dans le monde, a-t-il précisé.
M. Ünver a ensuite indiqué qu’en réponse à la situation désastreuse liée à la pandémie, le Comité a publié en mars dernier, avec le Rapporteur spécial sur les droits humains des migrants, le Représentant spécial pour le Conseil de l’Europe et les mécanismes africains, européens et interaméricains des droits humains, une note d’orientation conjointe exhortant tous les États à fournir aux migrants un accès équitable aux vaccins contre la COVID-19, de manière non discriminatoire et indépendamment de la nationalité et du statut migratoire. Cette note, qui a été accompagnée d’une campagne de communication, vise à alerter sur les défis auxquels sont confrontés 272 millions de migrants, « de l’exploitation à l’expulsion en passant par l’impuissance totale ».
Après avoir passé en revue les activités de son Comité en matière d’examen des rapports des États parties, effectuées pour l’essentiel en ligne au cours de l’année écoulée, M. Ünver a évoqué la publication de l’Observation générale n°5 (2021) sur les droits des migrants à la liberté, à la protection contre la détention arbitraire et leur lien avec d’autres droits humains. Fruit d’un processus participatif et inclusif, elle vise à apporter des réponses à la tendance croissante à la criminalisation des migrations et au recours de plus en plus fréquent à la détention des migrants, a expliqué le Président du Comité, selon lequel l’objectif principal est de fournir aux États parties des orientations sur la manière de s’acquitter de leurs obligations au titre de la Convention. Il a ajouté que le Comité consacrera son Observation générale n°6 à la convergence de la Convention et du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
Avant de conclure, M. Ünver a invité les États à mettre en place un système de gouvernance des migrations fondé sur les droits de l’homme, qui prenne en considération les besoins d’emplois, de soins de santé et de regroupement familial des migrants. À ses yeux, un tel système renforcerait les options de régularisation dans le pays d'emploi et offrirait une protection efficace aux migrants en situation irrégulière.
Dialogue interactif
Quelles meilleures pratiques ont contribué à l’élaboration de l’Observation générale n°5 sur les droits des migrants à la liberté, à la protection contre la détention arbitraire et leur lien avec d’autres droits humains, a demandé l’Union européenne. Elle a également voulu en savoir davantage au sujet du groupe de travail créé par le Comité sur le lien entre la Convention et les retombées de la pandémie sur les droits des travailleurs migrants.
Préoccupé par le niveau très bas de ratification de la Convention, le Bangladesh a voulu savoir comment le Comité agit pour parvenir à terme à la ratification universelle de ce traité important. La délégation a également souhaité savoir si le Président du Comité prévoit d’émettre des recommandations sur les impacts de la pandémie sur les travailleurs migrants, dont dépendent économiquement de nombreux pays d’origine.
La Turquie a sollicité l’avis du Président du Comité sur les défis et les obstacles auxquels se heurte la ratification de la Convention. Que peut-on faire de plus pour relever ces défis? La délégation a également voulu savoir s’il existe des mécanismes suffisants au sein de l’ONU pour protéger les droits humains des migrants.
Les Émirats arabes unis ont affirmé avoir pris des mesures garantissant un soutien aux travailleurs migrants au sein de leurs communautés et sur leur lieu de travail. Parmi ces mesures, la délégation a cité l’exemple d’une ligne d’appel téléphonique opérationnelle 24 heures sur 24 pour aider ces personnes, répondre à leurs questions et, le cas échéant, les aider à déposer à des plaintes.
Réagissant à ces questions et commentaires, le Président du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille a commencé par évoquer l’Observation générale n°5 publiée par son organe malgré les difficultés dues au travail à distance. Nous attendons à présent de tous les États Membres, et pas seulement des États parties à la Convention, qu’ils appliquent ces principes, a-t-il dit. Si les pays revoient leurs pratiques et leurs politiques en matière de détention des migrants, nous espérons pouvoir engranger de nouveaux résultats, a indiqué M. Ünver, précisant que le Comité travaille dans ce sens en étroite collaboration avec le Rapporteur spécial sur les droits humains des migrants et d’autres entités onusiennes. Il faut également que les États qui ne l’ont pas encore fait ratifient la Convention, qui reste à ce jour le moins ratifié de tous les traités des Nations Unies, a-t-il ajouté. Selon lui, « le moment est bien choisi car nous vivons à l’ère des migrations ».
De plus, les personnes les plus vulnérables sont aujourd’hui les migrants, en particulier les femmes et les enfants, « pas uniquement du fait de la pandémie mais d’une manière générale ». Le Comité, qui a déjà publié une observation générale avec le Comité des droits de l’enfant, travaille aussi avec le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et des collaborations sont prévues avec d’autres organes de traité. Dans le cadre de son mandat, le Comité est également actif pour encourager la ratification de la Convention, qui est le seul instrument contraignant pour ce qui concerne les travailleurs migrants, a poursuivi M. Ünver, reconnaissant que « la tâche n’est pas aisée ». Une campagne doit ainsi être menée prochainement dans la région Europe « où se trouvent une grande partie des migrants du monde ». Enfin, le Comité reviendra durant son intersession sur la question des changements climatiques, qui constituent « l’une des plus grandes difficultés pour les migrants ».
Exposé
Mme KOUMBOU BOLY BARRY, Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, s’est penchée sur les multiples obstacles auxquels les migrants font face dans l’exercice de ce droit, et les recours pour garantir leur droit à éducation de qualité. Cadrant les enjeux, elle a indiqué qu’en 2020, plus de 281 millions de migrants étaient privés de leur droit à l’éducation. Force est de constater, a-t-elle poursuivi, que les migrants, qu’ils soient enfants, filles, femmes, handicapées, LGBTQIA, ou personnes en détention, doivent faire face à de nombreux problèmes dont des actes de discrimination sous toutes ses formes; le manque d’infrastructures; l’accès difficile aux systèmes d’enseignement publics; l’exclusion; et la législation restrictive en matière de migration. Elle a également cité l’éducation ségrégative; le manque de documentation comme les actes de naissances ou dossiers scolaires antérieurs; l’inexistence de mécanismes permettant la collecte de données afin de faciliter leur intégration; et l’abus vis-à-vis des migrants en termes d’utilisation des outils informatiques.
Pour y remédier, la Rapporteuse spéciale a appelé à privilégier l’approche par la méthode des 4 A (adéquation des ressources, accessibilité́, acceptabilité́, adaptabilité́). Elle a expliqué que ceci se traduit par la mise à disposition de ressources financières, humaines et matérielles; et la facilitation de l’accès des migrants par une meilleure considération de leurs difficultés au niveau national à travers une amélioration des cadres juridiques. Elle a également appelé à encourager l’enseignement de qualité par la prise en compte de leur parcours et de leur situation, et à promouvoir une éducation inclusive et sociétale des migrants.
Rendant hommage au Brésilien Paulo Freire, « l’un des plus grands éducateurs » du monde, qui célèbre son centenaire cette année et qui défend une éducation démocratique et participative, elle a aussi mis l’accent sur la formation des enseignants. Pour la Rapporteuse spéciale, l’abandon scolaire n’est pas lié au statut de migrant, ou de pauvre, mais à la structure de la société, qu’il faut « absolument revisiter ».
Elle a ensuite présenté un éventail de propositions d’actions à l’endroit des États, en particulier l’élaboration participative des politiques et programmes éducatifs conformes aux 4 A, couplée à une approche intersectorielle des droits humains et de la non-discrimination; et le renforcement de l’offre publique en termes d’éducation pour les migrants par la formation interculturelle des enseignants. La Rapporteuse spéciale a également encouragé à garantir un accès universel et inclusif des migrant(es), indépendamment de leur statut juridique, à tous les niveaux de l’enseignement tout au long de leur vie; à lutter contre la détention des migrants; à tenir compte de leurs aspirations et besoins dans l’élaboration des politiques et programmes éducatifs; et à mettre en place des système de collecte de données différenciés et fiables sur la situation des migrants pour une meilleure élaboration des politiques et programmes.
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La Fédération de Russie s’est étonnée des reproches à son encontre qui figurent dans le rapport, et a tenu à signaler que les enfants dûment enregistrés ne posent pas de problème. Pour les migrants clandestins, ce sont les forces de l’ordre qui s’en occupent, a-t-elle ajouté.
Le Luxembourg a appelé à prendre en considération les traumatismes subis durant le voyage migratoire. Les TIC pourraient-elle faciliter la réalisation des 4A, s’est enquise l’Union européenne. Que peuvent faire les États pour remédier au problème du manque de données sur l’éducation des migrants, a demandé Malte. Et comment avancer dans les initiatives visant au renforcement des capacités des communautés locales d’accueil, a ajouté l’Égypte.
Le Cameroun s’est inquiété des possibilités d’accès des migrants aux études supérieures, posant le problème de l’équivalence des diplômes qu’ils ont obtenus dans leur pays d’origine. La Syrie a indiqué dans le sud-ouest et le nord-ouest de son territoire, les milices ont petit à petit fermé les écoles ou imposé des programmes scolaires qui ne prennent pas en considération la culture, la langue ou les besoins éducatifs. Elle a également accusé la Turquie d’avoir hissé un drapeau turc sur une école d’Alep.
Le Liban a signalé que la dévaluation de la livre libanaise a fortement impacté le salaire des enseignants et affecté le niveau des élèves. La déléguée a ensuite fait la lecture d’un poème émouvant d’une institutrice qui met l’accent sur l’importance du contact entre les enseignants et leurs élèves. Quel est le rôle du statut migratoire dans le droit à l’éducation, a interrogé le Mexique.
Que peut faire la communauté internationale pour favoriser l’accès des femmes et des filles à l’éducation en Afghanistan, se sont enquis les États-Unis qui se sont par ailleurs alarmés de l’absence de protection des espaces éducatifs, dans les situations de conflits armés. Le Qatar a indiqué avoir élaboré un programme de bourses pour les filles afghanes et fourni une aide à de nombreux pays en matière d’éducation.
Comment les écoles et les universités peuvent-elles renforcer les interactions avec les communautés d’accueil, a demandé le Portugal. L’Algérie a plaidé pour un soutien aux pays qui prennent en charge les migrants. Au nom de la Géorgie, une jeune déléguée d’Abkhazie a témoigné des pressions que subissent les enfants dans les écoles des territoires occupés. La République de Corée s’est pour sa part intéressée à l’enseignement culturel.
Que doivent faire les États pour éviter que les enfants des migrants ne soient pas trop affectés par la pandémie, a demandé le délégué de la jeunesse de l’Irlande. L’Inde a indiqué que ses cantines scolaires aident 118 millions d’élèves, ce qui contribue aussi à leur scolarisation. El Salvador a évoqué le lancement de la politique « grandir ensemble » pour favoriser la participation des écoles dans la vie de l’enfant. La Chine a souligné qu’elle suivait de près la discrimination dans certains pays contre des migrants, tandis que le Maroc s’est préoccupé des problèmes liés à l’absence de données.
Le Royaume-Uni a insisté sur la nécessité de la réouverture des établissements scolaires, appelant par ailleurs la communauté internationale à se focaliser sur les qualifications de base, ainsi que sur les obstacles à l’éducation des filles, en particulier durant l’adolescence. Enfin, la Hongrie a fait savoir qu’elle fournit à tous les enfants tous les moyens d’aller à l’école, pour peu que leur famille ait une résidence légale.
Réagissant à ces questions et commentaires, la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation a conseillé d’établir un lien direct avec les dix-sept objectifs de développement durable, tous étant interdépendants avec le droit à l’éducation. Un enfant qui a faim ne peut pas aller à l’école, un autre qui n’a pas de moyens ou d’espace ne pourra pas suivre un enseignement de qualité en ligne, a-t-elle fait valoir. Elle a appelé de ses vœux à la création de sociétés qui vivent ensemble en bonne entente et qui reflètent cet état d’esprit en le standardisant dans les matériels didactiques et auprès des enseignants. Notre humanité a besoin de liberté et donc d’accepter, et d’admettre, que les individus se déplacent d’un espace à un autre. C’est cette diversité qui constitue une plus-value, a-t-elle souligné, en exhortant les États à faire de la place aux migrants pour que leurs enfants puissent aller à l’école. Certains pays ont trouvé le moyen de permettre à des enfants non accompagnés d’être scolarisés ce qui veut dire que c’est possible et que c’est une simple question de décision politique.
S’agissant sur processus de collecte de données et de renseignement, elle a conseillé d’examiner ce qu’a fait la Russie pour améliorer sa prise en charge des populations de migrants. La Rapporteuse spéciale a vivement prié les États d’épauler la société civile qui joue un rôle remarquable dans la collecte des données et la prise en charge des migrants. Du point de vue des droits humains, la situation des migrantes et des migrants est une véritable honte aujourd’hui, a-t-elle dénoncé, en appelant à davantage d’efforts, de moyens et de volonté politique.