En cours au Siège de l'ONU

SC/14218

Conseil de sécurité: La Chef du Bureau de l’ONU en Haïti décrit une crise économique, politique et humanitaire sur fond d’impunité et de COVID-19

Le Conseil de sécurité s’est penché, aujourd’hui, sur la situation en Haïti et l’impact de la pandémie de COVID-19, avec des exposés de Mme Helen La Lime, Représentante spéciale du Secrétaire général et Chef du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), et de M. Jacques Létang, Président de la Fédération des barreaux d’Haïti.  Selon la Chef du BINUH, même si le nombre des cas de coronavirus en Haïti est bien inférieur à celui de certains pays d’Amérique latine et des Caraïbes, la pandémie exerce une pression sur un système de santé déjà fragile et sur « le maigre filet de sécurité sociale ».  À cause des multiples crises qui ont affecté le pays ces dernières années, l’économie s’est contractée de 1,2% en 2019, un taux qui devrait passer à 4% cette année, a-t-elle projeté.  Ce constat alarmant a été partagé par M. Létang selon lequel la pandémie a fait naître des risques sanitaires, mis à l’épreuve la solidité institutionnelle et aggravé la crise économique. 

Concrètement, cela signifie que le spectre de l’aggravation du chômage se profile à l’horizon, que la gourde continue de se déprécier par rapport au dollar américain et que l’inflation dépasse les 20%, comme l’a expliqué la Chef du BINUH.  Sans ressources adéquates pour aider le pays à sortir de la récession, les gains acquis, cette dernière décennie, en matière de sécurité et de développement risquent d’être annihilés, a-t-elle mis en garde.  L’on risque même une crise régionale, si la situation humanitaire continue de s’aggraver et qu’un nombre de plus en plus élevé d’Haïtiens tentent de trouver un meilleur avenir ailleurs.  À ce sujet, la République dominicaine voisine a dénoncé le fait qu’au 8 juin, le Plan de réponse humanitaire 2019-2020 pour Haïti prévoyant la collecte d’une somme de 253 millions de dollars n’avait reçu que 29,9 millions de dollars.

Le Président de la Fédération des barreaux d’Haïti a, lui aussi, dressé un tableau particulièrement sombre de la situation, dénonçant les violations massives des droits de l’homme, la violence croissante des gangs armés, la perte de contrôle de l’État sur le maintien de l’ordre, l’impunité, la corruption, la perversion du processus électoral et l’impasse politique actuelle.  Compte tenu de cette réalité sur le terrain, il a aussi relevé la « contradiction » de certaines missions de l’ONU qui disent vouloir soutenir des « États faibles », ce qui lie leur destin à ces États au risque de perdre leur objectivité ou leur faculté d’interpréter correctement les indicateurs. 

Pour faire face à l’ensemble des crises auxquelles est confronté le pays, mon gouvernement, a plaidé la délégation d’Haïti, a un besoin urgent de ressources techniques et financières supplémentaires.  Elle a imputé l’absence de progrès politiques aux divisions persistantes et à la difficulté d’instaurer un dialogue authentique et transparent axé sur les intérêts nationaux.  C’est d’ailleurs en partie à cause de la crise politique prolongée que la situation socioéconomique s’est considérablement détériorée, a-t-elle fait valoir.  Haïti a aussi appelé à tirer les enseignements des modalités et des montants d’aide versés après le séisme de 2010 « pour ne pas refaire les mêmes erreurs ».  Haïti, a insisté la délégation, a un besoin pressant de ressources « adéquates et prévisibles ».  « Nous voulons plus de solidarité, d’affabilité et de souplesse de la part des donateurs bilatéraux et multilatéraux. »  

M. Létang a rétorqué à cette injonction du Gouvernement haïtien que lorsqu’on regarde les ressources investies au fil des décennies en Haïti, la détérioration de la situation est totalement « incompréhensible ».  Les causes essentielles de l’instabilité n’ont pas été réglées, bien au contraire, s’est-il impatienté avant de demander au « Groupe des Amis d’Haïti » comment ils pouvaient permettre autant de violence et de détournements de fonds.  « N’avez-vous pas les moyens de demander des comptes à un État? »

En termes de soutien, la France a fait savoir qu’elle contribuerait en 2020 à l’action du Service aérien d’aide humanitaire des Nations Unies en Haïti afin de favoriser l’accès humanitaire, tandis que l’Union européenne a annoncé la réorientation de 165 millions d’euros d’aide.  Mais, a estimé la France, les autorités haïtiennes doivent en retour apporter des garanties quant à la bonne utilisation de ces crédits. 

Le cercle vicieux de la méfiance, des récriminations et, au bout du compte, de la violence commence, une fois encore, à définir la dynamique de la politique haïtienne, a constaté la Chef du BINUH.  « Plus que jamais, nous sommes dans une impasse politique », a lui aussi prévenu M. Létang expliquant qu’en ce moment il n’y avait ni parlement, ni autorités locales, ni gouvernement légitime.  Les lois sont adoptées par décret, sans consultation, dans un état d’urgence qui dure depuis un an et qui se prolonge, entravant le respect des libertés individuelles et suspendant les procédures d’octroi des marchés publics. 

Compte tenu de cette situation sur le terrain, Mme La Lime a estimé qu’il est de plus en plus évident qu’une réforme s’impose pour briser le cercle vicieux actuel et créer les conditions de la stabilité institutionnelle, de la bonne gouvernance et de l’état de droit.  Mais, a-t-elle souligné, une telle réforme ne sera possible que si elle résulte d’un processus véritablement national qui combine un leadership fort et des efforts réels de toutes les parties prenantes pour mettre de côté leurs intérêts politiques étroits. 

Outre l’intensification des activités des gangs armés qui ont gagné le contrôle de larges parties des quartiers les plus peuplés de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, sans doute dans le but d’influencer les résultats des élections, la Chef du BINUH a également fait état d’un nombre croissant de figures de l’opposition qui contestent la longueur du mandat du Président et appellent à une administration de transition en mesure de lancer les réformes et d’organiser les prochains scrutins. 

La Chef du BINUH est également revenue sur le problème de l’impunité que M. Létang avait soulevé.  En effet, elle a regretté que « malheureusement » le Bureau continue d’opérer dans un environnement où le respect du principe de responsabilité reste un défi, comme en témoigne le manque de progrès dans les enquêtes et les poursuites des cas emblématiques de Lilavois, Grand Ravin, La Saline et Bel Air qui concernent des violations et abus des droits de l’homme commis par des gangs, des agents de l’ordre et des responsables politiques.  M. Létang a même affirmé que malgré la gravité des accusations, il n’y a même plus d’enquêtes car la plupart de ces affaires sont bloquées depuis des mois au niveau de la Cour de cassation. 

Le Gouvernement, a cependant assuré la délégation haïtienne, travaille au renforcement des capacités de la Police nationale d’Haïti, étant également désireux de redoubler d’efforts pour renforcer le système judiciaire et veiller à ce que les tribunaux fassent preuve de plus d’efficacité en termes d’impartialité.  Il est conscient de la gravité de la situation en ce qui concerne l’ordre public et continuera de mobiliser l’ensemble des acteurs du secteur de la sécurité pour affronter cette menace, a affirmé la délégation.

En raison des mesures de confinement imposées par la pandémie, les 15 membres du Conseil de sécurité font leur déclaration à partir de leur mission et dialoguent avec leurs invités grâce un système de visioconférence spécialement conçu pour eux. 

La Section des communiqués de presse ne couvre que les déclarations faites en visioconférence dont les textes ont été transmis à temps par la Division des affaires du Conseil de sécurité.

Mme HELEN MEAGHER LA LIME, Représentante spéciale du Secrétaire général et Chef du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a d’emblée prévenu que même si le nombre des cas de coronavirus en Haïti est bien inférieur à celui de certains pays d’Amérique latine et des Caraïbes, la pandémie exerce néanmoins une pression sur un système de santé déjà fragile et le maigre filet de sécurité sociale.  À cause des multiples crises qui ont affecté le pays ces dernières années, l’économie s’est contractée de 1,2% en 2019, un taux qui devrait passer à 4% cette année.

Le spectre de l’aggravation du chômage se profile à l’horizon, la gourde continue de se déprécier par rapport au dollar américain et l’inflation dépasse les 20%.  Sans ressources adéquates pour aider le pays à sortir de la récession, les gains chèrement acquis, cette dernière décennie, en matière de sécurité et de développement risquent d’être annihilés.  L’on risque une crise régionale, si la situation humanitaire continue de s’aggraver et qu’un nombre de plus en plus élevé d’Haïtiens tentent de trouver un meilleur avenir ailleurs. 

Si, a poursuivi la Chef du BINUH, Haïti a connu, pendant ces derniers jours, un climat politique relativement calme, l’intention du Gouvernement de commencer les préparatifs des élections législatives et locales a fait ressurgir les passions et les animosités dans les discours et débats.  En outre, ces dernières semaines, les gangs armés ont intensifié leurs affrontements, gagnant le contrôle de larges parties des quartiers les plus peuplés de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, sans doute dans le but d’influencer les résultats des élections.  Un nombre croissant de figures de l’opposition contestent la longueur du mandat du Président et appelle à une administration de transition qui pourrait lancer les réformes et organiser les prochains scrutins. 

Le cercle vicieux de la méfiance, des récriminations et au bout du compte, de la violence commence, une nouvelle fois, à définir la dynamique de la politique haïtienne au moment où la société devrait se montrer unie contre la pandémie et jeter des bases plus solides pour l’avenir du pays.  Il est de plus en évident, a estimé la Chef de la BINUH, que la réforme est une nécessité pour briser le cercle vicieux actuel et créer les conditions de la stabilité institutionnelle, de la bonne gouvernance et de l’état de droit.  Une telle réforme ne sera possible que si elle résulte d’un processus véritablement national qui combine un leadership fort et des efforts réels de toutes les parties prenantes de mettre de côté leurs intérêts politiques étroits. 

Au cours de ces quatre derniers mois, malgré la pandémie, le BINUH a travaillé en étroite collaboration avec l’équipe de pays des Nations Unies, en ne perdant pas de vue les six priorités du Cadre stratégique intégré.  Malheureusement, le Bureau continue d’opérer dans un environnement où le respect du principe de responsabilité reste un défi, comme en témoigne le manque de progrès dans les enquêtes et les poursuites des cas emblématiques de Lilavois, Grand Ravin, La Saline et Bel Air qui concernent des violations et abus des droits de l’homme commis par des gangs, des agents de l’ordre et des responsables politiques.

Pour assurer le succès de la lutte contre l’impunité, la promotion des droits de l’homme, le combat contre la pandémie, les réformes institutionnelles et économiques et les élections dans un climat apaisé, Haïti compte sur le plein appui de ce Conseil et sur l’implication de ses partenaires, a rappelé la Chef du BINUH.

Haïti n’a pas été épargné par la pandémie de COVID-19, avec une combinaison de risques sanitaires, de mise à l’épreuve de la solidité institutionnelle et de crise économique, a souligné d’emblée le Président de la Fédération des barreaux d’Haïti et membre du Bureau des droits humains en Haïti, M. JACQUES LÉTANG.  Les services publics, a-t-il dit, sont pratiquement défaillants.  Les droits les plus élémentaires ne sont pas garantis, tandis que la dépréciation de la gourde et la saison des ouragans mettent directement en danger la vie de millions d’Haïtiens déjà en situation d’insécurité alimentaire.  La propagation rapide du virus est particulièrement préoccupante dans les prisons, où les conditions carcérales continuent de se détériorer.  Les plans d’urgence et l’élargissement des goulets d’étranglement annoncés par les autorités n’ont jusqu’à présent pas été mis en œuvre.

L’État perd de plus en plus son monopole sur la sécurité, a poursuivi l’orateur, en précisant que de nombreux quartiers populaires se transforment en zones de non-droit, où la vie des uns et des autres est soumise à la bonne volonté de gangs de mieux en mieux armés et organisés.  La plupart des institutions publiques situées au centre-ville de Port-au-Prince sont désertées, parce que les groupes armés font régulièrement fuir les autorités chargées du maintien de l’ordre public.  Par conséquent, l’État contrôle de moins en moins le territoire, y compris dans les provinces.  L’orateur s’est même demandé si l’État n’a pas perdu le contrôle de la police, dont les revendications se sont exprimées à plusieurs reprises par la violence.

M. Létang est également revenu sur les violations massives des droits de l’homme qui sont en augmentation, en citant l’affaire La Saline qu’il a décrite comme « l’un des massacres les plus graves de notre histoire contemporaine ».  Le problème est avant tout celui de l’impunité.  Il n’y a même plus d’enquête car l’affaire est bloquée depuis des mois au niveau de la Cour de cassation.  C’est un message clair que l’État envoie aux victimes qui mettent leur vie en danger pour porter plainte.  L’État leur dit qu’aux niveaux national et international, elles n’obtiendront ni protection, ni justice.  La question de l’implication des autorités dans la commission de ces atrocités est abordée dans de nombreux rapports pourtant, dont celui de la MINUJUSTH, ou celui que vient de publier le BINUH sur le massacre de Bel Air.  Malgré la gravité des accusations, rien ne se passe.

C’est cette même impunité qui entrave la lutte contre la corruption, a affirmé M. Létang pour lequel, malgré la mobilisation citoyenne et les rapports édifiants publiés par la Cour des comptes sur le gaspillage et le détournement de milliards de dollars, il est illusoire d’espérer un procès PETROCARIBE, par exemple.  Ces lacunes sont étroitement liées aux dysfonctionnements du système judiciaire: les détentions arbitraires sont la norme et les plaignants n’ont que très rarement accès à un juge.  Loin de représenter le renouveau d’un système judiciaire indépendant, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire est victime de l’instrumentalisation politique et du corporatisme.

Le processus électoral est lui aussi profondément perverti.  Le Conseil constitutionnel et le Conseil électoral permanent n’ont toujours pas été mis en place.  Plutôt que de forger la démocratie, les élections provoquent avant tout des ingérences, des violences et l’instrumentalisation du pouvoir.  Elles ont échoué à créer une relation de confiance entre le peuple et ses leaders. 

« Plus que jamais, nous sommes dans une impasse politique », a prévenu M. Létang.  Actuellement il n’y a ni parlement, ni autorités locales, ni gouvernement légitime.  Les lois sont adoptées par décret, sans consultation, et l’absence du pouvoir et du contre-pouvoir est renforcée par la prolongation de l’état d’urgence en place depuis un an, ce qui entrave le respect des libertés individuelles et suspend les procédures d’octroi des marchés publics.

Les objectifs fixés au BINUH ne sont pas atteints, a tranché M. Létang.  Quand on considère les ressources investies au fil des décennies, la détérioration de la situation est « incompréhensible ».  Les causes essentielles de l’instabilité n’ont pas été réglées, bien au contraire.  Comment le « Groupe des Amis d’Haïti » peut permettre autant de violence et de détournements de fonds.  N’a-t-il pas les moyens de demander des comptes à un État qui a pris des engagements?  M. Létang a reconnu que le BINUH a « hérité » de dossiers sensibles comme la tragédie du choléra et les abus sexuels commis par des Casques bleus lesquels ont alimenté le manque de confiance de la population à l’égard des Nations Unies.  Car quid des réparations aux milliers de victimes?

M. Létang a vu une « contradiction » dans les missions de l’ONU: elles disent vouloir soutenir les « États faibles » mais lient leur destin à ces États au risque de perdre leur objectivité ou tout simplement la faculté d’interpréter correctement les indicateurs.  La notion même des stratégies « de soutien international continu » doit être remise en question lorsque « la force de la volonté nationale » vacille.  C’est le cas de la « saga » du dialogue national où l’on voit plutôt la communauté internationale bloquée dans en tête à tête avec le Gouvernement.  De facto, l’impératif de la stabilisation étouffe les protestations populaires, empêchant tout contre-pouvoir.  C’est une bombe sociale à retardement, a dit craindre M. Létang qui a exigé la reconnaissance de la société civile haïtienne.  Or, a-t-il regretté, les Nations Unies considèrent trop souvent les organisations militantes comme des opérateurs de projets ou des sous-traitants, alors qu’elles jouent un rôle indispensable de surveillance de la démocratie dans une situation où, tous les jours, les points de référence se perdent.  Il faut écouter et soutenir les acteurs de la société civile, a-t-il martelé.

Les États-Unis se sont déclarés gravement préoccupés par les informations faisant état d’attaques contre des malades du coronavirus et des centres médicaux.  Nous nous sommes engagés, ont-ils rappelé, à débourser 16 millions de dollars pour appuyer la lutte contre la COVID-19.  La délégation s’est aussi inquiétée de la propagation du virus dans des prisons surpeuplées et a appelé le Gouvernement à mettre en œuvre la décision qu’il a prise le 27 mars de libérer les personnes en détention provisoire accusées de délits mineurs et les détenus vulnérables qui ont presque fini de purger leur peine. 

Le Gouvernement, ont poursuivi les États-Unis, doit renforcer ses efforts s’agissant des réformes politiques, économiques et sociales.  Ils ont salué l’engagement du Président Moïse à tenir des élections et a encouragé le Gouvernement et l’ensemble des acteurs politiques à conclure un accord politique pour aller de l’avant.  La délégation a ensuite pris note des avancées réalisées par la Police nationale d’Haïti, notamment contre les enlèvements, mais a alerté que l’échec à lui fournir les ressources adéquates met en périls ses avancées.  Elle s’est aussi inquiétée de ce que les responsabilités n’aient pas été établies pour les violations des droits de l’homme commises à La Saline et Bel Air.  Les États-Unis ont insisté sur la nécessité pour le Président Moïse et les dirigeants politiques haïtiens de joindre leurs forces pour bâtir des institutions fortes propres à offrir un avenir plus prospère et plus sûr à tous les Haïtiens.

Saint-Vincent-et-les Grenadines, s’exprimant au nom des A3+1 (Afrique du Sud, Niger et Tunisie et Saint-Vincent-et-les Grenadines), a marqué la préoccupation de ces pays face aux défis politiques persistants, en particulier les problèmes entourant les élections et l’absence de calendrier électoral.  Les A3+1 ont donc demandé instamment aux autorités haïtiennes de prendre les mesures nécessaires pour garantir la bonne organisation des élections dans les meilleurs délais.  À cet égard, ils ont appelé les dirigeants politiques haïtiens à aller de l’avant avec la formation d’un gouvernement afin d’attirer davantage de soutiens bilatéraux et multilatéraux.  Les A3+1 ont aussi souligné qu’il ne peut y avoir de solution imposée de l’extérieur à la crise politique et ont appelé toutes les parties prenantes haïtiennes à travailler de manière constructive, afin de trouver une solution globale et pacifique à long terme.  Ils les ont invitées à convoquer un dialogue national et à s’abstenir de tout acte susceptible de déclencher de nouvelles violences et de compromettre les gains du pays sous la direction de l’ONU.

Les A3+1 ont dit être troublés par la prolifération d’armes et de munitions illicites qui continuent d’entrer illégalement dans le pays.  Ils ont expliqué que comme pour beaucoup d’autres petits États insulaires des Caraïbes, Haïti n’est pas un fabricant d’armes à feu ni de munitions.  Cependant, sa situation géographique entre les fournisseurs et les consommateurs de stupéfiants illégaux au sud et au nord, en fait un point de transbordement pour les armes illicites.  Les A3+1 ont demandé une enquête approfondie au sujet de l’« escadron de la mort » qui a perpétré des attaques violentes dans plusieurs quartiers pauvres de Port-au-Prince.  En outre, les A3+1 ont demandé instamment une amélioration des institutions et des mécanismes de renforcement des capacités pour remédier aux lacunes institutionnelles.  Reconnaissant les avancées marginales au sein de la Police nationale d’Haïti (PNH), ainsi que dans les secteurs judiciaire et pénitencier, ils ont regretté que l’État haïtien ait dû réduire sa contribution au budget national pour la PNH pour faire face à la pandémie de COVID-19. 

Les A3+1 ont par ailleurs déploré l’aggravation de la situation humanitaire, ajoutant que dans le sillage de la pandémie et de la crise socioéconomique qui a suivi, la communauté internationale doit redoubler d’efforts pour aider les autorités haïtiennes à répondre à la crise.  Ils ont salué les informations selon lesquelles certaines institutions financières internationales ont décidé de suspendre la dette d’Haïti afin que le pays puisse répondre de manière adéquate à la pandémie de COVID-19, et ils ont invité les partenaires d’Haïti à envisager la remise de la dette du pays.  « Haïti n’a pas seulement besoin d’un allégement de sa dette, mais aussi de subventions pour faire face à une situation économique déjà sombre », ont-ils argué.  En ce moment critique, nous demandons instamment une plus grande collaboration entre le Conseil économique et social (ECOSOC) et le Conseil de sécurité pour favoriser les complémentarités dans l’engagement du système des Nations Unies avec le pays, afin de s’attaquer de manière globale aux causes profondes de l’insécurité en Haïti, ont-ils ajouté.

Les A3+1 ont rappelé qu’Haïti reste un pilier fondamental de « notre civilisation africaine et caribéenne, avec une histoire glorieuse mais complexe ».  Sa bataille apparemment sans fin pour créer la sécurité et la stabilité de son peuple nous afflige, en particulier compte tenu du rôle de chef de file de cette nation pour ouvrir la voie à l’abolition de l’esclavage, ont-ils déclaré.  En tant que première nation noire à se révolter contre l’esclavage et l’oppression dans l’hémisphère occidental, Haïti a payé un prix exorbitant pour sa liberté, ont-ils rappelé, avant d’affirmer que « nous ne pouvons abandonner Haïti et nous devons être solidaires de nos frères et sœurs haïtiens ».  Ils ont conclu en réaffirmant que le développement durable d’Haïti ne restera qu’une illusion éphémère à poursuivre et à ne jamais atteindre si la genèse du sous-développement d’Haïti n’est pas abordée.  « Cela doit commencer par une restitution adéquate. »

Outre les défis posés par la pandémie, la République dominicaine s’est dite préoccupée par l’insécurité persistante en Haïti, estimant que c’est le fruit des activités criminelles et de la prolifération d’armes et de munitions illicites.  La large circulation de plus de 270 000 armes à feu détenues illégalement par des civils et le trafic illicite d’armes légères et de petit calibre contribuent à de nouveaux troubles sociaux, a estimé la délégation pour laquelle il est essentiel de traiter d’urgence ce problème.  Dans ce contexte, elle a salué le rôle de chef de file de la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion ainsi que ceux du BINUH et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

En février dernier, avant même la crise de COVID-19, plus de 40% de la population haïtienne avait besoin d’une aide humanitaire, a rappelé la délégation, en ajoutant qu’Haïti était déjà un des pays le plus frappés par l’insécurité alimentaire au monde.  Cette situation « déjà désastreuse » pourrait s’aggraver pendant la saison des ouragans, a mis en garde la délégation avant de dire qu’il faut travailler main dans la main avec le Gouvernement haïtien pour mettre en place des mécanismes d’évaluation des risques et concevoir des plans et des stratégies plus concrets pour renforcer les principaux secteurs et institutions. 

Après avoir félicité la communauté internationale pour les efforts visant à atténuer la situation humanitaire en Haïti, la République dominicaine a rappelé que le Plan de réponse humanitaire 2019-2020 pour Haïti, prévoyant la collecte d’une somme de 253 millions de dollars, n’a eu, au 8 juin, que 29,9 millions de dollars.  Outre les défis humanitaires, l’économie haïtienne fait face à de multiples difficultés qui vont aggraver la situation et ralentir la reprise après la COVID-19.  Il faut, a plaidé la délégation, une réponse régionale et mondiale urgente et coordonnée.  Elle a fait écho à l’appel du Secrétaire général et réclamé un soutien financier supplémentaire pour aider le pays à relever les défis du développement et de la santé.  La République dominicaine a tenu à remercier le BINUH et l’équipe de pays des Nations Unies pour leur réponse intégrée, dans ces circonstances « extraordinaires ».

L’Estonie s’est dite préoccupée par les conséquences de la COVID-19 en Haïti et a encouragé le Gouvernement à en faire plus pour faire face au virus en adoptant une réponse nationale coordonnée.  Une sensibilisation accrue du public et un règlement de la situation précaire dans les prisons et centres de détention sont des éléments clefs pour un contrôle de la pandémie, a estimé la délégation qui a aussi appelé à une prise de responsabilités pour surmonter l’impasse politique.  Elle a également prôné un dialogue ouvert et inclusif et une volonté politique.  Elle a en outre demandé une clarification du calendrier électoral et la création des conditions propices pour les prochaines élections législatives. 

L’Estonie a jugé positifs le professionnalisme grandissant de la Police nationale d’Haïti ainsi que sa retenue lorsqu’elle exerce ses fonctions de maintien de l’ordre.  Elle a déploré la hausse du nombre de violations des droits humains et des assassinats, avant de rappeler que 74% des détenus sont toujours dans l’attente de leur procès.  Enfin, elle a souligné l’importance d’une bonne reddition de la justice.

L’Indonésie, s’exprimant aussi au nom du Viet Nam, a dit sa profonde tristesse face au manque de progrès en Haïti.  Les incertitudes politiques et la polarisation sont les principales causes des multiples difficultés que connaît le pays, a-t-elle dit, en jugeant clef que se tienne un dialogue national approfondi.  Elle a indiqué qu’un gouvernement qui ne gouverne pas pour son peuple n’a pas de sens, en encourageant les parties prenantes à choisir dialogue et compromis.  « Les autorités haïtiennes ont l’obligation morale de concrétiser le droit pour les citoyens de vivre dans un environnement stable et pacifique.  »

La délégation a ensuite évoqué les défis économiques et sociaux, tels que la criminalité et les violations des droits humains en hausse, les chocs qui frappent l’économie du pays et les difficultés rencontrées dans la police.  Elle a appuyé les efforts du système onusien et du Fonds pour la consolidation de la paix en vue de mettre en œuvre une série de mesures socioéconomiques pour promouvoir la stabilité et réduire la violence des gangs.  La COVID-19 a notamment entravé la tenue des élections dans les délais prévus, l’accès aux soins et l’ouverture de bureaux d’aide juridictionnelle.  Dans ce contexte, la mission a apprécié les efforts du BINUH en vue de relations constructives entre le pouvoir exécutif et l’opposition.  Elle a appelé le BINUH et l’équipe pays à identifier les mesures pour répondre aux besoins urgents du pays.  Enfin, l’Indonésie a exhorté les partenaires régionaux à accroître leur soutien technique et politique en ces temps difficiles.

La Belgique a constaté qu’alors que l’épidémie de choléra semblait avoir été éliminée, Haïti a et est toujours durement frappée par la COVID-19.  Elle s’est inquiétée des informations faisant état de stigmatisation et de discrimination à l’encontre de personnes prétendument atteintes par la COVID-19, parlant notamment de lynchages et de destructions de biens.  La délégation a encouragé les acteurs politiques à saisir l’élan provoqué par la réponse à la COVID-19 pour travailler ensemble et répondre aux racines de l’instabilité en Haïti.  Elle a appelé à clarifier le calendrier électoral et a souligné que des réformes constitutionnelles sont nécessaires pour répondre au niveau « extrême » d’instabilité et de polarisation politique.

La Belgique s’est également préoccupée du sentiment généralisé d’impunité et d’instabilité et a appelé à redoubler d’efforts pour réformer le secteur juridique, combattre la corruption et renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme.  Le nombre important d’enlèvements et de meurtres perpétrés par des gangs est particulièrement préoccupant.  À cet égard, la délégation a jugé encourageantes la finalisation de la stratégie nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion et de lutte contre la violence de proximité, de même que la « réactivation » de la table ronde entre la Police nationale d’Haïti et la société civile.  Elle a aussi appelé à veiller à ce que justice soit rendue pour les actes de violences commis à Grand Ravine, La Saline, Bel Air et Village-de-Dieu.

Le Royaume-Uni a reconnu les extraordinaires difficultés que connaît Haïti depuis les dernières discussions du Conseil.  Face à la pandémie, il a prôné une réponse coordonnée et holistique sur laquelle doivent œuvrer ensemble le système onusien sur le terrain et les autorités du pays.  Le Royaume-Uni a regretté le manque de progrès dans la promotion des droits de l’homme et du principe de responsabilité.  Les auteurs des massacres de La Saline et de Bel Air continuent d’échapper à la justice, sapant la confiance dans un état de droit.  Le Gouvernement n’a pas encore honoré son engagement à nommer un ministre des droits de l’homme alors qu’une telle nomination attesterait de la volonté politique d’Haïti de préserver ces droits.  Enfin, la délégation a regretté l’échec en février dernier du dialogue pour se mettre d’accord sur la feuille de route des réformes constitutionnelles et structurelles.  Aujourd’hui, plus que jamais, toutes les parties doivent joindre leurs forces au service de l’intérêt national, a conclu le Royaume-Uni, en appelant de ses vœux un dialogue inclusif.

La France a exprimé son soutien et sa solidarité dans le combat du peuple et du Gouvernement haïtiens face à la pandémie de COVID-19 et à ses conséquences socioéconomiques et humanitaires.  « Plus qu’ailleurs dans le monde, la crise sanitaire vient en Haïti s’ajouter à des fragilités existantes, en particulier la crise humanitaire qui affecte déjà des millions d’Haïtiens et Haïtiennes », a dit la France avant de relever que la communauté internationale a montré qu’elle est prête à apporter son soutien.  La France a indiqué qu’elle contribuera en 2020 à l’action du Service aérien d’aide humanitaire des Nations Unies en Haïti afin de favoriser l’accès humanitaire, tandis que l’Union européenne, a-t-elle ajouté, a annoncé la réorientation de 165 millions d’euros d’aide.  La France a estimé que les autorités haïtiennes doivent en retour apporter des garanties quant à la bonne utilisation de ces crédits.

En outre la France a noté que « la pandémie de COVID-19 n’a hélas pas mis un terme aux violences et aux violations des droits de l’homme, bien au contraire ».  Elle a jugé préoccupante l’augmentation de l’insécurité et de la violence commise par les gangs depuis le début de l’année 2020.  La France a jugé nécessaire que les autorités haïtiennes s’attaquent à l’impunité, en premier lieu dans des affaires aussi symboliques que les massacres de La Saline et Bel Air qui ont donné lieu à des rapports accablants des Nations Unies.  La France a aussi appelé les autorités haïtiennes à défendre et protéger les défenseurs des droits de l’homme, qui jouent un rôle crucial dans ce contexte.

Face à la crise multidimensionnelle dans laquelle se trouve Haïti, la France a estimé que la seule solution réside dans le dialogue politique entre tous les Haïtiens.  La France a regretté que les efforts de dialogue au mois de février, avec le soutien du BINUH, n’aient pas permis d’aboutir à la formation d’un gouvernement inclusif.  Elle a appelé le Président Jovenel Moïse mais également toutes les forces politiques du pays, notamment l’opposition, ainsi que la société civile et le secteur privé, à reprendre le dialogue national inclusif en préparation des échéances électorales et de la révision de la Constitution, « si c’est la voie que choisissent les Haïtiens ».

La crise du coronavirus a démontré à quel point les pays et les peuples sont interconnectés, a déclaré Haïti en saluant les efforts déployés pour contenir la pandémie et atténuer ses conséquences socioéconomiques « désastreuses ».  La délégation a ensuite indiqué que le Gouvernement haïtien attache une importance particulière au travail avec toutes les parties prenantes pour identifier des solutions durables aux problèmes actuels et émergeants du pays.  Les organisations de la société civile sont encouragées à jouer un rôle de plus en plus important et discipliné dans le cadre des efforts nécessaires à l’indépendance de la justice haïtienne, a dit la délégation qui a indiqué avoir pris note des préoccupations soulevées par M. Jacques Létang.

En termes de justice et de sécurité, le pays fait face à une multiplicité de problèmes, a-t-elle poursuivi en citant les mouvements clandestins d’armes légères et de petit calibre qui constituent « un véritable fléau » et les groupes armés qui demeurent une importante préoccupation.  À cet égard, le renforcement constant des capacités de la Police nationale d’Haïti, et il importe de redoubler d’efforts pour renforcer le système judiciaire et veiller à ce que les tribunaux fassent preuve de plus d’efficacité en termes d’impartialité.  Le Gouvernement, a-t-elle assuré, est conscient de la gravité de la situation en ce qui concerne l’ordre public et continuera de mobiliser l’ensemble des acteurs du secteur de la sécurité pour affronter cette menace.

Poursuivant, la délégation a indiqué que plusieurs éléments demeurent essentiels pour mener à bien les efforts de relèvement, à savoir la volonté politique, l’ambition, le partenariat, la solidarité et un « financement substantiel ».  Elle a souligné que l’aide financière doit répondre aux besoins spécifiques de la population, notamment les plus vulnérables, et être cohérente avec l’exigence de renforcement des principales institutions nationales.  Pour le moment, le Gouvernement a un besoin urgent de ressources techniques et financières supplémentaires pour faire face à l’ensemble des crises qu’affronte le pays.

La délégation s’est ensuite penchée sur les préoccupations signalées dans le paragraphe 3 du rapport du Secrétaire général au sujet de l’absence d’une législation fonctionnelle et le manque de détails sur le calendrier des prochaines élections et les réformes constitutionnelles et structurelles.  Elle a imputé la lenteur des progrès aux divisions politiques persistantes et à la difficulté à instaurer un dialogue authentique et transparent axé sur les intérêts nationaux et la propagation de la COVID-19 dans le pays.  Le dialogue national n’est pas un simple exercice politique, mais une nécessité imposée par la polarisation débridée des forces de la nation, a dit la délégation qui a reconnu la nécessité réelle de mener des réformes constitutionnelles et d’organiser des élections libres et démocratiques. 

La délégation a signalé, en outre, que la situation socioéconomique du pays s’est considérablement détériorée en raison de la crise politique prolongée, de la stratégie « peyi lok » et de la récurrence de catastrophes naturelles.  La pandémie du coronavirus se fait gravement ressentir, tandis que l’économie nationale affronte une multiplicité de chocs simultanés, notamment une baisse des recettes fiscales, une hausse des dépenses pour faire face à la crise, la baisse des investissements étrangers directs et des exportations, de même que la réduction des envois de fonds.  « Le secteur informel paye déjà un lourd tribut. »

Face au taux de propagation de la COVID-19 qui augmente de manière significative (4 547 cas confirmés et 80 décès en date du 16 juin), le Gouvernement a pris de nombreuses mesures pour enrayer l’épidémie et augmenté de manière considérable le budget du Ministère de la santé publique et de la population qui est passé de 5,6 milliards pour 2017-18 à 21,6 milliards en 2020.  La gestion de la pandémie a démontré la pertinence pour les pays de mieux se préparer aux crises et de la « continuité reprise-développement », a relevé la délégation haïtienne. 

Elle a appelé à tirer les enseignements des modalités et des montants d’aide versés après le séisme de 2010 pour ne pas refaire les mêmes erreurs.  Dans les circonstances actuelles, le pays a un besoin pressant de ressources adéquates et prévisibles pour répondre à de multiples défis, a dit la délégation qui a lancé un appel urgent pour « plus de solidarité, d’affabilité et de souplesse de la part des donateurs bilatéraux et multilatéraux ».

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