ECOSOC: les délégations divisées sur une reprise du forum politique de haut niveau de 2020 avant la fin de l’année pour adopter une déclaration ministérielle
Après avoir entériné trois décisions du Comité des organisations non gouvernementales, le Conseil économique et social (ECOSOC) est revenu, sans prendre de décision, sur une proposition du Groupe des 77 et de la Chine (G77) qui souhaite un réexamen du projet de déclaration ministérielle de sa session de 2020 avant la fin de l’année. Ce texte n’avait pas pu être adopté à l’issue du forum politique de haut niveau pour le développement durable le 17 juillet et les délégations se sont montrées de nouveau divisées, ce matin, de même que le 14 septembre dernier.
Les consultations se poursuivront sur la question, a dit le Président de l’ECOSOC, M. Munir Akram (Pakistan), après que la délégation du Guyana, au nom du G77, a retiré provisoirement sa proposition « dans l’espoir de voir les positions se rapprocher ».
En juillet dernier, aucune déclaration ministérielle n’avait pu être adoptée faute d’unanimité, ce qui avait amené l’ECOSOC à revenir sur la question lors de sa séance du 14 septembre, saisi par le G77, mais aucune décision n’avait alors été prise quant à l’opportunité de rouvrir les négociations sur la déclaration.
Aujourd’hui encore, l’ECOSOC n’a pas pris de décision du fait du retrait de la proposition du G77. Parmi les délégations opposées à une nouvelle réunion du forum politique, l’Allemagne, au nom de l’Union européenne (UE), a formulé oralement une demande d’avis juridique, mais selon les règles de procédure en vigueur, cette demande devra être adressée de manière officielle à l’ECOSOC pour que celui-ci en soit saisi et puisse se prononcer.
Le Japon, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont appuyé cette demande, de même que la Fédération de Russie qui a cité les termes de la résolution 67/290 de l’Assemblée générale régissant les modalités du forum politique de haut niveau. Celles-ci ne prévoient pas le cas où une déclaration ministérielle serait adoptée ultérieurement, au lieu d’à l’issue du forum politique. Les États-Unis ont tout bonnement considéré que la session de 2020 de l’ECOSOC était close.
Le Président de l’ECOSOC, qui a assuré avoir tenté d’éviter une confrontation, a espéré que « les fantômes du passé » ne reviendraient pas, faisait référence à un problème laissé en suspens par l’ancien Bureau. Il a promis de poursuivre des « consultations silencieuses ».
Au cours de la séance de ce matin, l’ECOSOC a aussi entériné les trois décisions prises le 27 novembre dernier au cours de la session spéciale du Comité chargé des organisations non gouvernementales (ONG). Ainsi, l’ECOSOC a décidé de suspendre, pour une période d’un an, le statut consultatif de 187 ONG (E/2021/CRP.2), de retirer le statut consultatif de 142 autres ONG qui n’ont pas répondu à ses trois derniers rappels (E/2021/CRP.3), et de rétablir le statut de 56 ONG qui ont soumis leurs rapports quadriennaux (E/2021/CRP.4).
Décision concernant le projet de décision E/2021/L.8/Rev.1
Tous les ans, en juillet, le forum politique de haut niveau pour le développement durable adopte une déclaration politique négociée au niveau intergouvernemental, lors de sa session sous les auspices du Conseil économique et social, qui comprend un segment ministériel de trois jours. Il se réunit aussi au niveau des chefs d’État et de gouvernement sous les auspices de l’Assemblée générale, mais seulement tous les quatre ans.
Cette année, le débat de haut niveau de la session de 2020 de l’ECOSOC, tenu conjointement avec la réunion ministérielle de trois jours du forum politique de haut niveau, s’est achevé le 17 juillet sans l’adoption d’une déclaration ministérielle, mais sur des appels forts à forger une riposte multilatérale et inclusive face à la pandémie de COVID-19. Le 14 septembre dernier, les membres de l’ECOSOC n’avaient pas pu s’entendre sur l’opportunité de rouvrir les négociations sur la déclaration ministérielle, à la suite d’une demande faite par le G77. La délégation avait jugé important de revenir sur ce document crucial, alors que le camp des pays occidentaux avait argué que l’« on ne peut rejouer un match après la fin de la partie ».
Ce matin, les délégations sont restées campées sur leurs positions du 14 septembre dernier devant le projet de décision du G77, même si ce texte n’a pas été présenté puisque finalement retiré. Le texte prévoyait que « le Conseil économique et social décide, à titre exceptionnel, de tenir une réunion du forum politique de haut niveau pour le développement durable et du Conseil économique et social dès que possible au cours de la session de 2021 du Conseil, afin de réexaminer, d’ici au 31 décembre 2020, le projet de déclaration ministérielle issue du débat de haut niveau de la session de 2020 du Conseil économique et social et du forum politique de haut niveau pour le développement durable organisé sous les auspices du Conseil, établi par les cofacilitateurs de la Déclaration ministérielle et soumis à la Présidente du Conseil économique et social par lettre datée du 16 juillet 2020, dans laquelle il a été tenu compte des préoccupations exprimées par les délégations ».
La représentante du Guyana a indiqué que le G77 était déçu du fait que le texte de la déclaration ministérielle proposé aux membres du Conseil en juillet dernier n’était pas celui agréé par les facilitateurs des négociations. « C’est un dangereux précédent et il faut corriger cette erreur en adoptant ce nouveau projet qui est celui qui avait été négocié », a proposé la délégation. Nous nous trouvons à un tournant alors que nous entamons la décennie d’action en faveur des objectifs de développement durable (ODD), a souligné le G77 pour qui la déclaration ministérielle est d’autant plus importante dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et de ses impacts sur les pays en développement. Mais, comme le G77 « préfère que cette décision soit adoptée par consensus, et conscient des positions des uns et des autres, il a demandé que soit reporté l’examen de sa proposition », afin de poursuivre les consultations avec les autres délégations.
Au nom de l’Union européenne (UE), l’Allemagne a rappelé qu’en juillet 2020, au cours du forum politique, les membres de l’UE avaient pris part aux négociations sur la déclaration ministérielle et avaient soutenu le texte présenté par la présidence de l’ECOSOC. Suite à l’échec de son adoption, une reprise desdites négociations n’était pas possible, a estimé l’UE. La délégation a d’ailleurs souligné que la réunion de l’ECOSOC du 14 septembre dernier avait bien laissé voir qu’il n’y avait pas d’unanimité sur l’éventualité d’un réexamen de la déclaration ministérielle. La session de 2020 de l’ECOSOC s’est achevée le 20 juillet dernier et le Conseil n’avait pas reporté l’examen de la déclaration ministérielle à sa session de 2021, a fait observer la délégation qui a marqué son inquiétude face au précédent que cela entraînerait. Elle a rappelé avoir demandé en septembre une opinion juridique sur la question et en attendre toujours les résultats.
L’UE a également relevé qu’une déclaration ministérielle, selon les règles posées par la résolution pertinente, doit être adoptée par des représentants de haut niveau au cours du forum politique. En plus, le texte proposé par le G77 n’est pas celui qui avait été négocié en juillet dernier, a-t-elle noté. Il faut beaucoup de temps pour désigner les facilitateurs et parvenir à un consensus, a fait observer l’UE, en rappelant que la date butoir du 31 décembre, avancée par le G77, semble intenable alors que l’on s’achemine vers les fêtes de fin d’année. L’UE a salué le report de l’examen du projet de décision du G77, tour en précisant qu’elle resterait toujours opposée à une reprise du forum politique. Enfin, elle a invité la présidence de l’ECOSOC et les membres de celui-ci à se concentrer désormais sur la réussite du forum politique de 2021 et de ne point mettre à mal son succès.
Le Président de l’ECOSOC a vivement réagi à cette dernière assertion en disant « rejeter ce sous-entendu ». Il a également invité l’Allemagne à rédiger une demande officielle de saisine du Bureau des affaires juridiques pour avis.
Pour le Canada, qui intervenait également au nom de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, la déclaration ministérielle est l’occasion de s’engager encore plus constructivement sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030. « Cet engagement n’a jamais été plus important que lors de la réunion de juillet. » La délégation a exprimé son intention de voter contre la proposition du G77 lorsqu’elle sera à l’examen, à cause de questions liées à la procédure. Elle a souhaité obtenir des « précisions juridiques claires », en déplorant la « hâte » avec laquelle on cherche à procéder. La délégation a souhaité mieux comprendre, notamment la procédure qui consisterait à tenir une séance extraordinaire du forum politique de haut niveau. « L’ECOSOC a-t-il l’autorité de le faire et est-ce une affaire urgente? » La délégation a ensuite appuyé la demande formulée par l’Union européenne et visant à obtenir une opinion juridique du Bureau des affaires juridiques. Les cofacilitateurs eux-mêmes n’ont pas réussi à se mettre d’accord en juillet dernier, a-t-elle fait remarquer, avant de s’interroger sur l’utilité de fixer la date butoir du 31 décembre. Au lieu de cela, a proposé le Canada, il faudrait mener davantage de consultations dans les mois à venir car, en juillet dernier, les décisions n’ont pas été sans conséquences. Il a prévenu que les risques seraient plus élevés maintenant.
Les États-Unis ont considéré la session 2020 de l’ECOSOC comme close. Le Conseil avait pris alors la décision formelle de clore certaines questions non réglées et aucune décision concrète n’avait été prise sur la déclaration ministérielle, a rappelé la délégation, se disant prête à participer à des consultations. « Faut-il réexaminer des questions closes? Y aura-t-il deux propositions de déclaration ministérielle? » Par ailleurs, l’ECOSOC n’est pas habilité à convoquer une session exceptionnelle, a affirmé la délégation pour qui il va de soi que tous les efforts ont déjà été déployés pour arriver à un consensus. Alors que le monde est plongé dans une pandémie, l’unité devrait être de mise, ont estimé les États-Unis, déçus de ce désir de rouvrir un débat. De plus, « la version du document que nous allons peut-être examiner n’est pas celle qui avait été présentée par l’ancien Président du Conseil », ont-ils fait valoir en soulignant ce qui a changé, à savoir une question qui avait révélé un désaccord entre les cofacilitateurs.
La Fédération de Russie a indiqué qu’elle était le pays ayant brisé la procédure tacite sur la déclaration ministérielle suite à des préoccupations, notamment sur des aspects de procédure d’adoption de la déclaration, car le forum politique de haut niveau était déjà achevé. La délégation a aussi rappelé avoir demandé des consultations supplémentaires qui ont ensuite été tenues en septembre 2020. S’agissant des modalités du forum politique, elle a indiqué que le paragraphe 7 g) de la résolution adoptée par l’Assemblée générale le 9 juillet 2013 (A/RES/67/290),précise que les réunions du forum tenues sous les auspices de l’ECOSOC doivent s’achever par « l’adoption d’une déclaration ministérielle négociée ». Or, cela ne s’est pas passé comme cela, a rappelé la Russie qui a dès lors demandé une argumentation juridique pour savoir comment procéder dans ces cas-là.
Le Japon s’est félicité de la décision du Groupe des 77 et de la Chine de reporter sa demande d’examen du projet de décision. Le Japon ne souhaite pas appuyer cette demande puisque plusieurs questions se posent encore quant aux modalités, a-t-il précisé avant d’émettre le vœu d’une consultation du Bureau des affaires juridiques. Compte tenu de la pandémie de COVID-19, il est essentiel de transmettre un « message fort et uni », a-t-il suggéré. De son avis, il n’est nullement utile d’adopter cette déclaration en l’état sans consultation préalable. « Nous sommes à une croisée des chemins critique avec la pandémie et il est plus raisonnable de ne pas prendre de décisions hâtives mais bien de chercher à résoudre les différends. »
Le Président de l’ECOSOC a fait savoir qu’il avait mené des consultations mais que, devant la difficulté à rapprocher les vues, il n’avait pas pu prendre de nouvelles mesures tant que le Groupe des 77 et de la Chine ne l’avait pas contacté officiellement. Le Président a assuré avoir tenté d’éviter une confrontation. Il s’avère que les délégations concernées sont « obstinées » et persistent dans leur position, « ce qui n’a rien de constructif », a-t-il déclaré.
L’Ukraine a constaté que les membres de l’ECOSOC avaient des positions divisées sur la reprise du forum politique. Elle aurait souhaité que le projet de décision du G77 explique « pourquoi il était important d’examiner la déclaration ministérielle maintenant ». De plus, un document aussi important que la déclaration ministérielle devrait être adopté avec le maximum de soutien, sans amertume ni division. La tâche la plus importante de l’ECOSOC en ce moment est de favoriser une bonne réponse de l’ONU à la pandémie de COVID-19 et de créer les conditions d’une bonne reprise postpandémie.
Le Mexique a également salué le choix du G77 de demander un report de l’examen de sa proposition. Adopter une déclaration ministérielle avec des mois de retard diluera la volonté politique de celui-ci, a argué la délégation qui a invité le G77 à organiser des consultations ouvertes en s’appuyant sur les avis juridiques du secrétariat de l’ECOSOC. « Nous devons savoir ce que nous devons faire: renforcer le forum politique ou l’affaiblir? »
La République de Corée a indiqué qu’elle aurait de toute manière voté contre le projet de décision du G77, avant d’appeler également à davantage de consultations sur la question.
Au regard des réactions des diverses délégations, le Guyana a repris la parole au nom du G77 afin de souligner le besoin exprimé par les délégations de disposer de plus de temps pour examiner les questions soulevées. Le G77 a rappelé avoir pris part à toutes les négociations de bonne foi. Il a indiqué que le texte proposé par les cofacilitateurs avait été amendé sans consultation de ces derniers. La décision de présenter ce projet de décision avait donc pour but de « corriger ce vice de procédure », a argué le G77 en se disant prêt à poursuivre les consultations à tout moment pour parvenir à un consensus.
Le Président de l’ECOSOC a estimé qu’il avait « hérité des fantômes du passé ». Il a dit qu’il n’avait pas d’autre choix que de présenter le projet de décision du Groupe des 77. Il nous faut trouver une solution qui ne nous divise pas et qui ne durcisse pas les positions, a-t-il plaidé, avant de promettre de « poursuivre ses consultations silencieuses » et d’encourager les délégations à ne pas rester campées sur leurs positions.