ECOSOC et Deuxième Commission: « infrastructures durables, science et technologies » vues comme des moteurs de reprise et de développement
Les infrastructures durables, la science et les technologies constituent un « moteur puissant » pour parvenir à réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui est en soi une « feuille de route pour reconstruire en mieux » après la pandémie de COVID-19. C’est ce qu’a rappelé le Président du Conseil économique et social (ECOSOC) à l’ouverture de la traditionnelle réunion conjointe de cet organe avec la Deuxième Commission de l’Assemblée générale, chargée des questions économiques et financières, qui s’est tenue cet après-midi par visioconférence.
Au moment où s’abat une crise « parmi les plus importantes qu’ait jamais connue l’ONU », a poursuivi M. Munir Akram, il est désolant de voir les retards en matière de développement durable s’aggraver. Dans ce contexte, le Président de la Deuxième Commission, M. Amrit Bahadur Rai, a appelé à généraliser les mesures qui permettent de réaliser les objectifs de développement durable (ODD) comme le préconise la Décennie d’action dédiée à cette cause, tout en recommandant d’agir avec ambition pour lutter contre la COVID-19.
Des représentants de la banque, du secteur privé, du monde académique, des gouvernements locaux et d’agences de l’ONU étaient venus réfléchir, avec les délégations, aux moyens d’utiliser ces « moteurs » - infrastructures durables, science et technologies - pour stimuler les efforts déployés au niveau national, sur le plan international mais aussi à l’échelon local.
L’ECOSOC et la Deuxième Commission ont des rôles complémentaires pour accompagner ces efforts, a fait remarquer le Président Rai, en relevant qu’elles cherchent toutes deux des « solutions politiques » et appellent à « travailler de concert » pour réaliser les ODD. Des méthodes qui s’avèrent nécessaires au moment « historique » où le monde doit reconstruire des économies « plus justes, plus inclusives et plus durables ».
Pour le Président de l’ECOSOC, la première condition indispensable pour y parvenir, c’est le financement adéquat des infrastructures durables, des sciences et de la technologie, de sorte que les pays en développement se relèvent de la pandémie, évitent de tomber dans le piège d’une dette qui s’alourdit, et effectuent leur transition vers une économie verte.
Les partenaires du monde développé ont mobilisé 13 milliards de dollars pour relancer leurs économies pendant que les pays en développement ont le plus grand mal à réunir les 2,5 milliards de dollars que le FMI recommande pour le relèvement de leurs économies, a noté M. Akram. « L’argent peut se trouver » mais les projets sont trop peu nombreux pour que les secteurs privés et publics sachent où investir, a-t-il déploré.
Pourtant les invités à cette séance ont présenté des initiatives qui sont révélatrices des vastes possibilités de collaboration, comme un partenariat entre l’ONU et Microsoft qui donne aux réfugiés vivant dans les camps la possibilité d’acquérir des connaissances. La Thaïlande a également cité le Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la COVID-19 (accélérateur ACT) comme un bon exemple d’action concrète de coopération internationale.
Toutefois, de l’avis d’un membre de l’Université d’Oxford, c’est avant tout aux gouvernements d’améliorer les infrastructures numériques et de prévoir l’enseignement des compétences dans ce domaine. Or, les outils politiques pour réduire la fracture numérique sont très faibles dans les pays en développement, a relevé le Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Ce qui a fait dire à la République islamique d’Iran qu’il faut que les pays développés honorent leurs engagements en matière de transfert des technologies et de renforcement des capacités, « sans politiser le processus », a-t-elle précisé.
Le Chef du financement durable et des investissements à HSBC, établissement bancaire qui a élaboré un label pour garantir le développement d’infrastructures durables, a conseillé aux gouvernements de développer des infrastructures sociales « pratiques », de nature à attirer les investissements. C’est ce qui a été fait en Ouganda, a expliqué le Directeur de l’inspection des pouvoirs publics locaux de ce pays, avec des investissements dans des infrastructures ayant un impact direct sur la vie des citoyens, en particulier pour l’accès à l’eau. « Des investissements énormes, dont la rentabilité est de 20 ans », a-t-il dit, en précisant qu’ils tombent dans le domaine du partenariat public-privé.
Table ronde 1 - Développer des infrastructures durables
Cette table-ronde animée par M. ELLIOTT HARRIS, Sous-Secrétaire général chargé du développement économique et Économiste en chef du Département des affaires économiques et sociales (DESA), devait apporter des réponses sur les questions relatives aux infrastructures nécessaires à court et à long terme pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD). Quels types d’infrastructures sont nécessaires pour lutter contre les changements climatiques et mener le relèvement après la pandémie de COVID-19? Les gouvernements sont appelés à mobiliser le secteur privé et d’autres parties prenantes pour faciliter et financer les infrastructures durables nécessaires: quel est le rôle de l’ONU à cet égard?
Le Directeur du Centre de l’innovation et de la technologie, Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), M. DOLF GIELEN, a souligné l’importance d’investir dans des infrastructures et systèmes plus résilients, qu’il s’agisse des changements climatiques ou de la transition énergétique. Les efforts d’investissement dans la transition énergétique et l’énergie renouvelable doivent viser non seulement la protection de l’environnement mais aussi le soutien à l’économie, a-t-il précisé. Il a estimé qu’un investissement de 2 000 milliards de dollars par an est nécessaire dans ces secteurs dans les années à venir. « Cet argent, a prévenu M. Gielen, il faut l’utiliser de façon stratégique pour aller dans la bonne direction. » À cet égard, les gouvernements doivent donner des orientations claires dans le secteur des énergies renouvelables, car cela peut multiplier par trois ou quatre les retombées. Il a annoncé qu’un dollar investi dans ce secteur permet de créer 25 emplois. Il a également insisté sur l’importance d’investir dans les réseaux électriques durables et des modes de transports intelligents. Le message est qu’il faut des investissements considérables dans les infrastructures et que les fonds recueillis soient engagés dès le début, a résumé le Directeur.
Aucune institution financière ou intergouvernementale ne peut trouver la solution financière toute seule, a enchaîné M. CHRISTIAN DESÉGLISE, Chef du financement durable et des investissements à HSBC, en invitant dès lors à collaborer. La banque HSBC travaille notamment avec l’OCDE, les banques nationales et institutionnelles, ainsi qu’avec des intermédiaires financiers pour fournir le capital nécessaire, a-t-il indiqué. S’agissant des infrastructures sociales, il a conseillé de développer des infrastructures « pratiques », de nature à attirer les investissements. M. Deséglise a ensuite annoncé l’élaboration par HSBC d’un label pour les infrastructures durables, qui prend en compte les volets environnemental, social et de gouvernance. Le message aux gouvernements, a-t-il annoncé, est de développer des infrastructures capables de résister aux changements climatiques, et qui soient viables et fiables.
Du côté des gouvernements, M. JOHN GENDA WALALA, Directeur de l’inspection des pouvoirs publics locaux, Ministère de la gouvernance locale de l’Ouganda, a présenté les mesures prises par son pays. Pour aider la population à se relever après la pandémie, le Gouvernement ougandais prévoit la construction de routes, a-t-il signalé en faisant valoir que les infrastructures routières aident à augmenter la production et la productivité de l’Ougandais moyen et rural. Il a également annoncé des projets d’irrigation pour l’agriculture, une amélioration de l’accès routier et de l’électrification rurale. Le plus grand défi est l’écart des investissements selon les infrastructures, a reconnu M. Walala qui a insisté sur l’importance de dépenser dans des secteurs innovants et d’offrir des services sociaux nécessaires à la population. S’agissant toujours des pouvoirs publics locaux, il a annoncé une réglementation qui permet aux collectivités locales d’émettre des obligations en faisant participer l’ensemble de la communauté. Il s’agit de mobiliser de l’argent localement, de l’investir et de développer les communautés locales par les pouvoirs publics locaux eux-mêmes. C’est comme cela qu’il faut mobiliser les pouvoirs publics locaux contre la COVID-19, a annoncé M. Walala.
Au cours du débat avec les États Membres, animé par le Sous-Secrétaire général chargé du développement économique et Économiste en chef du DESA, les orateurs se sont d’abord focalisé sur les énergies renouvelables, l’occasion pour l’Union européenne (UE) de se prévaloir de la feuille de route verte européenne qui vise à la neutralité carbone à l’horizon 2050 sur le continent. L’UE a rappelé être le premier contributeur en termes d’investissement dans l’énergie verte. Elle a demandé des normes et des institutions permettant l’interopérabilité des réseaux électriques notamment et a souligné le rôle essentiel que l’ONU doit jouer sur cette question et sur la coopération énergétique en général. Elle a terminé en se disant sceptique quant à l’opportunité de la création de nouveaux mécanismes de financements verts. « Cela risque de faire doublon et de fragmenter avec les mécanismes déjà existant. »
À une question d’ONU-Femmes sur les investissements dans les infrastructures sociales en Ouganda, le Directeur de l’inspection des pouvoirs publics locaux de l’Ouganda a précisé qu’ils bénéficient à des domaines qui ont des impacts directs sur la vie du citoyen lambda, en particulier l’accès à l’eau. Ce sont des investissements énormes, dont la rentabilité est de 20 ans, a-t-il ajouté, en précisant qu’ils tombent dans le domaine du partenariat public-privé. Le Chef du financement durable et des investissements de HSBC a préconisé un mécanisme-pilote pour mobiliser le financement privé, « car nous aimerions travailler avec les États Membres et créer un label pour attirer aussi des investisseurs individuels ». C’est la seule façon, selon lui, de favoriser des solutions pour attirer les milliards du public et du privé.
Table ronde 2 - Rôle de la science et de la technologie dans la lutte contre la pandémie COVID-19 et dans la reprise
À la question du modérateur M. ELLIOTT HARRIS, Sous-Secrétaire général pour le développement économique au sein du Département des affaires économiques et sociales (DESA), qui lui demandait quel serait l’avenir post-COVID des nouvelles technologies, Mme JULIE GLIDDEN, Vice-Présidente du secteur public mondial au sein de Microsoft, a répondu tout d’abord que le secteur privé avait une responsabilité éthique de travailler avec le secteur public pour faire face à la pandémie. Il est évident que les pays ne pourront pas se numériser d’un jour à l’autre même si le numérique reste la seule manière de travailler dorénavant, a-t-elle reconnu. « C’est un moment de transformation, sans retour en arrière. » Nous avons dû agir au pied levé pour organiser le travail à domicile et l’enseignement à distance, a rappelé Mme Glidden.
Abordant le problème du fossé numérique, elle a recommandé que les secteurs privé et public ainsi que les universités travaillent de concert, sans quoi l’écart se creusera encore davantage. . « Nous avons déjà des difficultés dans le monde développé à communiquer, alors imaginons l’accès à des hôpitaux, par exemple, dans un pays non développé. » La paneliste a ensuite parlé du partenariat avec l’ONU mis en place par Microsoft pour donner aux réfugiés des camps de l’ONU la possibilité d’acquérir des connaissances dans un monde post-COVID. Il reste encore beaucoup à faire, a-t-elle conclu.
Au sujet du retard technologique des pays, Mme XIAOLAN FU, Directrice et fondatrice du Centre de technologie et de gestion pour le développement (TMCD) de l’Université d’Oxford, a préconisé la « collaboration » à tous les niveaux. Il y a le fossé préexistant, et la crise actuelle, a-t-elle distingué, estimant que cette dernière pourrait être une chance à saisir. Elle a souligné l’intérêt à rassembler, connecter le monde dans des services éducatifs à distance dans différentes régions du monde et différentes sociétés. C’est aux gouvernements, selon elle, d’améliorer les infrastructures numériques et d’enseigner les compétences numériques. Les nouvelles technologies ont un énorme potentiel mais il faut une technologie 4G au minimum, et des compétences minimales fondamentales: c’est là que les gouvernements devraient faire des efforts, a-t-elle avancé.
De son côté, le secteur privé travaille à des solutions novatrices notamment concernant le traçage de la maladie et la fourniture de services de santé à ceux qui en ont besoin. Mme Fu a évoqué l’usage de drones pour acheminer des médicaments aux personnes isolées. Pour étendre tout cela, il faudrait un appui financier et une collaboration internationale « multisectorielle », et « transsectorielle », a-t-elle préconisé.
Les nouvelles technologies peuvent améliorer les choses mais aussi creuser les inégalités: comment répondre à ces défis? À cette question du modérateur, M. MUKISHA KITUYI, Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a rappelé que l’interconnectivité, était certes source de solutions mais qu’elle avait aussi amené la pandémie actuelle. Le secteur recherche et développement, déjà très faible dans de nombreux pays, est encore affaibli par la pandémie. Les outils politiques pour réduire la fracture numérique sont très faibles dans les pays en développement. Faisant ces constats, M. Kituyi a appelé à aller au-delà de l’inclusion numérique. Dans la situation réelle du monde en développement, on voit bien qu’il y a certaines tâches qu’on ne peut pas numériser, a-t-il dit. Il a aussi déploré la fragmentation des politiques, appelant les secteurs privé et public à s’attaquer à ce problème.
Le Groupe des 77 et la Chine (G77) a déploré la fracture entre pays en développement et pays développés pour construire des infrastructures numériques durables. Il a appelé à la solidarité et la coopération internationale, d’autant plus en ces temps difficiles marqués par la pandémie meurtrière. La pandémie pourrait aussi être une opportunité pour réaligner les efforts de développement, a espéré le G77.
C’est aussi l’avis de la Thaïlande, qui a appelé à profiter de la pandémie pour reconstruire en mieux, en plus vert, et en développant les infrastructures de technologies de l’information et de la communication (TIC) de la même manière que si elles étaient des infrastructures de base comme l’électricité. Il a cité le Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la COVID-19 (accélérateur ACT) comme un bon exemple d’action concrète de coopération internationale.
Il faut aussi que les pays développés honorent leurs engagements en matière de transfert des technologies et de renforcement des capacités, « sans politiser le processus », a ajouté la République islamique d’Iran. De son côté, l’Union européenne (UE) a constaté que les décideurs politiques ne suivaient pas assez les recommandations scientifiques. C’est pourquoi l’UE a appelé à donner la priorité à la liberté de la presse, qui doit être garantie « en ligne et hors ligne ».
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a demandé aux conférenciers quels étaient les plus grandes difficultés pour régler les défis de notre époque. Pour que les pays en développement tirent réellement parti des ODD, les panelistes d’Oxford et de Microsoft ont appelé à un partage des connaissances et des données, en conjuguant tous les efforts possibles. De plus, « un appui stratégique et politique est nécessaire pour absorber les connaissances et les innovations; c’est justement là que les embûches de la politique et de la pandémie ne doivent pas nous distraire », a pour sa part commenté le représentant de la CNUCED.
Discours de clôture
M. LIU ZHENMIN, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, a évoqué le « triste contexte de la pandémie », qui a bouleversé des sociétés entières et risque de remettre en cause la réalisation des ODD. L’élimination de la pauvreté, condition sine qua non du développement durable, doit faire l’objet d’une attention particulière, s’agissant de la lutte contre la pandémie et ses impacts. La maîtrise de la science et de la technologie au service du développement est un outil de riposte principal, qui pourrait aussi servir à préserver l’environnement, a-t-il déclaré.
Concernant les infrastructures numériques, il a jugé que la brèche entre les pays développés et les pays en développement était un vrai problème. Le Programme d’action d’Addis-Abeba et le Programme de développement durable à l’horizon 2030 permettront de développer des outils favorisant la justice numérique, a-t-il assuré, avant d’évoquer le rôle du Forum des sciences et technologies de l’ECOSOC dans ce domaine.
Les infrastructures durables, notamment dans l’eau et l’assainissement et les infrastructures numériques et sanitaires, ont été mises à rude épreuves par la pandémie, a encore constaté M. Zhenmin avant d’appeler à accélérer leur développement et à utiliser des énergies non polluantes. Pour le renforcement des capacités des pays en développement, les plateformes de l’ONU et ses organes comme le DESA peuvent aider à trouver des sources de financement à l’échelon global, a aussi assuré M. Zhenmin.
De son côté, le Président de l’ECOSOC a retenu comme enseignement principal des deux tables-rondes « l’importance capitale de la collaboration entre pays, et entre les secteurs privés et publics ». Il a appelé à se pencher sur le problème de la connexion des financements publics et privés avec la demande des pays en développement: plusieurs mécanismes sont disponibles pour rapprocher offre et demande concernant les infrastructures, a-t-il souligné.
Pour sa part, le Président de la Deuxième Commission a appelé à « repousser les frontières des technologies » pour « reconstruire en mieux ». Dans ce moment charnière, il a mis en garde contre une fracture numérique encore plus gigantesque. Pour cela, il a recommandé de miser sur les partenariats à tous les niveaux. « Les financements ne manquent pas; ce qui manque, ce sont les encouragements, les mécanismes et la volonté politique », a-t-il conclu.