Mali: le Secrétaire général appelle tous les acteurs nationaux, régionaux et internationaux à redoubler d’efforts pour faire face aux multiples menaces
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors de la séance du Conseil de sécurité consacrée à la situation au Mali, à New York, aujourd’hui:
Je vous remercie, Monsieur le Président, pour l’opportunité qui m’est donnée de présenter un exposé au Conseil. Je souhaite la bienvenue à S. E. le Premier Ministre Maïga.
Nous avons tous été horrifiés par la récente recrudescence de la violence dans le centre du Mali, en particulier par le meurtre d’au moins 160 civils le week-end dernier dans le village d’Ogossagou, dans la région de Mopti. Il semble que ce massacre, dans lequel des familles entières, y compris des femmes et de jeunes enfants, ont été tuées à coups de machette dans leurs maisons, qui ont été ensuite incendiées, ait été prémédité. Si cette attaque est la pire commise à ce jour, ce n’est pas la première. J’adresse mes plus sincères condoléances aux familles des victimes ainsi qu’au peuple et au Gouvernement maliens, et je souhaite un prompt rétablissement aux blessés.
L’impunité ne fait qu’alimenter le cycle de la violence. Une enquête doit être menée de toute urgence sur cette attaque et les auteurs doivent être traduits en justice. J’exhorte les autorités maliennes à redoubler d’efforts afin de mettre fin aux violences et de rétablir la paix et la stabilité dans le centre du Mali. Cependant, à la mesure que ces attaques deviennent de plus en plus meurtrières et de plus en plus fréquentes, nous devons déterminer comment la communauté internationale peut faire pour mieux soutenir les autorités maliennes et protéger tous les Maliens, notamment les Peuls, qui ont été pris pour cible lors de ce massacre.
Dans le centre du pays en particulier, les conditions de sécurité se sont détériorées rapidement. Les groupes terroristes et les milices gagnent du terrain et deviennent plus dynamiques et mobiles. La montée des mouvements extrémistes amplifie d’anciennes tensions intercommunautaires entre groupes ethniques pour l’accès à la terre et à l’eau. La prolifération des armes légères et de petit calibre et l’acquisition d’armes par des groupes ethniques d’autodéfense ont causé une augmentation de la violence envers les civils.
Si ces problèmes ne sont pas résolus, il y a de forts risques que la situation dégénère au point de donner lieu à des atrocités. L’an dernier, plus de 240 attaques ont été commises contre des civils, des représentants du Gouvernement malien et des membres de forces nationales et internationales, alors que ce chiffre était de 183 en 2016. Le nombre de personnes forcées de quitter leur foyer, qui était de 40 000 il y a un an, s’est élevé à 123 000 en février 2019, et les cas d’utilisation d’engins explosifs improvisés dans le centre du Mali ont plus que triplé, passant de 29 en 2017 à près de 100 en 2018.
Nous devons une profonde reconnaissance au Représentant spécial, Mahamat Saleh Annadif, et à son personnel militaire et civil pour le travail qu’ils accomplissent dans cette mission extrêmement difficile et dangereuse. Dix-huit Casques bleus du Tchad, de Guinée et de Sri Lanka ont perdu la vie au Mali au cours des 18 derniers mois. Je présente mes plus sincères condoléances à leur famille et à leurs amis, mais leur sacrifice ne sera pas en vain. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a renforcé ses capacités de réaction, même lorsqu’elle est en forte infériorité numérique.
Cependant, à mesure que les extrémistes étendent leurs activités et utilisent des armes de plus en plus sophistiquées, les forces maliennes et internationales doivent répondre présentes et renforcer leur riposte. La MINUSMA travaille en étroite coordination avec les Forces de défense et de sécurité maliennes et les forces internationales présentes au Mali, à savoir la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel (G5 Sahel) et l’opération française Barkhane. Je salue les récentes opérations menées par Barkhane et la Force conjointe du G5 Sahel, et le Conseil sait ce que j’estime nécessaire pour que la Force conjointe devienne pleinement opérationnelle.
Alors que les conditions de sécurité se détériorent, des mesures importantes ont été prises au cours des six derniers mois pour accélérer la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Plus de 1 400 ex-combattants à Gao, Kidal et Tombouctou ont rejoint l’armée malienne dans le cadre du processus accéléré de désarmement, démobilisation et réintégration, important signe d’engagement. Des administrations provisoires ont été mises en place dans chacune des cinq régions du nord. Des discussions sont en cours sur le renforcement de la participation des femmes au processus de paix.
Le Gouvernement a lancé un vaste processus de réforme politique et administrative, jetant les bases d’un dialogue sur la manière dont les institutions maliennes peuvent servir au mieux les intérêts de la population. J’engage le Gouvernement à promouvoir la réconciliation et le dialogue intercommunautaire dans l’intérêt de l’inclusion, du renforcement de la résilience et de la cohésion sociale à partir de la base. Je salue les efforts déployés par le Gouvernement pour rendre ce processus le plus inclusif possible en y associant les dirigeants politiques de tous horizons, les mouvements signataires et les groupes armés, des experts et des membres de la société civile.
Les rencontres tenues récemment à l’initiative du Président Keita avec les dirigeants de l’opposition démocratique, dont Soumaïla Cissé, montrent de part et d’autre la volonté de dépasser la politique partisane et de soutenir les réformes. J’exhorte toutes les parties maliennes à redoubler d’efforts, à aplanir leurs différends par le dialogue et à écouter la voix du peuple malien afin de rendre ces progrès irréversibles. J’engage également la communauté internationale à maintenir son appui.
Même si nous devons faire davantage pour soutenir les autorités maliennes et améliorer la sécurité dans l’ensemble du pays, les solutions militaires ne suffiront pas à elles seules à résoudre les défis du Mali. Nous ne pouvons enrayer la violence et l’instabilité qu’en nous attaquant aux causes profondes telles que la pauvreté, les changements climatiques, la lutte pour le contrôle des ressources, le sous-développement et l’absence de perspectives pour les jeunes. Au Mali, quelque 2,4 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire. Il n’y a que trois professionnels de santé pour 10 000 habitants dans les régions du nord et du centre. Plus de 800 écoles sont fermées et près d’un quart de million d’enfants n’ont pas accès à l’éducation.
La MINUSMA et les organismes, fonds et programmes des Nations Unies ont maintenant adopté un cadre stratégique intégré qui aidera à hiérarchiser les tâches et à définir les responsabilités pour soutenir les efforts de pérennisation de la paix plus larges et durables du Gouvernement malien. Plusieurs initiatives internationales importantes sont en cours, dont l’Alliance pour le Sahel, lancée par la France, l’Allemagne et l’Union européenne, qui vise à investir 9 milliards d’euros dans la région d’ici à 2022. En décembre dernier, le G5 Sahel a tenu à Nouakchott une conférence réussie des partenaires et des donateurs. Au-delà du fait que je me félicite de ces initiatives, elles sont insuffisantes. Je demande à tous de redoubler d’efforts pour s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité et de l’insécurité au Mali, grâce à l’aide humanitaire et à l’appui au développement durable, y compris les programmes d’atténuation des effets des changements climatiques et d’adaptation à ces effets.
La situation au Mali met à l’épreuve la capacité de la communauté internationale à se mobiliser en faveur de la paix et de la stabilité. Ce n’est pas une question d’altruisme, mais bien de sauvegarde. La sécurité au Mali a une incidence sur l’ensemble du Sahel, qui à son tour affecte la stabilité mondiale. L’ensemble de la région du Sahel fait face à de graves problèmes transnationaux, allant des changements climatiques et de la sécheresse à l’insécurité croissante, à l’extrémisme violent et au trafic de personnes, d’armes et de drogues. Le Conseil n’est pas sans connaître la menace grandissante qui pèse sur la stabilité au Burkina Faso.
Nous ne pouvons rester les bras croisés alors que la situation humanitaire se dégrade, que les écarts de développement se creusent et que les risques pour la sécurité deviennent insoutenables. J’appelle tous les acteurs nationaux, régionaux et internationaux à redoubler d’efforts pour faire face aux multiples menaces qui pèsent sur le Mali et la région du Sahel dans son ensemble. Investir dans la paix au Mali, c’est investir dans la sécurité mondiale. Je demande instamment de continuer à appuyer sans réserve la MINUSMA et les organismes humanitaires et de développement des Nations Unies ainsi que nos partenaires sur le terrain.
Toutefois, ce soutien, de façon isolée, ne sera jamais suffisant. Il n’existe aucune alternative à la volonté politique. J’appelle le Gouvernement malien, les dirigeants de l’opposition politique, ainsi que les mouvements signataires, à redoubler d’efforts afin de mettre fin aux problèmes auxquels le pays fait face. Il est désormais temps de travailler ensemble pour rétablir la paix et la stabilité au Mali.